Corpus de Gériatrie - Janvier 2000
La prévalence des douleurs augmente
avec l'âge, notamment chez les patients
porteurs d'une polypathologie avec perte
d'autonomie d'origine physique et / ou
psychique ou chez les sujets en fin de vie,
le vieillissement modifie peu les seuils
d o u l o u reux provoqués par des stimuli
nociceptifs mais la perception est influen-
cée par les expériences douloure u s e s
antérieures, l'anxiété, la dépression et le
vieillissement pathologique des zones cor-
ticales impliquées dans la douleur.
La symptomatologie douloureuse est sou-
vent atypique et l’expression d'une dou-
leur chronique peut prendre un masque
trompeur à type de confusion, de perte
d'autonomie ou de repli sur soi. L'évalua-
tion est difficile, car 30 à 40 % des hospi-
talisés âgés présentent des déficiences
sensorielles ou cognitives ou des troubles
du langage.
L'approche de la mort provoque des réac-
tions psychologiques qui doivent être ana-
lysées par l'équipe soignante et l'entourage
pour assurer une prise en charge adaptée.
Il importe de connaître les particularités
d'utilisation des antalgiques au grand âge
et les traitements des symptômes généra-
teurs d'inconfort en fin de vie.
1. La douleur
1.1 Définition
La douleur est une expérience sensitive et
émotionnelle désagréable survenant après
une lésion tissulaire aiguë ou présentée
comme telle.
L'aspect pluridimensionnel de la douleur
oblige à considérer :
la composante sensori-discriminative
c o r respondant aux mécanismes de
détection et d'analyse du stimulus
nociceptif ;
1 131
Chapitre 12 - Prise en charge
de la douleur et des malades
en fin de vie
Plan du chapitre
1. La douleur
Définition
Mécanismes physiopathologiques
2. Spécificités cliniques de la douleur
chez les sujets âgés
Fréquence
Localisation
Particularités sémiologiques
Retentissement fonctionnel
3. Evaluation de la douleur
La verbalisation des symptômes
Evaluation verbale de l’intensité de la douleur
Evaluation non verbale de la douleur
Manque d’évaluation par un entourage
absent ou peu attentif
4. La prise en charge de la douleur
des sujets âgés
Principes généraux
Paliers d’antalgie
Adjuvants ou traitements coantalgiques
Techniques non médicamenteuses
Douleur de l’agonie
5. La fin de vie
Les obligations déontologiques
Les soins palliatifs
Les soins terminaux
6. Réactions psychologiques des patients âgés
face aux maladies en phase terminale
Le refus, la dénégation sous l’effet du choc
La colère, la révolte, l’agressivité
La culpabilité et le marchandage
La tristesse et la dépression
L’acceptation, la résignation, le lâcher prise
7. Autres symptômes d’inconfort en fin de vie
Nursing et mobilisation
Hydratation, alimentation et symptômes digestifs
La dyspnée
L’incontinence et la rétention urinaire
Le sommeil, la vigilance et l’agitation
8. L’accompagnement psychologique
9. L’aide aux familles
10.L’aide aux équipes
11.Conclusion
Sommaire
Corpus de Gériatrie - Janvier 2000
Chapitre 12 - Prise en charge de la douleur et des malades en fin de vie
la composante affective et psychique
correspondant à la perception doulou-
reuse qui est modulée par l'anxiété ou
la dépression ;
la composante cognitive qui se réfère à
la mémoire, au vécu, aux phénomènes
d'attention ou d'interprétation
la composante comportementale cor-
respondant aux manifestations obser-
vables : verbales (plaintes, gémisse-
ments...), motrices (postures, attitudes
antalgiques) et végétatives (sueurs...).
La durée d'évolution de la douleur doit
être prise en compte car la persistance
d'un symptôme douloureux (douleur aiguë :
signal d'alarme) peut se modifier et deve-
nir un syndrome à part entière (douleur -
maladie).
La douleur est dite chronique lorsqu'elle
évolue depuis plus de 3 mois. Elle s'ac-
compagne alors d'anxiété, d'insomnie, de
perte d'autonomie et de détérioration de la
qualité de vie, souvent associées à un sen-
timent d'abandon et / ou d'insécurité. La
douleur exprimée par les patients n'est
plus en rapport avec la lésion initiale. Elle
est pérennisée ou entretenue par des fac-
teurs psychiques, somatiques et environ-
nementaux : c‘est la douleur globale.
La douleur nociceptive est directement liée
à un dommage tissulaire. L'allodynie est
une douleur provoquée par un stimulus
qui normalement ne produit pas de dou-
leur. L'hyperpathie est un syndrome dou-
loureux caractérisé par une réponse exa-
gérée à un stimulus douloureux. La
causalgie associe une douleur continue, à
type de brûlure, à une allodynie et à une
hyperpathie après une lésion nerveuse
traumatique. Elle est souvent associée à
une activation constante du système sym-
pathique et expose à des troubles tro-
phiques.
1.2 Mécanismes
physiopathologiques
n
Les deux grands types de douleur
La douleur par excès de nociception
résulte de la stimulation des terminai-
sons nerveuses cutanées, musculaires
ou viscérales. Le message est véhiculé
jusqu'à la corne posrieure de la
moelle par des fibres A delta myéli-
niques de petit calibre et des fibres C
amyéliniques plus lentes.
La douleur neurogène résulte d’une
lésion du système nerveux riphé-
rique (douleur de désafférentation) ou
central (douleurs cordonnales ou thala-
miques). La douleur s'exprime par des
brûlures avec des paroxysmes parfois
fulgurants. Il peut s’y associer une hypo
ou une hyperesthésie dans la zone dou-
loureuse.
n
Impact du vieillissement sur la douleur
Les seuils et la tolérance de la douleur
sont similaires chez les sujets jeunes et
chez les sujets âgés.
La localisation de la douleur devient
avec le vieillissement moins précise et
la tolérance aux stimulations nocicep-
tives de forte intensité est réduite.
Du fait d’une baisse des neuromédia-
teurs (noradrénaline, sérotonine), les
systèmes de contrôle de la douleur sont
moins efficaces.
On observe avec le vieillissement une
augmentation du syndrome de désaffé-
rentation notamment lors des zonas,
des amputations, des thermocoagula-
tions du trijumeau.
L ' h i s t o i re individuelle joue un le
important par l’acquis d’une mémoire
de la douleur tout au long de la vie. Les
douleurs fantôme traduisent l'activa-
tion de cette mémoire sensori-motrice
lors de certaines stimulations.
Les processus d’intégration corticaux
de la douleur semblent parfois altérés
au cours de la démence expliquant la
modification des comportements dou-
loureux.
Il existe un lien entre douleur chro-
nique, anxiété et dépression. Avec le
vieillissement, la fquence de la
dépression accompagnant une douleur
chronique augmente.
132
Corpus de Gériatrie - Janvier 2000
Chapitre 12 - Prise en charge de la douleur et des malades en fin de vie
En conclusion, aucun argument n'auto-
rise à penser que les sujets âgés ont une
plus grande tolérance à la douleur.
L ' h i s t o i re personnelle, la chronicité
du passé douloureux, l'état psychothy-
mique modifient les réponses à la
douleur.
2. Spécificités cliniques
de la douleur
chez les sujets âgés
2.1 Fréquence
La prévalence des plaintes douloureuses
augmente avec l'âge. En milieu commu-
nautaire, le pourcentage des personnes
qui déclarent avoir ressenti une douleur
dans les deux semaines précédentes est de
25 à 30 % pour les 70 - 80 ans et de 40 %
pour les plus de 80 ans, avec une nette pré-
dominance féminine.
En institution, la douleur est encore plus
fréquente (45 à 70 %). Elle est chronique
dans un tiers des cas. Sa prévalence aug-
mente chez le patient en fin de vie. Dans le
mois qui précède la mort, 65 à
70 % des personnes présentent des dou-
leurs permanentes ou très fréquentes.
2.2 Localisation
Les sujets âgés sont avant tout exposés aux
douleurs musculosquelettiques dans le
cadre de l'arthrose, de l'ostéoporose et des
conséquences mécaniques des chutes. Pour
les pathologies neurologiques, les douleurs
sont liées à des neuropathies riphé-
riques, à des crampes des membres infé-
rieurs ou à un syndrome des jambes sans
repos. Les séquelles d'accident vasculaire
rébral associent des douleurs par
troubles du tonus, des rétractions tendi-
neuses, des algodystrophies et plus rare-
ment, un syndrome thalamique.
Certaines affections sont responsables de
douleurs chroniques rebelles comme les
cancers évols incurables avec ta-
stases osseuses et / ou compression de voi-
sinage, les ischémies tissulaires d'origine
artérielle, les immobilisations prolongées
au lit ou au fauteuil avec constitution d'es-
carres et de rétractions tendineuses.
2.3 Particularités sémiologiques
n
Des pathologies aiguës chirurg i c a l e s
ou médicales classiquement doulou-
reuses surviennent sans douleur ou
avec une symptomatologie atypique et
t rompeuse. Certaines affections
comme l'infarctus du myocarde, l'ul-
cère de l'estomac ou les urgences abdo-
minales surviennent, dans plus de la
moitié des cas, en l'absence de douleur
aiguë évocatrice. Les localisations de la
douleur sont souvent atypiques : dou-
leurs abdominales de l'infarctus du
myocarde et des pneumopathies.
nInversement, les douleurs chroniques
sont plus fréquentes que chez l’adulte.
Le zona entraîne des algies post-zosté-
riennes dans 70 % des cas après 70 ans.
La névralgie faciale par conflit anato-
mique vasculo-nerveux n'appart
qu'après 60 ans. Les douleurs post-
traumatiques ou post-chirurg i c a l e s
comme les douleurs des membres fan-
tôme après amputation sont fréquentes
chez les personnes âgées, de même que
les algodystrophies et les causalgies.
nLes plaintes douloureuses traduisent
volontiers d'autres souffrances diffi-
ciles à exprimer comme le sentiment de
solitude, la crainte de la maladie grave,
la peur de la mort. Les plaintes sont
alors multiples, imprécises, diffuses.
Elles apparaissent dispro p o r t i o n n é e s
par rapport aux données somatiques.
Elles s'accompagnent d'une asthénie
matinale, de troubles du sommeil avec
une insomnie de la deuxième partie de
la nuit et d'une variabilité des troubles
somatiques dans la journée. La douleur
est parfois utilisée par les personnes
âgées pour justifier un confinement au
domicile, une clinophilie ou une dépen-
dance par rapport aux tiers. Un traite-
ment d'épreuve par des antidépre s-
seurs réduit ou fait disparaître la
symptomatologie algique.
133
Corpus de Gériatrie - Janvier 2000
Chapitre 12 - Prise en charge de la douleur et des malades en fin de vie
2.4 Retentissement fonctionnel
La douleur est source d'anorexie persis-
tante, de perte d'autonomie et de dépres-
sion. La dépression accentue l'intensité
des douleurs organiques. La douleur non
contrôlée conduit à des états régressifs
avec détachement, repli sur soi, désinves-
tissement de l'entourage et désir de mort .
Enfin, la douleur peut à tout moment pré-
cipiter la personne âgée dans un syn-
drome confusionnel.
3. Evaluation de la douleur
La prise en charge correcte de la douleur
chez les personnes âgées cessite,
comme chez l'adulte jeune, le recueil de
l’anamnèse, un examen clinique et un dia-
gnostic précis.
3.1 La verbalisation
des symptômes
L ' i n t e r ro g a t o i re du patient et de son
entourage reste lélément déterminant
dans l’évaluation de la plainte doulou-
reuse. Il fera préciser la localisation, le
type, la durée, l'intensité de la douleur, les
facteurs déclenchants ou soulageants. Il
permet d’apprécier le retentissement sur
les activités de la vie quotidienne et le vécu
de la douleur. Néanmoins, un tiers des
patients âgés hospitalisés présentent des
handicaps sensoriels, des troubles du lan-
gage ou un déficit cognitif gênant l’expres-
sion de leur douleur.
Pour cette catégorie de personnes âgées, il
est important d'observer certains para-
m è t res physiologiques tels que la fré-
quence cardiaque et respiratoire, la pré-
sence de sudation, le tonus musculaire,
mais surtout le comportement du patient
(posture, cris, expression du visage).
3.2 Evaluation de l'intensité
de la douleur
Lorsque la communication est possible,
les capacités visuelles et cognitives
permettent l’utilisation de l’échelle visuelle
analogique (EVA). Cette échelle d’auto-
évaluation permet au patient d'indiquer
sur une ligne de 10 cm l'intensité de sa
douleur au moment de l'examen.
Elle a été validée en gériatrie, mais elle
demande des capacités d'abstraction et de
compréhension qui en limitent l'usage
chez les personnes âgées (en pratique,
moins de 3 personnes âgées sur 10 com-
prennent le fonctionnement de l'échelle
visuelle analogique).
De ce fait, l'échelle verbale simple et
l'échelle numérique ont la préférence de
certaines équipes soignantes.
Chez les patients ayant des troubles de la
compréhension et/ou de la communica-
tion, des échelles d'observation compor-
tementale sont utilisées comme chez l'en-
fant. L'observateur doit analyser les
modifications comportementales des per-
sonnes âgées douloureuses dans tro i s
registres :
-le retentissement somatique en notant
la position antalgique au repos, l'hyper-
tonie et l'opposition à la mobilisation, la
protection des zones douloureuses, les
plaintes, les cris et surtout l'expression
du visage (rictus, grimaces, froncement
des sourcils, yeux clos...)
- le retentissement psychologique en
notant le sommeil, la communication
avec l'entourage, l’angoisse, l’existence
d’un état régressif ou dépressif.
- le retentissement psychosocial en
notant la limitation des actes de la vie
quotidienne provoquée par la douleur
au moment des transferts, de la
marche, de la toilette et des repas
L'échelle Doloplus est un instrument d'hé-
téro-évaluation validé, fondé sur l'obser-
vation comportementale (Tableau 1).
L'évaluation comportementale de la dou-
leur contribue à la prise en considération,
trop souvent négligée, de la douleur chez
les patients âgés dépendants.
134
Tableau 1 : Echelle Doloplus®
Retentissement somatique
1. Plaintes pas de plainte 0 0 0 0
somatiques plaintes uniquement à la sollicitation 1 1 1 1
plaintes spontanées occasionnelles 2 2 2 2
plaintes spontanées continues 3 3 3 3
2. Positions pas de position antalgique 0 0 0 0
antalgiques le sujet évite certaines positions de façon occasionnelle 1 1 1 1
au repos position antalgique permanente et efficace 2 2 2 2
position antalgique permanente et inefficace 3 3 3 3
3. Protection pas de protection 0 0 0 0
de zones protection à la sollicitation n’empêchant pas la poursuite de
douloureuses l’examen ou des soins 1 1 1 1
protection à la sollicitation empêchant tout examen ou soins 2 2 2 2
protection au repos, en l’absence de toute sollicitation 3 3 3 3
4. Mimique mimique habituelle 0 0 0 0
mimique semblant exprimer la douleur à la sollicitation 1 1 1 1
mimique semblant exprimer la douleur en l’absence de toute sollicitation 2 2 2 2
mimique inexpressive en permanence et de manière
inhabituelle (atone, figée, regard vide) 3 3 3 3
5.Sommeil sommeil habituel 0 0 0 0
difficultés d’endormissement 1 1 1 1
réveils fréquents (agitation motrice) 2 2 2 2
insomnie avec retentissement 3 3 3 3
Retentissement psychomoteur
6. Toilette possibilités habituelles inchangées 0 0 0 0
et/ou possibilités habituelles peu diminuées (précautionneux mais complet) 1 1 1 1
habillage possibiltés habituelles très diminuées toilette et/ou
habillage étant difficiles et partiels 2 2 2 2
toilette et/ou habillage impossibles, le malade exprimant
son opposition à toute tentative 3 3 3 3
7. Mouvements possibilités habituelles inchangées 0 0 0 0
possibilités habituelles actives limitées (le malade évite
certains mouvements, diminue son périmètre de marche) 1 1 1 1
possibilités habituelles actives et passives limitées
(même aidé, le malade diminue ses mouvements) 2 2 2 2
mouvement impossible, toute mobilisation entraînant une opposition 3 3 3 3
Retentissement psychosocial
8. Commu- inchangée 0 0 0 0
nication intensifiée (la personne attire l’attention de manière inhabituelle) 1 1 1 1
diminuée (la personne s’isole) 2 2 2 2
absence ou refus de toute communication 3 3 3 3
9. Vie sociale participation habituelle aux différentes activités
(repas, animations, ateliers thérapeutiques) 0 0 0 0
participation aux différentes activités uniquement à la sollicitation 1 1 1 1
refus partiel de participation aux différentes activités 2 2 2 2
refus de toute vie sociale 3 3 3 3
10. Troubles comportement habituel 0 0 0 0
du troubles du comportement à la sollicitation et itératif 1 1 1 1
comportement troubles du comportement à la sollicitation et permanents 2 2 2 2
troubles du comportement permanents (en dehors de toute sollicitation) 3 3 3 3
Corpus de Gériatrie - Janvier 2000
Chapitre 12 - Prise en charge de la douleur et des malades en fin de vie
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NOM : Prénom : Service :
Observation comportementale dates
SCORE
L’échelle Doloplus®: WARY-B - Collectif Doloplus,
«Plaidoyer pour l’évaluation de la douleur chez le sujet âgé», Gérontologie et Société, 1997, 78, 83, 94.
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