[…] la juste indignation est un juste milieu entre l’envie et la malveillance, et ces
états se rapportent à la peine et au plaisir qui surgissent en nous pour tout ce qui
arrive au prochain : l’homme qui s’indigne s’afflige des succès immérités,
l’envieux va au-delà et s’afflige de tous les succès d’autrui, (et tandis que l’homme
qui s’indigne s’afflige des malheurs immérités), le malveillant, bien loin de s’en
affliger, va jusqu’à s’en réjouir.5
Le Stagirite nous indique clairement ici le rapport d’altérité indissociable de
l’indignation dans sa forme la plus juste. Lorsque celui-ci affirme que l’indignation est le
propre de celui qui s’afflige de succès immérités ou de malheurs immérités, Aristote
démontre que l’indignation est le propre du « juste », de celui qui recherche l’équilibre
non pas dans un intérêt égoïste, mais puisqu’il s’agit là de ce qui devrait être, bref de la
justice en soit. Dès lors, l’indignation prend une valeur éthique considérable, en ce sens
qu’elle devient vertu de justice.
Dans la même veine, Krishnamurti établissait une précision entre indignation et
simple colère. Pour le sage indien, « [la] révolte est de deux sortes : il y a la révolte
violente qui n’est qu’une réaction inintelligente contre l’ordre existant, et la profonde
révolte psychologique de l’intelligence. »6 Cette profonde révolte psychologique n’est
autre que la connaissance de soi, et par conséquent de ce qui en soi est digne. Celui-ci
confirme ainsi que, loin d’être réactionnaire, l’indignation tel que souhaité est proactive
puisqu’elle se lève pour ce qui mérite d’être.
Thomas de Koninck abondait dans le même sens et reprenait ces mêmes propos,
poussant la valeur morale de l’indignation encore plus loin : le sentiment de révolte
suscité par l’injustice est le principe moral par excellence puisqu’il précède l’éclosion de
5 Aristote, Éthique à Nicomaque, Livre II, Chapitre 7.
6 Krishnamurti, De l’éducation, Delachaux & Niestlé éditeurs, Neuchatel, 1972, p. 2.
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