Faut-il dépister les localisations

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Arch Mal Coeur Vaiss Prat 2017;2017:3–10
Dossier / Mise au point
Faut-il dépister les localisations
athéromateuses extracardiaques
chez le patient coronarien ?
Should the patient with coronary artery disease be
screened for extracardiac atherosclerotic involvement?
H.T. Bui
H.T. Bui
D. Metz
Service de cardiologie et pathologies vasculaires,
centre hospitalier universitaire de Reims, hôpital
Robert-Debré, rue du Général-Koenig, 51100 Reims,
France
Disponible en ligne sur ScienceDirect le 28 mars
2017
L'
athérosclérose a été définie par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) en
1958 comme « une association variable de
remaniements de l'intima et de la média des
artères de gros et de moyen calibre. Elle
constitue une accumulation focale de lipides,
de glucides complexes, de sang et de produits
sanguins, de tissus fibreux et de dépôts calcaires. Le tout est accompagné de modifications de la média » [1].
La maladie athérothrombotique est donc différente de l'artériosclérose qui est un processus de sclérose artérielle intéressant
principalement les fibres musculaires de la
média et qui est due au vieillissement.
La première étape de la maladie athérothrombotique est l'accumulation de LDL cholestérol
(LDLc) dans l'intima avec des modifications
oxydatives des LDLc. La dysfonction endothéliale est responsable du recrutement des
monocytes, puis de leur transformation en
macrophages, puis en cellules spumeuses
(macrophages gorgés de LDLc). La plaque
« mature » se forme avec un centre athéromateux et une chape fibreuse constituée de
cellules musculaires lisses. Cette plaque peut
rester stable ou évoluer vers la thrombose ou
vers un accident aigu par rupture de plaque.
La prévalence de l'athérosclérose augmente
progressivement dans les pays développés
en raison du vieillissement de la population
et des modifications des facteurs de risques.
En 1997, l'étude MONICA (Multinational monitoring of trends and determinants in cardiovascular disease) a démontré une réduction
de la mortalité cardiovasculaire avec un gradient décroissant de la mortalité du Nord vers
le Sud, due à une meilleure prise en charge
des facteurs de risque cardiovasculaire mais
aussi à l'évolution des traitements donnés à la
phase aiguë de la maladie [2]. Il paraît donc
essentiel de dépister les multiples localisations athéromateuses afin d'optimiser leur
prise en charge.
Les trois localisations préférentielles de la
maladie athérothrombotique sont les locations
coronariennes, carotidiennes et les atteintes
de l'aorte et des artères des membres
inférieures.
Comme le montre le registre REACH (Reduction of Atherothrombosis for Continued
Health) [3], l'athérome est une maladie généralisée qui peut toucher simultanément plusieurs lits vasculaires. REACH est le plus
grand registre international portant sur la
maladie athérothrombotique. Il s'agissait
d'une étude prospective observationnelle portant sur une cohorte de patients de plus de
45 ans ayant soit une maladie athérothrombotique établie (pathologie coronaire, cérébrovasculaire ou artériopathie oblitérante des
membres inférieurs, soit au moins trois facteurs de risque cardiovasculaire). Près de
68 000 patients ambulatoires ont été recrutés
par 5587 médecins investigateurs dans
44 pays. Parmi les 3514 patients français
porteurs d'une maladie athérothrombotique
avérée, 2373 (68 %) avaient une maladie
coronarienne, 778 (22 %) avaient un accident
vasculaire cérébral ischémique et 923 (26 %)
avaient une artériopathie oblitérante des
membres inférieurs. Près d'un quart des
patients coronariens, près d'un tiers des
patients atteints de maladies cardiovasculaires et près de la moitié des patients atteints
d'artériopathie oblitérante des membres inférieurs avaient au moins une autre localisation
de la maladie athérothrombotique [4].
Auteur correspondant :
H. Bui,
service de cardiologie et
pathologies vasculaires, centre
hospitalier universitaire de Reims,
hôpital Robert-Debré, rue du
Général-Koenig, 51100, Reims,
France.
Adresse e-mail :
[email protected]
http://dx.doi.org/10.1016/j.amcp.2017.03.002
© 2017 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
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Dossier / Mise au point
Un quart à un tiers des malades ayant une atteinte
athérothrombotique ont une autre localisation de la
maladie.
COMMENT DÉPISTER LES LOCALISATIONS
EXTRACORONARIENNES DE LA MALADIE
ATHÉROTHROMBOTIQUE ?
Chez le patient coronarien, le dépistage des localisations
athéromateuses extracoronariennes peut se faire par des
examens simples.
Pour le dépistage des sténoses carotidiennes asymptomatiques, une sonde linéaire à haute fréquence d'environ 7 MHz
est utilisée. Le patient est en position allongée en décubitus
dorsal. La sonde est placée à travers le muscle sterno-cléidomastoïdien à l'union du tiers moyen et du tiers inférieur du
cou (Fig. 1). L'étude comporte une étude en mode deux
dimensions (2D) en coupe transversale, de haut en bas jusqu'à la base du cou, puis en coupe longitudinale pour explorer
la carotide commune, le bulbe, puis la bifurcation carotidienne
(Fig. 2). On réalise ensuite, selon les mêmes incidences une
Figure 1. Positionnement de la sonde plate de 7 MHz à travers du
muscle sternocléidomastoïdien.
Figure 2. Étude longitudinale de l'axe carotidien.
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H.T. Bui, D. Metz
étude en doppler couleur et en doppler pulsé pour prendre les
mesures des vitesses systoliques (PSV) et diastoliques (EDV)
au niveau des carotides communes, internes et externes
(Fig. 3a et b).
Les plaques sont définies comme un décrochage dans la
lumière artérielle d'une échostructure avec une épaisseur
supérieure à 0,5 mm ou supérieure à 50 % de l'épaisseur
intima/média (EIM) adjacent ou une EIM supérieure
à 1,5 mm. La description de la plaque doit mentionner sa
localisation, son étendue et son épaisseur. Puis nous devons
détailler sa structure (homogène ou hétérogène), son échogénicité (hypoéchogène, hyperéchogène ou isoéchogène) et
enfin sa surface (régulière, irrégulière, ulcération : cratère
supérieur à 2 mm) (Fig. 4a–c).
L'évaluation du degré de sténose se fait généralement sur des
critères vélocimétriques (Tableau I) [5]. Une sténose supérieure à 70 % en NASCET au niveau de la carotide interne est
définie comme une vélocité systolique au niveau de la sténose
à plus de 230 cm/s, une vélocité diastolique au niveau de la
sténose à plus de 100 cm/s et un rapport de vélocités systoliques (PSV) au niveau de la sténose sur PSV au niveau de la
carotide commune supérieur à 4 (Fig. 5).
En ce qui concerne le dépistage de l'anévrysme de l'aorte
abdominale, l'échographie de l'aorte abdominale est un examen simple et peu chronophage. Il peut être réalisé la plupart
du temps avec la même sonde convexe utilisée pour l'échographie cardiaque, avec une faisabilité de plus de 99 % même
dans un service de soins intensif de cardiologie [6]. La sonde
est placée au niveau de l'ombilic (Fig. 6). L'aorte abdominale
est étudiée en mode 2D depuis la région cœliaque jusqu'à la
bifurcation aortique. En effectuant une rotation de 908, l'aorte
est alors étudiée en longitudinal. Pour chaque acquisition,
transverse et longitudinale, le diamètre maximal antéropostérieur adventice–adventice est mesuré (Fig. 7a et b). Un anévrysme de l'aorte abdominale est défini comme dans la plupart
des grandes études épidémiologiques comme un diamètre
antéropostérieur supérieur à 30 mm (Fig. 8) [7]. Il faudra préciser en cas de découverte d'un anévrysme de l'aorte abdominale, sa morphologie (sacciforme ou fusiforme) et la
présence éventuelle d'un thrombus pariétal.
Pour le dépistage de l'artériopathie oblitérante des membres
inférieurs, après un examen clinique minutieux avec recherche
et palpation des pouls, il est recommandé d'utiliser une sonde
doppler de 8 à 10 MHz. L'index de pression systolique à la
cheville est défini pour chaque membre inférieur comme le
rapport de la pression artérielle systolique à la cheville (PASc)
(au niveau de l'artère pédieuse ou au niveau de l'artère tibiale
postérieure) sur la pression artérielle systolique brachiale.
Pour mesurer la PASc, le stylo doppler doit idéalement réaliser
un angle de 458 par rapport au trajet de l'artère (Fig. 9). Le
brassard à tension est alors gonflé jusqu'à la perte du signal
doppler. Puis il est dégonflé jusqu'à la réapparition du signal de
flux doppler correspondant à la pression systolique de l'artère
de la cheville. Une artériopathie oblitérante des membres
inférieurs est définie par un IPS inférieur à 0,9 selon l'HAS
[8]. D'après les recommandations de l'American Heart Association (AHA) [9], pour la mesure des IPS, il est recommandé
d'utiliser le rapport entre la plus haute des PASc aux deux
chevilles et la plus haute des pressions systoliques brachiales
aux deux bras.
Cet examen a une sensibilité de 95 % et une spécificité voisine
de 100 % pour le diagnostic de l'artériopathie oblitérante des
membres inférieurs.
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Faut-il dépister les localisations athéromateuses extracardiaques chez le
patient coronarien ?
Figure 3. a : étude transversale de la bifurcation carotidienne gauche. La carotide interne gauche est à son origine plus externe que la
carotide externe. La carotide externe donne des collatérales ; b : étude longitudinale de la carotide commune droite avec mesure des
vitesses systolique et diastolique en doppler pulsé. À noter qu'il faut toujours en vasculaire respecter un angle de tir inférieur à 60 degré.
Figure 4. a. Plaque régulière et plutot homogène à tendance hypoéchogène ; b : plaque régulière, hétérogène et partiellement calcifiée
avec cône d'ombre ; c : plaque ulcérée avec perte de substance de plus de 2 mm.
Tableau I. Critères vélocimétriques des sténoses selon GRANT.
Sténose (%)
Vélocimétrie (cm/s)
Mode B (% Nascet)
PSV
EDV
Ratio PSV
Plaque
Normal
< 125
< 40
<2
Aucune
< 50
< 125
< 40
<2
< 50
50–69
125–230
40–100
2–4
50
70
> 230
> 100
>4
50
Pré-occlusion
Variable
Visible
Occlusion
Indétectable
Pas de lumière détectable
Figure 5. a : sténose serrée au niveau de la carotide interne gauche, suspectée par un aspect d'aliasing par accélération de flux ; b :
confirmation d'une sténose serrée hémodynamique en NASCET avec une PSV estimée à 340 cm/s, une EDV estimée à 153 cm/s. La PSV
au niveau de la carotide commune était estimée à 70 cm/s, le rapport des PSV était donc de 4,8.
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Figure 8. Volumineux anévrysme de l'aorte abdominale en coupe
transverse, partiellement thrombosé.
Figure 6. Avec un simple déplacement de la sonde convexe utilisée
pour l'échographie cardiaque vers l'ombilic, nous pouvons étudier
facilement l'aorte abdominale sous-rénale.
AMÉLIORE-T-ON LE PRONOSTIC DU PATIENT
CORONARIEN EN DÉPISTANT D'AUTRES
LOCALISATIONS ATHÉROMATEUSES
ASYMPTOMATIQUES ?
Les patients coronariens sont en théorie des patients traités de
manière optimale en ce qui concerne le traitement médicamenteux comme l'atteste l'étude Euroaspire IV [10]. Près de
94 % des patients étaient traités par antiagrégant plaquettaire,
près de 83 % par bêtabloquant, 75 % par inhibiteur de
l'enzyme de conversion ou antagoniste de l'angiotensine II
et près de 86 % par statine. Un peu plus de la moitié de
ces patients avaient été inclus dans un cycle de rééducation
cardiaque. Dans la mesure où le traitement médicamenteux du
patient coronarien recoupe le traitement médicamenteux de la
maladie athérothrombotique (antiagrégant plaquettaire, inhibiteur de l'enzyme de conversion et statine), nous pouvons
Figure 9. Mesure de la PASc au niveau de la tibiale postérieure
droite.
légitimement nous poser la question de l'amélioration du pronostic du patient coronarien en dépistant chez un patient
asymptomatique d'autres localisations de la maladie athérothrombotique. Ce débat a été relancé avec l'étude AMERICA
Figure 7. a : mesure du diamètre antéropostérieur de l'aorte sous-rénale en coupe transversale ; b : mesure du diamètre antéropostérieur
de l'aorte sous-rénale en coupe longitudinale.
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Faut-il dépister les localisations athéromateuses extracardiaques chez le
patient coronarien ?
(Aggressive detection and Management of standard of Care
for coronary Atherosclerosis) présentée lors de l'ESC 2016.
Dans cette étude, 521 patients considérés comme à haut
risque (âge supérieur à 75 ans, atteinte coronarienne tritronculaire ou antécédents de syndrome coronarien aigu) ont été
randomisés soit vers un bras prise en charge classique sans
recherche de localisation athéromateuse extracoronarienne
(n = 258), soit vers un bras avec dépistage et prise en charge
de localisation extracoronarienne (n = 263) en plus d'un traitement optimal (prescription systématique d'un inhibiteur de
l'enzyme de conversion, d'un bétabloquant, d'une statine
à forte dose et d'une double anti-agrégation plaquettaire).
Après deux ans du suivi, il n'existait pas de différence significative dans le taux de survenue du critère d'évaluation principal (décès ou survenue d'évènements ischémiques
entraînant une hospitalisation avec défaillances viscérales).
Il était de 47,4 % dans le groupe prise en charge classique
contre 46,9 % dans le groupe dépistage et prise en charge des
localisations extracoronariennes.
Ce résultat doit cependant être nuancé. D'une part, cette étude
ne concerne qu'un sous-groupe de patients âgés de plus de
75 ans avec un traitement idéal et optimisé. Dans la réalité, la
prise en charge des patients coronariens et en particulier ceux
qui sont polyvasculaires peut être moins idyllique. En effet,
toujours grâce aux bras des patients français du registre
REACH [11], nous nous apercevons que le pourcentage
des patients contrôlés pour tous les facteurs de risque varie
selon les caractéristiques du patient : 20,9 % des patients
étaient contrôlés s'il n'existait qu'une seule localisation athérothrombotique, et seulement de 15,2 % s'il existait deux ou trois
localisations athérothrombotiques. Le pourcentage de patients
traités de manière optimale varie également en fonction du
nombre de lits artériels touchés : 62,9 % des patients étaient
traités par aspirine s'il existait une seule localisation athéromateuse contre à peine 46,2 % des patients traités par aspirine
en cas localisations multiples. Le constat est le même pour la
prescription des bétabloquants : 51,4 % des patients étaient
traités par un bétabloquant s'il existait une seule localisation
athéromateuse contre à peine 44,6 % des patients traités par
bêtabloquants en cas de localisations multiples. Les patients
ayant des localisations athéromateuses multiples sont donc
moins bien traités médicalement et moins bien contrôlés au
niveau des facteurs de risque cardiovasculaire.
Le suivi de deux ans de l'étude AMERICA peut être également
paraître un peu court pour démasquer une différence significative. Le suivi des patients du registre REACH a montré une
différence nettement significative entre les patients ayant une
seule localisation de la maladie athérothrombotique et ceux
ayant une localisation multiple. Ce constat s'aggravait avec le
temps puisque les chiffres étaient plus péjoratifs à trois ans de
suivi [12] qu'à un an de suivi. L'incidence du paramètre principal mixte (infarctus du myocarde, accident vasculaire cérébral
et/ou mortalité d'origine cardiovasculaire), qui était de 4,7 %
à un an, avait augmenté à 12,0 % après trois ans de suivi. Le
risque d'événement était significativement plus élevé dans le
sous-groupe avec atteintes de maladie athérothrombotique
multiple que chez les patients avec une seule atteinte individualisée. Ainsi, l'incidence du paramètre principal mixte à trois
ans était de 10,5 % chez les patients avec atteinte vasculaire
localisée contre 17,9 % chez les patients à atteintes vasculaires multiples.
Un suivi sur le long terme largement supérieur à deux ans est
également intéressant pour le dépistage de l'anévrysme de
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l'aorte abdominale chez le patient coronarien. La prévalence
de l'anévrysme de l'aorte abdominale méconnu chez le patient
venant de présenter un syndrome coronarien aigu est de 6,6 %
et même de 7,7 % chez le patient âgé de plus de 50 ans [6].
Celles-ci sont supérieures à la prévalence relevée dans la
population générale de plus de 65 ans : 5,5 % [7]. Même si
aucun de ces anévrysmes de l'aorte abdominale n'était au
stade chirurgical, à deux ans, le pronostic des patients porteurs d'un anévrysme de l'aorte abdominale était plus péjoratif
que ceux n'ayant pas d'anévrysme de l'aorte abdominale. La
présence d'un anévrysme de l'aorte abdominale était un facteur de risque indépendant de mortalité cardiovasculaire et de
survenue d'évènement cardiovasculaire non fatal avec un odd
ratio de 3,2 [13].
La découverte d'un anévrysme de l'aorte abdominale chez le
patient coronarien est importante puisqu'elle conditionne le
pronostic à très long terme. La découverte d'un anévrysme
de l'aorte abdominale impose une surveillance échographique
régulière afin d'intervenir avant la rupture. La mortalité d'un
anévrysme de l'aorte abdominale lorsqu'il est découvert au
stade de rupture est de 43 % [14] en périopératoire et jusqu'à
77–90 % si on inclut la mortalité extrahospitalière [15,16]. En
chirurgie programmée, la mortalité est de moins de 4 % [14].
L'enjeu est donc de dépister un anévrysme de l'aorte abdominale pour le suivre régulièrement en échographie et de
pouvoir opérer avant la rupture.
En ce qui concerne le dépistage des sténoses carotidiennes
asymptomatiques, les études ACAS (Asymptomatic Carotid
Atherosclerosis Study) [17] et ACST (Asymptomatic CarotidSurgery Trial) [18] ont montré un bénéfice à la revascularisation chez des patients porteurs d'une sténose carotidienne
asymptomatique d'au moins 60 % en bon état général, si le
risque opératoire est inférieur à 3 % et sous couvert d'une prise
en charge rigoureuse des facteurs de risque cardiovasculaire.
Ce bénéfice reste modeste puisque le taux d'accident vasculaire cérébral ipsilatéral passe de 2,3 % par an sous traitement
médical à 1,3 % avec le traitement chirurgical. L'individualisation de sous-groupes à haut risque d'accident cérébral sous
traitement médical est donc un enjeu majeur. Plusieurs études
ont essayé de définir des sous-groupes de patients porteurs
de sténoses carotidiennes asymptomatiques mais à haut
risque d'accidents vasculaires cérébraux ipsilatéraux. La présence au scanner cérébral de zones d'ischémie silencieuse
chez ces patients [19] ainsi que l'étude de l'échogénicité de la
plaque d'athérome [20] semblent être des éléments intéressants à prendre en compte pour identifier ces sous-groupes de
patients à très haut risque d'accident vasculaire cérébral.
La problématique est plus complexe en ce qui concerne le
dépistage de l'artériopathie oblitérante des membres inférieurs
asymptomatique. En effet, il a été clairement démontré que le
pronostic de l'artériopathie oblitérante des membres inférieurs
asymptomatique est le même que celui des patients symptomatiques. En effet, le terme « asymptomatique » est faussement rassurant puisque ces patients n'ont pas un périmètre de
marche illimité mais souvent ce sont des patients tellement
délabrés qu'ils sont limités par d'autres symptômes et s'arrêtent avant d'atteindre leur périmètre de marche. Le pronostic
n'est pas local mais général puisqu'à cinq ans, 30 % des
patients vont décéder (50,3 % de cause cardiaque et 13 %
de cause neurologique). Au niveau local, à cinq ans, seulement 5 % des patients auront une intervention de revascularisation et seulement 2 % des patients vont être amputés [21].
Cependant, le fait de dépister une artériopathie oblitérante des
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H.T. Bui, D. Metz
Dossier / Mise au point
membres inférieurs dite « asymptomatique » chez le patient
coronarien peut dans certains cas se révéler intéressant. Il
n'est pas rare qu'au cours d'un cycle de rééducation cardiaque, l'amélioration des symptômes cardiopulmonaires
par le réentraînement démasque alors une claudication à la
marche masquée jusque-là. Les séances de rééducation cardiaque peuvent alors être modifiées et s'orienter vers une
rééducation physique plus spécifiquement vasculaire. Enfin,
une étude a montré l'intérêt de modifier la méthode de mesure
des IPS chez le patient coronarien. Le fait de retenir le chiffre
de systolique à la cheville le plus bas au lieu de prendre le plus
haut, permettrait chez le patient coronarien de dépister un
groupe de patient beaucoup plus à risque d'évènement cardiovasculaire sur un suivi médian de 6,6 ans [22].
EN PRATIQUE
Des études solides montrent l'intérêt de dépister les localisations athéromateuses extracardiaques chez le patient coronarien. Ceci est particulièrement vrai pour le dépistage de
l'anévrysme de l'aorte abdominale. En ce qui concerne le
dépistage des lésions carotidiennes asymptomatiques, leur
revascularisation systématique apporte un gain minime mais
à l'avenir, l'individualisation de sous-groupe à haut risque
d'accident vasculaire cérébral par l'étude de lacunes
ischémiques homolatérales par scanner ou l'étude morphologique de la plaque d'athérome permettra un gain beaucoup
plus net. Enfin, le dépistage systématique de l'artériopathie
oblitérante des membres inférieurs asymptomatique est plus
controversé. Cependant, la mesure des IPS reste un examen
fiable, rapide et peu couteux. Sa réalisation systématique, si
possible en utilisant la formule modifiée prenant la systolique
la plus basse à la cheville au lieu de la plus haute, peut se
discuter dans une prise en charge globale du patient, et pourquoi pas idéalement couplée avec l'échographie de l'aorte et
des troncs supra-aortiques au cours de la phase 2 de rééducation cardiaque.
Dans le contexte du syndrome coronarien aigu, les patients
coronariens bénéficient idéalement d'un bilan complet de
l'extension de la maladie athéromateuse au cours de leur cycle
de rééducation cardiaque (Fig. 10). Une échographie de l'aorte
abdominale est couplée à l'échographie cardiaque. En cas de
découverte d'un anévrysme de l'aorte abdominale, le rythme
de surveillance dépend de la taille de l'anévrysme de l'aorte
abdominale suivant les recommandations de la Société de
médecine vasculaire allant d'un contrôle tous les 5 ans pour
les petits anévrysmes de l'aorte abdominale jusqu'à tous les
trois mois pour les anévrysmes de l'aorte abdominale entre
50 et 55 mm (Tableau II). La mesure des IPS n'est réalisée que
chez les patients répondant aux critères de la TASC II, c'est-àdire aux patients ayant des douleurs à la marche, aux patients
entre 50 ans et 69 ans avec des facteurs de risque
Figure 10. Dépistage de la maladie athérothrombotique au cours du cycle de réadaptation cardiaque.
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patient coronarien ?
Tableau II. Rythme de surveillance par échographie d'un anévrysme de l'aorte abdominale selon les recommandations de la Société française de médecine vasculaire.
Rythme de surveillance échographique d'un anévrysme de l'aorte abdominale
Diamètre antéropostérieur (mm)
Fréquence
< 25
Âge 65 ans, parallélisme des bords conservé : pas de nouveau dépistage
Recommandé
25–30
5 ans
Conseillé
> 30
Prise en charge globale, correction des facteurs de risque cardiovasculaire
Recommandé
30–39
1 à 3 ans
Recommandé
40–49
6 mois à 2 ans
Recommandé
40–44
1 an
Conseillé
45–49
6 mois
Conseillé
50–55
Discussion médicochirurgicale et selon la décision, surveillance tous les 3 mois
Recommandé
> 55
Indication opératoire (sauf contre-indication)
Recommandé
cardiovasculaire, aux patients âgé de plus de 70 ans, ou tout
patient ayant un score de Framingham à 10 ans entre 10–20 %
[23]. Une surveillance annuelle par IPS est alors réalisée ou
plus rapprochée en cas d'apparition d'une claudication.
Pour le dépistage des sténoses des troncs supra-aortiques,
une échographie de dépistage avec analyse morphologique et
hémodynamique de la carotide commune, du bulbe, de la
carotide externe et interne est réalisée. En cas de découverte
d'une sténose hémodynamique, l'analyse est complétée par
une échographie complète de tout l'axe carotidien, des artères
vertébrales, sous-clavières, axillaires et artères ophtalmiques.
Pour les sténoses supérieures à 50 % en NASCET, une surveillance tous les ans est réalisée selon les recommandations
américaines [24], voire tous les six mois en cas d'évolutivité
rapide ou de sténose supérieure à 60 %, ce d'autant plus si la
plaque semble vulnérable (irrégulière, ulcérée, hétérogène).
En cas de découverte d'une sténose supérieure à 70 %, une
seconde imagerie par résonnance magnétique ou par angioscanner selon la présence ou non de calcifications est proposée
avant orientation du patient vers une équipe multidisciplinaire
pour discussion d'une revascularisation au cas par cas.
En pratique
Intérêt du dépistage surtout pour l'anévrysme de
l'aorte abdominale, les atteintes carotidiennes à haut
risque, plus stratifié pour l'artériopathie des membres
inférieurs (IPS).
Déclaration de liens d'intérêts
Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d'intérêts.
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