UROLOGIE Revue Marocaine du Cancer 2010 ; 5 : 40-43 Fait Clinique ADENOCARCINOME DE LA VESICULE SEMINALE (A PROPOS D’UN CAS) A. NAIM1, H. JOUHADI1, S. TROBI1, N. BENCHAKROUN1, N. TAWFIQ1, S. SAHRAOUI1, A. BENIDER1, S. MAROUANE2, M. AKSSIM2, S. ZAMIATI2, H. FEKAK3, R. RABII3, F. MEZIANE3 1. Service de Radiothérapie et d’Oncologie Ibn Rochd ; 2. Service d’Anatomopathologie ; 3. Service d’Urologie, CHU Ibn Rochd, Casablanca, Maroc RESUME ABSTRACT Les cancers primitifs de la vésicule séminale (VS) sont très rares, seule une cinquantaine de cas ont été recensés par la littérature. Nous rapportons l’observation d’un patient âgé de 57 ans, sans antécédents pathologiques particuliers et qui a présenté 4 mois auparavant une hématurie avec dysurie compliquées d’un épisode de rétention aiguë d’urine. Un bilan radiologique a révélé une tumeur intervésico-rectale droite avec, à la biopsie transrectale, un adénocarcinome de la VS. Le diagnostic a été retenu après élimination des diagnostics différentiels et immunohistochimie. Une association radiothérapie-chimiothérapie en hypofractionné suivie de 4 cures de chimiothérapie Cyclophosphamide/Carboplatine ont été préconisées. Le patient est actuellement en rémission maintenue après un recul d’un an. Les adénocarcinomes de la VS sont extrêmement rares. Leur diagnostic repose sur des critères cliniques, radiologiques, histologiques et surtout immunohistochimiques. Leur prise en charge est multidisciplinaire reposant sur un traitement d’emblée agressif au stade non métastatique, étant donné leur pronostic péjoratif. ADENOCARCINOMA OF SEMINAL VESICLE (ONE CASE REPORT) The primitive cancers of the seminal vesicle (SV) are very rare, only about fifty cases have been counted by the literature. We report an observation of a patient aged of 57 year-old without particular pathological antecedents, who presented 4 months before a hematuria and dysuria with an episode of acute urine retention. Radiological exams revealed a right intervesicorectal tumor and the transrectal biopsy confirmed an adenocarcinoma of the SV. The diagnosis has been kept after elimination of the differential diagnoses and immunohistochemical exam. A radiotherapy-chemotherapy association followed by 4 cures of chemotherapy (cyclophosphamide/ carboplatine) have been recommended. The patient is currently in maintained remission after one year of treatment. The adenocarcinoma of the SV is extremely rare. Its diagnosis is based on correlation of clinical, radiological, histological, and especially immunohistochemical criteria. Its management is multidisciplinary based on a straightaway aggressive treatment of non metastatic stage, considering their pejorative prognosis. Mots clés : adénocarcinome, diagnostic différentiel, vésicule séminale Correspondance : Dr. A. NAIM. Centre de Radiothérapie et d’Oncologie Ibn Rochd, Casablanca, Maroc. E-mail : [email protected] Key words : adenocarcinoma, differential diagnosis, seminal vesicle INTRODUCTION avec dysurie et brûlures mictionnelles compliquées d’un épisode de rétention aiguë d’urine. Après un sondage vésical, le patient a bénéficié d’une échographie abdomino-pelvienne qui a montré une masse nodulaire de 37 x 26 mm occupant la jonction urétéro-vésicale droite entraînant une urétérohydronéphrose. Le bilan a été complété d’un uroscanner (fig. 1) qui a objectivé un processus tumoral de 45 x 31 x 29 mm occupant le méat urétéral droit, étendu à la paroi postéro-latérale droite de la vessie et à l’uretère pelvien droit avec un important retentissement en amont. Une biopsie par voie transrectale de la masse intervésicorectale a révélé qu’il s’agissait d’une localisation au niveau de la VS d’un adénocarcinome moyennement différencié et infiltrant (fig. 2). Une étude immunohistochimique a montré que la prolifération carcinomateuse exprime intensément et diffusément l’anti-cytokératine 7 (CK7) et n’exprime pas Le cancer de la vésicule séminale (VS) a été décrit initialement en 1872 par Smith [1]. Il s’agit de tumeurs malignes rares et encore mal élucidées. En effet, seuls 52 cas d’adénocarcinomes de la VS histologiquement confirmés sont répertoriés dans la littérature. Nous rapportons un cas d’adénocarcinome de la VS et nous aborderons les problèmes relatifs au diagnostic de ces tumeurs. OBSERVATION Il s’agit d’un patient âgé de 57 ans, sans antécédents pathologiques particuliers, qui a présenté 4 mois auparavant des coliques néphrétiques droites associées à une hématurie 40 Adénocarcinome de la vésicule séminale A. NAIM et coll. l’anti-cytokératine 20 (CK20), avec absence d’expression du PSA (fig. 3 et 4). Avant de retenir le caractère primitif de l’adénocarcinome de la VS, une rectoscopie a été réalisée qui a montré une compression extrinsèque de la paroi postérolatérale droite avec, à la biopsie, aspect de rectite. Dans le même sens, un dosage de la PSA sérique avec biopsie prostatique ont éliminé l’extension d’un adénocarcinome prostatique. Le patient a bénéficié d’une association radiothérapie-chimiothérapie en hypofractionné avec carboplatine en concomitance suivie de 4 cures de chimiothérapie à base de cyclophosphamide/carboplatine/5 fluoro-uraciline. A l’évaluation, une TDM abdomino-pelvienne a montré une réduction de l’épaississement tumoral de la VS droite qui est devenue tuméfiée mesurant 25 mm de grand axe d’allure séquellaire. Une biopsie échoguidée avec sonde endo-rectale s’est révélée négative. Le patient est toujours en rémission maintenue après un recul d’un an. Fig. 1. Cliché d’uroscanner montrant un processus tumoral de la vésicule séminale droite étendu à la paroi postérolatérale droite de la vessie et à l’uretère pelvien droit Fig. 2. Deux carottes biopsiques : une prostatitique et l’autre provenant d’une vésicule séminale siège d’une prolifération carcinomateuse infiltrante agencée en amas cellulaires et en structures glanduliformes Fig. 3. Immunohistochimie : la prolifération carcinomateuse exprime intensément et diffusément l’anti-CK7 Fig. 4. Immunohistochimie : la PSA n’est pas exprimée par les glandes carcinomateuses. En revanche, elle est exprimée par des glandes prostatiques au niveau de la carotte adjacente 41 Revue Marocaine du Cancer 2010 ; 5 : 40-43 DISCUSSION Quant au bilan biologique, il n’existe pas de marqueurs tumoraux spécifiques des tumeurs malignes des VS. Cependant, il est recommandé de doser le marqueur prostatique “prostate specific antigen” (PSA), afin d’écarter l’éventualité d’un cancer prostatique évolutif. Les taux plasmatiques de l’ACE et du CA 125 [4] sont inconstamment augmentés en présence de carcinome des VS et doivent être dosés. En 1956, Dalgaard et Giertson ont établi les critères diagnostiques des cancers de la VS [2] : * Confirmation histologique du carcinome localisé exclusivement ou en partie à la VS. * Exclusion d’autres carcinomes primitifs. * La tumeur devrait ressembler de préférence à l’architecture non néoplasique de la VS. • Etablissement du diagnostic L’orientation diagnostique est clinique et radiologique. La confirmation est basée sur l’immunohistochimie. Les marqueurs utilisés sont la CK7, la CK20, le CA 125, l’ACE, la MUC, la desmine, l’actine, la vimentine et le PSA. La négativité du PSA élimine la présence de tissu prostatique. Le profil immunohistochimique associant positivité pour CK7, CA 125, mucine, négativité pour CK20 et PSA caractérise le carcinome primitif des VS (tableau I) [5]. Ces critères peuvent être aisément appliqués à la résection chirurgicale, mais sont moins convenables lors des biopsies écho ou scano-guidées, d’où l’intérêt de l’immunohistochimie sachant qu’il n’existe pas de marqueurs spécifiques de la VS. De ce fait, le diagnostic de cancer primitif de la VS reste difficile, d’autant plus que, d’une part, la localisation secondaire est loin d’être rare et, d’ autre part, la symptomatologie clinique révélatrice n’est que souvent le reflet de l’infiltration des structures adjacentes. Tableau I. Profil immuno-histochimique de l’adénocarcinome de la vésicule séminale en comparaison avec les profils des tumeurs qui représentent les principaux diagnostics différentiels [5] • Clinique Les signes cliniques sont généralement tardifs et non spécifiques de l’atteinte des VS. La présence de douleurs périnéales parfois chroniques aggravées lors des rapports sexuels, de l’éjaculation ou de la défécation, de troubles de la fertilité et d’hémospermie peuvent orienter vers une atteinte des VS. A un stade plus avancé, il peut s’agir de troubles mictionnels (dysurie, pollakiurie, hématurie, rétention d’urine, insuffisance rénale par compression urétérale bilatérale, troubles de la défécation par compression rectale). Le toucher rectal retrouve une prostate normale surmontée d’une masse indolore lorsque la tumeur est suffisamment volumineuse. Cancer de la vésicule séminale Cancer de la prostate Cancer du rectum Cancer de la vessie CK7 CK20 CA 125 ACE PSA + + + - + - ± + ± + - CK7 : Cytokératine 7 ; CK20 : Cytokératine 20 ; PSA : prostatic specific antigen • Traitement Le traitement des carcinomes de la VS repose sur la chirurgie dont la nature va dépendre de l’extension locale de la tumeur : En cas de lésion limitée aux VS, la vésiculectomie totale avec curage ganglionnaire iliaque, uni- ou bilatéral est proposée, elle peut être associée à une prostatectomie partielle pour un meilleur contrôle des marges de résection chirurgicale. En cas d’extension vésicale peu étendue et pour des patients jeunes, une cystectomie partielle est proposée en complément de la vésiculectomie totale. • Paraclinique Le bilan radiologique permet d’apprécier les caractères de la tumeur, et dans les stades précoces, d’éliminer l’atteinte des organes de voisinage notamment la prostate, le rectum et la vessie : - L’échographie transrectale confirme l’atteinte de la VS en montrant une lésion sus ou latéro-prostatique, et précise son caractère solide ou liquide. Elle permet en parallèle la réalisation de biopsies transrectales des lésions solides ou une ponction des lésions kystiques. En cas d’envahissement locorégional, une prostatovésiculectomie totale, une cysto-prostato-vésiculectomie totale avec dérivation urinaire, voire une exentération pelvienne sont réalisées en fonction du ou des organes atteints (prostate, vessie, rectum). - Le scanner et l’imagerie par résonance magnétique pelviens avec antenne endorectale décrivent une masse située entre la vessie en avant, le rectum en arrière surmontant la prostate. L’imagerie par résonance magnétique (IRM) avec antenne endorectale est l’examen de référence pour l’analyse des VS. En cas de tumeur suspecte de malignité, l’intensité des signaux T1 et T2 au sein de la tumeur est hétérogène. Les hypersignaux T1 et T2 sont en faveur de remaniement hémorragique et de nécrose intratumorale. En cas de kyste simple, l’aspect est homogène avec un hyposignal T1 et un hypersignal T2. Les hypersignaux T1 et T2 correspondent à une hémorragie intrakystique [3]. La radiothérapie est indiquée généralement en adjuvant à la chirurgie, elle est préconisée lorsque les marges chirurgicales sont positives à l’examen histologique. L’intérêt en cas de marges chirurgicales négatives est mal défini même si de bons résultats sont constatés. La chimiothérapie n’a pas fait preuve d’efficacité pour les carcinomes des VS quel que soit le stade. D’après la revue de la littérature, la suppression androgénique semble prolonger la survie. Elle est proposée pour le traitement de tous les carcinomes des VS [6, 7]. 42 Adénocarcinome de la vésicule séminale A. NAIM et coll. CONCLUSION En conclusion, il s’agit d’une pathologie rare et de pronostic péjoratif. Son diagnostic repose sur la corrélation clinique, radiologique, biologique mais surtout immunohistochimique. De ce fait, à chaque fois que l’adénocarcinome de la VS est inclus dans le diagnostic différentiel d’une tumeur des structures adjacentes, un panneau d’immunohistochimie comprenant CA125, CK7, CK20 et PSA, peut être très utile, en particulier quand on ne dispose que de simple biopsie. REFERENCES 1. Ohgaki K, Horiuchi K, Oka F, Sato M, Nishimura T. A case of seminal vesicle cyst associated with ipsilateral renal. Renal agenesis diagnosed during an investigation of perineal pain. J Nippon Med Sch 2008 ; 75 : 122-6. 2. Tarján M, Ottlecz I, Tot T. Primary adenocarcinoma of the seminal vesicle. Indian J Urol 2009 ; 25 : 143-5. 43 3. Persaud T, O’Brien F, Thornhill JA, Torreggiani WC. Re: Magnetic resonance imaging in the diagnosis of seminal vesicle cystic and associated anomalies. J Urol 2004 ; 172 : 1199-200. 4. Thiel R, Effert P. Primary adenocarcinoma of the seminal vesicles. J Urol 2002 ; 168 : 1891-6. 5. Ormsby AH, Haskell R, Jones D, Goldblum JR. Primary seminal vesicle carcinoma : an immunohistochemical analysis of four cases. Mod Pathol 2000 ; 13 : 46-51. 6. Kashiwagi B, Shibata Y, Ono Y, Suzuki K, Honma S, Yamanaka H. Effect of androgen concentration on seminal vesicle blood flow in rats, establishment of new highly sensitive simultaneous androgen measurement method. Urology 2005 ; 66 : 218-23. 7. Tabata K, Irie A, Ishii D, Yanagisawa N, Iwamura M, Baba S. Primary squamous cell carcinoma of the seminal vesicle. Urology 2002 ; 59 : 445.