Du Vendée Globe aux trous noirs : d`étranges géométries

publicité
CONCOURS C.GENIAL 2010
ATELIER SCIENTIFIQUE EUCLIDE
Collège Albert Camus de Miramas
Association Math Pour Tous
1
L’ATELIER SCIENTIFIQUE EUCLIDE
du collège Albert Camus de Miramas (13)
L’Atelier Euclide est un atelier ouvert aux élèves volontaires de 4° et 3°. Les élèves viennent de classes
différentes, il y a des élèves de tous niveaux, mais tout le monde s’entraide et on forme un groupe.
Le but est de goûter à ce que peuvent être les grandes questions de l’histoire des mathématiques et
des sciences et d’aller à la rencontre des chercheurs d’aujourd’hui.
Plusieurs grands sujets de recherche abordés en 2008/2009 et 2009/2010 :
A la découverte du plus grand théorème de maths de tous les temps :
le dernier théorème de Fermat
Les mathématiques peuvent-elles permettre de compter l’infini ?
Théorie des graphes et applications
Mathématiques et réalité : la Caverne de Platon
Mathématiques et création d’images de synthèse
Mais le thème principal abordé sur ces 2 années a été :
D’étranges géométries, du Vendée Globe aux trous noirs
LES PARTENAIRES
Association Math Pour Tous
Université de la Méditerranée
Faculté des sciences de Luminy
Avenue de Luminy-IREM
13228 MARSEILLE
Laboratoire PYTHEAS
Case 901
163, avenue de Luminy
13228 MARSEILLE
Cedex 9
2
Sébastien Tourrel (ingénieur)
CALINDA software
Technopôle Château - Gombert
BP 100
45, rue Joliot-Curie
13382 MARSEILLE Cedex 13
LE PROJET
Du Vendée Globe aux trous noirs, d’étranges géométries
Ce document présente le contenu développé par les élèves de l’atelier Euclide durant deux ans sur
ce projet, en partenariat avec le laboratoire Pythéas de l’université de Luminy à Marseille et l’association Math Pour Tous.
Grâce à ces partenariats, plusieurs élèves de l’atelier passés en seconde en 2009/2010 ont bénéficié
d’un cadre pour poursuivre les travaux sur ce projet au même titre que les autres élèves.
Les thèmes de travail allient l’exploration de champs mathématiques à la pointe de la recherche
d’aujourd’hui, comme les algèbres Max+ et Min+, une expérience de routeur virtuelle de la course
au large (principes de navigation, routage météo, géométrie sphérique,…), et la création d’images
de synthèse par les élèves pour illustrer cette aventure (logiciel Blender).
Immergés par stages de plusieurs jours au laboratoire Pythéas, les élèves ont prolongé ce voyage
au delà de la géométrie de la sphère : géométries de l’univers, géométries des trous noirs,… Un
voyage complet dans l’étrange qui a conquis ces futurs scientifiques.
Conformément aux instructions du concours Cgénial, un film qui retrace les grandes lignes du projet
(images et voix off audio) a été mis en ligne sur le site dailymotion :
http://www.dailymotion.com/video/xcixvf_du-vendée-globe-aux-trous-noirs-d-é_tech
Le projet incluant des productions en images de synthèse, nous vous invitons également à visionner
l’une des réalisations des élèves :
http://www.dailymotion.com/video/xckdoo_film-1-d-animation-3d-sur-blender-c_tech
Ce dossier reprend le texte du contenu raconté par les élèves dans le film :
http://www.dailymotion.com/video/xckeer_géométries-du-vendée-globe-aux-trou_tech
(ce film ne développe que la première partie du contenu)
Merci aux chercheurs de l’Institut de Mathématiques de Luminy, à l’association Math Pour Tous, à
monsieur Charpentier, ingénieur météo-France, monsieur Tourrel ingénieur projet chez une filiale de
Microsoft et à toutes les personnes qui ont permis que ce projet puisse se développer.
Le professeur,
Francis LORET
Equipe des élèves responsables de la présentation du contenu
Arnaud Vespa, Simon Marti , Raphaëlle Martinez, Audrey Deguigné, Lydia Laprade, Chloé LLopis,
Nicolas Morard, Bastien Nicolau, Maëlle Auriol, Clément Martinez, Marine Auriol, Thibaud Nivol.
Elèves plus spécifiquement responsables de la traduction du contenu en anglais
Raphaëlle Martinez et Clément Martinez, en liaison avec Madame Helary, professeur d’anglais au collège Camus de Miramas.
3
D’ETRANGES GEOMETRIES :
DU VENDEE GLOBE AUX TROUS NOIRS
Collège Albert Camus de Miramas
Tout est parti d’un événement qui n’a lieu que tous les 4 ans :
le Vendée Globe. C’est la plus grande course à la voile du
monde puisqu’il s’agit pour les marins de faire le tour du monde en solitaire et sans assistance sur des monocoques très
rapides de 60 pieds (ça fait environ 20 m) qui sont de véritables « formules 1 » des mers.
Pour la première fois, les amateurs avaient la possibilité de faire la course en même temps que
les pros, mais virtuellement, sur un site d’accès gratuit.
Le professeur nous a donc invités à nous inscrire et nous sommes partis à 25 pour essayer de
boucler notre tour du monde, mais au sec, face à l’interface d’un logiciel. L’interface, la voilà…
ATELIER EUCLIDE
On vous offre une carte du monde en projection de Mercator découpée en carrés de 1 degré de
côté. Dans chaque carré, le logiciel indique l’état du vent réel dans n’importe quel endroit du
monde. Alors comment cela fonctionne-t-il ? Vous donnez un cap à votre bateau en manipulant le
compas de route, vous choisissez une voile, le logiciel calcule votre vitesse et vous commencez
votre voyage. Questions : Dans quelle direction partir ? Quelle voile choisir ? Comment être le
plus performant possible ?
Le fonctionnement d’un bateau
La première des choses est de connaitre le fonctionnement d’un bateau à voile. Il peut se laisser porter par le vent, c’est le largue et le vent arrière, être
au vent de travers, ou remonter au vent, c’est le près.
Comment avance un bateau ? Le vent est un flux qui parcourt la voile de part
et d’autre. L’air qui rencontre l’intérieur de la voile subit une compression. En
revanche, sous le vent de la voile, si les filets d’air continuaient tout droit, il y
aurait du vide. Pour combler ce vide, les filets d’air sous le vent de la voile
sont «obligés» de suivre la toile. Une certaine quantité d’air doit occuper un
volume plus grand qu’il occupait au départ. Il en résulte une pression plus faible, une dépression qui aspire fortement la voile.
La pression dans le creux de la voile et la dépression au dos s’additionnent
pour constituer la force aérodynamique totale. Cette force se décompose en
une composante propulsive et une composante de dérive. La quille est là pour
limiter le phénomène de dérive.
4
La seconde chose, c’est de connaître les performances de son bateau. La polaire d’un bateau, c’est le
meilleur angle par rapport au vent et la meilleure voile possible en fonction de la force du vent. Nous
avons été en contact avec un skipper pro qui nous a donné sous forme de diagramme en araignée les
polaires des 60 pieds de course. On a vérifié sur le logiciel que ces données coïncidaient avec le fonctionnement de notre voilier virtuel. A force, on connaissait ces données par cœur.
Une fois que l’on sait comment faire fonctionner son voilier, et quelles sont ses performances aux différentes allures, il faut tracer sa route. Premier paramètre : la météo.
La météo
Pour déterminer des options de route, il fallait faire des prévisions météo sur plusieurs jours. Un spécialiste de météo France est venu nous initier aux principes de base de la météo mondiale : on savait à
partir de là que l’on allait rencontrer un anticyclone aux Acores, des Alizées nord et sud convergeant
vers une zone située aux alentours de l’équateur, que cette convergence créait ici une zone très perturbée appelée le Pot au Noir, ensuite l’anticyclone situé vers l’ile de St Hélène, puis un cortège de dépressions qui circulent d’ouest en est dans l’océan Indien, passer le mythique Cap Horn pour finir la
remontée de l’océan atlantique.
Nous avons appris à lire une carte météo que nous pouvions télécharger gratuitement sur un site international, Ugrib, qui nous donnait les prévisions à 180 heures.
Une fois le routage météo en place, les compétences mathématiques vont intervenir pour optimiser les
calculs de route. Premier outil :
5
La trigonométrie
Le cosinus que l’on a appris en quatrième, a été un outil indispensable : par exemple lorsque vous voulez aller vers l’est le plus rapidement possible, il faut parfois prendre un angle qui permette au bateau
d’aller plus vite, même si la direction est du coup plus indirecte. En projetant en angle droit, la vitesse
obtenue grâce au cosinus de l’angle était souvent supérieure à la trace directe. On a travaillé sur des
cas de figures tirés de la course où il fallait déterminer qui faisait le meilleur choix. Par exemple :
Conditions de vents : 35.6 nœuds au 299°. 8 bateaux filent à plus de 25 nœuds vers le Cap Horn situé
plein est. De ces 2 bateaux, lequel utilise le mieux les
angles ? Pourquoi ?
Composante nord
du cap/vitesse
sse
Ca
se
roi
a
teV
Co
ite
p/v
3°
Cap/Vitesse
Croque Lune
Meilleure composante EST
du cap/vitesse pour CoteVaroise
25 , 4  cos( 3  )  25.365 noeuds
25,4 noeuds
L’orthodromie : le plus court chemin entre deux points sur la sphère terrestre
Lorsque le meilleur cap est déterminé, il
faut estimer l’heure où il faudra à nouveau
définir un nouveau cap. Pour cela, il faut
être capable de calculer la distance entre 2
points A et B sur la sphère terrestre
connaissant leur longitude et leur latitude.
La longitude détermine l’écart d’angle horizontal par rapport au méridien de Greenwich et la latitude détermine l’écart d’angle
vertical à partir de l’équateur.
6
Calcul de la distance euclidienne entre 2 points A et B
On place un repère orthonormé au centre de la terre et on se sert
de ces deux angles et du rayon de la terre pour déterminer les
A
B
3 coordonnées dans l’espace de chacun de ces points :
R x cos(latA) x cos(longA)
R x cos(latB) x cos(longB)
A R x cos(latA) x sin(longA)
B R x cos(latB) x sin(longB)
R x sin(latA)
R x sin(latB)
Ensuite, à l’aide du théorème de Pythagore exprimé dans un repère :
AB  ( différence des abscisses )²  ( différence des ordonnées )²  ( différence des hauteurs )²
B
on obtient la distance euclidienne entre A et B, ce qui correspond
à la longueur d’un tunnel droit entre A et B passant dans la terre.
A
Passage de la distance euclidienne
à la distance orthodromique
O
Un mille marin c’est quoi ? Cela vaut environ 1,852 km et cela représente la mesure de 1 minute d’angle au centre de la terre. Pour
avoir AB en milles marins, il faut donc calculer l’angle AOB en minutes.

AOB
AB
R
AB
1
AB
sin(
)




2
2
1
2
R
2R
d’où, en convertissant des degrés en minutes (x 60) :
Palmarès
340 000 amateurs ont participé à cette course virtuelle. Au classement final, le premier élève a fait
217e et on a classé 5 élèves dans les 10 000 premiers. 17 élèves sur 25 ont réussi à boucler leur
tour du monde.
Il y a eu une remise des prix et les 10 premiers ont
gagné une sortie sur un bateau bien réelle pour découvrir la vraie navigation.
7
IMMERSION DANS UN LABORATOIRE DE MATHEMATIQUES A
LA FACULTE DE MARSEILLE LUMINY
Cette aventure nous a ouvert la voie vers la découverte
d’autres géométries : au collège, on étudie que la géométrie plane, Euclidienne, alors que le Vendée Globe, c’est
de la géométrie sphérique. Nous avons passé trois jours
en immersion dans un laboratoire de mathématique à Luminy pour poursuivre et étendre ce travail à la découverte
de géométries exotiques.
Le chercheur responsable de notre stage nous a proposé :
- de faire le point sur les propriétés de la géométrie Euclidienne classique,
- d’aller plus loin dans la découverte des propriétés de la
géométrie sphérique,
- de découvrir de nouvelles géométries très exotiques comme la géométrie hyperbolique.
Géométrie euclidienne
Dans le groupe géométrie euclidienne, nous avions à dresser la liste des axiomes qui servent de
base à la géométrie euclidienne :
Un segment de droite peut être prolongé
Un unique segment de droite peut être tracé en
indéfiniment en une ligne droite
joignant deux points distincts quelconques
AXIOME 2
AXIOME 1
Tous les angles droits sont égaux
AXIOME 3
Etant donné un segment de droite
quelconque, un cercle peut être
tracé en prenant ce segment comme rayon et l’une de ses extrémités comme centre
AXIOME 4
Si deux lignes sont sécantes avec une troisième de telle façon que la somme des angles intérieurs d’un côté soit strictement inférieure à deux angles droits, alors ces deux
lignes sont forcément sécantes de ce côté
AXIOME 5
nous avons fait la
preuve que
Les axiomes 5 et
5 bis étaient
équivalents.
8
Etant donné une droite
(d) et un point P, il existe
une unique droite passant
par P et parallèle à (d).
AXIOME 5 bis
Nous avons aussi listé des propriétés de base comme « la somme des angles d’un triangle vaut
toujours 180° quelque soit le triangle ». Le chercheur a proposé aux autres groupes de vérifier si
ces axiomes et ces propriétés pouvaient s’appliquer aux géométries exotiques.
Géométrie sphérique
En géométrie sphérique par exemple, la somme des angles d’un triangle ne
fait pas 180°: il existe des triangles avec 3 angles droits (donc 270° au total). On a donc cherché à établir une nouvelle formule pour obtenir la somme des angles d’un triangle :
Chacun des angles du triangle découpe une surface sur la sphère comme
deux tranches d'orange opposées l'une à l'autre dont on peut calculer l'aire.
Cette aire est proportionnelle à l'angle A.
Angle
0
π/2
π
1
A
Aire
0
2πR²
4πR²
4R²
4AR²
L’aire correspondant à l’angle A vaut 4AR², l’aire correspondant à l’angle B
vaut 4BR² et l’aire correspondant à l’angle C vaut 4CR².
En faisant la somme des aires balayées par ces 3 angles
(4AR² + 4BR² + 4CR²), on couvre toute la surface de la sphère, et
même un peu trop : on a compté 6 fois l’aire du triangle ABC (3 fois
T
devant et 3 fois derrière), c'est-à-dire 4 fois de trop :
4AR² + 4BR² + 4CR² = 4πR² + 4T
(A + B + C) x 4R² = 4πR² + 4T
A + B + C = π + T/R²
Bilan : non seulement la somme des angles d’un triangle
T
n’est pas 180°, mais elle dépend de la taille de ce triangle.
On a également vérifié que l’aire d’un disque ne faisait plus πR² en géométrie sphérique.
On a également vérifié la validité des axiomes d’Euclide en géométrie sphérique : on a rencontré
deux problèmes :
Le premier concerne l’axiome n°1 puisqu’il est possible dans certain cas de
faire passer une infinité de droites sphériques par deux points : les mathématiciens ont levé ce problème en identifiant les points antipodaux pour
n’en faire qu’un seul.
Le second est plus radical, puisque le cinquième axiome n’est pas vérifié : par un point extérieur
à une droite il n’existe aucune parallèle à cette droite puisque les plans qui portent ces cercles ont
le centre de la terre comme point commun.
9
Géométrie hyperbolique
Un autre groupe a, lui, travaillé sur une géométrie très exotique : le demi-plan de Poincaré qui
contient un bord représentant l’infini. Les droites sont définies d’une manière étrange : ce sont
soit une demi-droite euclidienne si les points à relier sont l’un en dessous de l’autre, soit un demi
-cercle euclidien dont le centre est situé sur le bord.
C’est étrange de dire que c’est une droite, même si on voit
bien qu’une telle droite part de chaque côté vers l’infini.
Dans une telle géométrie, on s’est aperçu de certaines bizarreries : les cercles gardent la forme
des cercles, mais le centre du centre est décalé par rapport au cercle euclidien.
De même, la somme des angles d’un
triangle hyperbolique est inférieure à 180°.
On a vérifié que les 4 premiers axiomes d’Euclide restaient vrais,
mais pas le cinquième : par un point extérieur à une droite,
il passe dans cette géométrie une infinité de parallèles.
Géométrie conique
Pour finir, on a étudié ce que devenait la géométrie en prenant un plan et en enlevant un secteur
d’angle et en collant les bords. On a obtenu ce que l’on appelle un cône.
Ici, on a rapidement
montré que la somme
A
C
des
angles du triangle
ABC était 180 + θ.
θ
B
On a poursuivi par des cas particuliers très exotiques : en enlevant
un demi-plan on obtenait des biangles. On connaissait le triangle,
mais le biangle…
Et encore plus fort : en enlevant les trois-quarts du plan, on obtient
un mono-angle puisque la géodésique fait le tour de la singularité et
se recoupe elle-même.
On a également étudié une méthode pour mesurer la courbure de ces espaces à partir de flèches
collées le long des géodésiques.
10
Présentation finale de nos travaux aux chercheurs du laboratoire de Marseille Luminy
11
Les applications
Quelles sont les applications de toutes ces découvertes ?
Les principes de la géométrie sphérique sont indispensables au marin, on l’a vu avec le Vendée
Globe. Les autres géométries permettent de réfléchir à la géométrie de l’univers : le mathématicien Gauss en son temps avait essayé de mesurer la courbure de notre univers en générant avec
de la lumière un triangle dont chaque sommet était situé au sommet d’une colline. Il était très
proche de 180°, ce qui ne permet pas de conclure à cause des imprécisions de mesure. Un projet
est en cours de rééditer cette expérience avec trois satellites très éloignés.
La géométrie conique quant à elle permet d’illustrer des phénomènes observés dans l’espace
comme le principe de lentille gravitationnelle. D’après la théorie d’Einstein, un objet massif comme un gros soleil créé en son voisinage une déformation de l’espace que l’on peut grossièrement
assimiler à un espace conique. Un observateur pourra percevoir plusieurs images d’une même
étoile comme sur cette image qui montre 4 images en croix d’un même objet.
Et pour finir, nous avons assisté à une conférence au centre de
Physique des particules de Marseille. Le professeur nous a décrit
des objets très étranges : les trous noirs, qui sont le produit
d’un effondrement gravitationnel d’un soleil super massif en fin
de vie. Il nous a expliqué que ces objets étaient régis par la
géométrie hyperbolique que nous venions d’étudier.
12
A la suite de ce travail, nous avons même eu la chance d’assister le 30 mars dernier en direct à
un évènement historique : les premières expériences de hautes énergies dans les réacteurs
Atlas , Alice, CMS et LHCb du LHC au CERN à Genève. Ces expériences inédites ont pour but d’explorer de nouveaux champs de connaissance sur la matière, l’énergie, l’espace et le temps, à des
échelles jamais atteintes.
13
L’exploration et les surprenantes applications d’une géométrie
encore plus exotique : la géométrie tropicale
Pour clore cette aventure, quoi de plus exotique que de terminer par l’exploration d’une géométrie non euclidienne aux parfums de voyage : la géométrie tropicale ! On l’a appelée ainsi en
l’honneur du mathématicien Imre Simon, d’origine brésilienne.
Mais parlons tout d’abord d’algèbre tropicale. L’algèbre tropicale s’obtient en posant de nouvelles
opérations sur les nombres réels :
 L’addition tropicale de deux nombres devient la recherche du minimum de ces deux nombres :
a  b = min{a;b} (le minimum entre a et b). Par exemple : 3  5 = 3
 La multiplication tropicale devient l’addition classique de ces deux nombres :
a  b = a + b. Par exemple : 3  5 = 8.
 Les règles de priorité entre les opérations restent les mêmes que celles définies au collège.
Propriétés algébriques de cette nouvelle mathématique
On avait à explorer dans les premières séances d’atelier les propriétés de cette algèbre aux lois
un peu bizarres . En s’appuyant sur les règles de bases du « minimum » comme :
min{a;b} = min{b;a}
min{a+b; a+c} = a + min{b;c}
min{axb; axc} = a x min{b;c}
On s’est aperçu que certaines propriétés étaient maintenues :
on peut toujours commuter deux termes d’une addition
tropicale : a  b = min{a;b} = min{b;a} = b  a
on peut toujours commuter deux facteurs d’une
multiplication tropicale : a  b = a + b = b + a = b  a
on peut toujours grouper à volonté deux termes d’une
addition tropicale : (a  b)  c= min{min{a;b};c}
= min{a;b;c} = min{a;min{b;c}}= a  (b  c)
on peut toujours grouper à volonté deux facteurs d’une multiplication tropicale :
(a  b)  c = (a + b) + c = a + (b + c) = a  (b  c)
14
on peut toujours distribuer la multiplication sur
l’addition :
a  (b  c) = a + min{b;c}
= min{a + b; a + c} = (a  b)  (a  c)
Il existe une division tropicale, c’est la soustraction :
b ÷ a = x est le nombre qui vérifie a  x = b, donc
a + x = b, donc x = b - a.
Par contre, certains principes sont modifiés :
Il n’existe pas de soustraction tropicale !!
Par exemple 12 - 5 = x serait le nombre qui vérifie 5  x = 12, donc min{5, x}= 12.
Aucune valeur de x ne peut réaliser cela.
Nos identités remarquables de troisième ne sont plus du tout les mêmes :
(a  b) ² = min{a;b} + min{a;b} = min{a + a ; b + b} =a ²  b ²
Le même travail a été fait lorsque l’addition tropicale est le max des deux nombres. Ces
deux algèbres se nomment en fait Max + et Min +.
Fonction affine tropicale et droite tropicale
Que deviennent les fonctions affines que l’on a apprises en troisième si on remplace les opérations classiques par les opérations tropicales ? Voyons par exemple ce que donnerait une fonction
affine classique f(x) = a x x + b si on utilisait les opérations Max + :
a  x si x > b-a
f(x) = a  x  b = max {a  x ; b} =
b
si x < b-a
Demi-droite
de pente 1
b
Partie constante
(-∞;-∞)
b-a
La droite tropicale, définie par l’expression f(x) = a  x  b ressemble donc à une sorte
de paille !
15
Géométrie tropicale
A partir de là, la question qui se pose comme pour les géométries sphérique, hyperbolique et conique, c’est de savoir si l’on a affaire à une géométrie euclidienne.
Rappel des axiomes 1 et 5 d’Euclide
Axiome n°1 : un unique segment de droite peut être tracé en joignant deux points distincts
quelconques
Axiome n°5 : étant donné une droite (d) et un point P, il existe une unique droite passant par P
et parallèle à (d)
L’axiome n°1 pose déjà des problèmes : certains points peuvent être reliés par un segment tropical, d’autres non !
?
Dans le cas des points rouges, on peut faire passer une seule droite tropicale entre ces
deux points.
Dans le cas des points oranges, on peut faire passer une infinité de droites tropicales
entre ces deux points.
Dans le cas des points verts, on ne peut faire passer aucune droite tropicale entre ces
deux points. Deux points en géométrie tropicale ne sont donc pas toujours alignés !
Quant à l’axiome n°5, il n’est pas respecté non plus :
par un point extérieur à une droite, on peut faire passer
une infinité de parallèles.
La géométrie tropicale n’est
donc pas euclidienne !
16
Les applications
Mais à quoi peut bien servir un truc aussi bizarre que la mathématique tropicale ??
Et bien en voici un exemple.
Une société de transport maritime veut optimiser ses coûts de transports entre les différents
ports qui accueillent ses bateaux. Parfois, pour se rendre d’un port A à un port B, il vaut parfois
mieux faire un ou plusieurs détours par d’autres ports sur le chemin plutôt que de s’y rendre directement, car lorsque l’on calcule la somme des coûts, cela s’avère plus avantageux (on n’est
pas obligé de partir avec le plein d’essence,…). Le problème est donc le suivant : imaginons qu’une société connaisse l’ensemble des coûts de passage direct d’un port aux autres ports, quelle
méthode mathématique peut-on utiliser pour trouver rapidement les itinéraires les moins coûteux
pour se rendre d’un port donné à un autre port donné ?
On part d’un exemple simple avec seulement 4 ports. La méthode peut-être appliquée ensuite
pour un grand nombre de ports. Les coûts sont résumés dans ce tableau :
Arrivée
Départ
Port n°1
Port n°2
Port n°3
Port n°4
Port n°1
∞
1
2
∞
Port n°2
1
∞
∞
3
Port n°3
3
1
∞
4
Port n°4
∞
∞
5
∞
Ce tableau se lit :
 « le passage du port n°4 au port n°3 coûte 5 »,
 « le passage du port n°1 au port n°4 coûte une somme infinie » (ce qui signifie que les autorités interdisent le passage du port n°1 au port n°4),
 « le passage du port n°1 au port n°1 coûte une somme infinie » (ce qui signifie que les autorités interdisent le stationnement dans le port n°1 : on décharge et on repart).
A partir de ce tableau, on peut dessiner un schéma qui rend visible par des flèches les coûts entre
ces ports :
∞
2
3
1
1
∞
1
1
4
4
2
3
5
3
∞
17
∞
On a rapidement constaté qu’il existe plusieurs coûts possibles pour passer d’un port à l’autre :
soit directement, soit en deux tronçons, soit en trois tronçons. Le trajet direct n’est pas toujours
le moins cher. Par exemple :
 Le coût total pour passer directement du port n°4 au port n°1 est infini.
 Le coût total pour passer du port n°4 au port n°1 en transitant par le port n°3 est 8.
 Le coût total pour passer du port n°4 au port n°1, en transitant par les ports n°3 puis 2 est 7.
A partir de ce constat, nous devions remplir le tableau qui donnerait les meilleurs coûts
pour passer d’un port à un autre en lisant soit le tableau, soit le schéma :
Meilleur coût
Port n°1
Port n°2
Port n°3
Port n°4
Port n°1
2
1
2
4
Port n°2
1
2
3
3
Port n°3
2
1
4
4
Port n°4
7
6
5
9
Le problème du meilleur coût entre chaque port est donc simple à lire lorsqu’un tout petit nombre
de ports entrent en jeu. Mais la résolution du même problème pour 500 ports rendrait la lecture,
sur un tableau ou sur un graphe, très longue et compliquée !!
Comment faire dans ce cas ? Il nous faut trouver une méthode mathématique qui permettrait à
l’aide d’un ordinateur de résoudre très rapidement ce problème pour un grand nombre de ports.
Cette méthode utilise l’algèbre tropicale et l’écriture du tableau sous une forme simplifiée que l’on
appelle une matrice. En fait, le tableau de départ peut s’écrire en retirant les numéros de ports
sur les bords et les lignes du tableau :
Coûts
Port n°1
Port n°2
Port n°3
Port n°4
Port n°1
∞
1
2
∞
Port n°2
1
∞
∞
3
Port n°3
3
1
∞
4
Port n°4
∞
∞
5
∞


1
C 
3



1

2

1


5


3
4

 
Ce nouveau tableau simplifié est la matrice des coûts entre chaque port (une matrice de taille 4
lignes et 4 colonnes).
18
Il se trouve que les mathématiciens ont posé des règles tropicales de calcul entre matrices. Elles
peuvent tout d’abord s’additionner de manière tropicale :
7

4
2
3

1
  

5
6
8

 7  1
  

4  5
2  6 
1
  
3  8 
4
2
3



... et se multiplier de manière tropicale…
7

4
6   ( 7  1)  ( 2  9 )

8   ( 4  1)  ( 3  9 )
2 1

3   9
( 7  6 )  ( 2  8 )   8 10 


( 4  6 )  ( 3  8 )   5 10 
Pour effectuer cette étrange multiplication de tableaux, nous avons appris à présenter ce calcul
sous une forme qui le rend plus simple à lire. On voit bien avec cette présentation quelles additions il faut effectuer pour ne retenir que la plus petite des deux sommes :
+
1

9
6

8 
7

4
8

5
10 

10 
+
2

3
matrice résultat
Les règles de multiplication matricielles tropicales restent les mêmes pour une matrice à trois lignes et trois colonnes :

2

3
7

+
4
1
0
+
1

6
4 
+
5

2
7

9
6

3
2

3
8
2
8
6
0 

11 
3 
2

3
7 
Matrice résultat
Comment, grâce à ces règles de calcul, trouver cette fois par un calcul et non par une lecture
sur un schéma la matrice C* des meilleurs coûts d’un port à l’autre éventuellement en transitant
par un ou plusieurs autres ports. Pour cela il faut comparer le coût de passage d’un port à l’autre
en direct, en deux branches et en trois branches et prendre le meilleur. La matrice :


1
C 
3



1

2

1


5


3
4

 
nous donne les coûts de passage direct d’un port à l’autre.
Or, en calculant C 2 = C  C (le carré tropical de la matrice C), on
obtient la matrice des meilleurs coûts en deux branches puis en
calculant C 3 = C 2  C (le cube tropical de la matrice C), on obtient la matrice des meilleurs coûts en trois branches. Cela se remarque facilement lorsque l’on calcule chaque cellule de C 2 et C 3.
19
Calcul de C 2 = C  C , matrice des meilleurs
Calcul de C 3 = C 2 C , matrice des meilleurs
coûts parmi les trajets en deux branches
coûts parmi les trajets en trois branches



1
3



1

2

1


5


3
4

 


1
3



1

2

1


5
2


2

8

3
2

3
4
6
5



3
4

 

4


4

9 
2


2

8

3
2

3
4
6
5

4


4

9 


1
3



1

2

1


5
4

3
5

7

3
4
4

3
9
4
10


3
4

 
6

5
7

9 
On prend à présent le meilleur de chaque matrice en calculant C* =C  C 2 C 3 ,


1
3



1

1

2


5


3
4

 

2


2

8

3
2
4
6

3
5

4


4

9 

4

3
5

7

3
4
4

3
9
4
10
6

5
7

9 

2

1
2

7

1
2
2
3
1
6
4
5
4

3
4

9 
et on retrouve par le calcul le tableau des meilleurs coûts que l’on avait obtenus par lecture !!
Forts de nos nouvelles découvertes, nous nous sommes rendus à l’institut de mathématique de Marseille pour travailler
avec Glenn Merlet, un spécialiste de MaxPLUS qui nous a présenté les travaux les plus récents qui utilisent cette théorie
pour optimiser la régulation des réseaux, comme les réseaux
internet, les réseaux fluviaux, et les réseaux ferroviaires.
Il nous a fait travailler sur des graphes de réseaux de petites tailles.
Pour étendre ces calculs à des réseaux de grande taille, nous avons ensuite travaillé avec Sébastien Tourrel, ingénieur programmation chez une filiale de microsoft. Il nous a initiés à l’algorithmique et la programmation de cette méthode pour que l’ordinateur effectue les calculs à notre place
lorsque le graphe était de grande taille.
20
Dans les séances qui ont suivi, Clément, un élève de quatrième qui programme très bien en C++
a initié une partie du groupe à la programmation objet dans ce langage.
Il s’est occupé de la programmation en C++ (sur code block) de la méthode de calcul de la matrice C* . Il est même allé plus loin, puisque le programme final offre, en plus du meilleur coût, le
chemin qui correspond au meilleur prix.
21
CREATION D’IMAGES DE SYNTHESE DANS LE CADRE DU PROJET VENDEE GLOBE
Nous travaillons depuis deux ans sur Blender, un logiciel génial : il est gratuit, mais très performant. Il est développé par des passionnés et il permet de modéliser tout type d’animation 3D.
Le travail dans l’atelier a permis d’aborder les 4 compétences principales du logiciel :
- la modélisation (que l’on pourrait traduire par la fabrication d’objets),
- les textures (c.à.d. la manière d’habiller ces objets),
- l’animation (comment mettre ces objets en mouvement),
- la simulation de mécanismes physiques complexes, comme par exemple générer du vent, animer le mouvement du vent dans les voiles, ou bien encore simuler un océan.
On avait à réaliser dans le cadre du projet une vidéo pour illustrer notre aventure du VendéeGlobe. Voici quelques unes des images extraites de nos films.
Nous vous vous invitons également à visionner l’une de nos réalisations :
http://www.dailymotion.com/video/xckdoo_film-1-d-animation-3d-sur-blender-c_tech
22
23
Juin 2008
Premier prix national (CNRS) lors de la finale du concours
Faites de la Science
Juin 2009
Premier prix national (CEA) lors de la finale du concours
Faites de la Science
24
Téléchargement