Le Regard no. 21

publicité
Le Regard
Revue du TeRRiToiRe d’HaïTi
1
de la Compagnie de Jésus
Année 6, Nº 21
CONTENU
Mots du délégué: Miller
Lamothe, sj
Regards Croisés I : « Un regard
sur la Compagnie en Haïti».
Jean-Marc Biron sj, Provincial
des jésuites du Canada français
et d’Haïti.
Regards Croisés II: Dieu a fait
route avec moi. Levelt Michaud,
sj, première année de théologie.
Regards Croisés III: Deux
années passées au noviciat. Jacky
Joseph, sj ; Jean Hervé
Delphonse, sj ; Kenson Paul, sj et
Peterson Alcius, sj.
Regards Croisés IV: Haïti :
aimer la vie pour mieux
découvrir ses richesses. Jean
Bertin St Louis, sj Théologie III /
Regis College, Canada (Toronto).
Infos Son /Lakay
Regards Croisés V: Mon
expérience d’études en
République Dominicaine. Sudzer
Charélus, sj. Régent de première
année.
Septembre 2016
Mots du délégué
Je veux commencer par faire mémoire de Sr Isabel Sola Matas, de la
Congrégation des Religieuses Jésus Marie,
assassinée le 2 septembre à Port-auPrince. Nous offrons nos sympathies aux
Religieuses Jésus Marie qui collaborent
avec nous dans les écoles de Foi et Joie à
Jean-Rabel dans le Nord-Ouest du pays.
Sr Isabel a monté un atelier de prothèse
pour aider les victimes du tremblement de
terre de 2010. Elle était en train de
planifier le projet d'un centre éducatif en
collaboration avec Foi et Joie dans l'immense bidonville qui a pris naissance à
la sortie nord de Port-au-Prince après le tremblement de terre de janvier 2010.
Je reproduis ici un extrait du journal personnel de Sr Isabel écrit en Mars
2016: «Ne sois pas triste. Si j'y vais trop tôt pour vous ... ce qui est arrivé,
quand c’est arrivé, ça devait arriver. Dieu sait et Il sait ce qui est important.
Notre temps n’est pas Son temps. Je souhaite aller au moins en faisant ce que
j’aimais faire, donner ma vie, en aimant mon peuple, de le servir. Si c’est
comme ça, célébrons, tout va bien. J’étais heureuse et où j'ai toujours voulu
être en Afrique et en Haïti.»
Septembre est le temps de la rentrée scolaire en Haïti. Le secteur de
l'éducation est gravement affecté par la crise politique et économique. Nous
pensons aux centaines de milliers d'élèves qui reprennent le chemin de l'école
dans des conditions difficiles. L'Université de l'État d'Haïti (UEH) est en crise.
Les examens d'admission pour accueillir les nouveaux étudiants ont été
bloqués. Nous pensons aux dizaines de milliers de jeunes qui viennent de
terminer le Bac et qui regardent avec inquiétude l'avenir. Nous pensons à ces
nombreux jeunes qui se lancent dans des voyages périlleux vers d'autres pays
en quête d'un avenir meilleur.
Nous sommes en pleine campagne électorale. Le 9 octobre 2016, nous
devrons avoir des élections en Haïti. Nous espérons arriver à un dénouement
heureux de ce processus électoral qui a trop duré. Nous espérons aussi avoir
des élus conscients et désireux de faire face aux grands défis de la société
haïtienne d'aujourd'hui.
Dans la Compagnie universelle, nous nous préparons à vivre la 36ème
Congrégation Générale qui sera ouverte à Rome le 2 octobre 2016. Nous
sommes unis dans la prière avec tout le corps de la Compagnie,
2
particulièrement avec tous ceux qui sont engagés dans la préparation de cet événement important pour notre
vie jésuite et pour notre mission dans le monde.
Miller Lamothe, sj. Délégué du Provincial.
Regards Croisés I
Un regard sur la Compagnie en Haïti
nombreuses, je considère comme une grâce
cette mission qui m’avait été confiée en 2010
d’être votre compagnon de route.
Entré en fonction le 31 juillet 2010, j’ai pu,
dès le début d’août, venir vous visiter. Je me
rappelle le choc qui fut le mien de voir Portau-Prince dévasté. Mais ce qui m’a le plus
frappé, c’est que, dans ce climat de mort et de
souffrance, les gens étaient vivants. On dit
que la résilience est une qualité du peuple
haïtien; j’ajouterai que le courage et la force
de vivre est aussi l’une des qualités qui vous
caractérisent.
On m’a demandé de faire une relecture des
six ans pendant lesquels je vous ai
accompagnés comme Provincial, vous,
jésuites d’Haïti. D’entrée de jeu, je dois dire
que, même si les difficultés ont été
Dès mon premier contact avec les jésuites
d’Haïti, j’ai pu constater que, malgré la
catastrophe qui avait frappé le pays et le peu
de ressources qui étaient les vôtres vous avez
dû prendre en main des responsabilités
immenses pour aider le peuple à se nourrir, à
se loger, à avoir accès à divers services, dans
une recherche de la dignité et de la solidarité.
Sans doute, tout ne fonctionnait pas toujours
bien. Car, comment mener à terme des projets
quand, autour de nous tout marche mal et que
l’on ne peut pas toujours compter sur une
expérience acquise dans tel ou tel domaine ?
Je me rappelle qu’après ce premier séjour en
Haïti, quand, au Québec on me demandait
mes impressions, je disais : «Tout, dans ce
pays, parle de la mort et pourtant les gens sont
bien vivants. » Je trouvais mes compagnons
3
haïtiens bien courageux de tenir le phare dans
ces circonstances.
Je me souviens également que l’une des
premières activités que j’ai eu à vivre avec
vous fut une rencontre des jésuites qui étaient
en Haïti. Lors de cette rencontre, j’ai bien vu
qu’il y avait des attentes face à une
structuration qui permettrait plus de clarté
dans la ligne du gouvernement et qui pourrait
conduire éventuellement à plus d’autonomie.
C’est à ce moment qu’a germé dans mon
esprit le projet d’une retraite ESDAC
(Exercices spirituels pour un discernement
apostolique en commun). Il m’a semblé que
cette activité permettrait de renforcer le Corps
apostolique en Haïti et pourrait être la base
d’un plan apostolique pour Haïti.
Au cours de mes visites – je crois que je suis
venu 19 fois en Haïti pendant ces six annéesj’ai vu se structurer la Compagnie et se
solidifier le travail. Il est vrai que tout cela ne
se faisait pas toujours aisément. Parfois, au
retour à Montréal, je dois le dire, je me sentais
découragé : des projets qui n’avançaient
pas;un manque flagrant de ressources
financières et humaines, etc. D’un voyage à
l’autre, j’expérimentais que telle hypothèse
que nous avions élaborée en Haïti pour
prendre certaines décisions ne fonctionnait
pas et il fallait reprendre à nouveau les
décisions. En Haïti, le climat social et
politique était difficile. Rappelons-nous les
élections de 2011 et l’apparition du choléra.
Enfin, en décembre 2012, nous avons eu cette
session ESDAC dont personnellement,
j’attendais beaucoup et pour laquelle nous
avions beaucoup investi. J’avais demandé à ce
que tous les jésuites haïtiens soient présents
car il me semblait important que non
seulement ceux qui travaillaient en Haïti mais
aussi ceux qui étudiaient à l’extérieur puissent
participer à cette rencontre si importante pour
l’avenir de la Compagnie. L’un des fruits de
la rencontre a d’ailleurs été le fait que les
jésuites qui étaient en Haïti apprennent à
connaître et à apprécier les jésuites en
formation. À travers les rencontres,
l’expression
des
désirs,
certaines
confrontations, même, nous sommes sortis de
cette session avec deux désirs fortement
exprimés : celui de faire de Jésus, notre
compagnon, le centre de nos vies personnelles
et communautaires et d’intensifier les liens
entre nous afin de devenir de plus en plus un
Corps apostolique engagé dans la mission. Le
travail que vous avez fait à la suite de cette
retraite a été important car il a permis de
mettre en place un plan apostolique qui vous
guide aujourd’hui dans les initiatives
apostoliques et dans les besoins de formation.
Je dois aussi vous dire que, si dans les deux
ou trois premières années de mon mandat il
m’est arrivé d’être inquiet et préoccupé parce
que tel projet ne fonctionnait pas comme on
l’aurait souhaité ou parce que les ressources
nécessaire à telle œuvre manquaient, depuis
trois ans, je sens que les choses se mettent en
place, petit à petit. On sent que, malgré ses
fragilités la petite Compagnie en Haïti est en
train de se construire et de se solidifier. La
Compagnie actuellement grandit en nombre et
en qualité. Depuis six ans, nous avons eu 7
ordinations sacerdotales et nous en aurons
probablement 3 l’an prochain et 3 l’année
suivante. Plusieurs jésuites ont terminé leur
formation de base et sont entrés en Haïti pour
travailler dans les œuvres; quelques
compagnons venus d’autres Provinces nous
aident et nous appuient dans le travail
apostolique; des œuvres jésuites peuvent
maintenant accueillir les régents; de plus en
4
plus, les compagnons qui feront des études
spéciales les feront en lien avec le plan
apostolique d’Haïti;en plus des œuvres qui
ont été mises sur pied ou consolidées à la
suite du tremblement de terre, on nous a
également confié la paroisse de D’Osmond.
Au cours de ces années, nous avons agrandi la
maison de Ouanaminthe, ajouter des
chambres aux maisons de Canapé-Vert et de
BIassou, construit le nouveau noviciat de
Dumay et nous utilisons l’ancien noviciat
comme lieu de rencontre pour le Centre de
spiritualité. Il y a aussi un début de bureau de
développement, un projet pour construire le
Centre Pedro Arrupe.
Dans le cadre de la création de la nouvelle
Province canadienne, nous travaillons à ce
qu’Haïti ait plus d’autonomie et que plus de
décisions puissent être prises par un supérieur
local.
Ces éléments démontrent que la Compagnie
en Haïti s’enracine et se structure bien.
Cependant, il ne faut pas oublier les fruits de
la retraite ESDAC : il arrive souvent que des
élans de générosité et de passion
s’attiédissent. Il ne faudrait pas laisser le feu
s’éteindre. Je vous invite donc à continuer
d’avancer dans la ligne des grandes
orientations de la rencontre de 2012 soit de
continuer de faire de Jésus votre premier
compagnon, tant
au cœur de vos vies
personnelles que de vos vies communautaires.
La Compagnie ne peut donner du fruit que si
elle est greffée sur le Christ. Le deuxième
aspect dont il faut sans cesse tenir compte est
celui de la construction du Corps apostolique.
Le corps ne peut fonctionner que si les
membres sont étroitement liés les uns avec
les autres dans la visée d’un projet commun.
Il me semble que, lors de la rencontre ESDAC
à Sainte-Marie, ces deux éléments étaient
ressortis si fortement comme des fruits de la
rencontre qu’ils doivent marquer toutes nos
initiatives et tous nos projets.
D’ici quelques mois, je n’aurai plus la
mission de vous accompagner. Je vous ai
beaucoup aimés et je continuerai à le faire à
distance mais ma joie sera complète si je peux
constater que le Christ est toujours le
fondement de votre vie et qu’il est celui qui
construit le Corps que vous formez.
Jean-Marc Biron sj, Provincial des jésuites
du Canada français et d’Haïti
Regards Croisés II
Dieu a fait route avec moi
Lorsque le comité
de rédaction de la
revue Le Regard
m’a demandé
d’écrire quelques
lignes sur
l’expérience de ma régence, je ne savais pas
comment tout dire sans que cela ne soit pas
trop long. Après avoir prié et réfléchi, je me
suis mis d’accord avec moi-même pour écrire
quelque chose qui révélerait la fidélité de
Dieu avec moi dans mon aventure à sa suite.
5
Je me rappelle lorsque j’avais dit, pour la
première fois, à mon cousin (séminariste de
l’église anglicane et élève du p. Saintfariste
Dérino, sj à cette époque) que je voulais me
faire prêtre, avant même de lui expliquer mon
inquiétude vocationnelle, il m’a répondu en
me disant: je te recommande les jésuites. Je
crois que c’est depuis ce jour-là que j’ai
commencé à nourrir des pensées autour du
mot jésuite, car il ne signifiait pas grande
chose pour moi. Et de là j’ai laissé résonner
en moi ce mot qui depuis lors m’habite.
En septembre 2007, le père Godefoy Midy, sj
m’a reçu au Canapé-Vert pour commencer ma
première expérience. J’ai été accompagné par
ma famille et ce cousin qui était et qui
continue à être un bon ami.
J’étais très content de pouvoir commencer
cette grande aventure, mais j’étais timide
comme moi seul. Quelqu’un qui m’aurait vu
pour la première fois aurait dit sans trop
réfléchir, ce garçon est mal à l’aise car il
m’arrivait et il m’arrive encore de transpirer à
certaines occasions : question de timidité.
Mais ce dont j’étais sûr, je me sentais habité
par un désir de dire oui à l’appel que j’avais
reçu de la part du Seigneur. Ma seule et
unique assurance de ne jamais me laisser
vaincre par cette timidité, c’est que le
Seigneur m’accompagnera comme il a fait
pour Isaïe.
J’ai vécu ma première année avec les jésuites
dans la simplicité et dans l’écoute du Seigneur
à travers les jeunes de mon groupe, les pères
jésuites, les activités que nous avons eues
dans la communauté et ailleurs, ce qui me
permettait de découvrir progressivement le
sens d’être jésuite. La prière, le discernement,
la disponibilité et le service étaient les points
centraux que nous devions travailler à partir
de la vie spirituelle, de la vie communautaire,
de la vie intellectuelle et de la vie apostolique.
La proximité et la simplicité des pères, dès la
première année, me fascinaient et affinaient
mon oreille à l’écoute du Seigneur. Ce
premier contact avec les jésuites me
prédisposait à me rendre disponible pour
servir dans la simplicité. Comme je dis
toujours: la manière d’être des pères parle par
elle-même sans utiliser des mots.
En 2008, j’étais admis au noviciat. L’aventure
spirituelle continuait. J’essayais de vivre
chaque moment comme étant unique sans trop
me perdre dans le passé ni m’évader dans le
futur. Au noviciat j’ai appris à me faire jésuite
en me laissant imprégner par la manière d’être
jésuite. Cette dernière m’a conduit à avoir un
regard tourné vers le Christ comme l’unique
modèle à suivre, et aussi à faire de
l’eucharistie, la prière personnelle, l’examen
de conscience mon pain quotidien.
Le noviciat a été une expérience toute
particulière. J’ai découvert que se faire jésuite
est tout un programme de vie. On est
constamment appelé à se faire jésuite, c'est-àdire découvrir la vraie volonté de Dieu dans
sa vie. C’est ce qui m’avait permis de me
rapprocher davantage du Christ pour le
connaitre, et cette connaissance du Christ à
son tour m’avait permis de me connaitre
graduellement, c’est-à-dire, me reconnaître
pécheur mais aimé et appelé par Dieu.
J’ai vécu de grands moments tels que : le
mois des Exercices Spirituels, les expériments
dans le Far West du pays, la sortie des deux
compagnons de ma promotion au cours des
Exercices Spirituels, le tremblement de terre
du 12 janvier, l’admission aux vœux…etc.
6
Tous ces grands moments me façonnaient et
me donnaient plus de motivations pour suivre
le Christ.
Après avoir été admis aux vœux, j’ai été
destiné en République Dominicaine pour la
philosophie. Sachant que j’ai été toujours
attiré par les chiffres, je n’attendais pas
grande chose de moi comme étudiant en
philosophie. Je me rappelle m’avoir
questionné en me demandant à quoi cela sert
d’étudier la philosophie… mais après les
quatre ans de philosophie je crois avoir eu un
élément de réponse en me disant en quoi je
serais utile si je n’avais pas fait des études en
philosophie.
J’ai appris à goûter et à respirer la
philosophie. Je m’y mettais à fond. Ainsi la
philosophie était devenue progressivement
pour moi un moyen pour mieux découvrir
Dieu. Elle m’a aidé à me défaire de certaines
fausses images ou des caricatures de Dieu.
C’est avec le sentiment d’avoir bien profité
des études philosophiques que j’avais
commencé ma régence en été 2014. En
terminant la philosophie, j’avais désiré que
ma régence soit une expérience limite…une
expérience au cours de laquelle je peux
atteindre la limite de mes forces humaines
afin de faire l’expérience de compter, de
goûter et d’expérimenter la providence divine.
Au début, j’ai passé six mois dans la
communauté Karl Lévêque à Biassou espérant
l’ouverture de la nouvelle communauté Pierre
Favre où j’ai été destiné. J’ai eu beaucoup de
petites choses à faire, comme être ministre et
économe de la communauté, être professeur
de philosophie au Grand Séminaire et à
l’Ecole Supérieur de Saint Ignace, être
professeur d’espagnol pour les stagiaires, être
accompagnateur de la CVX, être responsable
de la revue Sous Lavi a, être membre du
comité de rédaction de la revue Le Regard.
Tout mon temps était comblé et j’ai appris
beaucoup de choses.
Une des grâces que le Seigneur m’a faite,
c’était celle de pouvoir bien organiser mon
temps. En organisant mon temps j’ai appris
du même coup à m’organiser moi-même, à
ordonner ma vie intérieure. Je sens que cette
grâce m’avait beaucoup aidé à répondre aux
tâches que la Compagnie me confiait durant
ma régence.
J’ai eu la chance aussi d’être plus conscient
de la réalité socio-politico-culturelle de ma
chère Haïti agonisante, de l’Eglise haïtienne,
de la petite Compagnie en Haïti. J’ai fait
l’expérience de l’impuissance face à la misère
des gens que j’ai côtoyés un peu partout à
travers le pays… J’ai été témoin de comment
la misère déshumanise et rend insensible…
mais aussi j’ai été émerveillé devant la bonté,
la beauté et la qualité de ces mêmes gens…
J’ai été nourri par la présence priante,
discrète, simple, serviable et humble de tous
les confrères de ma communauté. Je crois que
leur style de vie m’a enseigné beaucoup sur la
manière d’être jésuite. Leur manière d’être et
de faire communauté me témoignaient de la
grandeur de leur confiance en Dieu et en ceci
chaque membre de la communauté.
En somme, je peux dire que cette étape de
régence, de ma formation jésuite a aiguisé ma
sensibilité humaine et chrétienne et m’a
travaillé du dedans en me rendant davantage
disponible pour servir le peuple de Dieu (là
où le besoin se fait sentir), à travers l’Eglise et
la Compagnie de Jésus. En d’autres termes,
elle m’a aidé à découvrir le sens de ma
7
vocation et m’a invité du même coup à
prendre le large à la suite du Christ.
Que la volonté de Dieu soit faite dans ma
vie !
Levelt Michaud, sj, première année de
théologie
Regards Croisés III
Deux années passées au noviciat.
un moment de prière, de conversion, de
rupture avec notre vie antérieure, pour
embrasser ce nouveau style de vie qui est
l’imitation du Christ pauvre, simple et
humble.
Au cours de ces deux années au noviciat,
l’accompagnement spirituel du père maître
nous a été très favorable, grâce auquel nous
avons pu prendre conscience des mouvements
intérieurs qui nous habitent personnellement,
en étant surtout capables de nous connaitre
davantage, connaitre en profondeur la
dynamique de notre désir de suivre le
Seigneur avec tout ce que nous sommes et
tout ce que nous avons.
Le temps que nous avons vécu au noviciat a
surtout été une expérience personnelle de
Dieu dans le Christ qui nous appelle à le
suivre dans la vie religieuse à travers la
Compagnie de Jésus. C’est surtout une
expérience de cœur à cœur et d’intimité avec
Dieu. Elle nous a permis de connaître la
Compagnie, son histoire, sa spiritualité, sa
mission dans laquelle nous nous engageons.
Elle
a
aussi
été
une
expérience
d’intériorisation, de prise de conscience, non
seulement de notre vie personnelle et
communautaire, mais aussi sur la manière de
vivre notre vocation sous l’étendard de la
Croix du Christ. Notre vécu au noviciat a été
La vie au noviciat est marquée par quatre
grands axes : la vie apostolique, académique,
communautaire et spirituelle. Ces axes sont
intimement liés. Et cela nous avait demandé
beaucoup de souffle intérieur et de grâce pour
arriver à les vivre comme il faut. Durant cette
période au noviciat, et surtout à travers ces
axes,
nous sommes touchés et même
illuminés par plusieurs de nos activités
apostoliques. Nous avons vécu une très belle
expérience de vie communautaire où chacun
essayait chaque jour de faire le dépassement
de soi pour qu’effectivement cette unité dans
la diversité ait son sens.
8
Les Exercices Spirituels de Saint Ignace de
Loyola ont été pour nous un temps très fort,
une invitation à la concrétisation des motions
que nous portons à l’intérieur de nous.
Les expériences vécues auprès des malades et
les personnes âgées à l’Asile Saint Vincent de
Paul, à l'hôpital Cardinal Léger, au village
Kkotongnea,
le
long
pèlerinage
à
Bombardopolis et à Pointe-Sable, ainsi que
nos activités en fin de semaine dans les
chapelles etc… nous ont aidé à mieux
comprendre la finalité de notre existence à
travers les décisions prises au cours des
Exercices Spirituels. Ces expériences nous
font sentir et vérifier intérieurement la
confirmation d’être disciples de Jésus. Elles
nous invitent à être vivants intérieurement, à
avoir une relation très vivante avec les autres,
particulièrement les pauvres en qui le Christ
est réellement présent.
Comme nous l’avons pu le découvrir lors des
Exercices Spirituels, Jésus révèle sa mission
dès le début de sa vie publique. Il dévoile le
cœur de son action: Jésus met les pauvres, les
exclus, les malades au centre, au cœur du
Royaume de Dieu. Il s’est identifié aux plus
pauvres de son temps, il s’identifie encore et
toujours aux plus pauvres en tous les temps.
C’est donc leur vie qui est aussi la sienne, qui
est source de notre spiritualité, On ne peut
prétendre être en union avec le Christ et se
tenir à distance des hommes qui ont faim et
soif de justice, qui sont étrangers,
emprisonnés, malades. Avec nos moyens
respectifs, aidons les pauvres, partageons leur
souffrance, avec au moins le regard du cœur.
En suivant aussi l’exemple de Saint François
d’Assise, de Saint Vincent de Paul, de Sainte
Teresa de Calcutta qui ont trouvé la Foi et
l’ont amplifiée dans cette démarche. Vivant
plus près des pauvres, ils ont été près du
Christ. Voilà l’invitation qui nous a été faite
durant ce grand temps d’intériorisation au
noviciat. Nous demandons à Dieu de nous
combler de sa grâce afin que nous nous
laissions toucher intérieurement et évangéliser
par la vulnérabilité des pauvres. Que le
Seigneur, par l’intermédiaire de la Vierge
Marie notre Mère, nous accompagne et nous
aide à grandir dans la foi rien que pour sa plus
grande gloire et le salut des autres.
Jacky Joseph, sj ; Jean Hervé Delphonse,
sj ; Kenson Paul, sj et Peterson Alcius, sj
Regards Croisés IV
Haïti : aimer la vie pour mieux découvrir ses richesses
« Une vie spirituelle sera intégrée quand elle sera vécue à travers toutes les autres dimensions
sans se confondre avec elles, mais en exerçant à plein ses fonctions propres » Jean-Guy Saint
Arnaud
9
Les lignes qui suivent se veulent un aperçu et
une mise en valeur d’une des “forces de vie”
haïtiennes. Cette démarche plutôt qualitative
se fera à partir d’une brève interprétation des
deux premiers chapitres du livre du Père
jésuite Godefroy Midy, Spiritualité en Temps
de Crise. Une lecture spirituelle ignacienne
de la réalité actuelle, livre édité par le
CERFAS (Centre de recherche, de réflexion,
de formation et d’action sociale), œuvre
sociale de la Compagnie de Jésus en Haïti,
dans sa collection Histoire et Société.
Au premier chapitre de ce livre, le P. Midy a
évoqué la nécessité d’une semence de
spiritualité intégrale capable de se mettre à
l’écoute des grands défis du temps présent.
Cette spiritualité doit être intégrale et non
dichotomique comme elle prétend l’être
encore aujourd’hui ; intégrale, car elle doit
viser la femme et l’homme dans leur
entièreté, c’est-à-dire, comme un tout
complexe et unifié, formé de diverses réalités
non contradictoires : corps et âme, matériel et
spirituel, raison et sentiment, tête et cœur, etc.
Il s’agit, pour cette nouvelle spiritualité, de
réunifier et de réarticuler le tout, car les défis
que la femme et l’homme doivent affronter
sont aujourd’hui nombreux et variés.
Parmi les défis existants, le P. Midy attire
l’attention sur les suivants : l’ethnicité
comme réponse à la diminution progressive
des nombreuses langues parlées sur notre
planète Terre, le développement durable
pour faire face à l’exploitation démesurée
(voire non-rationnelle) des ressources qui sont
à notre disposition, l’alimentation avec la
nécessité et l’urgence pour les femmes et les
hommes de penser et repenser à élargir la
quantité des aliments qui arrivent dans nos
assiettes, vu que la population s’accroît très
rapidement, l’eau qui, sans recours aux
meilleures pratiques, constituerait l’une des
menaces pour la paix entre les peuples de
différents coins et recoins du monde, la
pauvreté avec l’ampleur du phénomène
migratoire tant externe qu’interne. Il y a
encore le phénomène de la densification dû à
l’urbanisation progressive, tendance d’aller se
concentrer en milieux urbains en quête de
meilleures conditions de vie, la question du
transport de masse, car les émissions de gaz
affectent désastreusement l’écosystème, et
enfin la rencontre des religions pour faire
face à la tendance soit à s’inclure ou à
s’exclure mutuellement au nom d’un Dieu
qu’elles jugent être “absolu”, par-dessus de
tout, ce qui provoque souvent de véritables
conflits, chacun défendant son propre Dieu.
Par rapport à tous ces défis, nous sommes
donc invités à recréer, chez nous, une
nouvelle spiritualité qui aurait la capacité
d’écouter ces huit défis susmentionnés, de
penser et de prier avec eux afin d’améliorer la
qualité de vie de toutes personnes. Dans cette
spiritualité dite intégrale, la personne humaine
(imago Dei) est appelée à travailler de concert
avec Dieu en tant que vrai “collaborateur
d’une même mission” de salut. En ce sens, la
femme et l’homme sont vus à la fois comme
10
des co-créateurs et co-rédempteurs, puisque la
création et la rédemption sont le fruit d’un
seul et même acte d’amour posé par Dieu
pour que l’homme et la femme soient
heureux. Ce même amour les inspire et les
dynamise durant leur pèlerinage quotidien sur
terre, tout en espérant contre toute espérance,
tout en étant confiants en un avenir meilleur.
Dans le second chapitre, le P. Midy essaie de
poser des jalons pour une théologie de la vie à
partir d’Haïti. Une question se révèle
pertinente : comment parler d’une “théologie
de la vie” à partir du pays le plus pauvre, le
plus fragile et le plus menacé de tous les
autres de l’Amérique ? Pour le Père Midy, la
réponse à une telle question, loin d’être le
fruit du hasard, s’avère purement et
simplement providentielle. À première vue,
parler de “théologie de vie” pour Haïti
semblerait une mission impossible, si nous
considérons la difficile situation que ses filles
et fils sont en train de vivre actuellement.
Presque tout le monde – en particulier les
jeunes qui devraient prendre la relève –
envisage de quitter le pays pour aller ailleurs
à la recherche d’une vie meilleure.
Néanmoins, cette théologie de vie demeure
possible et réalisable à partir d’une nouvelle
manière de penser et de considérer les choses.
D’abord, tout comme Dieu le Père, Dieu le
Fils et Dieu le Saint-Esprit, “la nature,
souligne le Père Midy, doit être vue dans une
vision globale où tout est en relation et
interrelation, connexion et interconnexion. En
dehors des réseaux de relations, il n’y a
rien”. Ne pas accepter ou ne pas assumer que
tout est relation peut créer des dégâts à bien
des niveaux (particulièrement, des dégâts
environnementaux et écologiques parfois
irréversibles, comme la destruction de la
couche d’ozone) pour le monde et pour Haïti,
cette infime partie du monde. Cela peut aussi
nous éloigner, comme Haïtiens et Haïtiennes,
de notre devoir éthique. Nous sommes des
êtres conscients, porteurs d’une histoire
fragile : fragilité socio-économique et
politique,
fragilité
écologique
et
environnementale, fragilité cyclonique et
sismique. Paradoxalement, la terre fragile et
menacée d’Haïti est un grand lieu de réflexion
et d’engagement théologiques, car la
vulnérabilité et la fragilité de la réalité d’Haïti
n’ont pas fait de ses filles et fils des déprimés,
des tristes, des abattus ou des personnes à
tendance suicidaire, comme le constate le
Père Midy avec beaucoup d’humilité. La
plupart des étrangers le savent et en sont les
témoins. Dans les bons comme dans les
mauvais moments de son histoire, les Haïtiens
font montre, en général, d’un grand sens
d’humour et de résilience. Ils acceptent les
déboires, les échecs et les déceptions avec
courage et dans l’espérance de tout surmonter
un jour. Dans la vie de l’homme haïtien, un
grand miracle s’est opéré, celui d’être capable
de s’armer de courage, courage de vivre,
courage d’aimer, courage de croire, courage
d’espérer contre toute espérance et courage de
profiter des moindres espaces pour bouger et
faire bouger la vie, même là où la vie, pour
une raison ou une autre, ne valait vraiment
pas la peine d’être vécue.
En reconnaissant, enfin, le courage de
l’homme haïtien, Godefroy Midy veut rendre
hommage à sa capacité de donner du sens à la
fragilité, de s’efforcer de vivre au jour le jour
le mystère d’un Dieu Tout-Puissant qui est
fragile. C’est là, à son humble avis, la
meilleure contribution qu’une “théologie
depuis Haïti” pourrait apporter à notre monde
divisé et divisant, déchiré et déchirant,
fragilisé et fragilisant. La fragilité et les
11
limites de l’homme haïtien, insiste le P. Midy,
loin d’être déprimantes, deviendraient un
tremplin pour aller plus loin, pour prendre le
large (duc in altum).
lecture spirituelle ignacienne de la réalité
actuelle. Vous y trouverez un profit
inestimable. Que la paix envahisse Haïti !
Qu’elle soit avec vous toutes et vous tous !
Ces quelques réflexions se veulent une
pressante invitation à lire le livre du Père
Midy, Spiritualité en Temps de crise. Une
Jean Bertin St Louis, sj Théologie III /
Regis College, Canada (Toronto)
Infos Son/Lakay
HAITI
Écho de la retraite du territoire d’Haïti par Achange Siméus, sj.
La retraite du territoire d’Haïti a eu lieu au
Centre de spiritualité Manrèse à Tabarre, du
10 au 17 juillet. Cette retraite, animée par le
p. Stanley Charles, sj était pour nous un
temps de prière, de repos, de recueillement et
de rencontre fraternelle. Nous avons médité et
prié sur les thèmes suivants : la paix, la
disponibilité, la liberté, l’appel de Dieu et la
croix. Ces thèmes étaient conçus pour nous
aider à prier avec l’Évangile. La structure
même de la retraite était conçue pour
favoriser une ambiance de prière. Elle était
composée de temps d’adoration et d’examens.
Les fruits et les découvertes de chaque
journée de prière étaient partagés dans la
célébration
eucharistique
du
jour.
12
L’évaluation de la retraite nous laisse
entendre que tout le monde était content et
édifié. Merci au père Stanley pour cette
première expérience en donnant la retraite du
territoire
RÉPUBLIQUE DOMINICAINE
Pour terminer l’année académique, nos
scolastiques de la République Dominicaine
ont vécu deux moments assez intenses dans
leur expérience. La première c'est la mission
d'été où ils ont été envoyés dans plusieurs
endroits du pays pour être avec les gens.
Emmanuel a donné son appui dans la
Pastorale marterno-infantil, Rivelt a été en
paroisse dans la région Nord, Frantz a été à
Pico Duarte pour participer au Camp Magis
qui est une sorte de promotion vocationnelle
et Djeride a été à Guachupita, dans une
paroisse jésuite (San Martin de Porres) qui se
situe dans un quartier très défavorisé de Santo
Domingo. Ces missions d'été s'étendaient sur
une durée de 18 jours, soit du 3 au 21 juillet.
Apres la mission, ils ont fait les Exercices
Spirituels de 8 jours en compagnie des autres
jésuites de la section dominicaine de la
Province des Antilles. La retraite a été animée
par le P. Javier Urriarte, un jésuite péruvien.
Du 2 au 23 août, ils ont été en Haïti pour
quelques jours de vacances. A noter que 3
autres confrères sont venus s'ajouter sur le
groupe de la République Dominicaine. Il
s'agit de Peterson, Kenson et Jacky qui ont
prononcé leurs vœux le 6 août dernier en
Haïti.
COLOMBIE
Un nouveau compagnon haïtien (Jean HervéDelphonse, sj) au philosophât de Bogotà.
De Santo Domingo à Bogota, le voyage a été
excellent. Je suis arrivé à Bogotà le vendredi
12 août vers 8h30 pm. Le père Luis Aurelio,
Supérieur du juvénat, et Maréus Tousséliat
sont allés me chercher à l'aéroport. J'ai
commencé à m'intégrer dans la dynamique
communautaire dès mon arrivée. J’ai déjà
visité une zone d'apostolat dans un secteur
reculé de la ville avec un confrère colombien
(Jonathan) et deux candidats jésuites. Je
commence à maitriser la langue et supporter
le froid de Bogotà. Je me sens chez moi dans
la communauté où règne une bonne ambiance
de
fraternité
et
d’amitié.
13
CANADA
1. Le samedi 21 août dernier, nos compagnons haïtiens Paul-Fils Belotte, sj et Eddy Mondestin, sj
ont été ordonnés diacres par Mgr Terrence Prendergast, archevêque d’Ottawa. La célébration a
eu lieu à l’Église du Gesù. L’un des deux nouveaux diacres, Eddy Mondestin, est heureux de
partager avec les lecteurs et lectrices du Regard quelques mots après l’ordination.
« En acceptant de vivre cette expérience en
vue de devenir diacre, je n'ai pas choisi de
rentrer dans une organisation, mais plutôt de
vivre le mystère avec le Christ humble et tout
aimant. Le diaconat, en tant que premier
degré du sacrement de l'ordre, m'appelle à la
simplicité, la joie, le service et l'amour. Le
diacre est celui qui est disponible pour servir.
Il ne devient pas supérieur des autres, il est
dans la communauté pour servir les autres. La
2. Expérience Arrupe à Sedelia/Denver
(USA):
figure de Marie dans le texte de la Visitation
est pour moi une référence pour marquer le
sens profond du diaconat. Marie est un
exemple de servante des autres. «Marie se mit
en route pour aller servir sa cousine et Jésus
se mit aux pieds des disciples pour leur laver
les pieds». Mon diaconat est un service pour
le peuple de Dieu dans l'Église, symbolisant
Marie qui est toujours en route et Jésus le
modèle de serviteur des autres ».
14
Du dimanche 24 juillet au vendredi 12 août
dernier, une quarantaine de jésuites s’étaient
réunis au Sacred Heart Retreat House sis à
Sedelia/Denver
(Colorado)
pour
leur
Expérience-Arrupe. Parmi les participants
(directeurs spirituels et retraitants) se
trouvaient Germain Clerveau, Amos Estinor
et Jean Bertin St Louis, trois confrères et
membres de la Province du Canada Français
et d’Haïti. Cette expérience leur a été un
temps fort de partage, de réflexion, de prière
et de discernement sur la nature et le sens de
la prêtrise jésuite en regard à la mission
actuelle de la Compagnie de Jésus: celle de
répondre plus efficacement aux besoins de
l’Eglise
et
de
la
société.
Regards Croisés V
Mon expérience d’études en République
Dominicaine.
La joie d’être parvenu à une destination peut
souvent nous faire perdre de vue les instants
de grâce qui ont jonché le chemin. Durant ces
quatre années, j'ai toujours senti en moi la
présence de Dieu Amour. Et, à aucun
moment, il m’a enlevé cet amour. Chaque
instant de cette expérience vécue à l’autre
bout de la frontière a été l’œuvre de sa grâce.
L’ombre de ses ailes n’a jamais manqué de
me couvrir. Aujourd’hui, la relecture de cette
expérience fait retentir en mon âme ces
paroles que Dieu a adressées à Jérémie :
15
« Avant de t’avoir formé dans le ventre
maternel, je t’ai connu ; avant même que tu
sois sorti du sein, je t’ai mis à part. Et je
t’avais établi prophète des nations ». Dieu
m’a appelé parce qu’il me connait. Cette
connaissance est le signe de son amour pour
moi.
Le mot le plus approprié pour qualifier ce
temps passé en République Dominicaine
est «aventure ». Pour moi, étudier là-bas a été
une grande aventure. Une aventure au cours
de laquelle Dieu a purifié mon esprit et a
nourri mon intelligence ; une aventure qui
m’a ouvert aux autres, à mes frères tout en
m’aidant à les regarder autrement et à les
comprendre ; une aventure qui m’a permis de
voir Dieu dans le visage des différentes
personnes que j’ai rencontrées. Cependant, je
dois dire que l’expérience n’a pas été facile au
début. En effet, la République Dominicaine et
Haïti partagent une même Île, mais ce sont
deux mondes tout à fait différents et distants.
Dès mon arrivée, j’ai pu me rendre compte de
cette grande différence. La frontière entre ces
deux pays voisins n’est pas seulement
géographique, elle est aussi culturelle. Cela
m’a pris du temps pour m’adapter à la
nouvelle culture, à la langue de laquelle je
n’avais que quelques notions de grammaire et
quelques vocabulaires. Le plus difficile dans
tout cela était de commencer les cours au
Centro Bonó à seulement une semaine de mon
arrivée. J’ai dû beaucoup souffrir pour
comprendre les cours.
En ce sens, je veux rendre grâce à Dieu d’une
façon spéciale pour toutes les personnes qu’il
a mises sur mon chemin afin de m’aider à
surmonter les difficultés de l’adaptation. Dans
la communauté j’ai eu des compagnons qui
ont manifesté beaucoup de patience envers
moi. J’ai eu également deux accompagnateurs
intellectuels qui ont été une grâce spéciale que
Dieu m’a faite. Malgré les grandes limites du
Centro Bonó, je peux dire que ces quatre
années d’études à Santo Domingo m’ont été
très fructueuses. D’une certaine façon, les
limites du Centro Bonó m’ont appris à me
faire avec ce que j’ai et, du même coup, m’ont
aidé à développer mes propres capacités afin
de ne pas attendre tout de l’extérieur, et de-là,
développer ma créativité.
Je suis arrivé en République Dominicaine
avec le coeur plein d'appréhensions. En Haïti
nous sommes tous informés de la réalité que
nos compatriotes affrontent en territoire
dominicain. Nous connaissons tous la relation
tendue existant entre ces deux pays connectés
par l’histoire. Pour moi, aller en République
Dominicaine signifiait aller subir ces mêmes
traitements. Grâce à Dieu, à aucun moment du
temps passé là-bas, j’ai subi un mauvais
traitement. J’ai été toujours bien reçu dans
tous les endroits que j’ai visités. Dans mes
lieux d’apostolat et de mission, j’ai été
apprécié et respecté.
Je dois dire aussi que mon statut de religieux
a, en quelque sorte, contribué à cette attitude
respectueuse envers moi. Je suis religieux
jésuite, je n’étais pas en situation irrégulière
dans le pays, j’étais donc un haïtien privilégié
en République Dominicaine. Cependant ce
privilège n’était pas à la portée de tous les
haïtiens vivant là-bas. La grande majorité
d’entre eux n’ont pas de papier. Ils ont laissé
Haïti en quête d’une vie meilleure, mais ce
qu'ils ont trouvé chez nos voisins était tout le
contraire d’une vie meilleure. J’ai vu des gens
humiliés, maltraités et quotidiennement
exploités, des gens dont la dignité a été
bafouée, des gens devenus apatrides.
16
En République Dominicaine, le mot
« haïtien » est relatif à toutes les mauvaises
choses. C’est la pire invective que l’on peut
adresser à un dominicain. L’haïtienneté
devient un poids pour les enfants haïtiens en
République Dominicaine. Elle est perçue
comme une sorte d’ombre indésirable leur
empêchant de jouir de la lumière du soleil.
Les petits haïtiens sont méprisés et tournés en
dérision par leurs petits amis dominicains. Ils
éprouvent donc une sorte de gêne de dire
qu’ils sont haïtiens. Dans mon apostolat, je
travaillais avec beaucoup de ces adolescents.
J’ai pu me rendre compte que, au fond, ce
refus d’assumer leur haïtienneté n’est rien
d’autre qu’un mécanisme de survie. La grande
question qui s’impose à eux est la suivante :
comment
survivre
en
République
Dominicaine en étant haïtien ? Comment être
haïtien en République Dominicaine ? Se
rendant compte que toute réponse affirmative
à cette question ne saurait leur apporter que
du mépris, ces petits haïtiens la déclinent tout
simplement. Ils déposent tout simplement le
poids. Le grand dilemme pour moi était
comment dire à ces petits enfants de
s’accueillir et s’aimer eux-mêmes comme
haïtiens sachant que réellement l’haïtienneté
est un fardeau pour eux.
La souffrance de mes compatriotes en
République Dominicaine a particulièrement
nourri mes prières. Je ne pouvais pas fermer
mes yeux sur l’humiliation dont ils étaient
l’objet. Je me suis senti inviter à prier d’une
façon spéciale pour eux. Je dois dire que Dieu
a été pour moi un réconfort. Dans la prière
j’ai trouvé la force d’avancer vers l’avant. Je
veux rendre grâce à Dieu pour toutes les
personnes en République Dominicaine qui
œuvrent pour qu’il y ait une nouvelle façon de
voir et de traiter les haïtiens. Dans cette
optique, je veux encourager les journées de
réflexions et les prises de décisions du Centro
Bonó. Je pense que l’Eglise avec les valeurs
chrétiennes qu’elle transmet peut être un pont
jeté sur les eaux des différents qui distancient
tant ces deux pays. Il faut faire remarquer que
la présence des étudiants jésuites haïtiens et
celle des autres religieux-ses haïtiens-nes qui
travaillent en République Dominicaine
contribuent d’une certaine manière à un
changement dans la façon de percevoir les
haïtiens dans ce pays. Leur présence montre
que l’haïtien peut offrir quelque chose de
valeur.
La misère de mes compatriotes et les
nouvelles venant d’Haïti ont également donné
un horizon à mes études. J’étudiais avec Haïti
dans mon cœur. J’étudiais en vue de quelque
chose. Je ne me sentais pas seulement
interpelé par la situation de mon pays mais
aussi par la souffrance existant dans le monde
entier. Et j’ai fini par comprendre que les
études, aussi extraordinaires qu’elles puissent
être, si elles ne s’accompagnent pas d’une
expérience de foi versant sur un désir ardent
de construire un monde meilleur, perdent
toute leur authenticité. Elles doivent nous
conduire à un engagement toujours renouvelé
afin de construire un monde juste, où chaque
enfant de Dieu peut se sentir pleinement
réalisé. Aujourd’hui, nous vivons dans un
monde dans lequel ce sentiment de solidarité
envers les autres et la planète semble être de
plus en plus absent ; un monde dans lequel
l’individualisme bat son plein. Les études ne
doivent pas nous rendre plus intelligents pour
mieux exploiter les pauvres, mais bien plus
conscients pour les aider à sortir du bourbier
dans lequel ils se trouvent. Perdre de vue cette
portée éthique que doit avoir toute étude c’est
s’éloigner du sens amoureux de la vie dans le
17
monde. Je pense que c’est cela la marque
distinctive de la formation que nous recevons
dans la Compagnie de Jésus. Nous, jésuites,
nous faisons des études pour mieux
accompagner le peuple de Dieu ; nous
étudions en vue d’un projet qui nous dépasse.
Maintenant je suis en train de commencer ma
régence dans mon pays avec un cœur très
confiant. Je compte sur la grâce de Dieu pour
pouvoir mener à bien cette nouvelle mission
qui m’est confiée. Je sais que ce même Dieu
qui m’a accompagné en République
Dominicaine sera toujours avec moi.
Sudzer Charélus, sj. Régent de première année.
Anniversaire des nôtres
Septembre
Octobre
Novembre
01 Siméus Achange
02 Dorvil Jean-Alfred
08 Mondestin Eddy
05 Charélus Sudzer
02 Recolons Marcos
06 Saint Félix Jean Denis
13 Lazard Wismith
11 Saint Hilaire
Emmanuel
29 Clerveau Germain
17 Dabady Jean Thomas
31 Delphonse Jean Hervé
12 Paul Gerard Myriam
13 Charélus Marcel
16 Guerrier Jean Francky
21 Silva Rogério
Mosimann
25 Silnéus Rivelt
Joyeux anniversaire et bonne fête à tous et à chacun !!!
18
THEME POUR LE PROCHAIN NUMERO :
« Comment améliorer notre vie religieuse et
comment améliorer notre service de l’Église et de
l’Évangile dans le service des âmes».
Rédaction
Jean Francky Guerrier, sj
Mise en page
Jean Francky Guerrier, sj
Correction
Jean Denis Saint-Felix, sj
Miller Lamothe, sj
Stanley Charles, sj
Comité d’information et de soutien
Jean-Baptiste E. Djéride, sj (République Dominicaine)
Rivelino Jean, sj(Colombie)
Jean Bertin St Louis, sj (Canada)
Téléchargement