Chapitre 1
Physique des matériaux magnétiques
1.1. Introduction
Ce chapitre introductif présente différentes notions utiles pour appréhender les
propriétés des matériaux dédiés aux applications qui sont étudiés dans les chapitres
suivants. Il est divisé en quatre parties qui expliquent le magnétisme aux différentes
échelles, depuis l’échelle de l’atome jusqu’à l’échelle macroscopique.
Dans le contexte d’un ouvrage consacré aux matériaux magnétiques et à leur
mise en œuvre, il nous est apparu nécessaire de limiter les développements
consacrés au magnétisme atomique, que le lecteur curieux aura tout loisir
d’approfondir à l’aide de la bibliographie fournie. Dans le même esprit les aspects
théoriques les plus ardus (concernant par exemple le magnétisme itinérant
caractéristique des alliages métalliques) ont été volontairement laissés de côté. On
s’est néanmoins efforcé de donner une idée claires des principales interactions que
sont le couplage spin orbite et les interactions de champ cristallin et de resituer
l’importance de ces interactions fondamentales au niveau des propriétés d’usage qui
détermineront les deux grandes familles que sont les matériaux doux et durs.
Il n’a pas été possible d’introduire ici les notions de magnétostatique utiles à la
bonne compréhension des propriétés qui relient champ d’excitation, champ
d’induction et polarisation magnétique. Nous renvoyons à ce sujet le lecteur à
l’ouvrage de P. Brissonneau référencé dans la bibliographie.
Chapitre rédigé par Olivier GEOFFROY et Horia GAVRILA.
18 Matériaux magnétiques en génie électrique 1
Enfin, le lecteur pressé trouvera en fin de chapitre un bref aperçu des principales
notions utiles concernant les alliages magnétiques. Cet aperçu permet, en première
lecture, d’acquérir quelques pré-requis indispensables pour aborder les chapitres
spécialisés.
1.2. Le magnétisme à l’échelle atomique
On présente ici les notions liées au magnétisme de l’atome dont on aura besoin pour
expliquer de manière phénoménologique les comportements décrits à la section 1.3.
1.2.1. Origine du moment magnétique atomique
L’existence du moment magnétique atomique est déterminée par le mouvement
des électrons autour de l’atome. Dans une représentation où on assimile le
mouvement de l’électron autour du noyau atomique à une spire de courant, on
associe à ce mouvement un moment cinétique et un moment magnétique orbitaux
proportionnels entre eux. Les propriétés quantiques de l’atome font que le moment
magnétique orbital est obligatoirement multiple d’une quantité élémentaire, le
magnéton de Bohr, donné par :
μB = h e / (2 me) = 9.273 10-24 A m2 [1.1]
où h = h / (2π) = 1.04 10-34 J s désigne la constante de Planck divisée par 2π, e =
1,619 10-19 C désigne la valeur absolue de la charge de l’électron, me = 9,11 10-31
kg désigne la masse de l’électron.
A cette première contribution s’ajoutent les moments cinétique et magnétique de
spin, également proportionnels entre eux, et qui correspondent de manière imagée au
mouvement de rotation de l’électron sur lui-même.
Pour les atomes présentant des orbites électroniques « pleines », les moments se
compensent globalement. Dans certains cas liés à l’existence de sous-couches
incomplètes, la compensation des moments n’est pas totale et l’atome est
magnétique. La compréhension du magnétisme de l’atome exige donc de connaître
les règles qui gouvernent la répartition des électrons sur les orbitales atomiques.
Le remplissage de celles-ci est déterminé par un certain nombre de
quantifications introduites par la mécanique quantique et par les règles dites de
Hund. C’est évidemment la sous-couche incomplète qui est déterminante. Le recours
aux deux premières règles de Hund permet ainsi de préciser la répartition des
Physique des matériaux magnétiques 19
électrons sur les orbitales et les moments de spin et orbitaux de chaque électron. On
ne détaillera pas ces notions et c’est aux grandeurs résultantes au niveau de l’atome
que l’on s’intéressera.
Dans le cadre du couplage dit de Russel-Saunders, pertinent pour les éléments du
groupe du fer (couche incomplète 3d) et des éléments de la série des terres rares
(couche incomplète 4f) qui nous concernent essentiellement, les moments cinétiques
orbitaux de la sous-couche s’additionnent pour donner le moment résultant orbital,
proportionnel – en première approximation – au nombre quantique L. De même, les
moments cinétiques de spin s’additionnent pour donner le moment résultant de spin,
proportionnel au nombre quantique S.
Reste à déterminer l’expression du moment total résultant. Cela nous amène à
introduire un nouveau nombre quantique, J, proportionnel au moment cinétique
résultant, et qui, à ce stade, peut prendre toutes les valeurs comprises entre L + S et
| L – S |. C’est le couplage spin orbite, qui, parmi les configurations possibles,
détermine l’état de moindre énergie.
1.2.2. Couplage spin orbite et moment résultant de l’atome isolé
Le mouvement orbital de l’électron se traduit, dans un référentiel qui lui est lié,
par un mouvement du noyau et la création d’un champ magnétique. Celui-ci va donc
interagir avec le moment magnétique de spin de l’électron, déterminant ce que l’on
appelle le couplage spin orbite. L’énergie totale associée à ce couplage correspond à
la somme de toutes les contributions individuelles et se présente très simplement, à
un facteur près, comme le produit scalaire du moment orbital résultant et du moment
de spin résultant.
Le moment cinétique total résultant correspond à la configuration qui minimise
cette énergie. La troisième règle de Hund indique ainsi que dans l’état fondamental
J = L + S si la couche est plus qu’à moitié remplie ou J = | L – S | si la couche est
moins qu’à moitié remplie. On calcule alors le moment magnétique M de l’atome en
fonction de L, S et J selon :
M = gJ J μB
gJ = 1 + J (J+1) + S (S+1) - L (L+1)
2 J (J+1)
[1.2]
où gJ désigne le facteur de Landé. On note que gJ(L=0) = 2 et que gJ(S=0) = 1.
20 Matériaux magnétiques en génie électrique 1
REMARQUES.–
– Au moment M directement lié à la polarisation maximum que peut présenter
la substance est adjoint le moment effectif M e = gJ J (J+1) μB, quantité reliée à
la température de Curie paramagnétique (que l’on introduira au paragraphe 3.2.1) et
qui figure dans le tableau 1.2. Me décrit la norme du moment alors que M écrit la
valeur maximum que sa projection sur un axe donné peut prendre. Alors qu’en
mécanique classique ces deux quantités sont confondues, la projection du moment
sur un axe donné ne peut prendre qu’un certain nombre de valeurs discrètes dans le
cadre de la mécanique quantique. Cela induit une différenciation qui conduit aux
deux notions distinctes Me et M. Une distinction de même nature pourrait être
introduite pour les moments de spins ou orbitaux, à l’échelle de l’atome ou à
l’échelle des contributions élémentaires.
– Le couplage spin orbite est d’autant plus important que le numéro atomique
de l’élément considéré est élevé. Energétiquement parlant, ce terme est ainsi 100
fois plus fort pour les éléments 4f que pour les éléments 3d. Cette différence dans les
ordres de grandeur aura une importance considérable quand il s’agira d’étudier le
moment magnétique de l’atome dans la matière condensée. Nous allons voir en effet
que le couplage spin orbite qui reste déterminant vis-à-vis des propriétés des
éléments 4f est relégué au second plan pour les éléments 3d pour lesquels les
interactions de champ cristallin deviendront prépondérantes. De manière plus
lointaine, nous verrons au paragraphe 1.3.5 que le couplage spin orbite est
également déterminant vis-à-vis des propriétés d’anisotropie que présentent les
milieux magnétiquement ordonnés.
1.2.3. Le magnétisme des atomes liés
1.2.3.1. Généralités
On constate qu’au niveau fondamental, la grande majorité des éléments réalisent
J 0 et présentent donc des propriétés magnétiques, mais relativement peu d’entres
eux restent porteurs d’un moment magnétique dès lors qu’ils sont intégrés à un
édifice polyatomique (molécule, cristal, composés et alliages, etc.). Cela résulte du
fait que les liaisons au sein d’un édifice reposent sur la mise en commun sur une
même orbite d’électrons provenant d’éléments différents pour donner lieu à de
nouvelles orbitales généralement non magnétiques.
Dans ces conditions, seuls les éléments dont les électrons responsables du
magnétisme appartiennent à des couches internes et donc « protégées » sont
capables de préserver leur caractère magnétique au sein d’un édifice. C’est le cas des
éléments du groupe du fer (couche incomplète 3d) et des éléments de la série des
terres rares (couche incomplète 4f) et c’est à leur seule étude qu’on se consacrera.
Physique des matériaux magnétiques 21
On s’attend pour ces éléments à trouver des propriétés magnétiques à l’état
condensé proches de ce que prévoit le magnétisme des atomes à l’état libre. Surgit
alors une nouvelle difficul: il s’agit, pour les matériaux conducteurs du groupe du
fer, de la proximité énergétique de la bande de conduction 4s avec la couche 3d
responsable du magnétisme. On est alors amené à considérer collectivement le
remplissage des sous-couches 3d et 4s, elles-mêmes décomposées en demi-bandes
(3d-, 3d+, 4d-, 4d+). Le moment magnétique de l’atome résulte de l’écart de
remplissage des sous-couches 3d- et 3d+ lorsque tous les électrons ont été casés
(voir tableau 1.1) et n’a plus rien à voir avec les propriétés de l’atome libre. Ce
magnétisme est dénommé magnétisme itinérant et décrit dans le cadre du modèle de
Stoner, qui ne sera pas étudié ici.
Répartition des électrons Moment M
Eléments 4s+ 4s- 3d+ 3d- calculé
(μB)
mesuré
(μB)
Moment
de l’atome
libre
Fer 0.45 0.45 4.7 2.4 2.3 2.226 4
Cobalt 0.35 0.35 5 3.3 1.7 1.729 2
Nickel 0.3 0.3 5 4.4 0.6 0.619 3
Tableau 1.1. Répartition des électrons 3d et 4s du fer, du nickel
et du cobalt, et détermination du moment
ion S L J gJ J (J+1) 2 S (S+1) M e
mesuré
Cr3+ 3/2 3 3/2 0.77 3.87 3.8
Mn3+ 2 2 0 0 4.90 4.9
Fe3+ et Mn2+ 5/2 0 5/2 5.92 5.92 5.9
Fe2+ 2 2 4 6.70 4.90 5.4
Co2+ 3/2 3 9/2 6.63 3.87 4.8
Ni2+ 1 3 4 5.59 2.83 3.2
Pr3+ 1 5 4 3.58 2.83 3.5
Nd3+ 3/2 6 9/2 3.62 3.87 3.5
Sm3+ 5/2 5 5/21 0.84 5.92 1.5
Gd3+ 7/2 0 7/2 7.94 7.94 8.0
Dy3+ 5/2 5 5/2 10.65 5.92 10.6
Tableau 1.2. Moments magnétiques calculés et mesurés pour quelques ions 3d et 4f [KIT 70]
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