La « sexualité » des bactéries, transferts horizontaux de gènes

publicité
Microbiologie
Chapitre 5 : La
« sexualité » des
bactéries, transferts
horizontaux de gènes
Partie 1 : La conjugaison
I. Introduction : les transferts horizontaux de
gènes
Chez les organismes supérieurs, la reproduction sexuée permet la diversification des
génotypes par un brassage génétique entre les gamètes mâles et femelles. Les procaryotes,
eux ne pratiquent pas la reproduction sexuée et ne se reproduisent que par division
cellulaire. Cette multiplication végétative permet le transfert à l’identique du matériel
génétique de manière verticale, c’est-à-dire de la cellule-mère à ses deux cellules-filles. Les
cellules-filles sont donc des clones de la cellule-mère et possèdent en théorie le même
patrimoine génétique que celle-ci.
Pourtant les organismes procaryotes ont besoin, pour s’adapter aux changements de
leur environnement et survivre aux stress, de présenter une diversité génétique qui
permettra à une sous-partie de la population de survivre en cas de changement brusque du
milieu. Les procaryotes possèdent donc à la fois des mécanismes permettant la modification
de leur génome et l’apparition de nouveaux gènes (ces notions seront abordées dans un
autre chapitre), mais aussi des mécanismes permettant la transmission de ces gènes au sein
de la population bactérienne, parfois même entre différentes espèces.
Le transfert de gènes entre deux bactéries d’une population est appelé transfert horizontal
de gènes, par opposition à la transmission verticale qui se fait vers les descendants, lors de la
division (Fig. 1). Certains spécialistes du domaine n’hésitent pas à parler de « sexualité » des
bactéries pour décrire ces mécanismes de transfert de gènes, par analogie avec le système
de brassage génétique des eucaryotes. On connaît pour l’instant trois mécanismes de
transfert horizontal de gènes : la conjugaison, la transduction et la transformation
naturelle.
Fig 1 : La transmission verticale des gènes se fait de la cellule-mère aux cellules-filles lors de
la division cellulaire. La transmission horizontale des gènes se fait entre deux organismes
vivant dans le même environnement.
Les gènes échangés peuvent avoir des rôles métaboliques ou de régulation ; ils
peuvent également permettre d’augmenter la résistance face à des stress (gènes de
résistance aux métaux lourds, aux changements de température ou de pH, résistance aux
antibiotiques), ou de conquérir de nouveaux environnements, par exemple en permettant
l’infection d’un hôte (gènes de virulence). Les gènes acquis par transfert horizontal sont
ensuite transmis de manière verticale à la descendance. De manière générale, si les gènes
obtenus sont avantageux pour la bactérie receveuse, celle-ci aura un avantage reproductif
sur le reste de la population qui ne possède pas ces gènes, et au bout de quelques
générations ses descendants composeront l’essentiel de la population. Ce phénomène de
propagation peut être très rapide puisque le temps de division d’une bactérie dans un milieu
adapté peut être de moins d’une heure, et que le phénomène de transfert horizontal peut
également être pratiqué par ses descendants en direction du reste de la population. C’est
pourquoi les transferts de gènes horizontaux sont les principaux mécanismes responsables
de l’apparition de souches résistantes aux antibiotiques ou de nouveaux pathogènes
bactériens. Si au contraire ces gènes sont désavantageux pour la bactérie, sa descendance
aura un désavantage sélectif sur le reste de la population. Les gènes acquis seront
éventuellement éliminés de la population suite à l’extinction de cette descendance, par
compétition avec le reste de la population.
Le domaine du génie génétique a très rapidement saisi l’intérêt de ces mécanismes
naturels pour l’étude des génomes bactériens, et chacun des trois mécanismes de transfert
horizontal de gènes est utilisé en laboratoire pour la modification génétique des organismes
bactériens, à des fins de recherche ou de production.
II. La conjugaison
1. Les vecteurs de la conjugaison : les plasmides
La conjugaison est le mécanisme par lequel les bactéries s’échangent des plasmides.
Nous avons vu aux chapitres précédents (cf. chapitres 3 et 4) qu’en plus de leur chromosome
unique et circulaire, les bactéries possédaient souvent des ADN circulaires appelés
plasmides, présents en plusieurs exemplaires (de moins d’une dizaine à plusieurs centaines
d’exemplaires du même plasmide). Ces molécules d’ADN peuvent être transmises d’une
bactérie à l’autre au cours d’un transfert horizontal de gènes selon un mécanisme appelé
conjugaison. Les plasmides ne sont pas tous conjugatifs ; certains sont des plasmides
résidents, c’est-à-dire transmis uniquement de façon verticale.
Les plasmides portent une origine de réplication, point de départ de leur réplication
par l’ADN polymérase. Ils portent aussi plusieurs gènes, qui sont dans la plupart du cas des
gènes facultatifs pour la bactérie, les gènes essentiels au métabolisme et à l’homéostasie de
la cellule étant le plus souvent portés par le chromosome. Les gènes portés par les plasmides
peuvent être des gènes de résistance aux stress (antibiotiques ou environnementaux), qui
prodiguent un avantage sélectif à la bactérie. Ils peuvent être également des gènes
d’exclusion, qui empêchent l’arrivée de nouveaux plasmides pouvant leur faire concurrence
ou des gènes de réplication qui contrôlent le nombre de copies du plasmide présentes dans
la cellule (en fonction du type de plasmide, 1 copie à plusieurs centaines par cellule). Dans le
cas des plasmides modifiés artificiellement et utilisés en génie génétique, ils peuvent porter
un site multiple de clonage, une courte séquence d’ADN contenant jusqu’à une vingtaine de
sites de restriction permettant le clonage de gènes d’intérêt (digestion-ligation par des
enzymes). Enfin, dans le cas des plasmides conjugatifs, ils portent les gènes nécessaires à
leur propre transfert vers une autre cellule, par conjugaison : gènes de pilines, de relaxases,
et origine de transfert.
Fig. 2 : un exemple de plasmide non conjugatif simple, pUC18. Le gène bla est un gène de
résistance à un antibiotique, l’ampicilline. Le locus ori est l’origine de réplication du
plasmide. Le gène lacZ est le gène de la β-galactosidase, une enzyme qui permet de
dégrader le lactose. En bleu sont indiqués les sites de restriction. Le site multiple de clonage
(MCS) est en bleu également. Ce plasmide a été créé artificiellement ; il est couramment
utilisé pour introduire de nouveaux gènes dans les souches de laboratoire. Ces gènes sont
clonés dans le MCS, ce qui inactive lacZ. On introduit ensuite le plasmide dans la souche
désirée, puis on vérifie que la souche a bien acquis le plasmide et que celui-ci contient le
gène d’intérêt en vérifiant à la fois l’incapacité de la souche à digérer le lactose et sa capacité
à résister à l’ampicilline.
Image réalisée sous PlasMapper (http://wishart.biology.ualberta.ca/PlasMapper/) à partir
de données de séquences disponibles publiquement.
2. Le mécanisme de la conjugaison
La figure 3 ci-dessous présente un exemple de plasmide conjugatif, tandis que la
figure 4 est une illustration du mécanisme de conjugaison.
Le mécanisme de conjugaison débute par la mise en place d’un pili de conjugaison,
aussi appelé pili sexuel, que nous avions précédemment évoqué au chapitre 4. Cette
structure, située à l’extérieur de la cellule, est un long filament composé de protéines autoassemblantes appelées pilines. Le pili sexuel est attaché à la surface de la bactérie
donneuse. Lorsqu’il entre en contact avec une bactérie receveuse ne possédant pas le
plasmide, il s’amarre à des protéines de surface de la bactérie receveuse. Si la bactérie
receveuse possède déjà ce plasmide, cette étape peut être inhibée par des protéines codées
par des gènes plasmidiques, ce qui empêche l’amarrage du pili à une bactérie possédant
déjà le plasmide. Si au contraire le contact établi est stable, le pili commence à se rétracter
par dépolymérisation des pilines au niveau de la base, ce qui entraîne un raccourcissement
du pili et un rapprochement entre les deux bactéries.
La conjugaison nécessite une modification de la topologie de l’ADN plasmidique. En
effet, dans la cellule bactérienne, la forme habituelle de l’ADN plasmidique est une forme
« surenroulée », un peu comme un ruban de Moëbius ayant plusieurs tours. La seule
manière de désenrouler un ruban de Moëbius pour en faire un cercle à deux faces est de le
découper, et ce principe est identique pour les plasmides. La modification de la topologie du
plasmide est réalisée par les relaxases, des protéines capables de couper l’un des deux brins
de l’ADN plasmidique au niveau de l’origine de transfert afin de permettre son
désenroulement ; le plasmide prend alors une forme dite « relâchée ».
Sous cette forme, il est pris en charge par un complexe de protéines plasmidiques
appelé transférosome. Ce complexe a pour charge de transférer à la cellule-fille le brin
d’ADN coupé par les relaxases ; pour cela il forme un pore à travers les membranes des deux
bactéries afin de permettre le passage du plasmide sous forme relâchée et simple brin.
Après passage du plasmide, le pore est refermé et les deux bactéries se séparent. Le brin
manquant du plasmide est synthétisé par l’ADN polymérase de la bactérie receveuse et de la
bactérie donneuse. La bactérie receveuse peut alors devenir à son tour une bactérie
donneuse et transmettre le plasmide, à la fois de façon verticale et horizontale.
Fig. 3 : Un exemple de plasmide conjugatif, RSF1010.
Ce plasmide est retrouvé chez plusieurs espèces bactériennes de l’environnement, on parle
alors de plasmide à large spectre d’hôte.
Il porte des gènes de résistances aux antibiotiques, les sulfonamides (gène sul) et la
streptomycine (strAB). Il porte également des gènes favorisant sa réplication dans la cellule
bactérienne (repABC). Il porte enfin les gènes nécessaires à sa conjugaison : une origine de
transfert (oriT), reconnue par la relaxase mobA, et les gènes du transférosome mobB et
mobC.
Image réalisée sous PlasmidFrame (http://www.infosake.com/plasmid/plasmidFrame.php) à
partir de données de séquences disponibles publiquement.
Fig. 4 : Schéma de la conjugaison du plasmide F, un plasmide conjugatif d’Escherichia coli.
Source : Wikimedia, auteur « Adenosine »
3. Utilisation des plasmides en laboratoire ou en
industrie
L’intérêt des plasmides pour la biologie a rapidement été compris par la communauté
scientifique, et leur utilisation est aujourd’hui un élément clé de la biologie moléculaire.
Voici quelques exemples d’utilisation des plasmides en laboratoire :
-
Production et surexpression de protéines recombinantes : le clonage d’un gène
dans un plasmide, et la transformation d’une souche bactérienne par ce plasmide
permettent l’expression des protéines codées par ce gène. Le code génétique
étant universel, ce gène peut être exprimé chez une bactérie même s’il provient
d’un autre organisme, procaryote ou non. On peut donc produire massivement
des protéines recombinantes grâce à ce système peu coûteux et rapide. Il existe
tout de même des limites à ce système, les bactéries étant par exemple
incapables d’épisser des introns ou de replier correctement certaines protéines
de taille importante.
Exemples d’utilisation : production d’insuline pour les diabétiques, du facteur VIII
pour les hémophiles, de protéines virales pour la fabrication de vaccins,
d’enzymes utilisées en biologie moléculaire.
-
Approches de génétique inverse : La génétique inverse consiste à trouver la
fonction d’un gène en supprimant celui-ci du génome et en observant le
phénotype des mutants obtenus. Pour l’étude des gènes bactériens par cette
méthode, certains plasmides ont été créés artificiellement afin de permettre la
délétion de gènes chromosomiques. Ils reposent sur une méthode de
recombinaison ou, plus récemment, sur une technologie émergente appelée
CRISPR.
Afin de prouver que le phénotype observé provient bien de la délétion du gène
d’intérêt, on peut réintroduite ce gène sur un autre plasmide ; on parle alors de
complémentation du phénotype.
Exemples d’utilisation : la plupart des publications scientifiques sur les espèces
bactériennes ne pouvant pas réaliser la transduction ou la transformation
naturelle.
-
Thérapie génique et création de modèles animaux mutés : Les eucaryotes ne
possèdent pas de plasmides. Avec quelques modifications, les plasmides
bactériens peuvent être transférés dans des modèles eucaryotes comme les
levures ou les cellules-souches. Si ces plasmides sont capables de réplication à la
fois dans les procaryotes et les eucaryotes on parle de vecteurs navettes.
On peut utiliser des plasmides eucaryotes afin de réaliser des approches de
génétique inverse sur des embryons et créer ainsi des modèles animaux de
maladies génétiques. Là encore, le but est de réintroduire sur le plasmide un gène
manquant ou muté chez le patient ; ou au contraire, de supprimer l’un de ses
gènes par déletion grâce à des gènes portés par le plasmide (Zinc-Finger
Nucléases, CRISPR…). Dans un avenir proche, on espère réussir à délivrer
directement et efficacement ces vecteurs chez les patients souffrant de maladies
génétiques, afin de les en guérir.
Exemple d’utilisation : création de souris knock-out (ayant perdu un gène).
Suppression du gène CCR5 (sert à l’entrée du VIH) dans les cellules immunitaires
de patients souffrant du sida.
QCM
1. Les transferts horizontaux de gènes :
A. Se font entre une cellule-mère et ses cellules-filles
B. Ne se font qu’entre eucaryotes
C. Se font grâce aux gamètes bactériens
D. Sont des mécanismes favorisant la diversité génétique
2. Les transferts horizontaux et verticaux de gènes :
A. Sont exclusifs, une bactérie fait l’un ou l’autre
B. Sont alternatifs, une bactérie fait l’un puis l’autre
C. Sont différents, en ce que les transferts horizontaux sont facultatifs et les
transferts verticaux sont systématiques
D. Sont différents, en ce que les transferts verticaux sont facultatifs et les transferts
horizontaux sont systématiques
3. Les transferts horizontaux de gènes :
A. Ne permettent d’obtenir que des gènes avantageux pour la bactérie
B. Ne transmettent que des gènes de résistance aux antibiotiques
C. Sont intra-espèces uniquement
D. Participent à l’évolution de l’espèce si les gènes obtenus sont avantageux
4. Les plasmides :
A. Portent soit une origine de réplication, soit une origine de translocation.
B. Portent toujours un site multiple de clonage
C. Ne sont pas tous conjugatifs
D. Ne sont pas tous circulaires
5. Les relaxases :
A. Catalysent une coupure sur un seul des brins du plasmide
B. Catalysent une coupure à l’oriV
C. Catalysent une coupure « double-brin » du plasmide
D. Renforcent le surenroulement du plasmide
6. Le pili de conjugaison :
A. Permet le transport le plasmide au sein de son tube creux
B. Est formé de protéines appelées pilites
C. Perce la membrane de la bactérie receveuse pour le passage du plasmide
D. S’allonge et se rétracte par polymérisation/dépolymérisation de ses composants
7. Le transférosome :
A. Transfère le pili vers l’extérieur de la cellule
B. Transfère le plasmide sous forme simple brin vers la cellule receveuse
C. Est responsable de la réplication du plasmide
D. Est responsable du relâchement du plasmide
8. L’utilisation des plasmides pour la production de protéines recombinantes :
A. Permet de produire à bas coût de grandes quantités de protéines
B. Ne permet pas de produire de protéines eucaryotes
C. Permet de produire toutes les protéines eucaryotes
D. Est peu répandue dans l’industrie pharmaceutique
9. L’utilisation des plasmides pour la génétique :
A. Est peu répandue
B. Sert seulement à introduire un gène dans une souche
C. Sert uniquement à déleter des gènes chromosomiques
D. Permet, selon le plasmide utilisé, la déletion ou l’introduction de gènes
10. Chez les eucaryotes :
A. Beaucoup de plasmides existent naturellement
B. On peut introduire des plasmides bactériens modifiés
C. On n’envisage pas d’utilisation des plasmides au niveau thérapeutique
D. On ne peut pas utiliser de plasmides
Réponses : 1.D 2.C 3.D 4.C 5.A 6.D 7.B 8.A 9.D 10.B
Téléchargement