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Cercle CONDORCET de Besançon
Note sur le champ lexical du “personnel enseignant”
maître La plus ancienne apparition de ce mot, issu du latin magister (“chef, directeur ;
celui qui enseigne”, a supplanté comme nom commun le lat. class. dominus, qui a donné le
titre religieux dom), est celle de l’adjectif au sens de “le plus important, principal” dans la
Chanson de Roland, vers 1100. On le trouve au sens de “précepteur, celui qui enseigne”
chez Wace, vers 1155. En 1190, dans une chanson de Conon de Béthune, il est pris au sens
de “personne dont on est le disciple, que l’on prend pour modèle”.
Le mot composé maistre d’escolle date du XIIIe siècle, avec le sens moderne, le
féminin maistresse d’escole étant nettement postérieur : 1567, chez Baïf, ami de Ronsard
et membre de la Pléiade. Quant à maître de conférences, il date de 1845 (d’abord
“Professeur à l’ENS de Paris”, puis “adjoint d’un professeur en titre à l’Université” en
1893). On notera ceci, qui, depuis longtemps, ne surprend plus personne : le dérivé
d’école, c-à-d. écolier, aurait pu à l’origine désigner le maître plutôt que l’élève : il n’en a
rien été.
instituteur [du latin institutor, “celui qui dispose, administre”, attesté en bas-latin au sens
de “maître”] Le premier sens, en 1441, est celui de “homme chargé de l’éducation d’un
enfant” (syn. de précepteur). On le trouve en 1694 dans la 1ère édition du Dictionnaire de
l’Académie. En 1495, il a un sens “non-enseignant” : celui qui institue quelque chose. Le
sens moderne : “celui qui enseigne dans une école primaire”, apparaît dans le Moniteur
universel, le 29 novembre 1789. En 1835, il signifie aussi “celui ou celle qui tient une
école, un pensionnat”.
Et, pour mesurer la distance temporelle avec notre époque et l’évolution des mentalités :
Il a paru tout naturel que l’instituteur, en même temps qu’il apprend aux enfants à lire et à
écrire, leur enseigne aussi ces règles élémentaires de la vie morale, qui ne sont pas moins
universellement acceptées que celles du langage et du calcul (Jules FERRY, Lettre aux
instituteurs du 17 nov. 1883).
À noter que instituteur est assez éloigné aujourd’hui du verbe instituer et renverrait
plutôt à instruire, de même que l’instructeur (du lat. chrétien et médiéval instructor,
“celui qui éduque”), qui au XIVe s. était synonyme de précepteur, l’est encore chez
Chateaubriand, voire une fois chez Sartre, dans Les Mots (1964). Mais il est réservé à
présent à l’armée et à la magistrature. Il désigne, pour la première, depuis 1823, le “gradé
ou officier chargé d’instruire les recrues” et, pour la seconde, le “magistrat chargé
d’instruire une affaire, un dossier” (1899, Clémenceau).
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L’abréviation familière et non péjorative instit date de 1966 (J. Derogy dans
l’Express du 22 août).
Depuis 1990, certaines catégories d’instituteurs ont droit à l’appellation professeur
des écoles.
instruction [du lat. instructio, “action d’adapter, de disposer”, en bas-lat. “action
d’instruire, enseignement”] n’apparaît au sens pédagogique qu’en 1483 : “action
d’instruire qqn, de lui donner des connaissances”. Le caractère humaniste de ce vocable
est indéniable. Un siècle plus tard, Montaigne (en 1580) lui fait signifier “savoir acquis par
l’étude”. Pierre Corneille, en 1662, dans Sertorius : “leçon, précepte qu’on donne pour
instruire”. Condorcet, en 1794, dans sa fameuse Esquisse d’un tableau historique des
progrès de l’esprit humain, propose une acception très moderne : “ensemble des
connaissances relatives à un certain domaine”. L’instruction religieuse est “inventée” par
le vicomte de Bonald, écrivain et idéologue, dans La Législation primitive, en 1802.
professeur [du lat. professor, “celui qui se déclare expert dans un art ou une science”,
d’où “professeur de, maître de”] se rencontre dès 1337, “celui qui enseigne” : proffesseur
en loys. On disait en latin profiteri grammaticam, medicinam, “enseigner la grammaire, la
médecine” et profiteri tout court, “enseigner”. Mais le substantif français d’aujourd’hui a
nettement décroché du verbe professer (1684, “enseigner publiquement”) : on ne dit plus
guère professer un cours, une science, mais plutôt professer une opinion, une théorie
(XVIe et XVIIe siècle), etc. Les emplois sont plus marqués individuellement que sur un
plan objectif et professionnel.
Le fém. professeuse a été utilisé (J-J. Ampère, 1827), de même, exceptionnellement, que professoresse (Léon Bloy, 1897). La plaquette publiée en 1999 par
l’Institut National de la Langue française et le CNRS, intitulée Femme, j’écris ton nom et
qui a un caractère quasi officiel, donne le choix entre l’emploi épicène (c.-à-d. une forme
unique masculine pour les deux sexes), soit : une professeur (solution adoptée en
Belgique wallonne) et l’ajout d’un –e final, comme en Suisse et au Québec : une
professeure. Elle ajoute que la forme professeuse “est envisageable”.
enseignant Ce terme générique englobe tous ceux qui “enseignent”, de la maternelle à
l’Université. Comme adjectif dérivé du verbe enseigner (du lat. vulg. insignare, en lat.
class. insignire, “signaler, désigner”), il apparaît dès 1874 chez Gobineau dans un contexte
d’enseignement confessionnel ; comme substantif, il figure même en 1866 dans le Journal
d’Amiel !
L’enseignement, au sens de “précepte, leçon” figure dans un lai de Marie de France
dès 1170. L’Abbé Baudot, en 1771, est le premier à employer le mot composé
enseignement public.
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pédagogue C’était, dans l’Antiquité, l’esclave chargé de conduire les enfants de son
maître à l’école : peut-être est-ce la raison pour laquelle ce mot a toujours eu un arrièresens plus ou moins ironique, négatif, voire méprisant. Il apparaît au XIVe s., mais Richelet,
en 1680, écrit dans son Dictionnaire : “Le mot de pédagogue est injurieux et il se prend en
mauvaise part, à moins qu’il ne soit accompagné”. Et Napoléon Landais, en 1845 : “Il ne
se dit plus guère que par dérision”. D’où l’abrègement peu flatteur pédago (1924, chez
Gaston Esnault) et même le verbe pédagoguer, créé en… 1888 par Fourment dans une
lettre à Paul Valéry !
pédant Joachim du Bellay a écrit en 1558 pedante (mot italien) au sens péjoratif de
“professeur, maître d’école” et le mot devient courant dès le milieu du XVIe s. pour
désigner “celui qui fait étalage de son savoir”. Il est de la même famille que le précédent,
et provient du grec παιδευειν, “éduquer des enfants”. Les dérivés pullulent : pédantesque
(1552, Estienne Pasquier), pédantesquement (1606, Charron), pédantisme (1580,
Montaigne, “art d’enseigner”, sens neutre, puis milieu du XVIIe s., Guez de Balzac,
“caractère du pédant”) ou, plus rare, pédanterie (1560, Estienne Pasquier), pédanter
(Acad. fr. 1694) ou pédantiser (1594). Enfin, quelques créations d’auteurs, assez
méchantes : pédamment (1831, Musset), pédantaille, “petite coterie de pédants (1810, PL. Courier), pédantroque (1804, Stendhal, Journal), pédantique (1938 , Céline,
Bagatelles…), pédantocratie (1852, Auguste Comte, Catéchisme positiviste).
cuistre Pour terminer cet inventaire, voici encore un mot très péjoratif. Il provient de
l’ancien français questre, du lat. coquere, “cuire”, qu’on rencontre dans le Roman de
Renart vers 1175 et qui désigne de façon injurieuse le “marmiton, valet de cuisine”. Sous
sa forme actuelle, il apparaît en 1622 chez Charles Sorel au sens de “valet ou subalterne
dans un collège”, puis en 1891 chez Huysmans, pour désigner le “valet d’église ou
bedeau”. Enfin, depuis Cyrano de Bergerac, dans sa pièce Le Pédant joué (1654), dont
Molière s’est largement inspiré dans Le Bourgeois gentilhomme (1670), c’est un “homme
pédant, ridicule et vaniteux de son savoir”.
La cuistrerie est une invention (ou une découverte ?) du XIXe siècle, qui surgit chez
Musset en 1834 dans On ne badine pas avec l’amour.
Bref commentaire :
Il me semble qu’une question intéressante se pose dans le débat sur l’École :
comment est-on passé, assez vite, de la soif de savoir de la Renaissance et de l’admiration
respectueuse pour ses (supposés) détenteurs à l’ironie, voire à la critique acerbe et
méchante ? Certes, tous les profs, hélas ! ne sont pas des Socrate(s), mais tout de même…
Le savoir est-il un bien personnel, collectif… ou une illusion sans cesse revivifiée ? Quelle
est, dans la “manière et pratique de l’enseignement”, la part du facteur humain, avec ses
faiblesses et ses prestiges, et celle du “système” et de la “règle”, nécessaires mais parfois
étouffants ?… À nous tous, chers amis citoyens, d’essayer de répondre dans l’année qui
vient à cette douloureuse interrogation !
Jean-Paul Colin,
août 2006.
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