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La pièce vue par l’auteur
Les raisons qui font que l’on écrit sur tel sujet ou sur tel autre sont souvent mystérieuses. Ça vous
attrape et ça vous met à la table en vous disant « Montre-moi maintenant ce que tu es capable de
faire, pauvre type ! ». Souvent c’est un personnage qui se manifeste et qui vous hante au point de
vous faire passer aux aveux de votre propre existence. Mais est-ce suffisant ?
Une fois passé ce qui fait écho en moi dans le personnage de Dorothy Parker (les questions
autour de l’écriture, la peur de "ça", la façon de s’engager qui est davantage une manière de
manifester ses indignations, le mode de vie qu’elle a choisi, la difficulté à vivre le couple) il me
paraît évident que Dorothy Parker, en résistance au monde dans lequel elle a vécu, serait en totale
opposition avec le monde d’aujourd’hui, si affreusement plat, si affreusement conforme, si
affreusement consensuel. Dorothy Parker n’est pas une provocatrice, comme on a pu l’écrire,
parce que les grands écrivains n’ont pas de temps pour ça. En revanche, elle a suffisamment
cultivé sa singularité, mis sa sincérité à l’épreuve, su rester effroyablement vivante, sublimement
élégante et régulièrement indignée pour incarner à merveille l’anticonformisme absolu, celui dont
on manque cruellement dans notre société si proprette, où chaque chose semble si bien à sa place
qu’on la croirait inventée par les femmes d’intérieurs des années 60.
Dorothy est dérangeante, aussi, parce qu’elle est parfois injuste et sans concession; mais
sa sincérité et ses fêlures internes la grandissent et ne peuvent que nous aider à "déranger" nos
idées reçues, nos idées si bien ficelées à la pensée unique contre laquelle nous devons lutter
chaque jour.
J’espère que ce que Dorothy Parker a produit en moi, à travers son œuvre, cette pièce
réussira à le produire sur le plus grand nombre. Il faut pour cela écouter cette Diva qui ne chantait
pas, qui ne pleurait pas, mais qui regardait les autres avec une irrésistible acuité et un sens de
l’humour qui n’a d’égal que son élégance.
Jean-Luc Seigle