La crise institutionnelle de l`arme sous

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De la “guerre du tonnage” au coup de poker aéronaval
La crise institutionnelle de l’arme sous-marine allemande
D’après Victoires et naufrages de la marine du IIIe Reich, par Peter Verhausen. Munich, 1993
– Paris, 1999.
Toutes les forces armées sont des institutions de grande taille structurées hiérarchiquement.
Elles développent leurs propres schémas d’action et de réaction face aux événements, souvent
appelés “culture institutionnelle”. Quand une situation nouvelle et imprévue se présente, elles
réagissent en fonction de cette culture institutionnelle. Ce n’est pas toujours suffisant pour
faire face à des situations nouvelles et, dans ce cas, on peut voir se développer des crises
institutionnelles pouvant déboucher sur un bouleversement de l’institution, ou d’autres
événements de nature similaire. C’est une telle crise qui s’est produite dans la Kriegsmarine,
en pleine guerre.
I.
La stratégie sous-marine allemande au début de la guerre
Il faut d’abord rappeler la doctrine de la force sous-marine allemande lors du déclenchement
de la guerre. L’amiral Dönitz avait développé une doctrine particulièrement cohérente de
“guerre du tonnage”. Son but était de couler davantage de cargos que ce que les chantiers
navals anglais et français pouvaient fabriquer dans le même laps de temps, tout en
construisant davantage de sous-marins que ce que les forces d’escorte pouvaient couler durant
la même période. Cette guerre du tonnage ne pouvait être remportée que si – et seulement si –
les deux conditions étaient remplies. Pour parvenir à ce but et déjouer le système des convois,
Dönitz développa deux tactiques adaptées :
– les sous-marins devaient attaquer en surface (ils ne devaient plonger qu’une fois détectés) ;
– ils devaient opérer en meutes.
Les tactiques de meutes préconisées par Dönitz impliquaient deux conséquences importantes
pour l’organisation de l’arme sous-marine allemande.
La première était la nécessité d’une localisation assez précise des convois, cibles des meutes.
Pour cela, la Kriegsmarine mit en place un service d’écoute et de décryptage radio efficace
(B-Dienst) et demanda à la Luftwaffe des avions de reconnaissance à grand rayon d’action.
Le Fw 200 Condor, bien qu’il n’eût pas été conçu dans ce but, fut le meilleur appareil dans ce
rôle.
La deuxième conséquence était la nécessité d’un entraînement intensif des équipages.
Jusqu’au début de 1943, Dönitz refusa à plusieurs reprises que cet entraînement soit
raccourci. Jusqu’au déclenchement de Barbarossa, il se déroula en Mer Baltique. La
Kriegsmarine pouvait même y organiser des “convois d’entraînement” comportant jusqu’à six
cargos et des torpilleurs, pour le plus grand profit des équipages novices de sous-marins.
Le travail en meutes impliquait aussi un volume important de communications radio,
potentiellement repérables par l’ennemi. Cependant, les scientifiques allemands crurent
jusqu’à la fin de la guerre, qu’il serait impossible d’installer un goniomètre pour ondes
courtes (HF/DF ou “huff-duff”) capable de localiser leur source d’émission sur les petits
navires d’escorte. Ils n’imaginèrent donc pas l’impact des développements britanniques en la
matière et attribuèrent de manière erronée les pertes subies par les U-boots soit à une
détection par infrarouges (technologie maîtrisée par les Allemands mais inexistante côté
allié), soit au déchiffrement des communications. Les sous-marins naviguèrent au ras de l’eau
(en semi-immersion) pour réduire leur signature thermique et changèrent fréquemment de
codes, mais cela n’eut aucun effet.
Pour gagner la “guerre du tonnage”, Dönitz voulait disposer de 300 sous-marins océaniques,
mais en 1939, il n’avait que 65 submersibles, dont une moitié seulement océaniques, et le plan
Z prévoyait 129 sous-marins… en 1946. Face aux flottes française et anglaise réunies, le plan
Z était condamné. La construction de nouveaux cuirassés fut suspendue en novembre 1939 et
celle du porte-avions Graf Zeppelin en mai 1940. La campagne de Norvège coûta cher à la
flotte de surface, mais Dönitz ne fit qu’en tirer un argument de plus pour sa guerre sousmarine. En septembre 1940, il alla jusqu’à dire à Hitler que « les sous-marins [pouvaient]
gagner la guerre à eux tout seuls ! »
Cependant, pour pouvoir construire le nombre d’U-boots nécessaire, il était impératif de se
limiter à un ou deux types. D’abord, il fallait un sous-marin assez grand pour pouvoir opérer
dans les Western Approaches britanniques (zone située immédiatement à l’ouest de la
Grande-Bretagne et point de passage obligé de tout le trafic maritime à destination des ports
de la côte ouest) et, plus généralement, dans la partie est de l’Atlantique Nord, tout en étant
assez petit pour pouvoir être construit en grande série. Ce fut le Type-VII. Mais, pour pouvoir
faire face à un déroutement des convois plus au sud, attaquer les navires dans l’ouest de
l’Atlantique et menacer les côtes de l’Afrique française, Dönitz avait également besoin d’un
sous-marin plus gros. Ce fut le Type-IX.
Tous les autres modèles envisagés n’entraient pas dans ce concept. Le Type-II ne fut construit
et utilisé que comme sous-marin d’entraînement et bouche-trou, parce que les chantiers navals
ne pouvaient pas produire suffisamment de Type-VII à un instant donné. Mais il ne figura
jamais comme carte maîtresse dans les plans de la Kriegsmarine. Dönitz étouffa
systématiquement toutes les tentatives de développement de sous-marins spécialisés, comme
les Type-III destinés à emporter deux petites vedettes lance-torpilles ou comme les grands
“croiseurs sous-marins” Type-XI, emportant un hydravion (ce projet se voulait l’héritier des
grands submersibles – grands pour l’époque – de la Première Guerre Mondiale). De même, il
montra très peu d’intérêt pour les sous-marins côtiers. Dönitz avait identifié la possibilité de
combats navals en vue des côtes, mais décida de laisser la mission d’attaque des convois
côtiers dans les eaux européennes aux flottilles de vedettes lance-torpilles (S-boots) et à la
Luftwaffe (avec ses He 111 et He 115). Jusqu’au printemps 1942, Dönitz s’opposa
systématiquement à tout sous-marin côtier, sauf à des fins expérimentales. Ce n’est que
contraint et forcé par la crainte de se voir obligé par Hitler d’envoyer d’autres sous-marins
océaniques braver les défenses de Gibraltar qu’il se résolut à faire construire à quelques
dizaines d’exemplaires le fameux Type-IIE, destiné à la célèbre opération Tournesol
(Sonnenblume, voir annexe D B1), en utilisant des composants disponibles et « sans déranger
les équipes travaillant sur des sujets vraiment importants. » Les qualités de ces petits
bâtiments (dont quelques-uns furent envoyés en Mer Noire par le Danube) l’amenèrent à
donner en mars 1943 son feu vert à la construction des Type-XXIII. Mais la Kriegsmarine ne
développa jamais vraiment pendant la Deuxième Guerre Mondiale une gamme de sousmarins côtiers aussi large que celle qui fut mise en œuvre pendant la Première.
II. Les conséquences de la chute de la France métropolitaine et de la
poursuite de la lutte à partir de l’Afrique
Cet événement majeur de l’histoire de la guerre provoqua l’ouverture de nouvelles zones de
chasse pour les U-boots, entraînant un déplacement général du théâtre de la lutte anti-sousmarine vers l’ouest mais aussi le sud.
Jusqu’à décembre 1941 et à l’entrée en guerre des Etats-Unis, la situation de la guerre sousmarine peut être résumée de la manière suivante :
(a) “Anciens” théâtres d’opérations :
- Côte est de la Grande-Bretagne : laissée aux forces de surface et à la Luftwaffe ;
- Golfe de Gascogne : d’importance accrue dès l’été 1940, en raison des nombreux
convois entre la Grande-Bretagne et le Maroc ;
- Western Approaches de la Grande-Bretagne : toujours aussi importante ;
- Zone centrale de l’Atlantique Nord : toujours aussi importante ;
- Méditerranée : théâtre secondaire pour Dönitz, malgré les plaintes de Mussolini et les
opérations lancées à grands frais pour lui venir en aide.
(b) “Nouveaux” théâtres d’opérations :
- Zone centrale de l’Atlantique, au sud des Açores (30° N/ 40°W) : correspondant au
passage des convois allant de la côte Est des Etats-Unis vers Casablanca ;
- Zone au large de la Mauritanie : correspondant au passage des convois sur la route
Dakar-Casablanca et des convois venant de la partie sud de l’Afrique (charbon et minerai de
fer sud-africain) ;
- “Trou” entre le Brésil et l’Afrique (“BrAf gap”) : zone de passage des convois allant de
l’Argentine et du Brésil vers le Maroc.
De Saint-Nazaire, la distance est de 2 200 milles nautiques pour le sud des Açores, 2 000
nautiques pour la côte de Mauritanie et 3 300 nautiques pour le “trou” Brésil-Afrique. Or,
l’autonomie d’un Type-VII était de 6 500 nautiques, hormis pour les gros VIIC/42, qui
devaient être capables de franchir 10 000 nautiques. La plupart des Type-VII avaient donc du
mal à atteindre les deux premières zones et la troisième était hors de leur portée.
A la fin de l’été 1940, Dönitz se trouvait donc obligé d’envoyer ses bâtiments plus au sud
qu’il ne l’avait envisagé. De surcroît, il ne pouvait pas ignorer la possibilité de convois partant
de la côte Est des Etats-Unis et passant par les Caraïbes, puis par la Guyane française (pour
profiter au maximum de la couverture aérienne assurée à partir des bases britanniques ou
françaises), avant de traverser l’Atlantique Sud, constamment hors de portée des Type-VII. Il
fallut donc modifier la répartition des constructions nouvelles entre les Type-VII et les TypeIX. Le Type-IXC fut construit en plus grande quantité que prévu, au détriment des Type-VII.
La construction des VIIC/41 et VIIC/42 fut décidée.
L’allongement du rayon d’action nécessaire concernait aussi les avions de reconnaissance
maritime à longue portée de la Luftwaffe (voir annexe C Y5).
Toutes ces difficultés étaient multipliées par le fait que, si le territoire français était contrôlé
par les Allemands, la Royal Navy disposait toujours de l’aide de la Marine Nationale et du
réseau des nombreuses bases françaises.
Contrairement à ce qui se serait produit si le “coup d’état” de Pétain avait réussi, les Alliés ne
manquaient ni de navires, ni d’équipages entraînés. Les bases et points d’appui français des
Caraïbes, de l’Atlantique Nord (Saint-Pierre et Miquelon), de la côte ouest de l’Afrique et de
l’Océan Indien complétaient parfaitement ceux de la Royal Navy, d’autant plus que
l’intensification du trafic naval américain ne tarda pas à permettre à ces bases d’améliorer leur
aménagement.
De juillet à décembre 1940, les Allemands ne perdirent que 9 U-boots (tous détruits par les
forces britanniques, sauf l’U-37, coulé le 12 décembre par des escorteurs français au large de
Casablanca). Mais les pertes en U-Boots furent lourdes dès 1941 (48 unités, dont 14 en
Méditerranée et lors de l’opération “Lumière Bleue”). Néanmoins, ces pertes n’inquiétèrent
pas Dönitz, car leur importance concordait avec ses prévisions. Il comprit cependant qu’il lui
fallait davantage de sous-marins que prévu et il estima le chiffre nécessaire à 400 au lieu de
300. Il savait qu’il devrait attendre l’automne 1942 pour avoir assez de bâtiments, mais il était
satisfait des résultats obtenus jusque-là.
Les actions des raiders de surface étaient, dans son esprit, un moyen intérimaire de couler des
transports alliés. L’intérêt de disposer d’un porte-avions ne lui apparut pas. En Méditerranée,
les porte-avions alliés souffraient beaucoup (le Béarn coulé, l’Illustrious gravement
endommagé) et aucun n’avait participé à la destruction du Bismarck.
Les tentatives de forcer le passage de Gibraltar avec des U-boots, en septembre-octobre 1941
(“Lumière Bleue”) et en avril-mai 1942 (“Coup du Cavalier”), furent des échecs coûteux,
mais qui ne remettaient pas en cause l’objectif principal.
Les bons résultats de l’opération “Roulement de Tambour”, début 1942, au large de la côte
Est des Etats-Unis (résultats qui auraient été encore meilleurs en l’absence des bases et de la
flotte françaises) confirmèrent Dönitz dans sa conviction qu’il avait raison. La mise en service
en 1942 des sous-marins ravitailleurs de Type-XIV (Milchkuh) permit aux sous-marins
allemands d’engranger de nombreux succès contre des Américains mal préparés ainsi que
dans les Caraïbes (“Neuland”), dont la configuration ne favorisait pas la défense.
Dönitz ordonna de concentrer les meutes dans l’Atlantique Nord et les pertes alliées
atteignirent 500 000 GRT en octobre 1942. Mais c’était le chant du cygne des U-boots.
Au printemps 1942, ils avaient renoncé à contrôler l’Atlantique Sud, à l’été, ils étaient
malmenés dans le Centre-Atlantique, en novembre, il devint apparent que leurs pertes étaient
insupportables dans l’Atlantique Nord, malgré le grand nombre de victoires qu’ils obtenaient.
Et le dernier mois de 1942 fut le “Décembre Noir” de l’arme sous-marine allemande, avec
trente et un sous-marins détruits. Le total des pertes pour 1942 s’établissait au chiffre terrible
de 136 unités.
Espérant trouver un terrain de chasse plus facile, les sous-marins se tournèrent vers l’Océan
Indien dans le courant de l’année 1942. L’objectif était aussi de renforcer les liens et la
coopération avec l’allié japonais. Mais, ici aussi, après d’indéniables succès, les pertes
grimpèrent rapidement une fois les Alliés organisés. Ceux–ci disposaient en effet de
nombreuses bases qui permirent également de contenir l’expansion japonaise.
III. Les conséquences de l’opération Barbarossa et de la résistance
soviétique
Un facteur souvent négligé doit ici être souligné : la désorganisation de l’entraînement des
sous-mariniers allemands par la guerre germano-soviétique.
Les Allemands avaient espéré bloquer la flotte soviétique de la Baltique dans ses ports avec
l’aide des Finlandais, permettant à la Kriegsmarine d’utiliser à sa guise la mer Baltique. Mais
les opérations terrestres ne se déroulèrent pas comme prévu et les Finlandais décidèrent de
rester neutres. Même avec une flotte soviétique à l’efficacité limitée, la Baltique ne pouvait
plus être considérée comme sûre. Le programme d’entraînement de la Kriegsmarine était
dangereusement compromis. Un véritable cauchemar pour Dönitz !
De juillet à décembre 1942, la Kriegsmarine déploya en Baltique une trentaine de nouveaux
bâtiments ASM (pour la plupart d’anciens dragueurs de mines de classe M, dont une partie
avaient conservé leur équipement de dragage), soutenus par une cinquantaine d’avions
réservés à la lutte ASM. Ce déploiement permit de maintenir l’entraînement en Baltique à
50 % de son niveau d’avant Barbarossa. Mais navires et avions s’ajoutaient à une charge déjà
lourde, avec les opérations contre la flotte de surface soviétique, l’appui aux troupes au sol, la
couverture des convois de minerai de fer venant de Suède (convois de Lullea)…
D’énormes efforts furent accomplis pour barrer la route des sous-marins soviétiques, en
établissant entre Libau et la côte suédoise un barrage de mines et de filets anti-sous-marins,
couverts par des bâtiments ASM. Mais un tel barrage ne pouvait être étanche.
Raeder, psychologiquement usé, avait démissionné en septembre 1942 après la bataille de
Saaremaa et Dönitz lui avait logiquement succédé.
Fin 1942/début 1943, les pertes au combat augmentèrent fortement. Les chantiers navals
allemands purent augmenter dans les mêmes proportions la production de sous-marins, mais
l’entraînement du grand nombre d’équipages nécessaires pour les nouveaux bâtiments devint
extrêmement difficile, pour ne pas dire impossible au niveau des standards précédents de la
Kriegsmarine.
En 1943, la Royal Navy apporta aux Soviétiques une aide technique sous forme de sonars et
de radars. L’entraînement des sous-marins soviétiques s’améliora considérablement. De plus,
l’aviation de la Flotte Rouge se mit à prendre pour cible les bâtiments allemands de lutte
ASM en Baltique, accroissant encore le fardeau pesant sur la Kriegsmarine, obligée de
renforcer régulièrement son potentiel ASM. Finalement, l’entraînement en Baltique des sousmariniers allemands allait complètement cesser au début de l’année 1944.
Dönitz se trouva alors en face d’un dilemme dont les deux termes étaient aussi déplaisants
l’un que l’autre. Le premier était d’envoyer des bâtiments au combat avec des équipages
n’ayant eu qu’un entraînement limité, alors même que l’arrivée d’escorteurs américains de
plus en plus efficaces se faisait sentir. Il était clair que les pertes s’envoleraient. Le second
était d’envoyer moins de sous-marins en mer en 1943 et de viser un « saut qualitatif » en
1944, avec des bâtiments innovants, très modernes, manœuvrés par les plus expérimentés des
équipages des sous-marins classiques opérationnels. Mais cela ne correspondait absolument
pas à la doctrine formulée par Dönitz lui-même et surtout, c’était pratiquement renoncer à la
lutte pendant un an.
L’amiral décida alors, contre son gré, d’envoyer au combat des équipages mal entraînés. Les
conséquences ne se firent pas attendre… C’est en effet ce manque d’entraînement qui
explique en grande partie le “Décembre Noir” 1942 que nous avons déjà évoqué.
IV. La remise en question de la “guerre du tonnage”
Au début de l’automne 1942, Dönitz n’avait pas abandonné ses espoirs de gagner la “guerre
du tonnage”. Le mini-sous-marin HA-40 apporté en septembre à Lorient par les submersibles
japonais de l’opération Oni 2 ne l’intéressa guère et il ne fut pas affecté en apprenant sa
destruction par la RAF pendant son transfert en train vers l’Allemagne. A quoi bon des sousmarins côtiers ? Pour lutter contre quelle flotte d’invasion ? Allouer des ressources à de tels
engins à ce stade de la guerre aurait été prématuré. De surcroît, cela aurait été inefficace. Les
Alliés avaient déjà un pied sur le continent européen (en Grèce) et en auraient probablement
un autre d’ici peu (en Italie). La meilleure manière pour les affaiblir restait l’interruption du
flux d’hommes et de matériel arrivant d’Amérique du Nord. Dans cette optique, même les
petits Type-IIE étaient considérés comme des sous-marins “méditerranéens” chargés, en
Méditerranée, du même rôle que leurs grands frères dans l’Océan. Quant au porte-avions Graf
Zeppelin, si la reprise de la construction avait été décidée en mai 1942, c’était au terme d’une
négociation avec Raeder, qui avait promis une action énergique de la marine de surface contre
les bases soviétiques de Mer Baltique.
Au début de 1943, l’effondrement de cette doctrine commença à être évident, le principal
indicateur de son échec étant l’écart de plus en plus grand entre le rythme de construction des
sous-marins et la capacité d’entraînement des équipages. Cependant, cet effondrement ne se
fit pas en un jour.
Au sein de l’état-major de la Kriegsmarine, les discussions se firent de plus en plus intenses
de février à juin 1943.
D’abord, l’équipe de Dönitz mit en avant qu’une meilleure collaboration avec la Luftwaffe
pourrait réduire les pertes – mais nous avons vu que, même si cela permettait de déplacer les
responsabilités, les avions manquaient.
Le schnorkel, connu depuis la capture de sous-marins néerlandais en 1940, fut également
présenté comme une solution au problème. Mais les sous-mariniers allemands allaient
progressivement découvrir que si le schnorkel réduisait effectivement les pertes, il réduisait
également la mobilité des sous-marins : la vitesse maximale d’un Type-IX en plongée avec le
schnorkel ne dépassait pas 6 nœuds, à comparer aux 18 nœuds et plus pouvant être atteints en
surface. Il fallait améliorer le concept avant de le généraliser.
En mars 1943, voyant ses équipages sous-entraînés décimés par les flottes alliées, Dönitz se
résolut à appuyer de tout son poids la transition vers les Elektro-Boote. C’était se résigner à
jouer le saut qualitatif. Mais il savait que rien d’opérationnel ne pourrait sortir de ce
programme avant le printemps 1944, au plus tôt. De fait, le premier Elektro-Boot océanique
Type-XXI commença ses essais à la mer en mars 1944, mais il ne put effectuer que quelques
patrouilles avant la chute du IIIe Reich.
V. Le “rideau de fumée” aéronaval et la lutte contre les menées SS
Il est intéressant de voir ici comment l’effondrement de la “doctrine Dönitz” a été analysé par
les Soviétiques. La marine soviétique interrogea tous les commandants de sous-marins
allemands qu’elle captura en 1944 et consacra beaucoup de temps à la recherche de ce qui
avait marché de travers dans la “guerre du tonnage”. Contrairement à ce que l’Otan croyait
encore dans les années 1970, jamais les Soviétiques n’eurent l’intention d’appliquer telle
quelle la doctrine de Dönitz. Une des leçons tirées des interrogatoires des officiers de la
Kriegsmarine (dont au moins un membre de l’état-major de Dönitz) était que les sous-marins
ne sont efficaces que s’ils s’intègrent dans une offensive combinée, incluant des attaques
aériennes sur les convois et les ports et des actions des forces de surface.
C’est bien dans ce sens que Dönitz finit par évoluer au printemps 1943. Il n’admit jamais
ouvertement qu’il avait perdu “sa” guerre du tonnage purement sous-marine. Mais il s’orienta
vers une approche plus équilibrée. Cependant, à cette date, il était déjà trop tard pour un tel
revirement. Les unités de surface disponibles étaient en trop petit nombre et la Luftwaffe
n’avait pas les avions nécessaires. Néanmoins, lors d’une dramatique réunion présidée par
Adolf Hitler lui-même en avril 1943, Dönitz réussit à masquer sa défaite par une fuite en
avant, donnant au duo Tirpitz et Graf Zeppelin un rôle capital 1, arrachant le soutien de Göring
par de basses flatteries tout en soulignant que le groupe aérien du porte-avions ne
représenterait qu’une cinquantaine d’avions 2 et finissant par obtenir l’aval du Führer.
1
La construction du porte-avions avait été interrompue sur ordre d’Hitler en septembre 1942 (de même que la
remise en état du Gneisenau), mais cette construction avait repris en mars 1943, après la bataille du Cap Nord.
2
Huit Bf 109T, 12 Ju 87C Stuka et 12 Fieseler Fi 167 de torpillage, plus des appareils de remplacement, dans la
version prévue en 1941 ; 20 Bf 109T, 6 Stuka et 6 Fi 167 dans la version de couverture de chasse.
Cette crise stratégique avait permis parallèlement de se faire entendre aux membres de la
faction nazie à l’intérieur de la Kriegsmarine, avec bien sûr le soutien de Himmler. Affirmant
que Dönitz ne faisait pas assez confiance aux aptitudes uniques du marin allemand nationalsocialiste, ils virent dans les sous-marins de poche japonais le moyen d’imposer leur point de
vue (exactement comme, au printemps 1943, la faillite du système de défense anti-aérienne
nocturne avec des chasseurs entièrement sous le contrôle du sol ouvrit une fenêtre
d’opportunité pour Hajo Hermann et sa Wilde Sau). Le sous-marin HA-40, dont les plans et la
documentation technique avaient été conservés, fut adapté pour correspondre aux pratiques
allemandes (une copie aurait été impensable) et des unités destinées à des attaques suicide
furent fébrilement conçues. Des problèmes de traduction japonais-allemand, rendus plus
difficiles à résoudre en l’absence du modèle original, ralentirent la mise au point de ces “sousmarins de poche SS”. Le tout premier Type-AH (allusion au HA japonais… et aux initiales du
Führer) était à peine achevé lors du débarquement en Provence. Il y en avait une douzaine lors
de l’opération Overlord, mais leur action désespérée était vouée à l’échec.
Devant cette offensive de Himmler contre la Kriegsmarine, les marins firent front commun.
Obligé de céder sur le point des sous-marins de poche pour ne pas risquer de choc frontal
avec la SS, le successeur de Dönitz à la tête de l’arme sous-marine, Eberhard Godt, accepta la
création d’une “unité sous-marine d’attaques spéciales” où il regroupa les plus fanatiquement
nazis de ses officiers. Mais Dönitz, en tant que commandant en chef de la Kriegsmarine, ne
voulut pas laisser le champ libre à “ses” nazis et soutint à partir du mois de mars 1943 le
développement d’un sous-marin côtier inspiré du Type-IIE, mais dérivé des futurs ElektroBoote océaniques et pouvant concurrencer le Type-AH dans la mission secondaire de sousmarin anti-invasion. Doté d’un sonar de détection des cibles (GHG), nécessaire sur un
véritable sous-marin côtier (mais inutile sur une arme anti-invasion), ce fut le Type-XXIII, le
plus petit sous-marin capable de remplir un rôle côtier de manière satisfaisante.
Au début du programme, la cible privilégiée des Type-XXIII devait être la flotte sous-marine
soviétique. Opérant au large du Golfe de Finlande, ces petits bâtiments devaient être
beaucoup plus efficaces que le barrage de mines et de filets ; 45 à 60 d’entre eux auraient pu
rendre à l’Allemagne le contrôle de la Baltique (à condition aussi que les Soviétiques n’aient
pas pris de contre-mesures efficaces). Quoi qu’il en soit, il était bien trop tard quand ils furent
opérationnels, puisque le premier de ces sous-marins ne fut disponible que peu avant la fin de
la guerre.
Mais la crise stratégique à l’intérieur de la Kriegsmarine laissa des traces profondes, sous la
forme du développement de forts sentiments anti-nazis à l’intérieur de cette arme, rejoignant
ceux éprouvés dans la Heer, lancée avec des Panzer III contre les T-34, et dans la Luftwaffe,
noyée sous le flot montant des matériels alliés et dépouillée de sa supériorité technique par les
Spitfire IX et les Mustang. D’où la participation de nombreux officiers de la Kriegsmarine au
complot contre Hitler. Une participation que Dönitz pouvait difficilement ignorer…
Commentaire historique et uchronique
La guerre sous-marine se développe dans notre scénario suivant des lignes quelque peu
différentes de celles qui ont prévalu historiquement. En effet, les routes des convois sont plus
dispersées et en un sens plus surveillées qu’elles ne le furent dans la réalité.
La Grande-Bretagne doit toujours être approvisionnée, ce qui implique une route dans
l’Atlantique Nord (Halifax-Belfast), une route le long de la côte est (mais qui, comme
historiquement, est laissée par la Kriegsmarine aux vedettes rapides, aux destroyers et aux
avions mouilleurs de mines), enfin une route remontant les côtes d’Afrique pour traverser le
Golfe de Gascogne. Cela correspond aux grands terrains de chasse historiques des U-Boots
pour 1941 : l’Atlantique Nord et les Western Approaches 3.
Cependant, s’y ajoute dans notre alternative un trafic français, avec quatre types de convois.
Certains vont d’Afrique du Sud au Maroc et en Algérie, avec les convois britanniques qui
continuent vers l’Angleterre. Des convois de viande et de laine en provenance d’Australie et
d’Argentine remontent les côtes d’Afrique ou longent l’Amérique du Sud jusqu’au “seuil”
Recife-Dakar, où leur route rejoint celle des convois en provenance d’Afrique du Sud. Des
convois d’armes viennent des Etats-Unis et du Canada, allant des ports de Louisiane, du
Texas et du sud de la façade est des Etats-Unis vers le Maroc et l’Algérie, via les Antilles
françaises, la côte du Venezuela (d’où provient une partie du carburant qui alimente l’effort
français) et les côtes de Guyane, avant de traverser l’Atlantique Sud. Enfin, une autre route,
empruntée par les convois les plus rapides, passe par le sud de l’Atlantique Nord (autour du
30e parallèle) entre la côte est des Etats-Unis et Casablanca.
Si nous considérons les routes commerciales suivies par les convois français, nous constatons
que les côtes de Mauritanie et du Maroc sont à 2 000 nautiques de Saint-Nazaire, la miAtlantique (au sud des Açores) à 2 200 nautiques et le “seuil” Récife-Dakar à 3 300
nautiques.
Le problème posé à la Kriegsmarine, et à l’amiral Dönitz en particulier, est alors simple, mais
redoutable.
La Kriegsmarine est entrée dans la guerre avec deux concepts clés pour la guerre sous-marine,
l’un stratégique, la “guerre au tonnage” (qui s’exprime par un ratio entre les pertes de sousmarins et le tonnage coulé), l’autre tactique, la “meute”, qui veut que les sous-marins
attaquent groupés (ce qui implique des éclaireurs, en général des avions de reconnaissance) et
en surface, donc de nuit.
Pour constituer sa flotte, elle a donné la priorité au Type-VII, dérivé d’un sous-marin construit
pour la Finlande (classe Vetehinen) et dont l’autonomie, jusqu’en 1943, n’excèdera pas les
8 500 nautiques 4. Compte tenu des réserves nécessaires, ces sous-marins ne peuvent guère
opérer à plus de 2 000 nautiques de leurs bases. On voit immédiatement que deux des trois
routes adoptées par les convois “français” leurs échappent.
La reconnaissance aérienne pose elle aussi de sérieux problèmes. Le Focke-Wulf Fw 200 C3
Kondor (reconnaissance et bombardement) a un rayon d’action compris entre 1 000 et 1 100
nautiques. La variante F, conçue pour la reconnaissance pure et non développée
historiquement, était prévue pour un rayon d’action de 1 600 à 1 700 nautiques. Même ce type
d’appareil ne pourrait couvrir deux des trois routes empruntées par les convois français (et ne
pourrait couvrir la troisième qu’avec difficulté). De plus, l’usage des Fw 200 comme avions
de reconnaissance pure, avec des bombes remplacées par du carburant, réduit les pertes des
convois, qui furent historiquement très souvent attaqués par des Kondor gréés en
bombardiers.
3
4
Zone à l'ouest des Iles Britanniques par où transite le commerce vers et venant de l’Amérique du Nord.
Pour les Type-VIIC.
Cette situation ne laisse pas d’autres solutions à la Kriegsmarine que de mettre en production
plus de Type-IX qu’historiquement (au détriment des Type-VII), de réduire la taille de ses
meutes pour en accroître le nombre, et de pousser au développement du Junkers Ju 290
quadrimoteur et du Ju 390 hexamoteur – plus vite dit que fait.
L’altération du rapport entre les Type-VII et les Type-IX induit une baisse d’efficacité globale
de la flotte sous-marine, car le Type-IX, s’il va plus loin que le Type-VII 5, est bien moins
manœuvrant et, surtout, plonge nettement moins vite – il est donc plus vulnérable. De plus,
l’allocation d’acier nécessaire pour la modification du programme des sous-marins (le TypeIX en demande davantage que le VII) aura des conséquences sur la production d’autres armes
(les chars en particulier).
Mais, et c’est incontestablement le plus important, l’Allemagne ne peut pas concentrer ses
sous-marins (par ailleurs encore peu nombreux au début de 1941) sur l’Atlantique Nord. Cette
division des efforts ne peut qu’affaiblir son arme sous-marine.
D’autres facteurs jouent en sa défaveur.
La Royal Navy, n’ayant pas à se prémunir contre d’éventuelles actions hostiles de la Marine
de Vichy, peut dégager des forces supplémentaires pour l’escorte des convois. Elle peut aussi
utiliser les bases françaises : à Saint-Pierre et Miquelon, aux Antilles ou sur la côte africaine.
Elle peut compter sur les escorteurs français pour se charger d’une partie de la protection des
convois. Il faut aussi signaler le fait que les routes commerciales françaises sont bien plus
facilement couvertes par des patrouilles aériennes, ce qui accroît les pertes des sous-marins.
L’ensemble de ces éléments a conduit, à travers différentes simulations, à estimer que les
pertes de la Kriegsmarine seraient d’emblée plus élevées. Ces pertes dans le cadre de la guerre
au tonnage sont aggravées par les tentatives pour faire passer des sous-marins en
Méditerranée afin de tenter de prêter main-forte aux Italiens. Les forces franco-britanniques
sont en effet idéalement placées pour fermer aux sous-marins allemands le détroit de
Gibraltar, qui ne pourra être franchi qu’avec de lourdes pertes 6. Nous estimons ainsi les
pertes pour 1941 à 48 sous-marins, contre 35 historiquement 7.
Ces pertes de 1941 pèseront sur 1942 en raison de la perte d’équipages expérimentés. De plus,
la nécessité de protéger les convois alimentant l’Afrique du Nord à partir de la côte est des
Etats-Unis existant dès 1940, nous pensons qu’en 1942 l’activité des sous-marins allemands
dans l’Atlantique nord-ouest sera plus facilement contenue.
Les pertes pour 1942 ont été estimées à 132 sous-marins (contre 86 historiquement) et
devraient provoquer une crise de la stratégie de l’amiral Dönitz vers le début de l’année 1943.
La bataille de l’Atlantique devrait être ainsi perdue par la Kriegsmarine à l’été 1942, même si
le commandement allemand ne devrait le reconnaître que vers la fin de l’année ou le tout
début de 1943. Mais les raisons de cette défaite remontent à l’année 1941.
5
Le Type-IX a une autonomie de 10 500 nautiques à 10 nœuds, portée à 12 000 nautiques sur le IXB, 13 450
nautiques pour le IXC, 13 480 nautiques pour le IXC/40 et 12 750 nautiques pour les IXD2 et IXD/42.
6
Nous avons estimé que deux tentatives de passage “en masse” devraient être tentées, l’une vers la fin de 1941
et l’autre au premier semestre 1942.
7
Avec la ventilation suivante (le premier chiffre est celui des pertes historiques, le second celui estimé dans
notre alternative) : Atlantique 26/31, traversée du détroit de Gibraltar et pertes en Méditerranée 2/14, autres 4/0,
accidents 3/3.
Simulation des pertes dans la bataille de l’Atlantique jusqu’au 30 juin 1942
Période
de la
guerre
Nombre Nombre
initial
total
de sousmarins
Pertes
Nombre
de
navires
coulés
Tonnage
Navires Tonnage
coulés
coulé
par
par
soussousmarin
marin
perdu
perdu
Historique
57
410
79 (dont 76
1 602
7 860 000
20,5
100 800
1939pour causes
6/1942
opérationnelles)
Historique
331
1 080
707
1 226
6 827 000
1,7
9 700
6/19421945
Scénario
57
463
120 (dont 117
1 442
7 074 000
12,0
58 950
alternatif
pour causes
1939opérationnelles)
6/1942
Source pour les pertes historiques : G.R. Lindsey, “Tactical Anti-Submarine Warfare: The Past and the
Future”, Adelphi Papers, n°122, printemps 1972.
Les chiffres uchroniques indiqués sont issus d’une première évaluation ; ils ont pu être plus ou moins
corrigés par la suite.
………
Devant les problèmes posés par le maintien de la France dans la guerre, une des réponses de
la Kriegsmarine pour soulager son arme sous-marine sera le recours aux unités de surface
pour la guerre de course. Cependant, pour 1941, l’emploi de ces unités ne devrait pas être très
différent de celui que l’on a connu historiquement. Aussi avons-nous conservé les diverses
croisières historiques : celle des croiseurs auxiliaires tels que l’Atlantis, celles du Scheer, des
Scharnhorst et Gneisenau, du Hipper et bien sûr celle du Bismarck, dont l’issue s’avère plus
rapide mais non moins dramatique que dans la réalité 8.
8
La simulation de la bataille du détroit du Danemark, où le cuirassé Bismarck et le croiseur lourd Prinz Eugen
rencontrent une escadre composée des cuirassés HMS Hood et MN Richelieu, du croiseur lourd MN Algérie et
de quatre escorteurs (au lieu des cuirassés HMS Hood et Prince of Wales), aidés par les croiseurs lourds HMS
Norfolk et Suffolk (historiquement présents), aboutit à un résultat en apparence surprenant. Cet épisode a été
simulé quatre fois, avec des résultats similaires. Nous avons utilisé le résultat le plus favorable aux Allemands.
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