Angioplastie des occlusions coronaires chroniques : y a-t

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REGARDS CROISÉS
Angioplastie des occlusions
coronaires chroniques :
y a-t-il un authentique
bénéfice clinique ?
Percutaneous coronary intervention for chronic total
occlusion: is there a true clinical benefit?
Nicolas Danchin*
L
es techniques d’angioplastie coronaire ont fait
des progrès considérables, et il est maintenant
possible de traiter à peu près n’importe quelle
sténose. Il reste cependant une situation où le succès
technique de l’angioplastie est nettement plus aléatoire, celui des occlusions coronaires chroniques.
Cette moins bonne efficacité initiale des techniques
d’angioplastie impose, peut-être encore plus que
pour les indications traditionnelles, de particulièrement peser l’intérêt clinique de l’intervention.
Initialement, le raisonnement ayant poussé les
cardiologues à tenter de désobstruer des artères
occluses de plus ou moins longue date était simple :
l’artère étant déjà bouchée, il n’y avait guère de
risque à tenter de la rouvrir ; au pire, l’intervention
serait infructueuse… Trop simple, en fait, car il est
vite apparu que l’angioplastie des occlusions chroniques faisait courir au patient un risque au moins
aussi élevé (et probablement plus) qu’une intervention classique sur une simple sténose : effraction
artérielle avec les guides, avec un risque possible de
tamponnade, embolisation périphérique avec risque
de nécrose, irradiation nettement plus importante
que lors des interventions sur sténose, en particulier.
Par ailleurs, en cas de succès initial, le risque de
resténose était notablement plus élevé qu’après une
angioplastie conventionnelle, un risque qui semble
toutefois avoir diminué grâce aux stents actifs, bien
qu’il y ait encore débat à cet égard (1, 2).
Au bout du compte, l’équation redevient donc assez
semblable à celle de toute décision d’angioplastie
en dehors de l’urgence : faut-il attendre du geste
* Département de cardiologie, hôpital européen Georges-Pompidou,
Paris.
un bénéfice en termes de qualité de vie ? Et faut-il
en attendre un avantage en termes d’espérance de
vie, ou d’espérance de vie sans nouvel événement
coronarien ?
La première question ne s’adressera, par définition,
qu’aux patients présentant un authentique angor
ou son équivalent. En pratique, il ne s’agit pas d’une
situation clinique fréquente, mais celle-ci peut poser
de véritables difficultés : l’addition de médicaments
antiangineux supplémentaires n’offre souvent qu’une
amélioration modérée de la symptomatologie, et le
réentraînement à l’effort permet aussi rarement de
totalement juguler les symptômes. Dans un tel cas
de figure, l’angioplastie constitue une alternative
réellement intéressante, à la condition d’informer le
patient de la possibilité non négligeable d’un échec
technique, et des risques inhérents à l’intervention.
La seconde question est plus importante, puisqu’il
s’agit d’améliorer le pronostic des malades, et elle
correspond à des situations cliniques plus habituelles. Le bénéfice attendu passe par la réduction
du risque potentiellement lié à l’ischémie myocardique répétée, susceptible d’altérer le myocarde
et de générer des troubles du rythme graves, et
par la diminution des phénomènes de remodelage
ventriculaire gauche, à la fois par la disparition de
l’ischémie chronique et par un mécanisme supposé
de “support” anatomique du ventricule par un réseau
artériel redevenu actif. Enfin, l’intérêt de disposer
d’un conduit artériel supplémentaire, dans l’éventualité de l’occlusion ultérieure d’une autre artère,
peut être supputé. Bien qu’il s’agisse de la question
centrale, on ne dispose pourtant que de peu de
données autres que purement observationnelles. La
seule étude randomisée importante est l’étude OAT,
La Lettre du Cardiologue • n° 464-465 - avril-mai 2013 | 25 complète non revascularisée (5). En réalité, le niveau
de preuves apporté par la comparaison des cas de
succès et d’échec des procédures d’angioplastie
est réellement très faible : d’une part, il existe des
différences parfois importantes entre les groupes
où l’angioplastie a échoué et ceux où elle a été
couronnée de succès, et, d’autre part et surtout, les
complications précoces éventuelles en cas d’échec
viennent alourdir le pronostic du groupe où l’intervention a été infructueuse (6) ; on aboutit ainsi à
une sorte de tautologie médicale, les patients dont
l’intervention a marché vont mieux que ceux chez
lesquels elle a échoué. En pratique, seule une randomisation devrait donc pouvoir apporter la preuve du
bénéfice de la technique : au moment de proposer
à un patient une intervention de recanalisation, il
est en effet nécessaire de mettre dans la balance le
risque d’échec et de complications initiales et pas
seulement le bénéfice à long terme attendu en cas
de succès.
Liens d’intérêts. L’auteur ne rapporte aucun lien d’intérêts sur
le sujet de cet article.
Références bibliographiques
1. Saeed B, Kandzari DE, Agostoni P et al. Use
of drug-eluting stents for chronic total occlusions: a systematic review and meta-analysis.
Catheter Cardiovasc Interv 2011;15;77(3):
315-32.
2. Patel MR, Marso SP, Dai D et al. Comparative effectiveness of drug-eluting versus
bare-metal stents in elderly patients undergoing revascularization of chronic total coronary occlusions: results from the National
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JACC Cardiovasc Interv 2012; 5(10):
1054-61.
3. Baks T, van Geuns RJ, Duncker DJ et al.
Prediction of left ventricular function after
drug-eluting stent implantation for chronic
total coronary occlusions. J Am Coll Cardiol
2006;47(4):721-5.
4. Danchin N, Angioï M, Cador R et al. Effect
of late percutaneous angioplastic recanalization of total coronary artery occlusion on
left ventricular remodeling, ejection fraction, and regional wall motion. Am J Cardiol
1996;78(7):729-35.
5. Juillière Y, Marie PY, Danchin N, Karcher G,
Bertrand A, Cherrier F. Evolution of myocardial ischemia and left ventricular function
in patients with angina pectoris without
myocardial infarction and total occlusion of
the left anterior descending coronary artery
and collaterals from other coronary arteries.
Am J Cardiol 1991;68(1):7-12.
6. Hoye A, Van Domburg RT, Sonnenschein
K, Serruys PW. Percutaneous coronary
intervention for chronic total occlusions:
the Thoraxcenter experience 1992-2002.
Eur Heart J 2005;26(24):2630-6.
Résumé
L’angioplastie des occlusions coronaires chroniques reste une technique difficile, avec des résultats immédiats,
sans comparaison avec ceux de l’angioplastie pratiquée sur de simples sténoses ou pour des occlusions coronaires
récentes. S’il est raisonnable de proposer le geste aux patients conservant un angor invalidant malgré un traitement
médicamenteux bien conduit, il est certainement encore trop tôt pour pouvoir le recommander aux malades asymptomatiques, même s’il ne fait guère de doute qu’une occlusion coronaire chronique constitue en elle-même un marqueur de plus mauvais pronostic. L’étude asiatique DECISION-CTO (NCT01078051) a prévu d’inclure 1 100 patients,
avec un tirage au sort entre traitement médical optimal et angioplastie accompagnée d’un traitement médical ; les
résultats n’en sont pas attendus avant plusieurs années et devraient enfin apporter une réponse plus claire à une
question qui reste encore non résolue. D’ici là, la prudence s’impose.
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CROISES
dont la population ne répond pas réellement à la
définition de l’occlusion coronaire chronique, puisque
les patients étaient inclus entre 3 et 30 jours après
la survenue d’un infarctus ; néanmoins, aucun bénéfice pronostique n’est apparu dans le groupe tiré au
sort pour l’angioplastie, et les événements cliniques
sont même numériquement plus nombreux dans le
bras interventionnel. À l’inverse, d’assez nombreuses
études ont suivi des cohortes de patients chez
lesquels une angioplastie avait été tentée sur une
occlusion coronaire chronique : pour l’essentiel, elles
constatent un meilleur pronostic chez ceux dont
l’angioplastie a réussi. Plusieurs études ont évalué
l’impact de la réouverture de l’artère sur la fonction
ventriculaire gauche, élément clé du pronostic à long
terme : s’il est vrai qu’une amélioration de la fonction
ventriculaire gauche a pu être constatée après une
désobstruction réussie d’une occlusion chronique
chez des patients ayant une viabilité résiduelle (3,
4), l’absence de détérioration au long cours de la
fraction d’éjection a également été démontrée chez
des malades angineux ayant une occlusion coronaire
REGARDS
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