Keynes-Hayek, un duel qui dure depuis 80 ans Page 2/5
Ramsay MacDonald, embourbé dans une récession mondiale et aux prises avec une devise 21
internationale souffrante – la livre sterling –, s’est accroché à ce que l’on a appelé «The 22
Treasury View», un programme de réduction des dépenses publiques doté d’une profonde 23
croyance au fait que le marché restaurerait la croissance économique. Mais cette politique 24
n’a pas fonctionné et elle fut la cause d’une génération de chômeurs. 25
Le chef de file de ses détracteurs au sein du gouvernement britannique était John Maynard 26
Keynes, l’économiste du King’s College à Cambridge, duquel le philosophe Bertrand Russell 27
disait: «Quand je discutais avec lui, j’avais l’impression de risquer ma vie, et j’en émergeais 28
rarement sans éprouver le sentiment d’être un imbécile.» 29
John Maynard Keynes proposait un moyen révolutionnaire pour raviver une économie à bout 30
de souffle. Il suggérait à la Banque d’Angleterre de maintenir les taux d’intérêt bas de ma-31
nière à ce que les entreprises puissent emprunter à bon marché, et proposait d’abaisser 32
sensiblement les impôts afin d’encourager les dépenses. Il préconisait également d’employer 33
les chômeurs – 11,4% de la population active à l’époque – à la construction de routes et de 34
logements. 35
Aux cœurs sensibles, qui craignaient que de telles mesures ne fassent grimper encore la 36
dette déjà accablante du gouvernement, John Maynard Keynes répondait qu’il serait bien 37
temps de la rembourser une fois que l’économie serait à nouveau prospère. Il ne fallait pas 38
avoir peur du long terme, parce que, écrivait-il, «à long terme nous serons tous morts». 39
A l’automne 1931, John Maynard Keynes fut confronté à un ennemi téméraire et éloquent, 40
Friedrich von Hayek, un jeune économiste viennois appelé par la London School of Econo-41
mics (LES) pour contrer les puissantes idées de Keynes. Hayek était membre de la pragma-42
tique Ecole autrichienne emmenée par Ludwig von Mises, qui soutenait que le marché 43
s’autocorrigeait et que toute immixtion de la part des gouvernements finirait en désastre. 44
Dans un anglais approximatif et en s’appuyant sur des diagrammes triangulaires complexes, 45
Friedrich von Hayek expliquait pourquoi, selon lui, toute tentative de tromper le marché en 46
créant des emplois s’avérerait inutile. Les entreprises qui croissent grâce à un financement 47
bon marché peuvent pendant un temps engager des chômeurs afin de faire face à une de-48
mande artificielle, disait-il, mais à moins que les taux d’intérêt ne restent indéfiniment bas, 49
des usines finiraient par fermer et les nouveaux emplois seraient perdus. 50
Peu de temps après, Keynes et Hayek se lancèrent dans un duel intellectuel qui a défini les 51
contours du débat qui fait rage aujourd’hui encore sur la question de savoir si les gouverne-52
ments doivent intervenir dans l’économie. D’abord dans des revues spécialisées, puis dans 53
des lettres privées, les deux hommes ont pointé et paré. Hayek a donné le premier coup, 54
ferraillant et vitupérant de manière caustique et impitoyable tandis que Keynes, de 16 ans 55