31
ARCHEOPS : un ballon d’essai pour voir le Big Bang
Les deux inflations
Encadré 1
Pourquoi l’Univers est-il si homogène à grande
échelle ? Pourquoi le rayonnement fossile a-t-il quasiment
la même température dans des directions si différentes
qu’elles n’ont jamais été en contact dans le passé ? Un argu-
ment qualitatif simple permet d’appréhender ce paradoxe.
Le passage de l’état plasma à l’état atomique de la matière
cosmique, appelé recombinaison, est dû à l’expansion et
donc au refroidissement de l’Univers. Il rend la propagation
des photons libre de toute interaction. Il a lieu 380 000 ans
après le Big Bang lorsque l’Univers était mille fois plus petit
que maintenant. Le rayonnement CMB que nous recevons
maintenant a voyagé pendant environ 13,8 milliards
d’années. Les régions causalement reliées ont une taille qui
est au plus de 3,8×105×1000 ×c soit 380 millions
d’années-lumière (le facteur 1 000 prenant en compte
l’expansion de l’Univers, c étant la vitesse de la lumière).
Rapporté à la distance parcourue, l’angle sous-tendu vaut
3,8×108/13,8×109 radians soit environ un degré. Ainsi,
au-delà de quelques degrés, le Big Bang standard ne peut
justifier l’isotropie presque parfaite du CMB.
L’inflation est un complément au scénario standard
du Big Bang, qui affirme qu’en réalité toutes les parties de
l’Univers que nos télescopes peuvent observer provien-
nent d’une région d’espace plus petite qu’un milliardième
de proton. L’inflation a amené cette infime région à la
taille respectable de quelques mètres, par une croissance
exponentielle en fonction du temps. Les différentes parties
sont apparues ensuite comme causalement disjointes
lorsqu’une expansion en loi de puissance a pris le relais. La
question philosophique de l’unité de l’Univers trouve une
réponse étonnante grâce aux observations du CMB : ses
parties, même très distantes, ont une naissance commune.
En outre, l’inflation est une théorie falsifiable. Par
exemple, on déduit grâce à la mesure de la taille angu-
laire typique des anisotropies du CMB, que l’Univers a
une géométrie euclidienne. Cela veut dire que l’Univers
est sans courbure spatiale, ou encore que la somme des
angles d’un triangle à taille cosmique est bien de
180 degrés, ceci à mieux que 10 % près (bientôt testé à
1% avec P
LANCK). Et l’inflation prédit en effet que
l’Univers doit être « plat » à une grande précision. Enfin,
l’Univers n’est pas tout à fait homogène, sinon aucune
structure n’aurait pu naître et… nous ne serions pas là
pour en parler ! Les fluctuations quantiques du champ
scalaire ayant donné lieu à l’inflation fournissent des
conditions initiales suffisantes pour que, par effondre-
ment gravitationnel, l’Univers se structure entre les
galaxies individuelles, les grands filaments et les amas de
galaxies.
L’inflation primordiale, théorie assez « bizarre » au
départ, a dorénavant acquis un statut de paradigme dont
les prédictions ont été amplement confirmées par les
observations du rayonnement à 3 K. Toutefois elle reste
«phénoménologique » car la physique des particules n’a
pas encore pu identifier la nature du champ scalaire quan-
tique à sa source.
Un nouveau rebondissement provoqué par de nom-
breuses observations, dont le CMB, a récemment eu lieu.
Une nouvelle phase d’inflation, active depuis quelques
milliards d’années seulement et pilotée par une énergie
noire tout aussi mystérieuse que celle de l’inflation pri-
mordiale, est peut-être maintenant en train de nous
emporter dans une dilution exponentielle fatale. L’Uni-
vers serait donc mortel.
génération (après COBE et WMAP), préparé par l’ESA.
L’étude du Big Bang grâce aux anisotropies du CMB, et
bientôt sa polarisation, n’est possible que grâce à un fais-
ceau convergent de savoirs dans des domaines aussi
variés que la physique des détecteurs à basse température
(0,1 K, voir encadré 2), la cryogénie embarquée, l’astro-
physique, la cosmologie mais aussi la physique de
l’atmosphère (l’ozone est l’émetteur résiduel majeur à
ces altitudes) ou encore les télécommunications par
satellite ou la technique de récupération d’une nacelle
en Sibérie. L’ensemble de ces techniques doit être opé-
rationnel au moment du lancement.
Refroidir en continu des détecteurs à une tempéra-
ture optimale de 0,1 K en ballon est un tour de force en
soi. Ce problème a récemment trouvé une solution élé-
gante grâce à l’emploi d’un cryostat à dilution à circuit
ouvert. Contrairement au système à désaimantation
adiabatique ou au pot de Torre-Chanin qui demandent
des cyclages, la dilution du gaz d’3He dans un gaz d’4He
refroidit en continu la plaque des détecteurs (3 kg). A
raison de quelques micromoles par seconde d’3He
diluées en proportion de 8 % dans l’4He, une puissance
de refroidissement d’environ une centaine de nanoWatt
est obtenue sur un doigt froid à un dixième de degré au-
dessus du zéro absolu. Un cryostat classique à 4He
liquide permet un étage thermique de base, à 4 K pour
cette technique. La détente (Joule-Thomson) du
mélange gazeux de la dilution permet un étage intermé-
diaire à 1,6 K. Le mélange est ensuite soit stocké
(ARCHEOPS), soit rejeté dans l’espace (PLANCK). Cette
technique, développée au CRTBT (Centre de Recher-
che sur les Très Basses Températures, CNRS, Greno-
ble) a été testée grâce aux quelques vols d’ARCHEOPS,
en autonomie complète (2000-2002). Il a été observé
que les vibrations du cryostat, si elles dissipent trop de
puissance près du doigt froid, peuvent provoquer un
réchauffement catastrophique. Ce fut par exemple le cas
sur la base de lancement à Kiruna en Suède lorsqu’un
camion de déneigement est passé à proximité du hangar
de préparation, créant un vent de panique pendant
quelques temps !
L’expérience ARCHEOPS a été conçue pour mesurer
les anisotropies dans un domaine d’échelles angulaires
intermédiaires entre les 360 degrés, atteints uniquement
par les satellites COBE, WMAP et dans le futur PLANCK, et
le degré, mesuré par les expériences au sol et embarquées