Colloque de l’IUF, Le Rythme, Montpellier, 18-20 mai 2015 Rythme et oscillations dans l’univers : du Big Bang aux galaxies avec le satellite Planck Hervé Dole Institut d’Astrophysique Spatiale, Université Paris-Sud et CNRS 91400 Orsay Pourquoi la nuit est-elle noire, malgré le nombre incroyable d’étoiles dans le ciel ? Cette question séculaire a été résolue à la fin du XIXe siècle en invoquant notamment l’âge fini des objets composant l’univers. Il a cependant fallu reconsidérer cette question ainsi que sa réponse au gré des découvertes extraordinaires du XXe siècle, parmi lesquelles l’expansion de l’Univers et la présence d’un rayonnement de fond, faisant émerger, favorisant et consolidant le modèle du Big Bang chaud. On pourrait dire, presque sans ironie, que la nuit noire n’est pas vraiment noire puisqu’elle est baignée de rayonnements fossiles issus de l’histoire tumultueuse de l’univers. Ces rayonnements sont invisibles à nos yeux car ils sont présents dans le domaine des ondes radio, millimétriques et infrarouge. Observer le fond de la nuit et ses rayonnements ténus constitue alors une promesse scientifique de premier plan, puisqu’étudier ces rayonnements reliques nous permet de sonder l’état de l’Univers dans sa prime jeunesse. Il se trouve que l’univers primordial, chaud, dense et opaque au rayonnement, vibre intensément au rythme des oscillations imposées par la compétition entre gravité (la matière qui s’agglomère et tend à se regrouper) et pression de radiation (les photons comprimés tendent à casser les grumeaux naissants de matière). Tout l’univers vibre alors en rythme. Ce rythme dépend de l’échelle et de la vitesse du son dans ce plasma qu’est alors l’univers, puisque ce sont des oscillations acoustiques qui parcourent le milieu chaud. Si nous pouvions mesurer précisément ces oscillations, nous serions en mesure de caractériser très finement l’état de l’Univers à cette époque, puisqu’elles dépendent notamment de la quantité de matière présente (matière ordinaire et matière noire) et d’énergie emportée par les neutrinos (dont leur masse), et nous permettent également de remonter à l’âge de l’Univers et sa géométrie. Plus important peut-être, ces vibrations ou fluctuations encodent des informations sur l’un des plus grands mystères de la science contemporaine : le déroulement des tout premiers instants de l’Univers, qui impriment aux fluctuations une signature spécifique aux grandes échelles angulaires. Les astrophysiciens, depuis les années 1960, se fixent alors le but de mesurer précisément les vibrations de l’Univers jeune. Le défi est de taille, puisque la mesure est extrêmement difficile, tant sont faibles aujourd’hui les traces de ces vibrations. Une transition importante apparaît dans l’histoire de l’Univers. Au moment où l’Univers devient transparent, vers 380000 ans après le Big Bang, ces vibrations se figent et impriment à la lumière son rythme particulier. La lumière est alors libérée de la matière, on parle de découplage ou de recombinaison puisque les électrons libres se recombinent aux protons pour laisser un univers électriquement neutre et donc transparent à la lumière. C’en est fini du plasma primordial. Cette lumière est détectable aujourd’hui sous forme d’un fond lumineux faible, essentiellement isotrope, appelé fond cosmologique ou rayonnement fossile. Il a un spectre bien défini, celui d’un corps noir de température équivalente à 2.7K. C’est un corps noir quasiparfait, puisqu’il faut mesurer une partie par cent mille (10^-5 en relatif) pour détecter des écarts : ce sont ces fameuses fluctuations qui ont pour origine les vibrations de l’univers jeune. Nous pouvons observer aujourd’hui ces infimes fluctuations de température du rayonnement cosmologique fossile avec le satellite européen Planck, pour lequel la Colloque de l’IUF, Le Rythme, Montpellier, 18-20 mai 2015 communauté française a joué un rôle majeur. Le défi est de taille : envoyer un télescope dans l’espace pouvant mesurer avec précision un rayonnement lumineux ultra faible et froid, pas seulement à 3K mais bien à quelques micro-Kelvins puisque nous cherchons à détecter finement les fluctuations. Planck est un trésor de technologie, avec notamment son système cryogénique unique au monde ayant fonctionné pendant 2 ans à la température exceptionnelle de 0.1K. Le saut technologique induit par Planck est illustré par le fait qu’une année d’observation équivaudrait à une observation avec le satellite de précédente génération (WMAP de la NASA, lancé en 2001) d’une durée de … 1000 ans environ. Planck a révolutionné notre vision de l’Univers, en apportant des mesures du fond cosmologique, mais aussi de nombreuses autres composantes astrophysiques (notre galaxie, la Voie Lactée, ou des galaxies lointaines et amas de galaxies), d’une qualité et précision impressionnantes, riches en résultats. Parmi les dernières découvertes de Planck sur le rayonnement fossile, qui encode ses premières oscillations, notons la mesure inédite de la polarisation qui recèle des informations essentielles sur le rythme des oscillations. Au terme d’une analyse longue et difficile, les mesures en polarisation nous permettront de sonder à la fois les premiers instants durant l’inflation cosmique ainsi que les époques plus récentes de formation des grandes structures de l’Univers comme les amas de galaxies et galaxies. Pour aller plus loin : - vidéo de la présentation IUF - vidéo de 17 minutes de ma conférence TEDx en avril 2015 : « Pourquoi la nuit est-elle noire ? » : https://www.youtube.com/watch?v=WA0iOK6KXK0 - Autre vidéo d’une conférence d’Hervé Dole : https://www.youtube.com/watch?v=SgIeGfkhp1M - vidéo de 2 minutes : qu’est-ce que le fond cosmologique ? http://portail.cea.fr/multimedia/Pages/videos/culture-scientifique/terreunivers/webdoc-odyssee-de-la-lumiere/qu-est-ce-que-le-fond-cosmologique.aspx - article dans Le Monde, juin 2012 : http://www.lemonde.fr/idees/article/2012/06/25/non-lanuit-n-est-pasnoire_1723675_3232.html - les résultats en français du satellite Planck : http://www.planck.fr