Espace prestataires “Docteur, j’ai pas compris… “ Expliquer clairement ce que l’on ressent, savoir si on peut boire ou manger avant un test sanguin, prendre son traitement au bon moment, déchiffrer la notice d’un médicament… Ce qui semble facile pour les uns est une épreuve pour les autres. Quatre Belges sur dix ont du mal à décrypter les informations délivrées par leur médecin. Comment les aider ? Et améliorer, par la même occasion, la capacité de ces patients à agir sur leur santé ? “Q uatre Belges sur dix ont des compétences insuffisantes en lecture et en écriture pour utiliser correctement l’information santé et comprendre les instructions du médecin.” Le Professeur Stephan Van den Broucke (UCL), spécialiste en psychologie de la santé Stephan Van den Broucke publique, a mené à deux études sur le sujet. Son constat est interpellant à l’heure où l’information santé n’a jamais été aussi abondante et accessible. Une faculté mal répartie Disposer du seuil minimum pour comprendre l’information santé est une faculté qui porte un nom : la littératie en santé. Encore peu connue en Belgique, la littératie en santé se définit comme la capacité d’un individu “à trouver, à comprendre, à évaluer et à utiliser l’information santé de base, les options de traitement qui s’offrent à lui et à prendre des décisions éclairées concernant sa propre santé”*. Une qualité très utile donc, particulièrement dans une société qui prône l’autogestion du patient (“patient empowerment”), mais qui n’est pas présente chez tout le monde au même degré. * Health Literacy. The solid facts. (2013). WHO 20 Il existe plusieurs niveaux de littératie, allant de la difficulté à lire un texte simple et à utiliser de la documentation écrite à la capacité à compiler plusieurs sources d’information et résoudre des problèmes plus complexes. Les facteurs qui peuvent parasiter la bonne communication avec le médecin sont multiples. Un problème universel L’Europe a fait de l’amélioration de la littératie en santé une de ses priorités de santé publique. La ministre fédérale de la Santé Maggie De Block a aussi déclaré vouloir “renforcer” cette aptitude au sein de la population belge. En attendant des actions concrètes, quelques chiffres éclairants, issus d’une étude européenne (European Health Literacy Survey 2011) : •47% des Européens ont un niveau trop faible en littératie en santé ; •22% éprouvent des difficultés à trouver des informations sur les symptômes des maladies qui les concernent ; 26% sur les traitements des maladies qui les concernent ; •10% ne prennent pas correctement leurs médicaments et ne respectent pas les instructions données. Espace prestataires Une scolarité insuffisante, un manque de maîtrise du français (c’est le cas pour les migrants récents), des lacunes générales dans les connaissances médicales. Le contexte a aussi une influence : une personne tout à fait armée pour comprendre les indications d’un médecin peut, dans certaines circonstances stressantes ou anxiogènes (hospitalisation d’un proche) ne plus être en mesure de traiter une information médicale de base ou de prendre une décision éclairée relative aux choix de traitement. Les aînés, un public à risque Toutes les études relèvent que plus on est âgé et plus on est susceptible de présenter un déficit en littératie en santé. “Les personnes âgées ont moins d’accès aux sources d’information modernes et peutêtre aussi moins de recul critique par rapport à ces informations, cela pourrait expliquer un niveau de littératie plus faible”, avance Stephan Van den Broucke. Souvent aussi, les personnes âgées souffrent de plusieurs maladies chroniques concomitantes et sont polymédiquées. Le risque pour elles ? Ne pas savoir pour quelle indication les médicaments à prendre leur ont été prescrits ! La difficulté à comprendre le lexique médical peut aussi prendre des dimensions handicapantes quand les patients concernés n’osent pas partager leurs difficultés, par honte ou par peur d’interroger le médecin. Si un patient n’arrive pas à traduire ses maux par des termes adéquats, s’il ne comprend pas l’importance de la prévention dans la prise en charge de sa maladie ou s’il n’est pas compliant à son traitement faute d’avoir compris les instructions du docteur, il est normal que des problèmes en découlent (état de santé qui ne s’améliore pas, consultations répétées, dépendance du patient). “Ces dernières années, la communication entre patients et soignants s’est fortement améliorée, tient à souligner Stephan Van den Broucke. La génération actuelle de généralistes prête attention à cet élément parce qu’ils y ont été sensibilisés pendant leurs études. Mais la volonté ne suffit pas ! Tous les professionnels de la santé sont confrontés à la pression et au manque de temps. Chez les médecins spécialistes, le problème est plus aigu parce que leur spécialité peut impliquer l’utilisation d’un jargon difficilement compréhensible par le commun des mortels.” Trouver “les mots pour dire les maux” Peut-on améliorer les connaissances en santé des patients et leur autonomie en améliorant le mode de communication entre soignant et soigné ? Bien sûr, on peut supposer qu’un médecin averti sera soucieux de se mettre au niveau de ses patients. Qu’il pourra évaluer très vite leurs connaissances et adapter son langage, le simplifier, bannir le jargon, s’assurer que le patient a bien compris en lui donnant la possibilité de poser des questions. Mais la pédagogie exige du temps, beaucoup de temps. “La manière dont notre système de santé fonctionne ne favorise pas l’éducation du patient, regrette Stephan Van den Broucke. On ne peut pas demander aux médecins d’assumer seuls l’éducation à la santé, c’est une responsabilité collective qui concerne de nombreux intervenants : les enseignants, les mouvements de jeunesse, les clubs sportifs, les pharmaciens, les autorités… Pour moi, il ne faut pas attendre que le citoyen devienne un patient pour l’armer en littératie. Il est possible de faciliter la mission d’éducation des médecins en mettant à leur disposition des supports d’information faciles, visuels, testés sur le public. Quand ces médecins sont soumis à la pression du temps, ils peuvent recommander à leurs patients des sources d’informations complémentaires fiables et aussi s’appuyer sur l’entourage familial qui a un rôle à jouer dans le renforcement des connaissances en santé.” On le voit, les minutes investies pour rendre ses messages plus clairs valent ici plus qu’ailleurs de l’or! Car en plus d’être un enjeu éducationnel, la littératie en santé est d’abord une question d’égalité sociale. Karima Amrous [email protected] Notices de médicaments : pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? Posologie, (contre-)indications, précautions d’emploi, effets secondaires… Faut-il avoir un master en pharmacie pour déchiffrer une notice de médicaments ? On pourrait le penser tant les notices de produits pharmaceutiques sont pour la plupart illisibles, kilométriques, voire carrément indigestes. Pourtant, s’il y a bien un domaine où des efforts de simplicité pourraient être accomplis, c’est celui-là : 27% des Européens avouent éprouver des difficultés à comprendre la notice des médicaments et 23% disent ne pas pouvoir déterminer combien de fois leur médicament doit être pris sur base de l’emballage du produit. Il faut dire qu’en Belgique, les notices n’ont jamais été considérées du point de vue de la lisibilité des informations mais bien de la légalité (les pouvoirs publics en ont fixé le contenu obligatoire mais pas la forme). Si l’objectif collectif est d’améliorer l’adhérence aux traitements, il est temps que les firmes pharmaceutiques prennent ce problème à bras le corps ! 21