“Docteur, j’ai pas compris… “
Expliquer clairement ce que l’on ressent, savoir si on peut boire ou manger avant
un test sanguin, prendre son traitement au bon moment, déchiffrer la notice d’un
médicament… Ce qui semble facile pour les uns est une épreuve pour les autres.
Quatre Belges sur dix ont du mal à décrypter les informations délivrées par leur
médecin. Comment les aider ? Et améliorer, par la même occasion, la capacité de
ces patients à agir sur leur santé ?
“Q
uatre Belges sur dix
ont des compétences
insuffisantes en lec-
ture et en écriture pour utiliser
correctement l’information santé
et comprendre les instructions du
médecin.” Le Professeur Stephan
Van den Broucke (UCL), spécialiste
en psychologie de la santé
publique, a mené à deux
études sur le sujet. Son
constat est interpellant à l’heure l’information santé
n’a jamais été aussi abondante et accessible.
Une faculté mal répartie
Disposer du seuil minimum pour comprendre l’infor-
mation santé est une faculté qui porte un nom : la
littératie en santé. Encore peu connue en Belgique,
la littératie en santé se définit comme la capacité
d’un individu “à trouver, à comprendre, à évaluer et
à utiliser l’information santé de base, les options de
traitement qui s’offrent à lui et à prendre des déci-
sions éclairées concernant sa propre santé”*. Une
qualité très utile donc, particulièrement dans une
société qui prône l’autogestion du patient (“patient
empowerment”), mais qui n’est pas présente chez
tout le monde au même degré.
Il existe plusieurs niveaux de littératie, allant de la
difficulté à lire un texte simple et à utiliser de la docu-
mentation écrite à la capacité à compiler plusieurs
sources d’information et résoudre des problèmes
plus complexes. Les facteurs qui peuvent parasiter la
bonne communication avec le médecin sont multiples.
L’Europe a fait de l’amélioration de la littératie en
santé une de ses priorités de santé publique. La
ministre fédérale de la Santé Maggie De Block a
aussi déclaré vouloir “renforcer” cette aptitude
au sein de la population belge. En attendant des
actions concrètes, quelques chiffres éclairants,
issus d’une étude européenne (European Health
Literacy Survey 2011) :
47% des Européens ont un niveau trop faible
en littératie en santé ;
22% éprouvent des difficultés à trouver des
informations sur les symptômes des maladies
qui les concernent ; 26% sur les traitements
des maladies qui les concernent ;
10% ne prennent pas correctement leurs médi-
caments et ne respectent pas les instructions
données.
Un problème universel
Espace prestataires
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Stephan Van den Broucke
* Health Literacy. The solid facts. (2013). WHO
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Une scolarité insuffisante, un manque de maîtrise du
français (c’est le cas pour les migrants récents), des
lacunes générales dans les connaissances médicales.
Le contexte a aussi une influence : une personne tout
à fait armée pour comprendre les indications d’un
médecin peut, dans certaines circonstances stres-
santes ou anxiogènes (hospitalisation d’un proche)
ne plus être en mesure de traiter une information
médicale de base ou de prendre une décision éclairée
relative aux choix de traitement.
Les aînés, un public à risque
Toutes les études relèvent que plus on est âgé et
plus on est susceptible de présenter un déficit en
littératie en santé. “Les personnes âgées ont moins
d’accès aux sources d’information modernes et peut-
être aussi moins de recul critique par rapport à ces
informations, cela pourrait expliquer un niveau de lit-
tératie plus faible”, avance Stephan Van den Broucke.
Souvent aussi, les personnes âgées souffrent de
plusieurs maladies chroniques concomitantes et sont
polymédiquées. Le risque pour elles ? Ne pas savoir
pour quelle indication les médicaments à prendre leur
ont été prescrits !
La difficulté à comprendre le lexique médical peut
aussi prendre des dimensions handicapantes quand
les patients concernés n’osent pas partager leurs
difficultés, par honte ou par peur d’interroger le méde-
cin. Si un patient n’arrive pas à traduire ses maux par
des termes adéquats, s’il ne comprend pas l’impor-
tance de la prévention dans la prise en charge de sa
maladie ou s’il n’est pas compliant à son traitement
faute d’avoir compris les instructions du docteur, il
est normal que des problèmes en découlent (état de
santé qui ne s’améliore pas, consultations répétées,
dépendance du patient).
“Ces dernières années, la communication entre
patients et soignants s’est fortement améliorée, tient
à souligner Stephan Van den Broucke. La génération
actuelle de généralistes prête attention à cet élé-
ment parce qu’ils y ont été sensibilisés pendant leurs
études. Mais la volonté ne suffit pas ! Tous les profes-
sionnels de la santé sont confrontés à la pression et
au manque de temps. Chez les médecins spécialistes,
le problème est plus aigu parce que leur spécialité
peut impliquer l’utilisation d’un jargon difficilement
compréhensible par le commun des mortels.”
Trouver “les mots pour dire les maux”
Peut-on améliorer les connaissances en santé des
patients et leur autonomie en améliorant le mode de
communication entre soignant et soigné ? Bien sûr,
on peut supposer qu’un médecin averti sera soucieux
de se mettre au niveau de ses patients. Qu’il pourra
évaluer très vite leurs connaissances et adapter son
langage, le simplifier, bannir le jargon, s’assurer que
le patient a bien compris en lui donnant la possibilité
de poser des questions. Mais la pédagogie exige du
temps, beaucoup de temps. “La manière dont notre
système de santé fonctionne ne favorise pas l’éduca-
tion du patient, regrette Stephan Van den Broucke.
On ne peut pas demander aux médecins d’assumer
seuls l’éducation à la santé, c’est une responsabilité
collective qui concerne de nombreux intervenants :
les enseignants, les mouvements de jeunesse, les
clubs sportifs, les pharmaciens, les autorités… Pour
moi, il ne faut pas attendre que le citoyen devienne
un patient pour l’armer en littératie. Il est possible
de faciliter la mission d’éducation des médecins en
mettant à leur disposition des supports d’information
faciles, visuels, testés sur le public. Quand ces méde-
cins sont soumis à la pression du temps, ils peuvent
recommander à leurs patients des sources d’infor-
mations complémentaires fiables et aussi s’appuyer
sur l’entourage familial qui a un rôle à jouer dans le
renforcement des connaissances en santé.”
On le voit, les minutes investies pour rendre ses mes-
sages plus clairs valent ici plus qu’ailleurs de l’or!
Car en plus d’être un enjeu éducationnel, la littératie
en santé est d’abord une question d’égalité sociale.
Karima Amrous
Posologie, (contre-)indications, précautions d’em-
ploi, effets secondaires… Faut-il avoir un master
en pharmacie pour déchiffrer une notice de médi-
caments ? On pourrait le penser tant les notices de
produits pharmaceutiques sont pour la plupart illi-
sibles, kilométriques, voire carrément indigestes.
Pourtant, s’il y a bien un domaine où des efforts de
simplicité pourraient être accomplis, c’est celui-là :
27% des Européens avouent éprouver des diffi-
cultés à comprendre la notice des médicaments
et 23% disent ne pas pouvoir déterminer combien
de fois leur médicament doit être pris sur base de
l’emballage du produit. Il faut dire qu’en Belgique,
les notices n’ont jamais été considérées du point de
vue de la lisibilité des informations mais bien de la
légalité (les pouvoirs publics en ont fixé le contenu
obligatoire mais pas la forme). Si l’objectif collectif
est d’améliorer l’adhérence aux traitements, il est
temps que les firmes pharmaceutiques prennent ce
problème à bras le corps !
Notices de médicaments :
pourquoi faire simple quand
on peut faire compliqué ?
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Espace prestataires
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