reportage MÉDECINE |15
«On ne peut pas être parfait
dans tous les détails»
«Honnêtement, ces mauvaises
notes me touchent peu. Avoir des
6 partout est stupide, car on ne
peut pas être parfait dans tous
les détails. Mais n’avoir que des 1
est aussi peu objectif, car on n’est
jamais mauvais partout. Bien sûr
que pour l’amour-propre c’est
plus agréable d’avoir des 6...
Quel’on puisse se renseigner sur
un médecin est bien, que les
patients puissent l’exprimer
aussi. S’ils craignent des
«représailles» des profession-
nels, on pourrait faire en sorte
que le modérateur du site
connaisse l’identité des gens qui
réagissent, sans la divulguer.
Cela permettrait de nuancer leur
point de vue. Le but du site n’est
ni d’encenser ni de vomir sur le
corps médical mais de rensei-
gner, le plus objectivement
possible.
Certaines spécialités, dont la
neurologie, sont plus exposées
que d’autres à la critique, dans la
mesure où, par exemple, les
neurologues sont appelés à se
prononcer sur l’aptitude à
conduire. Nous devons donc
parfois «retirer le permis» à un
épileptique ou à un patient
présentant une démence. Nous
leur expliquons qu’il s’agit
d’appliquer une loi et, en général,
le patient le comprend, mais pas
toujours; il risque alors de
chercher un exutoire, comme
okdoc, pour passer sa mauvaise
humeur. La plupart du temps, je
ne vois les patients qu’une seule
fois, à la demande de leur
médecin de famille, pour un avis.
Il n’y a donc pas de relation
privilégiée; je peux comprendre
que le patient se sente frustré.
Je crois que ce site contribue à
augmenter la pression sur le
corps médical, déjà amorcée par
les assureurs. Cette pression est
énorme et beaucoup de méde-
cins cessent ou réduisent leur
activité dans la région, le métier
ne correspondant plus à la
mission qu’ils s’étaient donnée au
départ.»
Eric Berrut, neurologue à Monthey
4 évaluations, moyenne: 3,8
forme permettant aux patients de
se défouler. «Je sais très bien quel-
le est la personne qui m’a mal
notée, assure une doctoresse ge-
nevoise, qui préfère garder l’ano-
nymat. Elle m’a accusée de ne pas
avoir diagnostiqué une otite qui
ne s’est déclarée que dix jours
après.» Certains patients, en pro-
cès avec leur médecin, en profi-
tent également pour exposer leur
façon de penser.
Conscient des défauts de son
site, Patrick Ducret reconnaît qu’il
est difficile d’éviter la dérive sur
internet. «C’est pourquoi nous
avons mis en place un certain
nombre de barrières, explique-t-il.
Un modérateur est chargé d’élimi-
ner les messages contenant des
injures ou témoignant d’un achar-
nement gratuit. Mais il n’est pas
toujours évident de faire la part
des choses: où se termine la liber-
té d’expression et où commence la
dérive?» Une note préventive si-
gnale en outre sur la page d’accueil
du site que «le ressenti du patient
face à la qualité des soins dont il a
été l’objet est très subjectif».
Malgré ces précautions, les
plaintes émises par les médecins
suisses ont trouvé écho auprès du
préposé fédéral à la protection des
données et à la transparence. En
juin dernier, après examen du
dossier, il a rendu son verdict en
recommandant à okdoc de suppri-
mer son site et de détruire les éva-
luations enregistrées jusqu’à pré-
sent. L’argument de Patrick
Ducret, à savoir l’intérêt public
prépondérant, n’a pas été retenu.
«Si okdoc entend continuer à of-
frir cette prestation d’évaluation
des médecins, elle devra obtenir
le consentement de chaque prati-
cien concerné.»
Une solution
intermédiaire
Okdoc ne subira toutefois pas le
même sort que note2bib. Cham-
pionne du compromis, la Suisse a
d’ores et déjà trouvé une solution
intermédiaire. «Nous sommes en
train de lancer une nouvelle for-
mule, annonce Patrick Ducret.
Les évaluations et les commentai-
res négatifs ne seront désormais
plus affichés sur internet. Okdoc
devient donc un site de recom-
mandation. En outre, les inter-
nautes seront bientôt obligés de
devenir membres du site avant de
pouvoir évaluer les médecins. Ces
mesures permettront d’éviter les
dérives.» Un projet sur lequel la
société travaille d’entente avec le
préposé fédéral. «Si nous trou-
vons une solution respectueuse de
la sphère privée, le site pourra ser-
vir d’exemple pour d’autres plates-
formes d’évaluation du même
genre», affirme même Daniel
Menna, porte-parole du préposé.
A long terme, Patrick Ducret
espère bien transformer okdoc en
plate-forme d’échange entre mé-
decins et patients. «On peut
même imaginer que les critiques
négatives parviendraient unique-
ment aux médecins concernés.
Les médecins pourraient en tirer
profit. Qui sait, okdoc deviendra
peut-être un label: comme il s’agi-
ra d’un site de recommandation,
les médecins auront tout intérêt à
y figurer!»
Dossier réalisé par
Mélanie Haab
et Tania Araman
Photos Emmanuelle Bayart
Internet: www.okdoc.ch
Le DrEric
Berrut ne se
laisse
pas toucher
par les
évaluations
laissées sur
le site.