Chine : une diplomatie tous azimuts Depuis 1979, la diplomatie de la République populaire de Chine est au service des quatre objectifs majeurs suivants : le développement économique du pays, l’ affirmation et la consolidation de son statut de grande puissance, la réunification de la nation chinoise et la survie du régime actuel. Ces objectifs peuvent sembler contradictoires, et le dernier – la stabilité du système politique dirigé par le Parti communiste instauré en 1949 – reste, comme l’ a montré le massacre de Tiananmen en 1989 ou plus récemment la préparation des jeux Olympiques de Pékin de 2008, prioritaire. Mais en même temps, la direction du P.C. chinois a constamment cherché à concilier l’ ensemble de ces buts. Ainsi, l’ effondrement de l’ Union soviétique en 1991 a persuadé Deng Xiaoping et ses successeurs, Jiang Zemin puis Hu Jintao, non seulement de poursuivre les réformes et le développement du pays mais d’ accélérer son intégration à l’ économie mondiale, seule garantie à leurs yeux de sa montée en puissance à la fois politique et militaire. De fait, pour la première fois depuis la première guerre de l’ opium (1840), la Chine pèse à nouveau de matière déterminante dans les affaires mondiales : elle deviendra la troisième puissance économique mondiale, devant l’ Allemagne, en 2009 et, si sa croissance se poursuit à ce rythme, elle devrait dépasser le Japon vers 2020 et les États-Unis aux alentours de 2040. Parallèlement, depuis 1989, l’ Armée populaire de libération (A.P.L.) est engagée dans un processus sans précédent de modernisation dont l’ objectif n’ est pas d’ atteindre une impossible parité militaire avec les États-Unis mais de crédibiliser le statut de grande puissance de la Chine, d’ abord en Asie, puis progressivement dans le reste du monde. Cela étant, la diplomatie chinoise ne s’appuie pas uniquement sur cette capacité militaire croissante. Elle fonde sa force à la fois sur l’impact désormais mondial de sa modernisation économique et sur l’exercice d’ une « puissance douce » (soft power) selon l’ expression du politologue américain Joseph Nye : un patient travail d’ influence à la fois culturel et idéologique dont elle espère qu’ il pourra avoir un impact sur les gouvernements et les sociétés situés en dehors de la zone de rayonnement traditionnel de la Chine. Afin d’ accroître son efficacité, cette méthode en douceur et la diplomatie chinoise en général doivent surmonter deux handicaps importants et appelés à durer : la montée en puissance et 834 le caractère répressif de son régime politique. Le risque pour la Chine est évidemment que ces deux réalités soient perçues par la communauté internationale – et en particulier les pays démocratiques et développés, qui se trouvent être ses principaux partenaires – comme se renforçant mutuellement. Afin de battre en brèche cette perception et de rassurer les inquiétudes des tenants du syndrome de la « menace chinoise », Pékin continue de privilégier une certaine prudence sur la scène internationale. Et, depuis son arrivée au pouvoir en 2002, Hu Jintao a mis en avant les notions d’ « ascension pacifique » et d’ « harmonie », s’ efforçant autant que possible d’ éviter les conflits et de proposer des solutions « gagnant-gagnant », tout en maintenant sa différence. Toutefois, la tentation du gouvernement d’ instrumentaliser dans ses relations extérieures le nationalisme ombrageux qu’ il continue de cultiver à l’ intérieur, pour maintenir sa légitimité au sein de la société, montre combien une fois encore la diplomatie chinoise butte sur les contradictions inhérentes à ses objectifs. Les priorités de la diplomatie chinoise après Tiananmen (1989) Au lendemain du massacre de Tiananmen, la Chine s’est efforcée de sortir de son isolement diplomatique et de s’ associer peu à peu à un plus grand nombre d’ organisations et de mécanismes multilatéraux de négociations. L’ envoi de forces de maintien de la paix au Cambodge en 1991 et la signature par la Chine du traité de non-prolifération en 1992 sont les deux premiers jalons les plus caractéristiques de cette évolution. Cependant, parallèlement, dans le monde de l’ après-guerre froide dominé par les États-Unis, le gouvernement chinois a fait de la multipolarité – ou plus exactement de la « multipolarisation » (duojihua) – une priorité. Destiné à affaiblir ce que Pékin perçoit comme « l’ hégémonisme » américain dans les relations internationales, ce discours a pour traduction diplomatico-stratégique le soutien chinois de toutes les initiatives de nature à réduire l’ influence des États-Unis. Ainsi, la constitution de nouveaux « pôles » indépendants, nationaux ou multinationaux (Union européenne, Association des nations du Sud-Est asiatique, Union africaine, Mercosur) est ouvertement appuyée par la Chine. Poursuivant ce même objectif, Pékin renforce ses Fresque représentant l’ amiral Zheng He (1371-1433) dans un temple bouddhiste de la ville de Penang, située dans le détroit de Malacca, en Malaisie. Ne pas répéter l’ erreur commise par l’ Empire du Milieu, qui renonça à s’ affirmer comme grande puissance maritime après des expéditions très prometteuses, est une obsession de la Chine contemporaine. (C. Hellier/ Corbis) relations avec les puissances grandes ou moyennes qui prennent leurs distances avec Washington, refusent de s’ aligner complètement sur cette capitale ou bien se montrent également favorables à la multipolarité. En 1996, Jiang Zemin signe un accord de « partenariat stratégique » avec la Russie de Boris Eltsine. Un an après, il établit un « partenariat global » avec la France de Jacques Chirac, puis l’ étend en 1998 à l’ Union européenne (U.E.). En 1996 également, la Chine propose à la Russie et à ses trois nouveaux voisins d’ Asie centrale (Kazakhstan, Kirghizstan, Tadjikistan) de mettre en place un groupe destiné à renforcer la sécurité des frontières et à lutter contre les forces « séparatistes, terroristes et extrémistes », cherchant par là à endiguer plus efficacement les mouvements d’ opposition ouïghours au Xinjiang. En juin 2001, ce groupe, dit de Shanghai car il fut établi dans cette ville, est rebaptisé Organisation de coopération de Shanghai (O.C.S.) et accueille en son sein l’ Ouzbékistan. De même, en 2003, Pékin établit un partenariat privilégié avec l’ Association des nations du Sud-Est asiatique (A.S.E.A.N.) et renforce son partenariat avec l’ Union européenne qui devient « global et stratégique ». Au même moment, le ministère chinois des Affaires étrangères publie un document sans précédent et ambitieux définissant sa politique à l’ égard de la même Union européenne et ses objectifs de coopération avec celle-ci. On perçoit dans cette politique une double tension : d’ une part, entre la multipolarité et le multilatéralisme et, d’ autre part, entre la multipolarité qui sert les intérêts chinois et celle qui les dessert. Depuis le début des années 2000, tirant les leçons des critiques qui ont pu lui être adressées, le gouvernement chinois, du moins dans son discours, insiste plus sur le multilatéralisme que sur la multipolarisation, quoique cette dernière tendance, jugée irréversible, continue d’ être favorisée. L’ accession de la Chine à l’Organisation mondiale du commerce (O.M.C.) en décembre 2001 n’ est évidemment pas étrangère à cette évolution. L’ unilatéralisme privilégié par l’ administration de George W. Bush non plus. Dès 2002, l’ irruption de la question nucléaire nord-coréenne donne l’ occasion au gouvernement chinois de mettre en pratique sa nouvelle approche. Il propose alors la mise en place de pourparlers à six, avec la Chine, les deux Corées, les États-Unis, le Japon et la Russie. Cette formule, après quelques difficultés à démarrer, permit à Pyongyang et Washington d’ entamer de véritables négociations, et après de multiples rebondissements – dont l’ essai nucléaire nord-coréen du 9 octobre 2006 – dus à des changements de politique de part et d’ autre, de s’ orienter vers un accord. En même temps, la Chine se montre plus favorable à l’ émergence de pôles qui ne risquent pas de lui faire ombrage (Brésil, Afrique du Sud, Iran) que de pôles susceptibles de concurrencer sa propre influence régionale (Japon, Inde). Les liens stratégiques étroits, anciens ou plus récents, entre ces deux pays et les États-Unis accusent cette distinction. C’ est pourquoi, aujourd’ hui, tout en atténuant de manière tactique ses critiques publiques à l’ égard de l’ unique superpuissance et redoublant d’ activisme dans les arènes multilatérales, Pékin s’ efforce de se hisser dans un jeu bipolaire avec Washington, qui la place très nettement au-dessus des autres capitales, y compris de Moscou ou de Bruxelles. De fait, la faiblesse économique de la Russie (10e puissance mondiale en 2007) et le caractère à bien des égards illusoire de l’ Europe comme puissance régionale encouragent cette nouvelle bipolarité. Ainsi, la Chine poursuit de conserve deux objectifs indissociables : rétablir son hégémonie en Asie et, s’ appuyant sur cette 835 Le défilé militaire organisé place Tiananmen à l’ occasion du cinquantième anniversaire de la République populaire de Chine, le 1er octobre 1999, fut particulièrement imposant et exprima sans ambages la volonté de puissance de la Chine. (R. Beck/ AFP/ Getty) puissance régionale retrouvée, consolider progressivement sa puissance mondiale. Forte d’ un indéniable décollage économique, elle est bien mieux armée qu’ hier, et sans doute que tout autre pays, pour réaliser cette double ambition. Néanmoins, devant gérer une dépendance extérieure sans précédent et consciente de sa durable faiblesse militaire par rapport aux États-Unis, elle a été contrainte de faire progressivement évoluer tant son discours et son style diplomatiques que ses positions sur un certain nombre de questions internationales. Discours, style et stratégie diplomatiques de la Chine Il est caractéristique que, désormais plus influente, en particulier sur le plan économique et commercial, la Chine ait décidé de modérer son discours et de policer le style de sa politique étrangère. Alors qu’ hier elle cultivait l’ existence même de menaces et d’ ennemis, aujourd’ hui tout se passe comme si la République populaire n’ avait plus d’ ennemis. La rhétorique sur l’ hégémonisme s’ est émoussée, « l’ ascension pacifique » (heping jueqi), un temps promue par Wen Jiabao et Hu Jintao en 2003-2004, a laissé la place au plus prudent « développement pacifique » (heping fazhan) de la Chine, une Chine qui prône, à l’ intérieur comme à l’ extérieur de ses frontières, « l’ harmonie », le compromis et la résolution pacifique des différends. Cette stratégie d’ évitement des conflits traduit un besoin de sécurité évident, au moment même où le pays connaît d’ importants bouleversements économiques et sociaux, forcé836 ment déstabilisateurs. Le régime chinois a besoin d’ un environnement pacifique pour maintenir sa stratégie de développement et garantir un accès de plus en plus vital aux produits énergétiques et autres matières premières étrangères ainsi que se donner le temps de renforcer sa puissance militaire avant d’ envisager de défier ouvertement les autres puissances de la zone Asie-Pacifique, au premier chef desquelles les États-Unis et le Japon. Il ne s’ agit donc pas pour la Chine aujourd’ hui de remettre en question l’ ordre stratégique instauré à la fin de la Seconde Guerre mondiale, mais de le faire évoluer en douceur en « attendant son heure » (tao guang yang hui), pour reprendre une expression de Deng Xiaoping souvent citée par les diplomates chinois, avant de véritablement chercher à l’ abolir et d’ imposer sa propre vision de la sécurité collective dans son environnement immédiat et, plus largement, sur le continent asiatique. C’ est également la raison pour laquelle la diplomatie chinoise est passée d’un attentisme prudent à un activisme tous azimuts, et pas uniquement à l’ O.N.U., où elle tire pleinement parti de son statut de membre permanent du Conseil de sécurité. Il est clair que, sur le fond, la politique étrangère chinoise reste axée autour des cinq principes de la coexistence pacifique mis en avant par l’ Inde puis la Chine dans les années 1950 : 1) respect mutuel de l’ intégrité territoriale et de la souveraineté ; 2) non-agression mutuelle ; 3) non-ingérence mutuelle dans les affaires intérieures ; 4) égalité et avantages mutuels et ; 5) coexistence pacifique. Au sein de ces principes, Pékin insiste depuis Tiananmen et la fin de la guerre froide sur la non-ingérence dans les affaires intérieures des autres pays car cette notion possède à l’évidence un caractère défensif qui lui permet de mieux contrecarrer toute critique extérieure de son régime politique et des atteintes graves aux droits de l’ homme que celui-ci autorise. Cependant, depuis la crise du Kosovo (1999), au cours de laquelle elle s’ était isolée en soutenant ouvertement le régime serbe de Milošević, la Chine a entrepris d’ infléchir son attitude. Aujourd’ hui son obsession est d’ éviter de se retrouver isolée sur une question internationale majeure. Ainsi, en matière de non-prolifération, après avoir directement contribué au programme nucléaire militaire pakistanais, et donc indirectement au nord-coréen du fait de la coopération secrète entre Islamabad et Pyongyang dans ce domaine, la Chine se montre plus disposée à s’ associer aux sanctions internationales prises contre les pays qui enfreindraient les règles en la matière, y compris contre ceux dont elle est proche. Par exemple, avant la guerre d’ Irak (2003), elle a approuvé la résolution de l’ O.N.U. qui imposait au régime de Saddam Hussein d’ ouvrir ses installations aux inspecteurs internationaux. Plus récemment, en octobre 2006, elle a approuvé les sanctions décidées par l’ O.N.U. à l’ encontre de la Corée du Nord, pourtant un allié de longue date, après que celle-ci eut procédé pour la première fois à un essai nucléaire souterrain. Elle s’ associe aussi aux pressions internationales contre l’ Iran afin que ce pays fasse toute la clarté sur le programme nucléaire dans lequel il est engagé, allant aussi jusqu’ à accepter en décembre 2006, avec les autres membres du Conseil de sécurité de l’ O.N.U., d’ imposer des sanctions contre ce pays. De même, en cas de catastrophe humanitaire majeure, la Chine ne s’oppose plus par principe à toute intervention internationale. Et, afin de démontrer sa bonne volonté, Pékin met en avant le plus grand nombre d’ opérations de maintien de la paix auxquelles l’ armée ou la police chinoise participent (9 en 2008, engageant environ 2 000 soldats, à Haïti, au Congo, au Liberia et au Liban). Mais toute sanction ou intervention internationale doit, aux yeux de Pékin, être approuvée par le Conseil de sécurité de l’ O.N.U. et, si possible, par les autorités locales. D’ où sa prudence et ses hésitations face à la tragédie du Darfour. Depuis 2007, la Chine soutient le déploiement de la force d’ interposition mixte O.N.U.-Union africaine (Unamid) dans cette région occidentale du Soudan et a accru ses pressions sur le régime de Khartoum. Mais ses étroites relations économiques, énergétiques – la Chine achète les deux tiers du pétrole soudanais – et militaires avec ce dernier la placent en porte-àfaux et réduisent indéniablement la force de ses pressions et la crédibilité de sa diplomatie. Pareillement, le gouvernement de Pékin reste réticent à recourir à l’ arme des sanctions contre les capitales qui refusent de coopérer avec la communauté internationale (Téhéran, Rangoon, Harare) et avec lesquelles il n’ hésite pas à maintenir des rapports denses et multiples, notamment militaires. Comme on peut le constater, le principe de non-ingérence et surtout les intérêts nationaux chinois continuent donc de freiner l’ évolution amorcée en 2001. Ainsi, la Chine a refusé au début 2008 de reconnaître l’ indépendance du Kosovo, se plaçant avec la Russie (et quelques pays européens) dans le camp des défenseurs de la sacralité du principe d’ intégrité territoriale des États. On ne peut manquer évidemment de faire le lien entre ces positions et les préoccupations de Pékin face à ses propres régions de minorités comme le Tibet ou le Xinjiang, ou encore à l’ égard de Taïwan. De fait, cette crispation chinoise se retrouve avec toute son ampleur sur cette dernière question. Alors que la Chine s’ efforce d’ apparaître comme une force de paix et de conciliation partout dans le monde, depuis le milieu des années 1990, elle amasse face à l’île qui lui échappe, une quantité croissante d’ armements, accumulation qui est directement responsable du resserrement des liens stratégiques entre les États-Unis et le Japon et de la montée du syndrome de la menace chinoise, non seulement dans ces deux pays, mais aussi dans une bonne partie de l’ Asie. Elle met aussi au jour son incapacité à reconnaître un statut international à l’ État (la République de Chine ou R.D.C.), autrefois rival mais aujourd’ hui démocratique et pacifique, qui se trouve de l’ autre côté du détroit de Formose. Certes, avec l’ élection de Ma Ying-jeou à la présidence de Taïwan et le retour au pouvoir du Kuomintang en mars 2008, une véritable détente s’ est fait jour dans le détroit de Formose, qui résulte pour partie de l’ interdépendance économique croissante entre la R.P.C. et Taïwan (125 milliards d’ échanges et plus de 100 milliards de dollars d’ investissements taïwanais en Chine). Ayant accepté contrairement à son prédécesseur, Chen Shui-bian, de tendance indépendantiste, le principe de la « Chine unique » tout en conservant sa propre interprétation (la R.D.C. et non la R.P.C.), Ma Ying-jeou souhaite négocier un accord de paix avec Pékin. Les relations s’ améliorent – des liaisons aériennes directes ont été ouvertes en juillet 2008 – et Hu Jintao, contrairement à Jiang Zemin, semble se satisfaire du statu quo et ne cherche plus à accélérer le processus de réunification sur le même modèle que Hong Kong et Macao, deux territoires revenus à la Chine en 1997 et 1999 et administrés selon la formule « un pays, deux systèmes ». Néanmoins, cette amélioration de la situation dans le détroit de Taïwan est encore fragile car le conflit de souveraineté entre Pékin et Taipei reste entier et l’ équation militaire – qui penche Rencontre entre Vladimir Poutine et Hu Jintao, à l’ occasion de la cérémonie d’ ouverture des jeux Olympiques de Pékin, le 8 août 2008. Les deux grandes puissances, sœurs ennemies à l’ époque communiste, se retrouvent aujourd’ hui sur nombre de sujets dès que ceux-ci sont susceptibles de contrer l’ hégémonie des États-Unis sur la scène internationale. (A. Maltsev/ AFP/ Getty) 837 Une étape importante dans l’ ouverture du marché bancaire chinois. En juin 2005, les dirigeants de la Bank of China fêtent l’ introduction à la Bourse de Hong Kong de leur établissement, deuxième banque du pays. (S. Sin/ AFP) irrémédiablement en faveur de la première capitale, mais continue d’ être rééquilibrée par le soutien stratégique apporté de fait par Washington à la seconde – n’ a pas commencé à recevoir un début de solution. Une tension similaire se retrouve autour de l’ organisation par la Chine des jeux Olympiques de 2008. À trop vouloir utiliser cette rencontre internationale pour promouvoir non seulement la réussite économique du pays mais ce qu’ il appelle la « renaissance » de la nation chinoise, le Parti communiste chinois a contribué à politiser outre mesure l’ événement, attirant sur lui les critiques de l’ ensemble des mouvements qui avaient quelque chose à lui reprocher (Darfour, Tibet, droits de l’ homme), et ceci en dépit du fort courant de solidarité internationale que le tremblement de terre du Sichuan, survenu en mai 2008, a pu momentanément susciter. On touche donc là à la contradiction principale de la politique internationale de Pékin. Tactiquement ouverte et flexible, mais sur le fond intraitable et avant tout désireuse de défendre la légitimité de son régime politique autoritaire, la Chine populaire reste plus à même d’ éviter les conflits internationaux qui la touchent que de les résoudre. Les principaux partenaires de la Chine Les principaux partenaires de la Chine sont et resteront les États-Unis, d’ abord, puis le Japon, pour des raisons à la fois économiques et stratégiques. Avec l’Union européenne, ces pays constituent les principaux marchés extérieurs de la R.P.C. : ils écoulent près des trois quarts des exportations chinoises ; ils constituent aussi pour l’ économie chinoise une source essentielle d’ investissements extérieurs et de technologies modernes. Mais, en même temps, la Chine baigne dans un environnement régional dans lequel elle s’ efforce de s’ intégrer à la fois économiquement et politiquement, mettant en avant depuis le début des années 2000 une diplomatie de « bon voisinage » qui a porté ses fruits. Celle-ci s’ est avant tout concentrée sur les dix pays de l’ A.S.E.A.N. – avec lesquels elle a mis entre parenthèses le conflit territorial de la mer de Chine méridionale en 2002 – et la Corée 838 du Sud, qui sont également des partenaires commerciaux essentiels de la Chine (203 et 160 milliards de dollars d’ échanges en 2007 respectivement). Cependant, elle s’ est rapidement étendue à ses voisins continentaux, comme la Russie, les nouveaux États indépendants d’ Asie centrale et l’ Inde. Enfin, aujourd’ hui la diplomatie chinoise s’ attache aussi à développer des relations de plus en plus nourries avec des régions du monde où, dans un passé récent, elle était encore très peu influente, telles l’ Afrique, l’ Amérique latine et le Moyen-Orient. On le sait, elle y trouve une part croissante du pétrole, des matières premières, du bois et des produits agricoles dont son économie a besoin. Mais cet activisme diplomatique n’ est pas uniquement commercial, il est aussi politique et stratégique : il est destiné à consolider le statut de très grande puissance de la Chine et son image de seul pays capable de véritablement rééquilibrer, sur tous les plans, y compris en matière culturelle, la domination américaine. La multiplication des instituts Confucius, créés sur le modèle des Alliances françaises (environ 150 en 2008), témoigne de cette nouvelle ambition. Les relations avec les États-Unis sont pour la Chine primordiales mais difficiles. Fascinée par la puissance économique et militaire américaine, la société et les responsables chinois rêvent de rattraper, voire de dépasser l’unique superpuissance de la planète. Mais, en même temps, la Chine est consciente de son retard et de la nécessité de coexister de manière pacifique avec un pays qui reste largement responsable de la sécurité en Asie orientale. Elle sait aussi que son interdépendance économique croissante avec les États-Unis – en 2007, excédent commercial de 256 milliards pour des échanges s’ élevant à 387 milliards de dollars, et réserves en devises de plus de 1 300 milliards de dollars, dont une grande partie en bons du trésor américain – permet à cette relation de demeurer relativement stable en dépit des insurmontables différends qui opposent les deux capitales. Le plus grave d’ entre eux demeure Taïwan, question sur laquelle, depuis leur normalisation en 1979, Pékin et Washington s’ accordent sur le maintien d’ un statu quo dont ils ne contrôlent pas complètement l’ évolution, tout en entretenant une confrontation militaire qui réduit dans une large mesure les options qui s’ offrent aux parties en présence. Les autres sujets de discorde, qu’ ils touchent aux difficultés économiques liées au non-respect par la Chine des règles de l’ O.M.C., en particulier les problèmes de propriété intellectuelle, ou aux questions stratégiques – tels le respect sélectif par Pékin des règles de non-prolifération ou l’ opacité et la rapidité de la modernisation militaire chinoise – contribuent régulièrement à tendre les rapports bilatéraux, sans pour autant conduire à de véritables crises ouvertes entre les deux pays. Car, de part et d’ autre, on est conscient que la relation sino-américaine est devenue la plus importante relation bilatérale au monde et que son évolution aura une influence déterminante sur la vie internationale. Par conséquent, Pékin et Washington se concertent sur un nombre croissant de sujets et pas uniquement les plus traditionnels comme la Corée du Nord mais aussi les crises internationales comme le Darfour. Et ces deux capitales sont d’ une certaine manière condamnées à œuvrer à l’ adoption de vues et de politiques convergentes sur les grandes questions globales de la planète (réchauffement climatique, lutte contre le terrorisme, éradication de la pauvreté, gestion des risques sanitaires transnationaux, etc.). Les relations avec le Japon n’ ont jamais été aisées pour la Chine. Premier État non occidental à réussir son développement économique, le Japon demeure à bien des égards, sinon un modèle, du moins une incontournable référence pour les élites chinoises. Depuis leur normalisation en 1972, ces deux pays ont connu un rapprochement politique et économique indéniable. Aujourd’ hui, avec plus de 236 milliards de dollars d’échanges (2007), les économies chinoise et japonaise n’ ont jamais été aussi interdépendantes. Mais la montée en puissance de la Chine ainsi que le maintien dans ce pays d’un régime autoritaire et nationaliste ont nourri le syndrome de la « menace chinoise » au Japon et favorisé un resserrement des liens stratégiques nippo-américains. Inversement, la Chine accepte difficilement cette dernière évolution en raison notamment de son impact sur la situation dans le détroit de Taïwan et plus généralement reste réticente à organiser, sur un pied d’ égalité avec le Japon, l’ autre puissance militaire régionale, l’ édifice de sécurité collective dont l’Asie orientale a besoin. Pékin s’ est efforcé de stabiliser les relations avec Tōkyō à l’ occasion du remplacement du Premier ministre Koizumi Junichiro par Shinzo Abe en 2006, et plus encore avec l’ arrivée de Fukuda Yasuo au pouvoir un an plus tard. Ainsi, en juin 2008, les deux capitales ont trouvé un accord sur l’ exploitation en commun du pétrole et du gaz de la mer de Chine orientale, une zone économique exclusive qui reste contestée par les EFVYQBZT$PNNFQPVSMJOTPMVCMFRVFTUJPOEFTÔMFT4FOLBLV Diaoyu, la Chine et le Japon décidaient donc de laisser de côté leur différend territorial. Cependant, les relations sino-japonaises sont vouées à demeurer délicates. D’ une part, le Parti communiste reste tenté d’ instrumentaliser les sentiments d’ hostilité à l’ égard du Japon qu’ il a lui-même cultivés au sein de la société chinoise, notamment autour des questions liées à l’ histoire (sanctuaire de Yasukuni, massacre de Nankin, etc.), dans le but d’ affaiblir l’ influence diplomatique du Japon, d’ asseoir la prééminence de la Chine en Asie ou tout simplement de renforcer sa légitimité intérieure. Les manifestations antijaponaises du printemps de 2005 ou la perpétuation dans les manuels scolaires ou les médias d’ une image d’un autre âge du Japon (agressif et revanchard) témoignent de l’ ambiguïté des autorités chinoises à l’ égard de son principal voisin, et concurrent stratégique. L’ Union européenne est pour la Chine un partenaire commercial primordial (le premier depuis 2004) mais un partenaire politique secondaire. Le gouvernement chinois courtise l’ U.E. à la fois parce que celle-ci constitue la source la plus aisément disponible de technologies modernes, mais aussi car il espère, de manière quelque peu volontariste, que l’U.E. puisse devenir une sorte de contrepoids économique et politique, sinon stratégique, à la domination des États-Unis. Or l’ U.E. est constituée de 27 États membres dont les intérêts sont loin de tous converger dans les deux directions souhaitées par Pékin. Exercice de tir d’ un destroyer de la marine taïwanaise, au large d’ Ilan, sur la côte est de l’ île. Destinées à montrer la détermination de Taipei face à Pékin, les manœuvres combinées organisées en juillet 2006 ont mobilisé des moyens tout à fait exceptionnels. (S. Yeh/ AFP/ Getty) 839 Coopérant chinois donnant des instructions sur un chantier de voirie à Addis-Abeba (Éthiopie). En l’ espace d’ une quinzaine d’ années, la présence de conseillers ou de travailleurs chinois en Afrique s’ est renforcée au point d’ inquiéter les puissances coopérantes traditionnelles, qui sont aussi – hormis les États-Unis – d’ anciennes puissances colonisatrices. (S. Maina/ AFP/ Getty) D’ une part, l’ U.E. partage avec les autres pays développés (États-Unis, Japon) les mêmes préoccupations commerciales – un déficit commercial croissant estimé à 250 milliards pour un total d’ échanges de 460 milliards de dollars en 2007, atteintes multiples à la propriété intellectuelle – et se trouve soumise aux fortes pressions protectionnistes de certains secteurs ou États membres, interdisant pendant encore longtemps d’ accorder à la Chine le statut plus favorable d’ économie de marché. D’ autre part, alliés des États-Unis et membres de l’ O.T.A.N. pour la plupart, les pays européens ont du mal à s’ accorder sur une politique cohérente sur le plan militaro-stratégique à l’ égard de la Chine, ne parvenant ni à lever l’embargo sur les ventes d’ armes décidé après Tiananmen ni, inversement, à s’ accorder sur tout contrôle des exportations sensibles en direction de ce pays. En d’ autres termes, les relations sino-européennes ne sont pas la somme des relations bilatérales développées par Pékin avec les principales capitales du Vieux Continent. Et ces relations, que ce soit avec la France, l’ Allemagne ou le Royaume-Uni, sont condamnées à conserver une grande partie de leur spécificité tant que ces trois pays en particulier ne parviennent pas à mieux coordonner leur politique étrangère. Principal allié, de plus rival de la Chine à l’ époque soviétique, la Russie est aujourd’ hui un partenaire secondaire de Pékin, même si de part et d’autre le « partenariat stratégique » établi en 1996 tend à être exagéré afin d’ être instrumentalisé face aux Occidentaux. Certes, paradoxalement, les relations entre Moscou et Pékin se sont stabilisées puis améliorées après l’ effondrement de l’ Union soviétique en 1991. En 2001, 840 un traité de « bon voisinage et de coopération amicale » a été conclu, favorisant le règlement définitif, trois ans plus tard, des différends frontaliers. La coopération militaire s’ est rapidement développée, faisant de la Russie le principal fournisseur d’ armements modernes à la Chine. Mais celle-ci tend à s’ essouffler. Bien qu’ en hausse, les échanges commerciaux demeurent bien inférieurs à ceux que ces deux pays entretiennent avec l’ Occident ou le Japon (48 milliards de dollars en 2007) et trop centrés sur les armements, le pétrole ou, plus récemment les achats de produits chinois bon marché (déficit russe de 9 milliards en 2007). Enfin, en Asie centrale, en dépit de leur appartenance commune à l’ O.C.S., Chinois et Russes restent dans une situation de concurrence économique, énergétique et stratégique qui tend à relativiser une entente avant tout dictée par les circonstances. Longtemps marquées par le conflit frontalier de 1962, les relations entre la Chine et l’Inde n’ ont connu que récemment un essor politique et économique. Le lancement des réformes économiques indiennes au début des années 1990, l’ accession de New Delhi au statut de puissance nucléaire à part entière en 1998 puis le rapprochement stratégique indo-américain au début des années 2000 ont convaincu Pékin d’ accorder une plus grande importance à ce pays. Les contacts politiques se sont multipliés ; la coopération militaire se développe, les échanges commerciaux ont fait un véritable bond en avant (39 milliards en 2007 contre 2 milliards en 1999), la question du Tibet a été marginalisée, Delhi ayant accepté en 2006 de restreindre les activités des partisans du dalaï-lama. Et les négociations sur le vieux conflit frontalier hérité de l’ époque coloniale ont avancé. De ce fait, quoique la Chine ait maintenu d’ étroites relations, notamment militaires, avec le Pakistan, sa diplomatie en Asie du Sud s’ en est vue rééquilibrée. Il n’ en demeure pas moins une persistante méfiance entre les deux géants démographiques de l’ Asie. Les différences de régime politique entre la Chine et l’ Inde, leur concurrence commerciale croissante (notamment en Asie et en Afrique) ainsi que leurs ambitions partagées de grandes puissances du Sud ne peuvent que freiner toute entente véritable entre les deux versants de l’ Himalaya. Outre ces grands partenaires, Pékin s’ attache depuis le début des années 2000, à développer ses relations avec tous les pays du monde, afin notamment d’ accroître l’ isolement diplomatique de Taïwan (23 partenaires diplomatiques contre 171 pour la R.P.C.). Mais, l’ activisme diplomatique de la Chine vise aussi à resserrer ses liens avec les pays du Sud, dont elle continue, en dépit de sa modernisation économique, de prétendre être l’ un des principaux leaders, et de fait le seul représentant permanent au sein du Conseil de sécurité de l’ O.N.U. D’ où sa réticence, en dépit de son approbation de principe, face à toute réforme de ce conseil. C’ est avec l’ Afrique que les relations se sont le plus rapidement développées. Stimulés par un commerce grandissant dû à VOBDDSPJTTFNFOUEFTJNQPSUBUJPOTDIJOPJTFTEFQÏUSPMFEF ses achats extérieurs) et des achats africains de produits chinois (73 milliards de dollars en 2007 contre 10 milliards en 2001), ces liens sont aussi politiques (Afrique du Sud, Kenya, Nigeria) et militaires (Algérie, Soudan, Zimbabwe). La Chine est désormais le deuxième partenaire économique de l’Afrique subsaharienne, derrière les États-Unis. Mais les mêmes facteurs économiques et les motivations politiques ont aussi favorisé un essor des rapports entre la Chine et l’ Amérique latine. Le Venezuela, du fait de son pétrole et de son antiaméricanisme, le Brésil en raison de son poids régional et de son potentiel économique (en particulier agricole) ou le Chili (cuivre) sont devenus des partenaires importants de Pékin. Avec le Mexique, les rapports sont plus concurrentiels en dépit du « tiers-mondisme » de ce pays ainsi que de son rôle d’intermédiaire entre les entreprises chinoises et le marché américain (A.L.E.N.A.). Enfin, au Moyen-Orient, la Chine est aussi de plus en plus présente. Elle y achète la moitié de son pétrole (Arabie Saoudite, Oman, Iran) mais elle y a aussi développé des relations politiques et militaires privilégiées avec des pays aussi différents que l’ Iran, l’ Égypte et Israël. Si elle a condamné l’ intervention américaine en Irak, elle a rapidement normalisé ses relations avec le nouveau régime de Bagdad. Ce jeu d’équilibre, voire d’ équilibriste, met au jour à la fois les intérêts et les ambiguïtés de la Chine sans pour autant réduire dans cette partie du monde pour l’ heure sa marge de manœuvre car son influence politique, notamment sur la résolution du conflit israélo-palestinien, y reste secondaire. Comme on peut le constater, la diplomatie chinoise a fait preuve ces dernières années à la fois d’un dynamisme et d’ une capacité d’ adaptation sans précédent. Élaborée de manière très centralisée par le Parti communiste – notamment le groupe dirigeant du P.C. présidé par Hu Jintao lui-même –, elle est mise en œuvre par un nombre croissant d’ acteurs administratifs (les ministères des Affaires étrangères et du Commerce en particulier), économiques (les grandes sociétés nationales mais aussi les P.M.E.), culturels (instituts Confucius, universités), provinciaux et municipaux. En outre, tout en promouvant la « démocratisation des relations internationales », la politique étrangère chinoise reste définie par un pouvoir qui refuse d’ étendre ce principe à son propre régime intérieur, mais surtout qui se voit comme la première puissance mondiale du milieu de ce nouveau siècle. On a donc affaire à un paradoxe qui n’ est pas sans précédent mais qui, en raison du poids de l’ acteur « Chine » dans les affaires mondiales, est source de tensions, d’ interrogations et d’ incertitudes. Jean-Pierre CABESTAN Bibliographie t3Ash, China’ s Integration in Asia : Economic Security and Strategic Issues$VS[PO3JDINPOEt+1Cabestan, « The Chinese Factor : China between multipolarity and bipolarity », in G. Boquérat et F. Grare dir., India, China, Russia. 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