HISTOIRE POLITIQUE DU ROYAUME D`UGARIT

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HISTOIRE POLITIQUE
DU ROYAUME D'UGARIT
Reproductions de la couverture.
La déesse KU BABA (Dessin de V. Tchernychev),
Archéologie XI (J.M. Lartigaud)
Directeur de publication: Michel Mazoyer
Directeur scientifique: Jorge Pérez Rey
Comité de rédaction
Trésorière: Christine Gaulme
Colloques: Jesus Martinez Dorronsorro
Relations publiques: Annie Tchemychev
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Comité scientifique
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Florence Malbran-Labat, Michel Mazoyer, Dennis Pardee, Nicolas Richer
Avec la collaboration artistique
de Jean-Michel Lartigaud et Vladimir Tchernychev
Ce volume a été imprimé par
@ Association KUBABA, Paris
Collection KUBABA
Série Antiquité XI
JACQUESFREU
HISTOIRE POLITIQUE
DU ROYAUME D'UGARIT
Association KUBABA, Université de Paris I,
Panthéon - Sorbonne,
12 Place du Panthéon 75231 Paris CEDEX 05
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(Ç)L'Harmattan, 2006
ISBN: 2-296-00462-8
EAN : 9782296004627
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Sommaire
Il
15
Sommaire
Introd ucti on
Chapitre I : Ugarit entre le Mitanni et l'Egypte
(c.1550-1330 av.J.C.)
1 Ugarit et la confédération mitannienne
2 Ugarit et l'Egypte (c.1440-1330 av.J.C.)
a) Les débuts de la prépondérance égyptienne
b) Ammistamru II (*1) entre
Egyptiens et Hittites (1360-1340 av.J.C.)
c) Ugarit et le premier« raid» de Suppiluliuma:
La lettre EA 45 de Ammistamru II
d) L'offensive de Suppiluliuma
(the « great (one year) syrian war») et
l'incendie du palais d'Ugarit
e) La fin de la domination égyptienne et les
débuts du règne de Niqmaddu III
(c.1340-1330 av.J .C)
Chapitre II: Les débuts de la domination
(c.1330-1315 av.J.C.)
1
2
3
25
30
30
32
36
43
50
hittite à Ugarit
Le traité Niqmaddu Aziru
Le ralliement d ' Ugarit au roi de ijatti et les
accords Suppiluliuma- Niqmaddu
(c.1330av.J.C.)
Les suites du ralliement d' Ugarit au ijatti
55
58
64
Chapitre III : La consolidation du pouvoir hittite et le règne de
Niqmepa VI (c.1310-1260 av.J.C.)
1
2
3
4
5
6
7
8
9
Le règne de Arbalbu (c.1315-1310 av.J.C.)
Le traité Mursili-Niqmepa (c.1310 av.J.C.)
La confirmation des frontières
La sécession du royaume de Siyannu-Usnatu
et la probable diminution du tribut
La nouvelle donne politique et l'offensive
de Séthi I en Syrie
La bataille de Qades (mai 1274 av.J.C.) et
la « lettre du général»
Niqmepa VI et ijattusili III
La reine Ahatmilku et l'alliance avec
l'Amurru
Urbi- Tesub en Syrie et à Ugarit ( ?)
Chapitre IV : Le règne de AmmiStamru
(c. 1260-1230 av.J.C.)
2
3
4
69
71
75
76
78
80
87
88
91
III
Les débuts du règne et les relations avec les
pays VOISIns
95
Les relations avec le « royaume» de
103
Siyannu-Usnatu
106
Les « scandales» de la fin du règne
a) L'exil des fils de la reine-mère
106
b) La« fille de la Grande Dame », son
« grand péché» et sa condamnation
108
Le poids de la puissance hittite et le rôle de
115
Karkemis
12
Chapitre V : La guerre assyrienne
(c.1230-1220 av. J.C.)
1
2
3
et le règne d'Ibiranu
VI
121
124
Le roi Ibiranu
Siyannu-Usnatu
Le conflit avec le roi d'Assyrie
Tukulti-Ninurta (c.1230-1223 av.J.C.)
126
Chapitre VI : Les derniers rois d'Ugarit
(c.1220-1185 av.J.C.)
137
1 Niqmaddu IV (c.1220-1210 av.J.C
2 La reine Sar(y)elli et la
régence du roi Ammurapi II
3 Le« cercle de la reine» et les milieux
d'affaires à la fin de l'âge du Bronze
4 Le« règne personnel» de Ammurapi II
Chapitre
VII:
Les relations
internationales
d'Ugarit
144
152
158
à la fin de
l'âge du Bronze
1
2
3
4
5
6
7
8
9
Ugarit et les autorités hittites
Siyannu-Usnatu et Ugarit
Ugarit et l'Amurru
Qades, Barga, Hazor et Ugarit
Les ports de « Phénicie» : Byblos
(et Batruna), Beyrouth, Sidon, Tyr et
le pays de Canaan
Ugarit et l'Egypte
Emar, les pays de l'Euphrate et l'Assyrie
Alasiya et Ugarit
Les pays égéens et Ugarit
13
165
177
181
184
187
194
200
209
213
Chapitre VIII: La fin d'Ugarit
1
2
3
4
5
Les « Peuples de la Mer»
Sécheresses et disettes aux alentours de
l'année 1200 av.J.C.
La lettre de Beya et la chronologie
de la crise
Les textes d'Ugarit et les derniers jours
de la cité
La ruine de ijattusa et la ruine d'Ugarit
217
223
228
234
243
Conclusion
249
Chronologie
259
Bibliogra phie
261
Abréviations
307
Cartes
313
14
INTRODUCTION
Les campagnes de fouilles menées à partir de 1929 par
C.F.A. Schaeffer et ses collaborateurs sur les sites voisins de
Ras Shamra et de Minet el-Beida, au nord du grand port syrien
de Lattaquié, ont abouti en quelques années à la découverte
d'une importante cité de l'âge du Bronze, Ugarit, sur le tell de
Ras Shamra, et de son avant-port, Ma'badu, à Minet el-Beidal.
L'ouverture d'un chantier public sur le promontoire de Ras Ibn
Hani, situé à quelques kms au sud-ouest, a fourni l'occasion à
une mission franco-syrienne de mettre à jour, à partir de 1979,
deux palais contemporains des bâtiments «récents» fouillés
sur le site principal. Les ruines de la « capitale» et de Ras Ibn
Hani (très probablement l'antique Resu)2, temples, palais et
demeures de notables abritaient des milliers de tablettes et de
fragments couverts de signes cunéiformes. Les textes rédigés en
akkadien (assyro-babylonien),
langue dont les spécialistes
avaient percé le secret depuis des lustres, ont été traduits les
premiers et ont rapidement permis de retracer I'histoire des
deux derniers siècles de la cité3. D'autres ont révélé l'existence
d'un alphabet cunéiforme consonantique, utilisé pour rédiger
des textes en ougaritique, la langue sémitique occidentale
(proche de I'hébreu et du phénicien) qui était celle du peuple
d'Ugarit4. Quelques tablettes écrites en hittite (nésite), en
hourrite ou en cypro-minoen ainsi que de rares inscriptions
1 Schaeffer, 1929, 289-297, puis rapports annuels dans la même revue
(Syria) ; 1948,8-39 (stratigraphie du site) ; 1939-1978, Ugaritica I-VII (éd.);
1955-1970, PRU II-VI (éd.)
2 Astour, 1981a, 10; van Soldt, 1999, 771-773 ; Na'aman, 2004, 33-39 ; cf
Bounni, Lagarce, 1. et E., 1998
3 Schaeffer, 1939,168-203 : bibliographie des travaux de nombreux savants,
Albright, Bauer, Dhorme, Dussaud, Virolleaud, etc., consacrés aux premières
publications de textes et au déchiffrement de r ougaritique ; Nougayrol, 1955,
PRU III; 1956, PRU IV; 1968, Ug V, 1-446; 1970, PRU VI (textes
akkadiens) ; Lackenbacher, 2002, Textes Akkadiens d'Ugarit (TAU)
4 Virolleaud, 1955, PRU II ; 1960, PRU V (textes alphabétiques) ; éditions du
corpus alphabétique:
Gordon, 1947 (UH); 1965 (UT); Herdner, 1963
(CT A); Dietrich, Loretz, Sanmartin, 1976 (KTU) ; 1995 (CA T=KTU2)
hiéroglyphiques égyptiennes, montrent qu'il a existé à Ugarit, à
certaines époques, des« colonies» d'étrangers, formées surtout
de marchands et de dignitaires originaires des pays voisins et en
particulier du Ijatti au cours de la période de domination hittite,
au XIVème et au Xlllème siècle av.l.C. , ce qui est bien attesté
à la fois par les textes akkadiens et ougaritiques5.
La documentation retrouvée à Ras Shamra et, secondairement, à
Ras Ibn Hani, a révélé, au moins dans ses grandes lignes,
I'histoire de l'une des principautés syriennes qui ont joué un
rôle important dans la vie politique, diplomatique
et
économique de l'Orient ancien à l'âge du Bronze et qui ont été
l'enjeu des rivalités entre les grandes puissances, Egypte,
Mitanni, Ijatti et Assyrie, du XVème au début du Xllème siècle
avant notre ère.
Baigné à l'ouest par la Méditerranée, le royaume d'Ugarit
s'étendait vers l'est jusqu'à la dépression marécageuse du Ghâb
et jusqu'aux
crêtes difficilement franchissables du lebel
Ansariyé. Vers le nord la zone montagneuse du lebel Akra (le
mont Casius), domaine du dieu de l'orage, Ba'al (Adad/Haddu),
séparait le pays d'Ugarit du royaume voisin du Mukis (la
plaine d'Amuq)6. Au sud les rois d'Ugarit
ont longtemps
étendu leur domination sur la petite principauté vassale de
Siyannu-Usnatu qui les séparait du vaste royaume de l' Amurru
couvrant une partie de l'actuel Liban7. Au total plus de 2000
km2 pour l'Ugarit proprement dit (sans Siyannu-Usnatu), dont
l'étendue était comparable à celle du Mukis. Le tell de Ras
Shamra occupait une superficie d'un peu plus de 22ha, très
proche de celle de la cité d'Alalau (tell Açana), la capitale du
Mukis. Il est donc probable que les calculs portant sur la
démographie antique, qui bénéficient à Alalau de l'existence de
nombreux « census », doivent aboutir à des résultats proches en
ce qui concerne les deux états voisins. Il est dans ces conditions
5 Laroche, 1955, 323-335 ; 1968, 447-554 (textes hourrites) ; 1956, 97-160
(sceaux et hiéroglyphes hittites) ; 1968, 769-772 (textes hittites) ; Masson, O.,
1956, 233-250 ; Masson, E., 1974, passim (textes cypro-minoens) ; Dietrich,
Mayer, 1999, 58-75 (textes hittites et hourrites) ; cf. Salvini, 1995, 89-97
6 Astour, 1981a, 7-9 (carte p.12); van Soldt, 1997,683-703 (carte p.703)
7 Astour, 1979, 13-28 (Siyannu-Usnatu);
Singer apud Izre'el, 1991, 134-195
(histoire de l'Amurru)
16
raisonnable d'admettre que l'Ugarit comme la plaine d'Amuq
(le cœur du Mukis) avaient à l'âge du Bronze Récent une
population de villageois, de citadins, de semi -nomades (les
Sutu) et de « déclassés» (les babiru) comprise entre 30000 et
50000 habitants dont un sixième environ (de 5000 à 8000
personnes) était installé dans la capitale8.
Bien située à l'extrémité occidentale de la route qui menait du
coude de l'Euphrate, vers Emar, à la côte méditeITanéenne,
Ugarit contrôlait une partie importante du trafic en direction ou
en provenance
de la Mésopotamie, d'Alasiya (Chypre), de
Kaptara (la Crète) et de l'Egypte dès l'époque du Bronze
Moyen (c.2000-1550 av.J.C.). La cité possédait certainement
alors une chancellerie et des scribes capables de maîtriser
l'écriture cunéiforme et la langue akkadienne, devenues les
grands moyens de communication entre les pays lettrés de
l'Orient asiatique. Aucun document écrit de ces temps anciens
n'a jusqu'à présent été retrouvé à Ras Shamra alors que
quelques-uns ont été découverts ailleurs en Syrie-Palestine9.
Mais le développement spectaculaire de l'urbanisation de la
ville et la construction d'un puissant rempart au XIXème siècle
avant notre ère ont accompagné le développement du trafic et
des relations diplomatiques avec les cités mésopotamiennes et
le royaume de Yambad (Alep) à l'est et avec Chypre, la Crète et
l'Egypte à l'ouest et au sud. La trouvaille de statues égyptiennes
volontairement mutilées ou mises en pièces, dont deux sphinx
du pharaon Amenemhet III, qui a régné de 1853 à 1806/1805
av.J.C. (selon von Beckerath)lO, des statuettes de pierre noire, la
statue du vizir Senwsret-ankh accompagné de sa femme et de sa
fille, celle d'une princesse royalell, a alimenté la polémique
concernant le caractère de l'influence (ou de la domination)
égyptienne sur la couloir syro-palestinien à l'époque de la
XIIème dynastie et au début de la XIIIème12. L'étude de la
8
Liverani,
1979, col. 1314-1323
; 1982,250-258
; Serangeli,
1978,99-131
Garr, 1987,31-42
9 Horowitz,
1996,268-269
; Horowitz, Wasserman,
2000,153-158
10
von Beckerath,
1997, table p.189
Il
Schaeffer,
1939, 20-25 ; pl.ITI (1/2), IV et V ; fig.ll p.19 et 12 p.20
12
Cf. Yon, 1991,275-281 ; Singer, 1999,614-616
17
;
stratigraphie des couches de débris où ces sculptures ont été
découvertes semble bien montrer qu'il ne peut s'agir, comme le
voulait Helckl3, d'objets dispersés à l'époque de la domination
des Hyksos en Egypte mais bien de «présents»
faits aux
princes ou aux dieux d'Ugarit par les pharaons contemporainsl4.
La ville et son port ont été des centres importants de trafic en
direction de la vallée du Nil à l'instar d'autres cités de la région
qui ont livré des « aegyptiaca » de la même époque comme le
port de Gubla (Byblos) ou Ebla (tell Mardikh) en Syrie
15
intéri eure .
Les seuls témoignages écrits concernant Ugarit à l'âge du
Bronze Moyen proviennent cependant non de l'Egypte mais de
la capitale du grand royaume du moyen Euphrate, Mari, et plus
précisément du palais de son roi, Zimri-Lim. Ce dernier avait
dû s'exiler à Alep après la mort de son père et l'installation
dans sa ville de la dynastie amorrite du roi d'Assur (et de haute
Mésopotamie), Samsi-Addu. Devenu le gendre du Grand Roi de
Yambad, Yabdun-Lim, qui régnait à ijalab (Alep), Zimri-Lim a
profité de la mort de son adversaire pour chasser le fils de celuici et rentrer dans sa capitale avec l'aide de son beau-père.
Longtemps allié du roi de Babylone, ijammurabi, il a voulu
faire un voyage jusqu'aux rivages de la « mer supérieure», la
Méditerranée, pour y accomplir les actes rituels symbolisant la
victoire du dieu de l'Orage sur la Mer (Yam, pour les gens
d'Ugarit)16. Il ne s'agissait pas pour lui d'une expédition
guerrière accomplie à l'imitation des anciens souverains,
Sargon d'Akkad ou Naram-Sin, mais plus prosaïquement d'un
«voyage d'agrément» effectué à travers des territoires que
contrôlait son allié. Accompagné de dignitaires et de son harem,
le roi de Mari a longé vers l'amont le cours de l'Euphrate pour
gagner par petites étapes Alep puis Ugarit dont on soupçonne
que le prince était alors placé sous la dépendance du Grand Roi
13
HeIck, 1976,101-114; 1995,87-90; Singer, 1999,614-616
14 Ward, 1979, 799-806
15
Montet,
1928 (Byblos)
129 (Ebla)
16 Durand, 1993, 41-61
; Scandone-Matthiae,
18
1984,
181-188;
1989,
125-
de Yambad, même s'il n'en était pas formellement le vassal17.
On peut fixer la date de ce déplacement à 1765 av.J.C. (en
chronologie moyenne)18. L'importance de l'événement sur le
plan économique a été aussi grande que sur le plan politique.
L'expédition a apporté aux princes qui l'hébergeaient et aux
cités qui l'abritaient textiles de qualité, bij oux de lapis-lazuli et
surtout de grandes quantités d'étain destinées en partie à des
contrées plus lointaines, Qatna en Syrie et la Crète par
exemple19. Le métal avait été fourni par les rois élamites
Seplarpak d'Ansan et Kudusulus de Suse qui contrôlaient la
route de l'étain entre le plateau iranien et la Mésopotamie. Peu
de temps après « l'homme d'Ugarit» a fait parvenir à ZimriLim par l'intermédiaire du nouveau roi d'Alep, ijammurapi, fils
de Yabdun-Lim, un court message dans lequel il manifestait son
souhait de visiter le palais de Mari20. Curieusement ces
documents mariotes laissent dans un complet anonymat le roi
d'Ugarit qui a été le contemporain des grands souverains de la
Mésopotamie d'alors. La découverte à Ras Shamra de plusieurs
listes royales et leur publication par Arnaud permettent de
donner un nom aux rois d'Ugarit de cette époque, sans pouvoir
préciser leur chronologie21. Divers indices laissent à penser que,
comme à Babylone ou à Assur par exemple, ce sont alors des
clans amorrites qui ont pris le pouvoir dans de nombreuses cités
syriennes22.
La liste des «ancêtres », réels ou supposés, qui a été
pieusement conservée jusqu'à la fin par les souverains d'Ugarit,
était destinée au culte des «mânes» des rois défunts23. Les
premiers noms se présentent ainsi:
1. Ugaranu
2. Amqunu, c.1800-1780 av.J.C. (selon Arnaud)
3. Rap'anu
17
Klengel, 1997, 365
18
Villard, 1986, 387-412 ; itinéraire et carte p.395
19
Dossin, 1970, 97-106 ; Villard, 1986, 402-407
20
Dossin, 1970, 102 ; Villard, 1986, 410 et nn.160-162
21
Arnaud, 1999, 153-173
22
Cf. « les Ditanu » et les « Rephaïm » des textes rituels
23
Pardee, 1988, 165-178 (RS 24.257) ; 1996a, 273-287
19
ou mythologiques
4.Lim-il-Malik
5.Ammu-harassi
6. Abu-sammar (c.I720-1700)24
Le nom du « fondateur» de la dynastie a vraisemblablement un
rapport avec celui de la cité mais il est difficile d'en dire plus.
En comptant environ 20 ans par génération selon la proposition
de l'éditeur de ces textes il est tentant de faire du dénommé
Lim-il-Malik l'hôte et le correspondant du roi de Mari, ZimriLim. Les noms théophores qui incluent celui du dieu Lim
étaient en effet particulièrement
appréciés à Alep, et
secondairement à Mari, au temps de la première dynastie de
Babylone. L'apparition dans celui du quatrième roi de la liste
ougaritaine de cette personnalité divine conviendrait bien à un
« protégé» de Y abdun-Lim de Yambad et à un commensal de
Zimri-Lim de Mari. Il est maintenant certain qu'il faut par
ailleurs éliminer de la suite des princes de la cité à l'époque
paléo-babylonienne
le prétendu roi *Puruqqa, qu'un texte
d'Alalah VII désigne comme « l'homme (LU) d'Ugarit» et qui
n'était en fait que le responsable d'un troupeau de brebis du
nom de Burruqu, un homme originaire d'Ugarit, devenu un
modeste « intendant» dans le pays voisin du Mukis25.
Après Lim-il-Malik (en admettant que celui-ci ait été le
contemporain du roi de Mari) une obscurité complète retombe
sur la cité d'Ugarit. Les personnages énumérés par les listes ne
sont plus pour nous que des noms:
7. Ammistamru l
8. Niqmepa
9. Mabu'u
10. Ibiranu l
Il. Ya'dur-'Addul Ebli-Tesub (interpretatio hurritica),
qui auraient vécu entre c.I700 et c.I600 av.] .C.
Ces règnes correspondent en effet, surtout les derniers d'entre
eux, aux «dark ages» de l'Orient ancien asiatique et à la
«seconde
période intermédiaire»
(SIP) définie par les
24
Arnaud, 1999, tableau p.163
25
Kitchen, 1977, pp.134,
137-138
(transcr. et trad. de AT *358)
(listes);
20
contra
Arnaud,
1997,
153-154
égyptologues26. Des envahisseurs, les Hyksos, qui étaient
originaires des régions proches de l'Egypte et apparentés aux
« Cananéens» et aux autres sémites occidentaux, ont pris le
pouvoir dans la vallée du Nil et fondé la XVème dynastie des
pharaons vers le milieu du XVIIème siècle avant notre ère. Son
grand souverain, Khyan, a établi des relations diplomatiques
avec le royaume de ijatti, la Crète minoenne et sans doute aussi
avec les cités de Canaan et de Syrie.
Un raid mené à partir de l'Anatolie par le roi hittite Mursili I
vers 1595 aV.J.C. (en chronologie moyenne) a abouti à la
destruction d'Alep, a mis fin à la première dynastie de
Babylone et a permis à des montagnards descendus du Zagros,
les Kassites, de s'installer, probablement vers 1570, dans la
grande capitale de la Mésopotamie du sud pour y fonder le
royaume de Kardunias27. Aucun témoignage ne permet
cependant d'affirmer, même si on peut le supposer, que les
événements dramatiques survenus en Syrie au temps des
conquérants hittites, ijattusili I (c.1630-1600 av.JC.) et son
petit-fils Mursili I (c.1600-1580) ont eu des répercussions à
Ugarit comme dans toute la région.
Les Hourrites, de langue « caucasienne », présents depuis longtemps en Mésopotamie du nord, se sont répandus en Syrie au
cours de ces «temps obscurs». Ils constitueront à l'âge du
Bronze Récent une part importante de la population de la région
au témoignage de l'onomastique, à Alalab, à Alep et à Qatna en
particulier, mais aussi, dans une proportion moindre, à Ugarit28.
La lecture Ebli-Tesup des sumérogrammes« ffiKAR-dISKUR»
qui servent à nommer le roi n° Il de la liste des princes de la
cité pourrait laisser supposer une rupture à cet endroit du
« bordereau des rois divinisés» mais la lecture d'un nom ouestsémitique reste possible, ce qui empêche de conclure29.
Des groupes indo-aryens venus d'Asie centrale, parlant une
langue proche du sanscrit et entraînés par une classe de
26 Landsberger,
27 Landsberger,
1954,31-43,47-73,106-133
; Vandersleyen,
1954, 61-72 (<<Eroberung
Babylons
durch
Brinkman,
1976,9-11;
Bryce, 2005,97-100
28 Grondahl,
1967, 203-267
29
Arnaud, 1999, 154, fig. p.155 (RS 94.2518)
21
1995, 120-206
die Kassiten ») ;
guerriers utilisant des chars légers, les maryannu (du sanscrit
marya, « jeune guerrier»), ont fédéré dans la première moitié
du XVlème siècle av.J .C. les principautés hourrites et fondé
entre la boucle de l'Euphrate et le cours supérieur du Tigre le
royaume de Mitanni, dit aussi ijurri et plus tard ijanigalbat
(Naharina pour les Egyptiens), dont tous les souverains
porteront jusqu'à la fin des noms védiques30. Des princes de
même origine se sont installés dans de nombreuses cités de
Syrie et de Palestine, d'Alep à Damas, de Qades à Akko et audelà31. Ugarit a certainement subi les conséquences de ces
mouvements de populations et des bouleversements qui en ont
résulté dans tous les domaines32. La classe des « maryannu » est
devenue un élément important de la population du royaume,
même si les obligations guerrières de ces « chevaliers» ont peu
à peu évolué, permettant à ses membres, toujours considérés
comme des « privilégiés », de s'illustrer dans des activités
administratives ou commerciales, sans renoncer à leur fonction
militaire33. Mais la lignée des rois d'Ugarit ne semble pas avoir
été affectée par les événements, si on en croit du moins la
continuité de la tradition dynastique qu'attestent les listes
royales. Il faut cependant remarquer que le premier prince
d'Ugarit dont on connaisse le nom et qui soit attesté par un
document
contemporain,
a vécu à l'époque
de la
« confédération mitannienne », à laquelle il se rattachait sans
doute d'une façon ou d'une autre. Il est encourageant pour
l'historien que ce personnage porte un anthroponyme qui se
retrouve de façon récurrente dans la « dynastie» d'Ugarit et que
l'on puisse préciser la date approximative de son règne en
utilisant les synchronismes fournis par des sources étrangères.
30
Na'aman, 1974, 265-274; Wilhelm, 1982; 1990, passim; Kühne, 1999,
203-221; de Martino, 2000, 68-102; Freu, J., 2003, passim
31 Moran, 1992, index pp.379-396, s.vbis Artamanya, Bayuwa, Biridaswa,
Biridiya, Biryawaza, Endaruta, etc. ; Kammenhuber, 1966, passim;
Mayrhoffer, 1966, passim; Klengel, 1978, 92-115 ; Liverani, 1978, 149-156
32 Dietrich, Loretz, 1995a, 7-42
33 Dietrich, Loretz, 1966, 188-205 ; 1969/1970, 57-93 (les structures sociales)
22
Liste des rois d'Ugarit
1 Ugaranu
2 Amqunu c.1800 av.J.C.
3 Rap'anu
4 Lim-il-Malik
5 Ammu-harrasi
6 Ammu-samar
7 Ammistamru I c.1700 av.J.C.
8 Niqmepa I
9 Mabu'u l'il 'mph
10 Ibiranu I
Il Ya'dur-Addu I Ebli-Tesub (mKAR dISKUR)
12 Niqmepa II c.1600 av.J.C.
13 Ibiranu II
14 Ammurapi I
15 Niqmepa III
16 Ibiranu III
17 Niqmepa IV c.1500 av.J.C.
18 Ibiranu IV
19 Niqmaddu I
20 Yaqaru
21 Ibiranu V
22 Niqmaddu II (==*1)c.1400 av.J.C.
23 Niqmepa V (==*1)
24 Ammistamru II (==*1)
25 Niqmaddu III (==*11)
00. Arhalbu
26 Niqmepa VI (==*11)c.1300 av.J.C.
27 Ammistamru III (==*11)
28 Ibiranu VI (==*1)
29 Niqmaddu IV (==*111)
30 Ammurapi II (==*1)c.1200 av.J.C.
Liste établie par D.Amaud à partir des textes syllabiques RS
94.2518 ; 88.2012 ; 94.2528 ; 94.2401 (fragmentaire),
et du texte alphabétique (fragmentaire) RS 24.257, in SMEA
41, 1999,153-173, transcription (avec variantes) pp.154-156;
fig.l p.155 (RS 94.2518), tableau avec dates p.163.
23
Les dates sont approximatives, calculées à raison de 20 ans par
génération, ce qui est un minimum.
La nouvelle numérotation des souverains proposée par Arnaud
a été adoptée. L'ancienne numérotation est signalée, au besoin,
par l'ancien chiffre placé entre parenthèse et précédé de *
La « fête des mânes »~ RS 24.257 (Ugaritica V nOS; CAT
1.113 )34fournit la séquence suivante:
(colonne droite)
va 13' : ' il 'm ]ltrnr = n07: Ammistamru
14' : 'il n]qmp' = n08 : Niqlnepa
15' : 'il 'mph
= n09: Mabu'u
16' : ' il ' ibm
IT : 'il ydrd
= n° 10 : Ibiranu
= nOlI: Yadur-Addu
18': 'ilnqmp'
=nol2
19' : 'il 'ibm
= n013 : Ibiranu
(colonne gauche)
:Niqmepa
= n014 : Ammurapi
21' : 'il nqmp' = n015 : Niqmepa
20' : 'il 'mrp'
22' : 'il 'ibm
= n016 : Ibiranu
'il nqm]d[ = n022 Niqmaddu
'il nq]mp' = n023 Niqmepa
22':
23':
24' : 'il 'ibm
= n° 18 : Ibiranu
25' : 'il nqmd = n019 : Niqmaddu
26' : 'il yqr
= n020 : Yaqaru
Pardee,
['il 'ibm] = n021 Ibiranu
20':
21':
23': 'il nqmp' =noI7: Niqmepa
34
19':
1988, 165-178
24
n024 Ammistamru
' il m]ltmr =
n]qmd
n025
Niqmaddu
'il
=
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