HISTOIRE POLITIQUE DU ROYAUME D'UGARIT Reproductions de la couverture. La déesse KU BABA (Dessin de V. Tchernychev), Archéologie XI (J.M. Lartigaud) Directeur de publication: Michel Mazoyer Directeur scientifique: Jorge Pérez Rey Comité de rédaction Trésorière: Christine Gaulme Colloques: Jesus Martinez Dorronsorro Relations publiques: Annie Tchemychev Directrice du Comité de lecture: Annick Touchard Comité de lecture Brigitte d'Arx, Maire-Françoise BéaI, Olivier Casabonne, François- Marie Haillant, Germaine Demaux, Frédérique Fleck, Hugues Lebailly, Eduardo Martinez, Paul Mirault, Anne-Marie OehlschUiger, Nicolas Richer, Francisco de la Rosa, Germaine Servettaz Ingénieur informatique Patrick Habersack (macpaddy(Q),free.fr) Comité scientifique Pierre Bordreuil, Nathalie Bosson, Dominique Briquel, Gérard Capdeville, René Lebrun, Florence Malbran-Labat, Michel Mazoyer, Dennis Pardee, Nicolas Richer Avec la collaboration artistique de Jean-Michel Lartigaud et Vladimir Tchernychev Ce volume a été imprimé par @ Association KUBABA, Paris Collection KUBABA Série Antiquité XI JACQUESFREU HISTOIRE POLITIQUE DU ROYAUME D'UGARIT Association KUBABA, Université de Paris I, Panthéon - Sorbonne, 12 Place du Panthéon 75231 Paris CEDEX 05 L'Harmattan 5-7, rue de l' École-Polytechnique; 75005 Paris FRANCE L'Hannattan Hongrie Espace L'Harmattan Kinshasa L'Harmattan Italia L'Harmattan Burkina Faso Kossuth L. u. 14-16 Fac..des Sc. Sociales, Pol. et Adm. ; BP243, KIN XI Via Degli Artisti, 15 10124 Torino 1200 logements villa 96 12B2260 1053 Budapest Université de Kinshasa - RDC ITALIE Ouagadougou 12 Kônyvesbolt www.librairieharmattan.com [email protected] harmattan 1@wanadoo. fr (Ç)L'Harmattan, 2006 ISBN: 2-296-00462-8 EAN : 9782296004627 Bibliothèque Kubaba http://kubaba.univ-parisl.fr Dernières publications Chez L'Harmattan Bibliothèque Kubaba Cahiers Kubaba Barbares et Civilisés dans l'Antiquité. Comment peut-on être barbare? Collection Kubaba Série Antiquité Suppiluliuma et la veuve du pharaon, Jacques Freu. Studia Anatolica et varia. Antiquus Oriens, Mélanges René Lebrun, éd. Mazoyer et Casabonne, 2004 (2 volumes). Les mutilations des ennemis à l'époque préceltique, Claude Sterckx. Série Monde moderne, Monde contemporain Eysteinn Asgrimsson, Le Lys, Poème marial islandais, traduction de Patrick Guelpa. L'Enseignement de l 'Histoire en Russie, Annie Techernychev. Sommaire Il 15 Sommaire Introd ucti on Chapitre I : Ugarit entre le Mitanni et l'Egypte (c.1550-1330 av.J.C.) 1 Ugarit et la confédération mitannienne 2 Ugarit et l'Egypte (c.1440-1330 av.J.C.) a) Les débuts de la prépondérance égyptienne b) Ammistamru II (*1) entre Egyptiens et Hittites (1360-1340 av.J.C.) c) Ugarit et le premier« raid» de Suppiluliuma: La lettre EA 45 de Ammistamru II d) L'offensive de Suppiluliuma (the « great (one year) syrian war») et l'incendie du palais d'Ugarit e) La fin de la domination égyptienne et les débuts du règne de Niqmaddu III (c.1340-1330 av.J .C) Chapitre II: Les débuts de la domination (c.1330-1315 av.J.C.) 1 2 3 25 30 30 32 36 43 50 hittite à Ugarit Le traité Niqmaddu Aziru Le ralliement d ' Ugarit au roi de ijatti et les accords Suppiluliuma- Niqmaddu (c.1330av.J.C.) Les suites du ralliement d' Ugarit au ijatti 55 58 64 Chapitre III : La consolidation du pouvoir hittite et le règne de Niqmepa VI (c.1310-1260 av.J.C.) 1 2 3 4 5 6 7 8 9 Le règne de Arbalbu (c.1315-1310 av.J.C.) Le traité Mursili-Niqmepa (c.1310 av.J.C.) La confirmation des frontières La sécession du royaume de Siyannu-Usnatu et la probable diminution du tribut La nouvelle donne politique et l'offensive de Séthi I en Syrie La bataille de Qades (mai 1274 av.J.C.) et la « lettre du général» Niqmepa VI et ijattusili III La reine Ahatmilku et l'alliance avec l'Amurru Urbi- Tesub en Syrie et à Ugarit ( ?) Chapitre IV : Le règne de AmmiStamru (c. 1260-1230 av.J.C.) 2 3 4 69 71 75 76 78 80 87 88 91 III Les débuts du règne et les relations avec les pays VOISIns 95 Les relations avec le « royaume» de 103 Siyannu-Usnatu 106 Les « scandales» de la fin du règne a) L'exil des fils de la reine-mère 106 b) La« fille de la Grande Dame », son « grand péché» et sa condamnation 108 Le poids de la puissance hittite et le rôle de 115 Karkemis 12 Chapitre V : La guerre assyrienne (c.1230-1220 av. J.C.) 1 2 3 et le règne d'Ibiranu VI 121 124 Le roi Ibiranu Siyannu-Usnatu Le conflit avec le roi d'Assyrie Tukulti-Ninurta (c.1230-1223 av.J.C.) 126 Chapitre VI : Les derniers rois d'Ugarit (c.1220-1185 av.J.C.) 137 1 Niqmaddu IV (c.1220-1210 av.J.C 2 La reine Sar(y)elli et la régence du roi Ammurapi II 3 Le« cercle de la reine» et les milieux d'affaires à la fin de l'âge du Bronze 4 Le« règne personnel» de Ammurapi II Chapitre VII: Les relations internationales d'Ugarit 144 152 158 à la fin de l'âge du Bronze 1 2 3 4 5 6 7 8 9 Ugarit et les autorités hittites Siyannu-Usnatu et Ugarit Ugarit et l'Amurru Qades, Barga, Hazor et Ugarit Les ports de « Phénicie» : Byblos (et Batruna), Beyrouth, Sidon, Tyr et le pays de Canaan Ugarit et l'Egypte Emar, les pays de l'Euphrate et l'Assyrie Alasiya et Ugarit Les pays égéens et Ugarit 13 165 177 181 184 187 194 200 209 213 Chapitre VIII: La fin d'Ugarit 1 2 3 4 5 Les « Peuples de la Mer» Sécheresses et disettes aux alentours de l'année 1200 av.J.C. La lettre de Beya et la chronologie de la crise Les textes d'Ugarit et les derniers jours de la cité La ruine de ijattusa et la ruine d'Ugarit 217 223 228 234 243 Conclusion 249 Chronologie 259 Bibliogra phie 261 Abréviations 307 Cartes 313 14 INTRODUCTION Les campagnes de fouilles menées à partir de 1929 par C.F.A. Schaeffer et ses collaborateurs sur les sites voisins de Ras Shamra et de Minet el-Beida, au nord du grand port syrien de Lattaquié, ont abouti en quelques années à la découverte d'une importante cité de l'âge du Bronze, Ugarit, sur le tell de Ras Shamra, et de son avant-port, Ma'badu, à Minet el-Beidal. L'ouverture d'un chantier public sur le promontoire de Ras Ibn Hani, situé à quelques kms au sud-ouest, a fourni l'occasion à une mission franco-syrienne de mettre à jour, à partir de 1979, deux palais contemporains des bâtiments «récents» fouillés sur le site principal. Les ruines de la « capitale» et de Ras Ibn Hani (très probablement l'antique Resu)2, temples, palais et demeures de notables abritaient des milliers de tablettes et de fragments couverts de signes cunéiformes. Les textes rédigés en akkadien (assyro-babylonien), langue dont les spécialistes avaient percé le secret depuis des lustres, ont été traduits les premiers et ont rapidement permis de retracer I'histoire des deux derniers siècles de la cité3. D'autres ont révélé l'existence d'un alphabet cunéiforme consonantique, utilisé pour rédiger des textes en ougaritique, la langue sémitique occidentale (proche de I'hébreu et du phénicien) qui était celle du peuple d'Ugarit4. Quelques tablettes écrites en hittite (nésite), en hourrite ou en cypro-minoen ainsi que de rares inscriptions 1 Schaeffer, 1929, 289-297, puis rapports annuels dans la même revue (Syria) ; 1948,8-39 (stratigraphie du site) ; 1939-1978, Ugaritica I-VII (éd.); 1955-1970, PRU II-VI (éd.) 2 Astour, 1981a, 10; van Soldt, 1999, 771-773 ; Na'aman, 2004, 33-39 ; cf Bounni, Lagarce, 1. et E., 1998 3 Schaeffer, 1939,168-203 : bibliographie des travaux de nombreux savants, Albright, Bauer, Dhorme, Dussaud, Virolleaud, etc., consacrés aux premières publications de textes et au déchiffrement de r ougaritique ; Nougayrol, 1955, PRU III; 1956, PRU IV; 1968, Ug V, 1-446; 1970, PRU VI (textes akkadiens) ; Lackenbacher, 2002, Textes Akkadiens d'Ugarit (TAU) 4 Virolleaud, 1955, PRU II ; 1960, PRU V (textes alphabétiques) ; éditions du corpus alphabétique: Gordon, 1947 (UH); 1965 (UT); Herdner, 1963 (CT A); Dietrich, Loretz, Sanmartin, 1976 (KTU) ; 1995 (CA T=KTU2) hiéroglyphiques égyptiennes, montrent qu'il a existé à Ugarit, à certaines époques, des« colonies» d'étrangers, formées surtout de marchands et de dignitaires originaires des pays voisins et en particulier du Ijatti au cours de la période de domination hittite, au XIVème et au Xlllème siècle av.l.C. , ce qui est bien attesté à la fois par les textes akkadiens et ougaritiques5. La documentation retrouvée à Ras Shamra et, secondairement, à Ras Ibn Hani, a révélé, au moins dans ses grandes lignes, I'histoire de l'une des principautés syriennes qui ont joué un rôle important dans la vie politique, diplomatique et économique de l'Orient ancien à l'âge du Bronze et qui ont été l'enjeu des rivalités entre les grandes puissances, Egypte, Mitanni, Ijatti et Assyrie, du XVème au début du Xllème siècle avant notre ère. Baigné à l'ouest par la Méditerranée, le royaume d'Ugarit s'étendait vers l'est jusqu'à la dépression marécageuse du Ghâb et jusqu'aux crêtes difficilement franchissables du lebel Ansariyé. Vers le nord la zone montagneuse du lebel Akra (le mont Casius), domaine du dieu de l'orage, Ba'al (Adad/Haddu), séparait le pays d'Ugarit du royaume voisin du Mukis (la plaine d'Amuq)6. Au sud les rois d'Ugarit ont longtemps étendu leur domination sur la petite principauté vassale de Siyannu-Usnatu qui les séparait du vaste royaume de l' Amurru couvrant une partie de l'actuel Liban7. Au total plus de 2000 km2 pour l'Ugarit proprement dit (sans Siyannu-Usnatu), dont l'étendue était comparable à celle du Mukis. Le tell de Ras Shamra occupait une superficie d'un peu plus de 22ha, très proche de celle de la cité d'Alalau (tell Açana), la capitale du Mukis. Il est donc probable que les calculs portant sur la démographie antique, qui bénéficient à Alalau de l'existence de nombreux « census », doivent aboutir à des résultats proches en ce qui concerne les deux états voisins. Il est dans ces conditions 5 Laroche, 1955, 323-335 ; 1968, 447-554 (textes hourrites) ; 1956, 97-160 (sceaux et hiéroglyphes hittites) ; 1968, 769-772 (textes hittites) ; Masson, O., 1956, 233-250 ; Masson, E., 1974, passim (textes cypro-minoens) ; Dietrich, Mayer, 1999, 58-75 (textes hittites et hourrites) ; cf. Salvini, 1995, 89-97 6 Astour, 1981a, 7-9 (carte p.12); van Soldt, 1997,683-703 (carte p.703) 7 Astour, 1979, 13-28 (Siyannu-Usnatu); Singer apud Izre'el, 1991, 134-195 (histoire de l'Amurru) 16 raisonnable d'admettre que l'Ugarit comme la plaine d'Amuq (le cœur du Mukis) avaient à l'âge du Bronze Récent une population de villageois, de citadins, de semi -nomades (les Sutu) et de « déclassés» (les babiru) comprise entre 30000 et 50000 habitants dont un sixième environ (de 5000 à 8000 personnes) était installé dans la capitale8. Bien située à l'extrémité occidentale de la route qui menait du coude de l'Euphrate, vers Emar, à la côte méditeITanéenne, Ugarit contrôlait une partie importante du trafic en direction ou en provenance de la Mésopotamie, d'Alasiya (Chypre), de Kaptara (la Crète) et de l'Egypte dès l'époque du Bronze Moyen (c.2000-1550 av.J.C.). La cité possédait certainement alors une chancellerie et des scribes capables de maîtriser l'écriture cunéiforme et la langue akkadienne, devenues les grands moyens de communication entre les pays lettrés de l'Orient asiatique. Aucun document écrit de ces temps anciens n'a jusqu'à présent été retrouvé à Ras Shamra alors que quelques-uns ont été découverts ailleurs en Syrie-Palestine9. Mais le développement spectaculaire de l'urbanisation de la ville et la construction d'un puissant rempart au XIXème siècle avant notre ère ont accompagné le développement du trafic et des relations diplomatiques avec les cités mésopotamiennes et le royaume de Yambad (Alep) à l'est et avec Chypre, la Crète et l'Egypte à l'ouest et au sud. La trouvaille de statues égyptiennes volontairement mutilées ou mises en pièces, dont deux sphinx du pharaon Amenemhet III, qui a régné de 1853 à 1806/1805 av.J.C. (selon von Beckerath)lO, des statuettes de pierre noire, la statue du vizir Senwsret-ankh accompagné de sa femme et de sa fille, celle d'une princesse royalell, a alimenté la polémique concernant le caractère de l'influence (ou de la domination) égyptienne sur la couloir syro-palestinien à l'époque de la XIIème dynastie et au début de la XIIIème12. L'étude de la 8 Liverani, 1979, col. 1314-1323 ; 1982,250-258 ; Serangeli, 1978,99-131 Garr, 1987,31-42 9 Horowitz, 1996,268-269 ; Horowitz, Wasserman, 2000,153-158 10 von Beckerath, 1997, table p.189 Il Schaeffer, 1939, 20-25 ; pl.ITI (1/2), IV et V ; fig.ll p.19 et 12 p.20 12 Cf. Yon, 1991,275-281 ; Singer, 1999,614-616 17 ; stratigraphie des couches de débris où ces sculptures ont été découvertes semble bien montrer qu'il ne peut s'agir, comme le voulait Helckl3, d'objets dispersés à l'époque de la domination des Hyksos en Egypte mais bien de «présents» faits aux princes ou aux dieux d'Ugarit par les pharaons contemporainsl4. La ville et son port ont été des centres importants de trafic en direction de la vallée du Nil à l'instar d'autres cités de la région qui ont livré des « aegyptiaca » de la même époque comme le port de Gubla (Byblos) ou Ebla (tell Mardikh) en Syrie 15 intéri eure . Les seuls témoignages écrits concernant Ugarit à l'âge du Bronze Moyen proviennent cependant non de l'Egypte mais de la capitale du grand royaume du moyen Euphrate, Mari, et plus précisément du palais de son roi, Zimri-Lim. Ce dernier avait dû s'exiler à Alep après la mort de son père et l'installation dans sa ville de la dynastie amorrite du roi d'Assur (et de haute Mésopotamie), Samsi-Addu. Devenu le gendre du Grand Roi de Yambad, Yabdun-Lim, qui régnait à ijalab (Alep), Zimri-Lim a profité de la mort de son adversaire pour chasser le fils de celuici et rentrer dans sa capitale avec l'aide de son beau-père. Longtemps allié du roi de Babylone, ijammurabi, il a voulu faire un voyage jusqu'aux rivages de la « mer supérieure», la Méditerranée, pour y accomplir les actes rituels symbolisant la victoire du dieu de l'Orage sur la Mer (Yam, pour les gens d'Ugarit)16. Il ne s'agissait pas pour lui d'une expédition guerrière accomplie à l'imitation des anciens souverains, Sargon d'Akkad ou Naram-Sin, mais plus prosaïquement d'un «voyage d'agrément» effectué à travers des territoires que contrôlait son allié. Accompagné de dignitaires et de son harem, le roi de Mari a longé vers l'amont le cours de l'Euphrate pour gagner par petites étapes Alep puis Ugarit dont on soupçonne que le prince était alors placé sous la dépendance du Grand Roi 13 HeIck, 1976,101-114; 1995,87-90; Singer, 1999,614-616 14 Ward, 1979, 799-806 15 Montet, 1928 (Byblos) 129 (Ebla) 16 Durand, 1993, 41-61 ; Scandone-Matthiae, 18 1984, 181-188; 1989, 125- de Yambad, même s'il n'en était pas formellement le vassal17. On peut fixer la date de ce déplacement à 1765 av.J.C. (en chronologie moyenne)18. L'importance de l'événement sur le plan économique a été aussi grande que sur le plan politique. L'expédition a apporté aux princes qui l'hébergeaient et aux cités qui l'abritaient textiles de qualité, bij oux de lapis-lazuli et surtout de grandes quantités d'étain destinées en partie à des contrées plus lointaines, Qatna en Syrie et la Crète par exemple19. Le métal avait été fourni par les rois élamites Seplarpak d'Ansan et Kudusulus de Suse qui contrôlaient la route de l'étain entre le plateau iranien et la Mésopotamie. Peu de temps après « l'homme d'Ugarit» a fait parvenir à ZimriLim par l'intermédiaire du nouveau roi d'Alep, ijammurapi, fils de Yabdun-Lim, un court message dans lequel il manifestait son souhait de visiter le palais de Mari20. Curieusement ces documents mariotes laissent dans un complet anonymat le roi d'Ugarit qui a été le contemporain des grands souverains de la Mésopotamie d'alors. La découverte à Ras Shamra de plusieurs listes royales et leur publication par Arnaud permettent de donner un nom aux rois d'Ugarit de cette époque, sans pouvoir préciser leur chronologie21. Divers indices laissent à penser que, comme à Babylone ou à Assur par exemple, ce sont alors des clans amorrites qui ont pris le pouvoir dans de nombreuses cités syriennes22. La liste des «ancêtres », réels ou supposés, qui a été pieusement conservée jusqu'à la fin par les souverains d'Ugarit, était destinée au culte des «mânes» des rois défunts23. Les premiers noms se présentent ainsi: 1. Ugaranu 2. Amqunu, c.1800-1780 av.J.C. (selon Arnaud) 3. Rap'anu 17 Klengel, 1997, 365 18 Villard, 1986, 387-412 ; itinéraire et carte p.395 19 Dossin, 1970, 97-106 ; Villard, 1986, 402-407 20 Dossin, 1970, 102 ; Villard, 1986, 410 et nn.160-162 21 Arnaud, 1999, 153-173 22 Cf. « les Ditanu » et les « Rephaïm » des textes rituels 23 Pardee, 1988, 165-178 (RS 24.257) ; 1996a, 273-287 19 ou mythologiques 4.Lim-il-Malik 5.Ammu-harassi 6. Abu-sammar (c.I720-1700)24 Le nom du « fondateur» de la dynastie a vraisemblablement un rapport avec celui de la cité mais il est difficile d'en dire plus. En comptant environ 20 ans par génération selon la proposition de l'éditeur de ces textes il est tentant de faire du dénommé Lim-il-Malik l'hôte et le correspondant du roi de Mari, ZimriLim. Les noms théophores qui incluent celui du dieu Lim étaient en effet particulièrement appréciés à Alep, et secondairement à Mari, au temps de la première dynastie de Babylone. L'apparition dans celui du quatrième roi de la liste ougaritaine de cette personnalité divine conviendrait bien à un « protégé» de Y abdun-Lim de Yambad et à un commensal de Zimri-Lim de Mari. Il est maintenant certain qu'il faut par ailleurs éliminer de la suite des princes de la cité à l'époque paléo-babylonienne le prétendu roi *Puruqqa, qu'un texte d'Alalah VII désigne comme « l'homme (LU) d'Ugarit» et qui n'était en fait que le responsable d'un troupeau de brebis du nom de Burruqu, un homme originaire d'Ugarit, devenu un modeste « intendant» dans le pays voisin du Mukis25. Après Lim-il-Malik (en admettant que celui-ci ait été le contemporain du roi de Mari) une obscurité complète retombe sur la cité d'Ugarit. Les personnages énumérés par les listes ne sont plus pour nous que des noms: 7. Ammistamru l 8. Niqmepa 9. Mabu'u 10. Ibiranu l Il. Ya'dur-'Addul Ebli-Tesub (interpretatio hurritica), qui auraient vécu entre c.I700 et c.I600 av.] .C. Ces règnes correspondent en effet, surtout les derniers d'entre eux, aux «dark ages» de l'Orient ancien asiatique et à la «seconde période intermédiaire» (SIP) définie par les 24 Arnaud, 1999, tableau p.163 25 Kitchen, 1977, pp.134, 137-138 (transcr. et trad. de AT *358) (listes); 20 contra Arnaud, 1997, 153-154 égyptologues26. Des envahisseurs, les Hyksos, qui étaient originaires des régions proches de l'Egypte et apparentés aux « Cananéens» et aux autres sémites occidentaux, ont pris le pouvoir dans la vallée du Nil et fondé la XVème dynastie des pharaons vers le milieu du XVIIème siècle avant notre ère. Son grand souverain, Khyan, a établi des relations diplomatiques avec le royaume de ijatti, la Crète minoenne et sans doute aussi avec les cités de Canaan et de Syrie. Un raid mené à partir de l'Anatolie par le roi hittite Mursili I vers 1595 aV.J.C. (en chronologie moyenne) a abouti à la destruction d'Alep, a mis fin à la première dynastie de Babylone et a permis à des montagnards descendus du Zagros, les Kassites, de s'installer, probablement vers 1570, dans la grande capitale de la Mésopotamie du sud pour y fonder le royaume de Kardunias27. Aucun témoignage ne permet cependant d'affirmer, même si on peut le supposer, que les événements dramatiques survenus en Syrie au temps des conquérants hittites, ijattusili I (c.1630-1600 av.JC.) et son petit-fils Mursili I (c.1600-1580) ont eu des répercussions à Ugarit comme dans toute la région. Les Hourrites, de langue « caucasienne », présents depuis longtemps en Mésopotamie du nord, se sont répandus en Syrie au cours de ces «temps obscurs». Ils constitueront à l'âge du Bronze Récent une part importante de la population de la région au témoignage de l'onomastique, à Alalab, à Alep et à Qatna en particulier, mais aussi, dans une proportion moindre, à Ugarit28. La lecture Ebli-Tesup des sumérogrammes« ffiKAR-dISKUR» qui servent à nommer le roi n° Il de la liste des princes de la cité pourrait laisser supposer une rupture à cet endroit du « bordereau des rois divinisés» mais la lecture d'un nom ouestsémitique reste possible, ce qui empêche de conclure29. Des groupes indo-aryens venus d'Asie centrale, parlant une langue proche du sanscrit et entraînés par une classe de 26 Landsberger, 27 Landsberger, 1954,31-43,47-73,106-133 ; Vandersleyen, 1954, 61-72 (<<Eroberung Babylons durch Brinkman, 1976,9-11; Bryce, 2005,97-100 28 Grondahl, 1967, 203-267 29 Arnaud, 1999, 154, fig. p.155 (RS 94.2518) 21 1995, 120-206 die Kassiten ») ; guerriers utilisant des chars légers, les maryannu (du sanscrit marya, « jeune guerrier»), ont fédéré dans la première moitié du XVlème siècle av.J .C. les principautés hourrites et fondé entre la boucle de l'Euphrate et le cours supérieur du Tigre le royaume de Mitanni, dit aussi ijurri et plus tard ijanigalbat (Naharina pour les Egyptiens), dont tous les souverains porteront jusqu'à la fin des noms védiques30. Des princes de même origine se sont installés dans de nombreuses cités de Syrie et de Palestine, d'Alep à Damas, de Qades à Akko et audelà31. Ugarit a certainement subi les conséquences de ces mouvements de populations et des bouleversements qui en ont résulté dans tous les domaines32. La classe des « maryannu » est devenue un élément important de la population du royaume, même si les obligations guerrières de ces « chevaliers» ont peu à peu évolué, permettant à ses membres, toujours considérés comme des « privilégiés », de s'illustrer dans des activités administratives ou commerciales, sans renoncer à leur fonction militaire33. Mais la lignée des rois d'Ugarit ne semble pas avoir été affectée par les événements, si on en croit du moins la continuité de la tradition dynastique qu'attestent les listes royales. Il faut cependant remarquer que le premier prince d'Ugarit dont on connaisse le nom et qui soit attesté par un document contemporain, a vécu à l'époque de la « confédération mitannienne », à laquelle il se rattachait sans doute d'une façon ou d'une autre. Il est encourageant pour l'historien que ce personnage porte un anthroponyme qui se retrouve de façon récurrente dans la « dynastie» d'Ugarit et que l'on puisse préciser la date approximative de son règne en utilisant les synchronismes fournis par des sources étrangères. 30 Na'aman, 1974, 265-274; Wilhelm, 1982; 1990, passim; Kühne, 1999, 203-221; de Martino, 2000, 68-102; Freu, J., 2003, passim 31 Moran, 1992, index pp.379-396, s.vbis Artamanya, Bayuwa, Biridaswa, Biridiya, Biryawaza, Endaruta, etc. ; Kammenhuber, 1966, passim; Mayrhoffer, 1966, passim; Klengel, 1978, 92-115 ; Liverani, 1978, 149-156 32 Dietrich, Loretz, 1995a, 7-42 33 Dietrich, Loretz, 1966, 188-205 ; 1969/1970, 57-93 (les structures sociales) 22 Liste des rois d'Ugarit 1 Ugaranu 2 Amqunu c.1800 av.J.C. 3 Rap'anu 4 Lim-il-Malik 5 Ammu-harrasi 6 Ammu-samar 7 Ammistamru I c.1700 av.J.C. 8 Niqmepa I 9 Mabu'u l'il 'mph 10 Ibiranu I Il Ya'dur-Addu I Ebli-Tesub (mKAR dISKUR) 12 Niqmepa II c.1600 av.J.C. 13 Ibiranu II 14 Ammurapi I 15 Niqmepa III 16 Ibiranu III 17 Niqmepa IV c.1500 av.J.C. 18 Ibiranu IV 19 Niqmaddu I 20 Yaqaru 21 Ibiranu V 22 Niqmaddu II (==*1)c.1400 av.J.C. 23 Niqmepa V (==*1) 24 Ammistamru II (==*1) 25 Niqmaddu III (==*11) 00. Arhalbu 26 Niqmepa VI (==*11)c.1300 av.J.C. 27 Ammistamru III (==*11) 28 Ibiranu VI (==*1) 29 Niqmaddu IV (==*111) 30 Ammurapi II (==*1)c.1200 av.J.C. Liste établie par D.Amaud à partir des textes syllabiques RS 94.2518 ; 88.2012 ; 94.2528 ; 94.2401 (fragmentaire), et du texte alphabétique (fragmentaire) RS 24.257, in SMEA 41, 1999,153-173, transcription (avec variantes) pp.154-156; fig.l p.155 (RS 94.2518), tableau avec dates p.163. 23 Les dates sont approximatives, calculées à raison de 20 ans par génération, ce qui est un minimum. La nouvelle numérotation des souverains proposée par Arnaud a été adoptée. L'ancienne numérotation est signalée, au besoin, par l'ancien chiffre placé entre parenthèse et précédé de * La « fête des mânes »~ RS 24.257 (Ugaritica V nOS; CAT 1.113 )34fournit la séquence suivante: (colonne droite) va 13' : ' il 'm ]ltrnr = n07: Ammistamru 14' : 'il n]qmp' = n08 : Niqlnepa 15' : 'il 'mph = n09: Mabu'u 16' : ' il ' ibm IT : 'il ydrd = n° 10 : Ibiranu = nOlI: Yadur-Addu 18': 'ilnqmp' =nol2 19' : 'il 'ibm = n013 : Ibiranu (colonne gauche) :Niqmepa = n014 : Ammurapi 21' : 'il nqmp' = n015 : Niqmepa 20' : 'il 'mrp' 22' : 'il 'ibm = n016 : Ibiranu 'il nqm]d[ = n022 Niqmaddu 'il nq]mp' = n023 Niqmepa 22': 23': 24' : 'il 'ibm = n° 18 : Ibiranu 25' : 'il nqmd = n019 : Niqmaddu 26' : 'il yqr = n020 : Yaqaru Pardee, ['il 'ibm] = n021 Ibiranu 20': 21': 23': 'il nqmp' =noI7: Niqmepa 34 19': 1988, 165-178 24 n024 Ammistamru ' il m]ltmr = n]qmd n025 Niqmaddu 'il =