Introduction
Les campagnes de fouilles menées à partir de 1929 par C.F.A.Schaeffer et ses collaborateurs
sur les sites voisins de Ras Shamra et de Minet el-Beida, au nord du grand port syrien de
Lattaquié, ont abouti en quelques années à la découverte d’une importante cité de l’âge du
Bronze, Ugarit, sur le tell de Ras Shamra, et de son avant-port, Ma’œadu, à Minet el-Beida1.
L’ouverture d’un chantier public sur le promontoire de Ras Ibn Hani, situé à quelques km au
sud-ouest, a fourni l’occasion à une mission franco-syrienne de mettre à jour, à partir de
1979, deux palais contemporains des bâtiments « récents » fouillés sur le site principal. Les
ruines de la « capitale » et de Ras Ibn Hani (très probablement l’antique Rešu )2, temples,
palais et demeures de notables abritaient des milliers de tablettes et de fragments couverts de
signes cunéiformes. Les textes rédigés en akkadien (assyro-babylonien), langue dont les
spécialistes avaient percé le secret depuis des lustres, ont été traduits les premiers et ont
rapidement permis de retracer l’histoire des deux derniers siècles de la cité3. D’autres ont
révélé l’existence d’un alphabet cunéiforme consonantique, utilisé pour rédiger des textes en
ougaritique, la langue sémitique occidentale (proche de l’hébreu et du phénicien) qui était
celle du peuple d’Ugarit4. Quelques tablettes écrites en hittite (nésite), en hourrite ou en
cypro-minoen ainsi que de rares inscriptions hiéroglyphiques égyptiennes, montrent qu’il a
existé à Ugarit, à certaines époques, des « colonies » d’étrangers, formées surtout de
marchands et de dignitaires originaires des pays voisins et en particulier du Œatti au cours de
la période de domination hittite, au XIVème et au XIIIème siècle av.J.C., ce qui est bien
attesté à la fois par les textes akkadiens et ougaritiques5.
La documentation retrouvée à Ras Shamra et, secondairement, à Ras Ibn Hani, a révélé, au
moins dans ses grandes lignes, l’histoire de l’une des principautés syriennes qui ont joué un
rôle important dans la vie politique, diplomatique et économique de l’Orient ancien à l’âge du
Bronze et qui ont été l’enjeu des rivalités entre les grandes puissances, Egypte, Mitanni, Œatti
et Assyrie, du XVème au début du XIIème siècle avant notre ère.
Baigné à l’ouest par la Méditerranée, le royaume d’Ugarit s’étendait vers l’est jusqu’à la
dépression marécageuse du Ghâb et jusqu’aux crêtes difficilement franchissables du Jebel
Ansariyé. Vers le nord la zone montagneuse du Jebel Akra (le mont Casius), domaine du dieu
de l’orage, Ba’al (Adad/Haddu), séparait le pays d’Ugarit du royaume voisin du Mukiš (la
plaine d’Amuq)6. Au sud les rois d’Ugarit ont longtemps étendu leur domination sur la petite
principauté vassale de Šiyannu-Ušnatu qui les séparait du vaste royaume de l’Amurru
couvrant une partie de l’actuel Liban7. Au total plus de 2000 km2 pour l’Ugarit proprement
dit (sans Šiyannu-Ušnatu), dont l’étendue était comparable à celle du Mukiš. Le tell de Ras
Shamra occupait une superficie d’un peu plus de 22ha, très
proche de celle de la cité d’Alalaœ (tell Açana), la capitale
1 Schaeffer, 1929, 289-297, puis rapports annuels dans la même revue (Syria) ; 1948, 8-39 (stratigraphie du
site) ; 1939-1978, Ugaritica I-VII (éd.); 1955-1970, PRU II-VI (éd.)
2 Astour, 1981a, 10 ; van Soldt, 1999, 771-773 ; Na’aman, 2004, 33-39 ; cf. Bounni, Lagarce, J. et E.,1998
3 Schaeffer, 1939,168-203 : bibliographie des travaux de nombreux savants, Albright, Bauer, Dhorme, Dussaud,
Virolleaud, etc., consacrés aux premières publications de textes et au déchiffrement de l’ougaritique ; Nougayrol,
1955, PRU III ; 1956, PRU IV ; 1968, Ug V, 1-446 ; 1970, PRU VI (textes akkadiens) ; Lackenbacher, 2002,
Textes Akkadiens d’Ugarit (TAU)
4 Virolleaud, 1955, PRU II ; 1960, PRU V (textes alphabétiques) ; éditions du corpus alphabétique : Gordon,
1947 (UH) ; 1965 (UT) ; Herdner, 1963 (CTA); Dietrich, Loretz, Sanmartín, 1976 (KTU); 1995 (CAT=KTU2)
5 Laroche, 1955, 323-335 ; 1968, 447-554 (textes hourrites) ; 1956, 97-160 (sceaux et hiéroglyphes hittites) ;
1968, 769-772 (textes hittites) ; Masson, O., 1956, 233-250 ; Masson, E., 1974, passim (textes cypro-minoens) ;
Dietrich, Mayer, 1999, 58-75 (étude des textes hittites et hourrites) ; cf. Salvini, 1995, 89-97
6 Astour, 1981a, 7-9 (carte p.12) ; van Soldt, 1997, 683-703 (carte p.703)
7 Astour, 1979, 13-28 (Siyannu-Ušnatu) ; Singer apud Izre’el, 1991, 134-195 (Amurru)