Augmentation de la concentration sérique de la procalcitonine au

Augmentation de la concentration sérique
de la procalcitonine
au cours dun syndrome malin des neuroleptiques
Increase of serum procalcitonin levels during a neuroleptic malignant
syndrome
B. Cabot
1
E. Pautas
1,5
M. Gatey
2
S. Perivier
1
F. Mahieux
3
C. Pinquier
4
P. Hausfater
5,6
1
Unité gériatrique aiguë,
2
Service de biochimie,
3
Consultation Mémoire,
4
Service de psychogériatrie,
Hôpital Charles Foix, AP-HP,
Ivry sur Seine
5
UFR Pierre et Marie Curie,
Université Paris 6
6
Service daccueil des urgences,
Hôpital Pitié-Salpêtrière, AP-HP, Paris
Article reçu le 10 juillet 2009,
accepté le 18 septembre 2009
Résumé. Un syndrome fébrile chez un patient traité par neuroleptique pose le
problème du diagnostic différentiel entre un syndrome malin des neurolepti-
ques et un épisode infectieux. Parmi les marqueurs biologiques de linflamma-
tion, la procalcitonine a la particularité de voir sa concentration sélever dans le
sérum, rapidement et spécifiquement, au cours des infections bactériennes.
Nous rapportons le premier cas de syndrome malin des neuroleptiques au
cours duquel est notée une augmentation significative de la procalcitonine
sérique, sans syndrome septique concomitant. Le syndrome malin des neuro-
leptiques pourrait donc être une des situations cliniques non infectieuses au
cours desquelles la concentration sanguine de la procalcitonine peut augmenter.
Mots clés : syndrome malin, neuroleptique, procalcitonine
Abstract. When fever occurs in a patient treated with a neuroleptic, the diag-
nosis of a neuroleptic malignant syndrome is difficult to differentiate to that of
an infectious event. Among inflammation biomarkers of inflammation, serum
procalcitonin levels increase both quickly and specifically during a bacterial
infection. We report the first case of a neuroleptic malignant syndrome asso-
ciated with a significant increase of serum procalcitonin levels, without conco-
mitant septic syndrome. The neuroleptic malignant syndrome might be a non-
infectious clinical situation associated with an increased serum procalcitonin
concentration.
Key words: neuroleptic malignant syndrome, procalcitonin
Le syndrome malin est une complication rare des traite-
ments neuroleptiques (NLP), sa fréquence étant estimée
entre 0,02 % et 3,3 %. Mais cest une complication
grave car engageant le pronostic vital dans 20 à 40 %
des cas [1]. Il survient en moyenne un mois après lins-
tauration du traitement, indépendamment de la dose du
NLP. Décrit pour la première fois il y a une cinquantaine
dannées, il se caractérise par de la fièvre, une rigidité
extra-pyramidale et des troubles de la conscience [1].
Devant un syndrome fébrile chez un patient traité par
NLP, le syndrome malin reste cependant un diagnostic
délimination. Dans cette situation, se pose en premier
lieu la question dun processus infectieux dont la démar-
che diagnostique comprend notamment linterprétation de
marqueurs biologiques tels que la protéine C réactive
(CRP) ou plus récemment la procalcitonine (PCT) [2].
Nous rapportons ici un cas de syndrome malin des NLP
isolé, accompagné de lélévation significative de la
concentration plasmatique de marqueurs biologiques
dinfection. Après un rappel des éléments constitutifs de
ce syndrome et de certains éléments biologiques qui y
sont potentiellement associés, nous discuterons de lintérêt
des marqueurs biologiques dinfection dans ce type de
situation diagnostique complexe.
pratique quotidienne abc
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doi: 10.1684/abc.2009.0383
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Lobservation
Madame D., 84 ans, est suivie depuis quelques mois pour
un syndrome démentiel débutant associé à une psychose
hallucinatoire chronique à type dhallucinations auditives
invalidantes car limitant le sommeil et saccompagnant
dune agitation anxieuse. Après avis spécialisé en
géronto-psychiatrie, un traitement antipsychotique par
halopéridol est instauré, permettant la disparition des hal-
lucinations. Trois semaines après le début du traitement
NLP, la patiente consulte pour asthénie et fièvre accompa-
gnées dun syndrome dyskinétique majeur devant lequel
le médecin traitant interrompt le NLP. Deux jours après, la
patiente est adressée au service daccueil des urgences car,
malgré cette adaptation thérapeutique, elle reste prostrée
au lit. Le score de Glasgow est à 12/15. Une hyperthermie
à 39 °C est notée, sans trouble hémodynamique. Aucun
foyer infectieux nest retrouvé à lexamen clinique ; la
radiographie thoracique est normale.
Le bilan biologique réalisé montre :
une hyperleucocytose modérée à 10,6 G/L (valeurs
usuelles : 4 à 10 G/L) ;
une augmentation de la concentration plasmatique de la
CRP : 281 mg/L (valeurs usuelles : < 10 mg/L) qui
témoigne dun syndrome inflammatoire sévère ;
une augmentation de lactivité créatine kinase (CK)
plasmatique : 1 289 U/L (valeurs usuelles : < 180 U/L) ;
les prélèvements bactériologiques ne révèlent aucune
anomalie : lexamen cytobactériologique des urines
(ECBU) et les hémocultures savèrent négatifs.
Le traitement symptomatique comporte une réhydratation
intraveineuse et un traitement antipyrétique, mais aucune
antibiothérapie nest débutée.
La patiente est transférée le lendemain en unité de géria-
trie aiguë. À son arrivée, elle est vigile, score de Glasgow
15/15, la tension artérielle est à 103/68 mmHg, la fré-
quence cardiaque à 95/min, loxymétrie à 100 % en air
ambiant. La température est à 38,4 °C malgré le paracéta-
mol administré aux urgences et la patiente frissonne, ce
qui fait évoquer un syndrome septique avec « décharges
bactériémiques ». Lauscultation cardiopulmonaire est
normale, la palpation abdominale est indolore. Il nya
pas de signe fonctionnel urinaire. Une recherche par ban-
delette urinaire de leucocytes et de nitrites témoins
dinfection urinaire est négative, et labsence de germes
est confirmée par un nouvel ECBU. Lexamen neurolo-
gique retrouve un ralentissement psychomoteur sans
confusion, une hypertonie majeure des quatre membres
qui nexistait pas lors dune hospitalisation dans le service
un mois plus tôt. Il ny a pas de raideur de nuque, pas de
phono-photophobie, ni de signe neurologique de localisa-
tion.
Le bilan biologique confirme la présence dun syndrome
inflammatoire franc avec une concentration sérique de la
CRP à 344 mg/L, sans hyperleucocytose (leucocytes :
8,7 G/L). En labsence dargument suffisant pour affirmer
un processus infectieux, un syndrome malin des NLP est
évoqué compte tenu du traitement par halopéridol pris
depuis trois semaines. Le traitement symptomatique, asso-
ciant hydratation et antipyrétiques par voie parentérale, est
poursuivi. Aucun traitement antibiotique probabiliste nest
prescrit en labsence de point dappel infectieux.
Le lendemain, la PCT sérique est dosée, en considérant
que ce biomarqueur des infections bactériennes peut être
discriminant quant à lutilisation des antibiotiques.
La concentration de la PCT (2,1 μg/L), ne permet pas
déliminer le diagnostic différentiel de syndrome septique,
mais il est décidé de ne pas modifier la prise en charge.
Lévolution clinique se fait vers un amendement de la fiè-
vre en 48 heures et une résolution progressive de la rigi-
dité extrapyramidale en quelques jours. Sur le plan biolo-
gique, on observe la disparition du syndrome
inflammatoire avec normalisation des concentrations séri-
ques de la CRP, de la PCT, et de la CK (figure 1).
Compte tenu du tableau clinicobiologique initial et de
lévolution spontanément favorable à larrêt de lhalopéri-
dol, nous concluons au diagnostic de syndrome malin des
NLP. Après plusieurs semaines, létat neurologique est
revenu à létat initial, rendant possible un retour au domi-
cile avec suivis gériatrique et psychiatrique réguliers.
Le point de vue du clinicien
Le syndrome malin des NLP a été décrit pour la première
fois en 1960 par Delay et al. sous le nom de « syndrome
akinétique hypertonique ». Sa physiopathologie reste mal
connue, lhypothèse majoritairement retenue étant un blo-
cage des récepteurs dopaminergiques centraux [1]. Sont
aussi évoquées des perturbations dautres neurotransmet-
teurs, sérotonine et noradrénaline, et des anomalies au
niveau du muscle strié squelettique doù lanalogie pos-
sible avec lhyperthermie maligne ou coup de chaleur.
Le syndrome malin peut survenir avec nimporte quel
NLP, quelles que soient la posologie et la voie dadminis-
tration. Les critères diagnostiques, selon la classification
DSM-IV, sont une hypertonie musculaire sévère associée
à une hyperthermie majeure, survenant dans un contexte
de prise récente dun NLP, et avec au moins deux des
signes suivants : sueurs, tremblements, troubles de la
conscience allant de la confusion au coma, tachycardie,
tension artérielle élevée ou labile, dysphagie, hyperleuco-
cytose, rhabdomyolyse objectivée par une élévation de la
concentration sérique de la CK [1]. Biologiquement, peu-
vent aussi être notés des élévations des transaminases et
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de la lactate déshydrogénase (LDH) ainsi que des troubles
hydroélectrolytiques, mais qui ne font pas partie des cri-
tères diagnostiques. Une insuffisance rénale aiguë fonc-
tionnelle par déshydratation mais aussi secondaire à une
myoglobinurie peut survenir. La concentration de la CRP
est très variable au cours du syndrome malin des NLP, une
valeur élevée ne permettant pas daffirmer la présence ou
non dune infection [3].
Dans la majorité des cas, larrêt du NLP suffit à entraîner
une disparition des signes cliniques et biologiques.
Cependant une prise en charge en réanimation peut être
nécessaire en cas de troubles majeurs de la conscience, de
troubles hydroélectrolytiques sévères, ou de défaillance
cardiorespiratoire ou rénale. Il ny a pas de consensus
quant à lutilisation de traitements médicamenteux, prin-
cipalement benzodiazépines et analogues dopaminergi-
ques comme la bromocriptine, dont lefficacité nest pas
démontrée.
Dans le cas de notre patiente, le diagnostic de syndrome
malin des NLP est certain devant une présentation cli-
nique validant les critères du DSM-IV, le tout en labsence
de syndrome infectieux manifeste malgré la présence
dune hyperthermie avec frissons associés à des concen-
trations élevées de la CRP et de la PCT. En effet, sans que
des antibiotiques naient été administrés, la fièvre a cédé
en 48 heures et les autres signes cliniques ont disparu en
quelques jours.
Le point de vue du biologiste
Si la CRP est le paramètre biologique traditionnellement
utilisé comme marqueur de sepsis, son dosage est peu
discriminant pour diagnostiquer un syndrome infectieux
bactérien, car cette protéine augmente également dans
les affections virales ou dans les poussées de maladies
inflammatoires. À linverse, normalement à des concen-
trations indétectables dans le sérum de sujets sains, la
PCT présente la particularité de sélever dans le sérum
de façon rapide et spécifique au cours des infections bac-
tériennes. Elle sélève de manière proportionnelle à la gra-
vité de linfection. Sa cinétique courte (1/2 vie moyenne
de 24 heures) permet aussi dévaluer rapidement leffica-
cité du traitement. Couplée au dosage de la CRP, la
mesure de la PCT permet donc détablir lorigine bacté-
rienne dun syndrome inflammatoire et sintègre dans la
stratégie diagnostique et pronostique, et dans le suivi thé-
rapeutique des infections bactériennes [2].
Dans le cas de notre patiente, le dosage de la PCT a été
effectué sur analyseur mini Vidas
®
(BioMérieux) en utili-
sant le test quantitatif Vidas
®
BRAHMS PCT. Il sagit
dune méthode immunoenzymatique de type sandwich à
détection finale par fluorescence (Elfa).
La sensibilité analytique est de 0,05 μg/L et la sensibilité
fonctionnelle de 0,09 μg/L.
Procalcitonine et neuroleptiques
CK U/L
Date
CRP mg/L
Température
1000
500
0
1500
0
100
300
200
PCT 2,09
µg/L
PCT 0,32
µg/L
39° 38,4° 37,2° 36,8° 36,9° 36,9° 37,1° 37° 37° 37° 36,9° 37°37° 37° 37°
CK
CRP
19/03
20/03
21/03
22/03
23/03
24/03
25/03
26/03
27/03
28/03
29/03
30/03
31/03
01/04
02/04
Figure 1. Évolutions de la température corporelle et des concentrations sériques de la CRP, de la PCT et de la CK. CRP = C-reactive
protein (mg/L) ; PCT = procalcitonine (μg/L) ; CK = créatine kinase (U/L). Courbe de température (°C).
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Le seuil diagnostique dépend de la situation clinique.
Les études réalisées chez des patients vus aux urgences,
avec le but dexclure un syndrome infectieux bactérien,
évoquent un seuil entre 0,2 et 0,5 μg/L [2, 4]. Dautres
seuils ont été proposés lors de suspicion de méningite
bactérienne ou dinfection de liquide dascite [5-7], ou
encore dans des études évaluant lutilisation de la PCT
comme outil décisionnel pour lantibiothérapie dans les
infections respiratoires [2, 8].
Il existe cependant des situations cliniques non infectieu-
ses la PCT sélève : au cours du syndrome dactivation
macrophagique, de la maladie de Kawasaki, dans les pre-
miers jours suivant un polytraumatisme, en phase post-
opératoire de transplantation dorgane, dans certains can-
cers bronchiques, dans le carcinome médullaire de la thy-
roïde, et dans le coup de chaleur [2]. Le syndrome malin
des neuroleptiques présente des similitudes, dans sa pré-
sentation clinicobiologique, avec le coup de chaleur, avec
qui il pourrait partager des bases physiopathologiques [9].
Le TNFαet lIL-6 sont les cytokines inflammatoires dont
la sécrétion augmente en réponse à une infection dorigine
bactérienne et qui sont responsables de laugmentation de
la concentration sanguine de la PCT. Celles responsables
de laugmentation de la CRP sont le TNFαet les IL-1,
-12, -15 et -18 [10]. Dans le syndrome malin des neuro-
leptiques, le mécanisme physiopathologique de la fièvre
fait intervenir des agents pyrogènes exogènes (acide lipo-
téichoïque) et des pyrogènes endogènes tels que les
médiateurs pro-inflammatoires IL-1, TNFα, IFNαet IL-6
[2, 11]. Laugmentation de sécrétion du TNFαet de
lIL-6 pourrait donc expliquer une augmentation de la
concentration sanguine de la PCT et de la CRP au cours
de ce syndrome, sans quun syndrome infectieux soit
associé.
Conclusion
À notre connaissance, il sagit de la première observation
rapportant une augmentation de la concentration sérique
de la PCT chez un patient atteint de syndrome malin des
NLP. Le syndrome malin des NLP pourrait donc consti-
tuer une des situations cliniques avec hyperthermie, pour
laquelle le dosage de la PCT ne peut pas aider le clinicien
pour le diagnostic biologique dune infection bactérienne.
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