abc pratique quotidienne Ann Biol Clin 2009 ; 67 (6) : 697-700 Augmentation de la concentration sérique de la procalcitonine au cours d’un syndrome malin des neuroleptiques Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 05/06/2017. Increase of serum procalcitonin levels during a neuroleptic malignant syndrome B. Cabot1 E. Pautas1,5 M. Gatey2 S. Perivier1 F. Mahieux3 C. Pinquier4 P. Hausfater5,6 1 Unité gériatrique aiguë, Service de biochimie, 3 Consultation Mémoire, 4 Service de psychogériatrie, Hôpital Charles Foix, AP-HP, Ivry sur Seine 5 UFR Pierre et Marie Curie, Université Paris 6 <[email protected]> 6 Service d’accueil des urgences, Hôpital Pitié-Salpêtrière, AP-HP, Paris 2 doi: 10.1684/abc.2009.0383 Article reçu le 10 juillet 2009, accepté le 18 septembre 2009 Résumé. Un syndrome fébrile chez un patient traité par neuroleptique pose le problème du diagnostic différentiel entre un syndrome malin des neuroleptiques et un épisode infectieux. Parmi les marqueurs biologiques de l’inflammation, la procalcitonine a la particularité de voir sa concentration s’élever dans le sérum, rapidement et spécifiquement, au cours des infections bactériennes. Nous rapportons le premier cas de syndrome malin des neuroleptiques au cours duquel est notée une augmentation significative de la procalcitonine sérique, sans syndrome septique concomitant. Le syndrome malin des neuroleptiques pourrait donc être une des situations cliniques non infectieuses au cours desquelles la concentration sanguine de la procalcitonine peut augmenter. Mots clés : syndrome malin, neuroleptique, procalcitonine Abstract. When fever occurs in a patient treated with a neuroleptic, the diagnosis of a neuroleptic malignant syndrome is difficult to differentiate to that of an infectious event. Among inflammation biomarkers of inflammation, serum procalcitonin levels increase both quickly and specifically during a bacterial infection. We report the first case of a neuroleptic malignant syndrome associated with a significant increase of serum procalcitonin levels, without concomitant septic syndrome. The neuroleptic malignant syndrome might be a noninfectious clinical situation associated with an increased serum procalcitonin concentration. Key words: neuroleptic malignant syndrome, procalcitonin Le syndrome malin est une complication rare des traitements neuroleptiques (NLP), sa fréquence étant estimée entre 0,02 % et 3,3 %. Mais c’est une complication grave car engageant le pronostic vital dans 20 à 40 % des cas [1]. Il survient en moyenne un mois après l’instauration du traitement, indépendamment de la dose du NLP. Décrit pour la première fois il y a une cinquantaine d’années, il se caractérise par de la fièvre, une rigidité extra-pyramidale et des troubles de la conscience [1]. Devant un syndrome fébrile chez un patient traité par NLP, le syndrome malin reste cependant un diagnostic d’élimination. Dans cette situation, se pose en premier Ann Biol Clin, vol. 67, no 6, novembre-décembre 2009 lieu la question d’un processus infectieux dont la démarche diagnostique comprend notamment l’interprétation de marqueurs biologiques tels que la protéine C réactive (CRP) ou plus récemment la procalcitonine (PCT) [2]. Nous rapportons ici un cas de syndrome malin des NLP isolé, accompagné de l’élévation significative de la concentration plasmatique de marqueurs biologiques d’infection. Après un rappel des éléments constitutifs de ce syndrome et de certains éléments biologiques qui y sont potentiellement associés, nous discuterons de l’intérêt des marqueurs biologiques d’infection dans ce type de situation diagnostique complexe. 697 pratique quotidienne Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 05/06/2017. L’observation Madame D., 84 ans, est suivie depuis quelques mois pour un syndrome démentiel débutant associé à une psychose hallucinatoire chronique à type d’hallucinations auditives invalidantes car limitant le sommeil et s’accompagnant d’une agitation anxieuse. Après avis spécialisé en géronto-psychiatrie, un traitement antipsychotique par halopéridol est instauré, permettant la disparition des hallucinations. Trois semaines après le début du traitement NLP, la patiente consulte pour asthénie et fièvre accompagnées d’un syndrome dyskinétique majeur devant lequel le médecin traitant interrompt le NLP. Deux jours après, la patiente est adressée au service d’accueil des urgences car, malgré cette adaptation thérapeutique, elle reste prostrée au lit. Le score de Glasgow est à 12/15. Une hyperthermie à 39 °C est notée, sans trouble hémodynamique. Aucun foyer infectieux n’est retrouvé à l’examen clinique ; la radiographie thoracique est normale. Le bilan biologique réalisé montre : – une hyperleucocytose modérée à 10,6 G/L (valeurs usuelles : 4 à 10 G/L) ; – une augmentation de la concentration plasmatique de la CRP : 281 mg/L (valeurs usuelles : < 10 mg/L) qui témoigne d’un syndrome inflammatoire sévère ; – une augmentation de l’activité créatine kinase (CK) plasmatique : 1 289 U/L (valeurs usuelles : < 180 U/L) ; – les prélèvements bactériologiques ne révèlent aucune anomalie : l’examen cytobactériologique des urines (ECBU) et les hémocultures s’avèrent négatifs. Le traitement symptomatique comporte une réhydratation intraveineuse et un traitement antipyrétique, mais aucune antibiothérapie n’est débutée. La patiente est transférée le lendemain en unité de gériatrie aiguë. À son arrivée, elle est vigile, score de Glasgow 15/15, la tension artérielle est à 103/68 mmHg, la fréquence cardiaque à 95/min, l’oxymétrie à 100 % en air ambiant. La température est à 38,4 °C malgré le paracétamol administré aux urgences et la patiente frissonne, ce qui fait évoquer un syndrome septique avec « décharges bactériémiques ». L’auscultation cardiopulmonaire est normale, la palpation abdominale est indolore. Il n’y a pas de signe fonctionnel urinaire. Une recherche par bandelette urinaire de leucocytes et de nitrites témoins d’infection urinaire est négative, et l’absence de germes est confirmée par un nouvel ECBU. L’examen neurologique retrouve un ralentissement psychomoteur sans confusion, une hypertonie majeure des quatre membres qui n’existait pas lors d’une hospitalisation dans le service un mois plus tôt. Il n’y a pas de raideur de nuque, pas de phono-photophobie, ni de signe neurologique de localisation. 698 Le bilan biologique confirme la présence d’un syndrome inflammatoire franc avec une concentration sérique de la CRP à 344 mg/L, sans hyperleucocytose (leucocytes : 8,7 G/L). En l’absence d’argument suffisant pour affirmer un processus infectieux, un syndrome malin des NLP est évoqué compte tenu du traitement par halopéridol pris depuis trois semaines. Le traitement symptomatique, associant hydratation et antipyrétiques par voie parentérale, est poursuivi. Aucun traitement antibiotique probabiliste n’est prescrit en l’absence de point d’appel infectieux. Le lendemain, la PCT sérique est dosée, en considérant que ce biomarqueur des infections bactériennes peut être discriminant quant à l’utilisation des antibiotiques. La concentration de la PCT (2,1 μg/L), ne permet pas d’éliminer le diagnostic différentiel de syndrome septique, mais il est décidé de ne pas modifier la prise en charge. L’évolution clinique se fait vers un amendement de la fièvre en 48 heures et une résolution progressive de la rigidité extrapyramidale en quelques jours. Sur le plan biologique, on observe la disparition du syndrome inflammatoire avec normalisation des concentrations sériques de la CRP, de la PCT, et de la CK (figure 1). Compte tenu du tableau clinicobiologique initial et de l’évolution spontanément favorable à l’arrêt de l’halopéridol, nous concluons au diagnostic de syndrome malin des NLP. Après plusieurs semaines, l’état neurologique est revenu à l’état initial, rendant possible un retour au domicile avec suivis gériatrique et psychiatrique réguliers. Le point de vue du clinicien Le syndrome malin des NLP a été décrit pour la première fois en 1960 par Delay et al. sous le nom de « syndrome akinétique hypertonique ». Sa physiopathologie reste mal connue, l’hypothèse majoritairement retenue étant un blocage des récepteurs dopaminergiques centraux [1]. Sont aussi évoquées des perturbations d’autres neurotransmetteurs, sérotonine et noradrénaline, et des anomalies au niveau du muscle strié squelettique d’où l’analogie possible avec l’hyperthermie maligne ou coup de chaleur. Le syndrome malin peut survenir avec n’importe quel NLP, quelles que soient la posologie et la voie d’administration. Les critères diagnostiques, selon la classification DSM-IV, sont une hypertonie musculaire sévère associée à une hyperthermie majeure, survenant dans un contexte de prise récente d’un NLP, et avec au moins deux des signes suivants : sueurs, tremblements, troubles de la conscience allant de la confusion au coma, tachycardie, tension artérielle élevée ou labile, dysphagie, hyperleucocytose, rhabdomyolyse objectivée par une élévation de la concentration sérique de la CK [1]. Biologiquement, peuvent aussi être notés des élévations des transaminases et Ann Biol Clin, vol. 67, no 6, novembre-décembre 2009 Procalcitonine et neuroleptiques PCT 2,09 µg/L PCT 0,32 µg/L 300 1500 CK CRP 200 CK U/L CRP mg/L 100 500 Température 4 /0 4 37° 02 3 /0 /0 3 37° 36,9° 37° 01 31 3 /0 30 3 /0 /0 37° 29 3 37° 28 /0 3 39° 38,4° 37,2° 36,8° 36,9° 36,9° 37,1° 37° 27 3 3 /0 /0 26 25 3 /0 24 3 /0 23 3 /0 22 3 /0 21 /0 /0 3 0 20 0 Date 19 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 05/06/2017. 1000 37° Figure 1. Évolutions de la température corporelle et des concentrations sériques de la CRP, de la PCT et de la CK. CRP = C-reactive protein (mg/L) ; PCT = procalcitonine (μg/L) ; CK = créatine kinase (U/L). ■ Courbe de température (°C). de la lactate déshydrogénase (LDH) ainsi que des troubles hydroélectrolytiques, mais qui ne font pas partie des critères diagnostiques. Une insuffisance rénale aiguë fonctionnelle par déshydratation mais aussi secondaire à une myoglobinurie peut survenir. La concentration de la CRP est très variable au cours du syndrome malin des NLP, une valeur élevée ne permettant pas d’affirmer la présence ou non d’une infection [3]. Dans la majorité des cas, l’arrêt du NLP suffit à entraîner une disparition des signes cliniques et biologiques. Cependant une prise en charge en réanimation peut être nécessaire en cas de troubles majeurs de la conscience, de troubles hydroélectrolytiques sévères, ou de défaillance cardiorespiratoire ou rénale. Il n’y a pas de consensus quant à l’utilisation de traitements médicamenteux, principalement benzodiazépines et analogues dopaminergiques comme la bromocriptine, dont l’efficacité n’est pas démontrée. Dans le cas de notre patiente, le diagnostic de syndrome malin des NLP est certain devant une présentation clinique validant les critères du DSM-IV, le tout en l’absence de syndrome infectieux manifeste malgré la présence d’une hyperthermie avec frissons associés à des concentrations élevées de la CRP et de la PCT. En effet, sans que des antibiotiques n’aient été administrés, la fièvre a cédé en 48 heures et les autres signes cliniques ont disparu en quelques jours. Ann Biol Clin, vol. 67, no 6, novembre-décembre 2009 Le point de vue du biologiste Si la CRP est le paramètre biologique traditionnellement utilisé comme marqueur de sepsis, son dosage est peu discriminant pour diagnostiquer un syndrome infectieux bactérien, car cette protéine augmente également dans les affections virales ou dans les poussées de maladies inflammatoires. À l’inverse, normalement à des concentrations indétectables dans le sérum de sujets sains, la PCT présente la particularité de s’élever dans le sérum de façon rapide et spécifique au cours des infections bactériennes. Elle s’élève de manière proportionnelle à la gravité de l’infection. Sa cinétique courte (1/2 vie moyenne de 24 heures) permet aussi d’évaluer rapidement l’efficacité du traitement. Couplée au dosage de la CRP, la mesure de la PCT permet donc d’établir l’origine bactérienne d’un syndrome inflammatoire et s’intègre dans la stratégie diagnostique et pronostique, et dans le suivi thérapeutique des infections bactériennes [2]. Dans le cas de notre patiente, le dosage de la PCT a été effectué sur analyseur mini Vidas® (BioMérieux) en utilisant le test quantitatif Vidas® BRAHMS PCT. Il s’agit d’une méthode immunoenzymatique de type sandwich à détection finale par fluorescence (Elfa). La sensibilité analytique est de 0,05 μg/L et la sensibilité fonctionnelle de 0,09 μg/L. 699 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 05/06/2017. pratique quotidienne Le seuil diagnostique dépend de la situation clinique. Les études réalisées chez des patients vus aux urgences, avec le but d’exclure un syndrome infectieux bactérien, évoquent un seuil entre 0,2 et 0,5 μg/L [2, 4]. D’autres seuils ont été proposés lors de suspicion de méningite bactérienne ou d’infection de liquide d’ascite [5-7], ou encore dans des études évaluant l’utilisation de la PCT comme outil décisionnel pour l’antibiothérapie dans les infections respiratoires [2, 8]. Il existe cependant des situations cliniques non infectieuses où la PCT s’élève : au cours du syndrome d’activation macrophagique, de la maladie de Kawasaki, dans les premiers jours suivant un polytraumatisme, en phase postopératoire de transplantation d’organe, dans certains cancers bronchiques, dans le carcinome médullaire de la thyroïde, et dans le coup de chaleur [2]. Le syndrome malin des neuroleptiques présente des similitudes, dans sa présentation clinicobiologique, avec le coup de chaleur, avec qui il pourrait partager des bases physiopathologiques [9]. Le TNFα et l’IL-6 sont les cytokines inflammatoires dont la sécrétion augmente en réponse à une infection d’origine bactérienne et qui sont responsables de l’augmentation de la concentration sanguine de la PCT. Celles responsables de l’augmentation de la CRP sont le TNFα et les IL-1, -12, -15 et -18 [10]. Dans le syndrome malin des neuroleptiques, le mécanisme physiopathologique de la fièvre fait intervenir des agents pyrogènes exogènes (acide lipotéichoïque) et des pyrogènes endogènes tels que les médiateurs pro-inflammatoires IL-1, TNFα, IFNα et IL-6 [2, 11]. L’augmentation de sécrétion du TNFα et de l’IL-6 pourrait donc expliquer une augmentation de la concentration sanguine de la PCT et de la CRP au cours de ce syndrome, sans qu’un syndrome infectieux soit associé. NLP. Le syndrome malin des NLP pourrait donc constituer une des situations cliniques avec hyperthermie, pour laquelle le dosage de la PCT ne peut pas aider le clinicien pour le diagnostic biologique d’une infection bactérienne. Références 1. Strawn JR, Keck Jr PE, Caroff SN. Neuroleptic malignant syndrome. Am J Psychiatry 2007 ; 164 : 870-6. 2. Hausfater P. Le dosage de la procalcitonine en pratique clinique chez l’adulte. Rev Méd Interne 2007 ; 28 : 296-305. 3. Carrizo E, Fernandez V, Quintero J, Connell L, Rodríguez Z, Mosquera M, et al. Coagulation and inflammation markers during atypical or typical antipsychotic treatment in schizophrenia patients and drugfree first-degree relatives. Schizophrenia Research 2008 ; 103 : 83-93. 4. Hausfater P, Juillien G, Madonna-Py B, Haroche J, Bernard M, Riou B. Serum procalcitonin measurement as diagnostic and prognostic marker in febrile adult patients presenting to the emergency department. Crit Care 2007 ; 11 : R60. 5. 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