février 2012 Le producteur de Lait québécois
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Santé animale
Par YNTE SCHUKKEN, directeur,
Quality Milk Production Services,
Cornell University, Ithaca, É.-U., et
HÉLÈNE POIRIER, agente de transfert,
RCRMB
Quest-ce que
la mammite?
Les scientifiques ont tendance à
définir les choses avec grande pré-
cision. Cependant, de façon surpre-
nante, ce nest pas le cas avec la
mammite. Ce n’est pas qu’ils soient
négligents ou paresseux, c’est plutôt
parce que la distinction entre normal
et anormal dans le cas de la mammite
n’est pas si évidente.
Partons du début et examinons
le processus qui mène à la mammite
dans la glande mammaire. Au début
de ce processus, une irritation du tissu
mammaire apparaît. La plupart du
temps, il s’agit d’une infection due à
une bactérie, mais il peut aussi s’agir
d’une irritation mécanique (ruade sur
le pis) ou d’une irritation chimique.
Bien que cette dernière soit plus rare,
elle peut survenir quand une subs-
tance étrangère est introduite dans le
pis. En effet, un sondage auprès des
producteurs au sujet des pratiques à la
ferme démontre que certains mettent
toutes sortes de produits ménagers sur
le pis et sur les vaches. On pense ici
à des produits de nettoyage, de l’eau
de javel et même, parfois, du whisky!
Le plus souvent, ces produits causent
des irritations et la vache y réagit par
une réponse inflammatoire.
Cependant, l’infection bactérienne
est de loin la cause principale de
l’inflammation du pis. Parfois, cette
infection ne provoque pas de réponse
visible. C’est ce qui arrive dans la
majorité des cas. La réponse inflam-
matoire de la vache aux prises avec
une infection de la glande mammaire
s’appelle « mammite ». C’est que
Selon que l’on est producteur de lait, scientifique, médecin
vétérinaire, transformateur ou consommateur, le mot
mammite sera interprété de différentes façons.
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commence la difficulté à trouver
une définition exacte pour ce terme,
puisque la réponse inflammatoire n’est
malheureusement pas un bouton ON/
OFF comparable à un interrupteur de
lumière. Une réponse immunitaire est
un ensemble complexe de mécanismes
faisant partie intégrante du système
immunitaire de la vache. La plupart
des mécanismes immunitaires qui réa-
gissent lors d’infections bactériennes
consistent en des messages spécifi-
ques ou en des cellules spécifiques qui
sont aussi présentes (mais en quantité
plus faible) chez des vaches saines
dont les pis sont aussi parfaitement
sains.
Pour définir la mammite, il faut
donc déterminer une valeur seuil pour
un paramètre immunitaire. Au-delà
de ce seuil, on saura que la glande
mammaire est atteinte, et en deçà de
ce seuil, que la glande est normale.
De nombreux paramètres du système
immunitaire pourraient être utilisés
pour une telle définition, cependant,
le plus fréquemment employé est le
nombre de cellules retrouvées dans
le lait et qui proviennent de la glande
mammaire.
Toutes les vaches ont des cellules
somatiques (CS) dans le lait. Toutefois,
les vaches souffrant de mammite en
ont plus que les vaches saines (et
les cellules sont différentes). Il est
certain que les scientifiques souhai-
teraient vraiment pouvoir avoir une
définition précise de la mammite.
Malheureusement, le nombre de CS
du lait des vaches normales varie selon
l’âge, le nombre de jours en lactation,
la saison, le statut hormonal, etc.
Aussi, il est carrément impossible de
définir un niveau de CS réellement
normal. Généralement, les vaches avec
moins de 200 000 CS/ml sont consi-
dérées comme « normales », alors que
celles ayant un comptage de cellules
somatiques (CCS) supérieur à 200 000
sont considérées comme « anormales ».
Au cours de la réponse immuni-
taire, d’autres facteurs que les CS
sont impliqués. Plusieurs messagers
immunitaires sont produits et peuvent
causer des symptômes additionnels,
tels que la fièvre, l’enflure du pis et la
douleur. Lorsqu’une vache manifeste
des signes visibles d’inflammation,
on parle de « mammite clinique ». S’il
n’y a pas de signes visibles et que les
cellules somatiques ont dépassé le
seuil considéré comme normal, on dit
que la vache souffre d’une « mammite
subclinique ».
Malgré une meilleure compréhen-
sion du système immunitaire des
bovins, la définition de mammite reste
encore ouverte. Avec la venue d’outils
plus performants pour étudier le sys-
tème immunitaire et qui deviendront
disponibles pour les chercheurs, de
nouvelles définitions ou des défini-
tions actualisées de la mammite ver-
ront le jour. Une définition précise de
ce qui est normal ou anormal serait
utile autant pour les chercheurs que
pour les producteurs et mettrait fin à
l’approximation que l’on fait couram-
ment lors de l’évaluation du niveau
de cellules somatiques individuel ou
du lait du réservoir. Par exemple, une
vache qui a un CCS stable et bas de
50 000 CS/ml et qui, lors du dernier
contrôle laitier, démontre un CCS de
180 000 soulève la question suivante :
est-ce une simple variation normale
du CCS dans une glande saine ou le
début d’une réponse inflammatoire
due à une infection? En d’autres mots,
est-ce normal ou est-ce un signe que
les problèmes commencent?
LA MAMMITE SIGNIFIE QU’ON
EST DANS LE PÉTRIN…
Pour la plupart des producteurs
laitiers, peu importe sa définition, la
mammite signifie être dans le pétrin.
Les vaches avec une infection clinique
doivent être traitées et gérées diffé-
remment des vaches saines. Celles
avec une mammite subclinique doivent
être évaluées soigneusement et dans
certains cas, elles doivent être traitées,
séparées du reste du troupeau ou
parfois être réformées. Ainsi, clinique
ou subclinique, tout cas de mammite
implique un changement des procé-
dures et l’obligation de porter une
attention particulière à la gestion du
troupeau. Bref, on est dans le pétrin!
Ultimement, la production laitière
consiste à procurer aux consomma-
teurs des aliments de haute qualité,
que ce soit en matière de lait, de fro-
mage ou de tout autre produit laitier.
Pour les transformateurs, qui dépen-
dent de la qualité du lait fourni par
les producteurs, la mammite signifie
aussi être dans le pétrin. En effet, le
lait de piètre qualité affecte la durée de
conservation du lait pasteurisé, réduit
le rendement fromager et est associé
à un plus haut risque de contamina-
tion inhibitrice de la fermentation et
influence la qualité des produits offerts
aux consommateurs.
Dans plusieurs pays, la qualité du
lait est valorisée par un prix plus élevé
et des primes à la qualité. Toutefois,
la mammite ne signifie pas qu’on
est dans le pétrin uniquement parce
qu’elle cause plus de travail. Elle peut
aussi signifier des pertes économiques.
La mammite est coûteuse et pourtant,
quand les producteurs sont appelés à
en estimer le coût sur leurs fermes,
plusieurs le sous-estiment. Les coûts
varient beaucoup d’une ferme à l’autre.
Cela indique que, pour une grande
proportion d’entre elles, certains coûts
pourraient être évités.
Les mammites cliniques et subcli-
niques combinées représentent, pour
la plupart des fermes, la plus grande
perte économique due à la maladie.
Cette perte est attribuable au coût
des traitements et du travail supplé-
mentaire, à la perte en lait, à un prix
du lait inférieur et, dans certains cas,
à la mort de la vache. En effet, les cas
sévères causent la mortalité ou néces-
sitent une réforme hâtive.
LA MAMMITE, C’EST AUSSI
UNE OPPORTUNITÉ!
Parce que la mammite entraîne une
grande variation de coûts d’une ferme
à l’autre, les médecins vétérinaires
voient parfois cette maladie comme
une opportunité d’aider leurs clients
Tout cas de
mammite implique
un changement
des procédures et
l’obligation de porter
une attention
particulière à la
gestion du troupeau.
février 2012 Le producteur de Lait québécois
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En général, la mise en place de cette
approche en deux volets entraîne une
chute rapide des problèmes de mam-
mite subclinique. Cependant, tous les
problèmes ne sont pas aussi aisés à
régler. Dans certains troupeaux, la
mammite demeure une préoccupa-
tion majeure, parfois sur une longue
période, pour le producteur et ses
conseillers. Les problèmes persistants
peuvent être associés à des pathogènes
tels que Mycoplasma, Prototheca ou
des levures contre lesquels il n’existe
pas de solutions faciles. La résolution
du problème implique plutôt des chan-
gements à long terme de la gestion
de la santé du troupeau et des soins
apportés aux animaux atteints.
Les problèmes associés à la mam-
mite clinique sont aussi parfois diffi -
ciles à résoudre sur les fermes qui ont
pourtant un CCS bas. Sur ces fermes,
la mammite subclinique est maîtrisée,
mais ces troupeaux continuent d’être
affectés par les cas de mammite cli-
niques. Le plus souvent, ces cas sont
de courte durée, mais très sévères et
entraînent d’importantes pertes en lait
et un taux de mortalité résultant des
graves symptômes cliniques. Résoudre
ces problèmes signifi e tout un défi .
Encore une fois, ce sont les pratiques
qui doivent être modifi ées si l’on veut
connaître une amélioration. Il faut
donc évaluer ses pratiques de gestion :
procédure de traite, hygiène de l’envi-
à améliorer leur production et leurs
revenus. Les pertes de revenus et de
lait (et parfois de l’animal lui-même)
sont douloureuses pour le producteur.
Toutefois, c’est l’occasion de travailler
étroitement avec son médecin vétéri-
naire pour trouver des façons d’amé-
liorer la gestion du troupeau afi n de
diminuer les pertes.
Dans le cas de la mammite sub-
clinique qui se caractérise par des
épisodes de longue durée (semaines
et mois), sans symptômes (et qui est
souvent de type contagieuse), il existe
une foule de solutions effi caces qui
peuvent la réduire signifi cativement,
abaisser le CCS et avoir un effet béné-
que sur la qualité du lait. La résolu-
tion de ces cas comporte deux facettes.
La première est de viser la diminution
de leur durée. Cela est possible par
le traitement en cours de lactation
dès que l’infection est détectée, par
le traitement des vaches taries, mais
aussi par la réforme des sujets ou
des quartiers infectés. La deuxième
facette est la prévention de nouveaux
cas d’infection par l’implantation de
pratiques de gestion qui limitent la
contamination de vache en vache. Ces
pratiques de gestion de la san du
pis comprennent le bain de trayon en
post-traite, une meilleure hygiène des
stalles et des allées et la ségrégation
des vaches infectées dans un groupe
distinct lors de la traite.
ronnement, protocole de traitement,
élevage des taures de remplacement,
biosécurité, réforme, gestion du taris-
sement et de la période de transition,
gestion des vaches fraîchement vêlées,
nutrition et alimentation. Il faut aussi
tenir compte de la présence d’autres
maladies infectieuses et des particula-
rités individuelles des fermes.
Bien que la solution miracle n’existe
pas pour ces situations, une analyse
détaillée des données du troupeau et
une observation pointue de ce qui est
pratiqué à la ferme permettent l’iden-
tifi cation des facteurs de risque qui
doivent être étudiés. Dans la plupart et
même dans la presque totalité de ces
situations, une collaboration étroite
entre les producteurs, leurs médecins
vétérinaires et leurs conseillers aboutit
à une amélioration de l’état de la santé
mammaire.
PEU IMPORTE LA DÉFINITION,
ON PEUT LA PRÉVENIR
Bien que la mammite soit une des
plus communes et des plus impor-
tantes maladies des vaches laitières,
il n’est pas aisé pour autant de la
défi nir avec précision. Même si le CCS
est utilisé pour mesurer la réponse
immunitaire due à l’irritation de la
glande mammaire et si on a le
seuil à 200 000 CS /ml pour établir
la différence entre ce qui est normal
ou non, ce critère n’est pas parfait.
Défi nitivement, la mammite est syno-
nyme de pétrin, mais aussi d’occasion.
L’objectif ultime de notre industrie
laitière est de procurer aux consom-
mateurs un produit de grande qualité.
La production d’un lait de qualité est
une source aussi de satisfaction pour
les producteurs qui bénéficient de
meilleurs revenus et qui s’assurent
ainsi, à long terme, que les consom-
mateurs apprécient et accordent leur
confi ance aux produits laitiers qu’ils
achètent. On peut être sûr que la
mammite se manifestera sur chaque
ferme, mais ultimement, c’est le pro-
ducteur qui aura à décider des mesures
qu’il prendra pour la prévenir et pour
réduire la durée des cas auxquels il
fait face. n
Note : Ce texte est extrait de l’article intitulé
« What is mastitis? », paru initialement dans
M2-Magazine, publié en collaboration avec le
M-Team de l’Université de Gand en Belgique.
www.m2-magazine.org
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