The Banker’s Comment - Jean-Pierre Patat
Regard d’un ex-banquier central sur l’actualité
Juillet 2016
TAC ECONOMICS Newsletter www.taceconomics.com
Tous les mois, Jean-Pierre Patat, Directeur Général Honoraire de
la Banque de France et Conseiller de TAC ECONOMICS, nous livre,
en toute liberté de parole, son point de vue sur les faits
marquants de l’actualité économique et financière.
Email : jppatat@taceconomics.com
Le chiffre du mois : 26%, évidemment, taux de progression du PIB
irlandais dû aux implantations de firmes étrangères et qui devrait
faire réfléchir sur la pertinence du calcul actuel du PIB.
Nouvelles menaces sur la zone euro ?
« Brexit » ou pas « Brexit » disent plusieurs analystes, la zone
euro est de toutes manières en situation de grande fragilité.
La raison essentielle d’après eux, les déséquilibres persistants
entre les pays du « nord » et ceux du « sud », avec, en
circonstance nouvelle aggravante, le fait que le pays
excédentaire majeur, l’Allemagne, réinvestit de moins en
moins dans les pays périphériques les colossaux fonds
d’épargne qu’il capte via le solde de ses paiements courants.
Seule la politique ultra accommodante de la Banque Centrale
Européenne qui rachète des monceaux de titres obligataires
publics permettrait à ces Etats du « sud » de bénéficier de
taux d’endettement bien inférieurs à ce que leur situation
effective les contraindrait à payer.
« Les marchés sont peureux comme des lapins, mais ont une
mémoire d’éléphant » disait en son temps un banquier central
qui s’y connaissait. Doit-on appliquer cela aux analystes de
marchés ? C’est peut–être surprenant, inattendu pour
certains, mais tous les Etats dits du « sud » ont désormais des
comptes extérieurs en excédent et sont donc beaucoup moins
dépendants des transferts d’épargne des non-résidents. En
fait, partout en Europe, les pays sont excédentaires sauf la
Grèce… et la France. Mais dira-t-on, il y a les finances
publiques, les menaces de sanctions de la Commission envers
l’Espagne et le Portugal. Des menaces symboliques. En dépit
de résultats encore éloignés de la limite des 3%, ces deux pays
ont tout de même réduit de moitié leur déficit en 5 ans et la
Commission elle-même reconnaît qu’ils font des efforts
significatifs.
La zone euro n’est pas pour autant à l’abri de secousses, mais
les causes potentielles ont évolué : problèmes bancaires dans
certains pays (cf mon autre chronique), mais la zone est
désormais assez bien armée pour y parer. Plus grave à mon
sens est la situation déstabilisante créée par la politique de
taux zéro de la banque centrale qui lamine les marges
bancaires, et ses rachats massifs d’obligations, à tel point que
près de la moitié de la dette publique émise dans la zone l’est
à taux négatif. Potentiellement plus grave aussi est
l’affaiblissement, au plan économique et financier, de la
« charnière » franco-allemande qui maintenait l’unité entre
un nord très performant et le sud. Alors que le sud se
redresse, le délitement de l’axe « porteur » de la zone est
peut-être le risque majeur auquel la monnaie unique est
aujourd’hui confrontée.
Convoitises sur les activités de la place financière de
Londres. La grande illusion ?
Les résultats du référendum britannique étaient à peine connus que
déjà les convoitises sur le pactole que représente l’activité de la place
financière de Londres (près de 10% du PIB du pays) se découvraient.
Nul jugement moral dans ce constat. Le Premier ministre anglais lui-
même n’avait-il pas, il y a quelques années, déclaré vouloir dérouler
le tapis rouge pour les entreprises françaises qui fuiraient un pays où
la fiscalité serait trop lourde ? C’est plutôt sur le réalisme de ces
ambitions que l’on peut s’interroger. Londres n’est pas les îles
Caïmans où, effectivement, une modification de la législation fiscale
ferait déménager toutes les firmes qui y sont domiciliées avec de
simples boites aux lettres. C’est le résultat de dizaines d’années de
professionnalisme et de réputation, d’une aura, tels le prestige qui
s’attache à une marque quel que soit son prix, et qui ne s’évaporeront
pas facilement. Un professionnalisme, une réputation, une aura dont,
à l’évidence, les places qui rêvent de détrôner Londres, ne jouissent
pas, à tort ou à raison. Ajoutons que les Anglais ne se laisseront
évidemment pas faire qui, déjà, déclarent vouloir abaisser le taux de
l’impôt sur les sociétés à des niveaux irlandais. Il est significatif de
constater que le projet de fusion de la bourse de Londres et de celle
de Francfort n’est nullement remis en cause par le Brexit ce qui
devrait faire réfléchir les autres responsables européens sur une
supposée perte d’attractivité de la finance londonienne. Paris, disent
les dirigeants français, veut récupérer la compensation en euros que
Londres s’est arrogée. Mais si un transfert se produit, il y a de bonnes
chances pour que ce soit vers Francfort, siège de la BCE et dont le
poids financier va fortement se renforcer avec la fusion des deux
bourses. De toutes manières, il faudrait que les autorités monétaires
européennes débranchent l’accès au système de règlements
interbancaires Target, dont jouissent les banques britanniques dans les
mêmes conditions que les banques de la zone euro. Iront–elles jusque
là ?
Allons-nous vers un monde sans espèces monétaires ?
C’est ce que prédisent des observateurs pour qui, souvent, l’instant et
la nouveauté servent de boussole. La multiplication des monnaies
« parallèles » est certes un fait avéré, mais :
1) dès que l’on sort du cercle des utilisateurs, il faut bien revenir à la
monnaie classique, laquelle, d’ailleurs a servi de support à la mise en
circulation de ces monnaies qui ne sont pas sorties de rien.
2) l’acceptation d’une monnaie repose sur la confiance. Dès que l’on
est sorti du terrain restreint des monnaies métalliques, cette
confiance a pris racine dans la conviction que, au-delà des formes les
plus diverses que pouvaient prendre les moyens de paiement, il
existait une « ultime monnaie », que l’on ne pourrait, quelles que
soient les circonstances, refuser en paiement. Ce fut longtemps l’or ;
actuellement, c’est le billet. Sur quoi reposerait la confiance dans un
monde sans espèces ?
Le nom du mois : Barroso.
Son recrutement, à prix d’or évidemment, par Goldman Sachs fait scandale, en particulier en France où cette institution financière rassemble le
summum de détestation de la finance qui caractérise l’esprit national. Evidemment que c’est choquant, d’autant que l’homme, dont les compétences
financières ne sautaient pas aux yeux à ce jour, est recruté précisément pour commettre exactement ce qu’on lui reproche, le conflit d’intérêt, grâce
à son carnet d’adresses. Il n’est pas le seul dans ce cas. Hélas ! Rares sont ceux qui résistent à l’attrait de l’argent. Le président de la BCE lui-même
n’a guère eu de réserves pour se livrer à de tels errements dans le passé. Et que dire de l’ancien président de la Fed, Alan Greenspan, qui s’est laissé
acheter par un hedge fund !
Difficultés des banques italiennes. Quand les systèmes les plus rationnels peuvent créer des problèmes.
Personne ne peut critiquer les nouvelles règles européennes de « bail in » des banques en difficulté. Faire payer les actionnaires, puis les créanciers,
enfin en dernier ressort les gros déposants, et non les contribuables relève du bon sens. Une reforme d’autant mieux admise que, dans l’esprit de la
plupart d’entre nous, les actionnaires et même les créanciers des grandes banques sont forcément des capitalistes sans âme, voire même de honteux
spéculateurs. Pas en Italie en tout cas où la dette publique, comme celle des grands acteurs économiques, est peu détenue par les non-résidents et
constitue un placement apprécié par des millions de ménages. Les cinquante milliards d’euros estimés nécessaires pour atténuer le poids des créances
douteuses des banques italiennes impacterait paraît–il plusieurs millions de ménages italiens. Le gouvernement italien, dans les clous budgétaires du
pacte de stabilité depuis deux ans, est tenté de les prendre en charge. Qu’en pense la BCE, investie désormais de la mission de supervision bancaire,
et bien silencieuse ?