The Banker’s Comment - Jean-Pierre Patat Regard d’un ex-banquier central sur l’actualité Juillet 2016 Tous les mois, Jean-Pierre Patat, Directeur Général Honoraire de la Banque de France et Conseiller de TAC ECONOMICS, nous livre, en toute liberté de parole, son point de vue sur les faits marquants de l’actualité économique et financière. Email : [email protected] Nouvelles menaces sur la zone euro ? « Brexit » ou pas « Brexit » disent plusieurs analystes, la zone euro est de toutes manières en situation de grande fragilité. La raison essentielle d’après eux, les déséquilibres persistants entre les pays du « nord » et ceux du « sud », avec, en circonstance nouvelle aggravante, le fait que le pays excédentaire majeur, l’Allemagne, réinvestit de moins en moins dans les pays périphériques les colossaux fonds d’épargne qu’il capte via le solde de ses paiements courants. Seule la politique ultra accommodante de la Banque Centrale Européenne qui rachète des monceaux de titres obligataires publics permettrait à ces Etats du « sud » de bénéficier de taux d’endettement bien inférieurs à ce que leur situation effective les contraindrait à payer. « Les marchés sont peureux comme des lapins, mais ont une mémoire d’éléphant » disait en son temps un banquier central qui s’y connaissait. Doit-on appliquer cela aux analystes de marchés ? C’est peut–être surprenant, inattendu pour certains, mais tous les Etats dits du « sud » ont désormais des comptes extérieurs en excédent et sont donc beaucoup moins dépendants des transferts d’épargne des non-résidents. En fait, partout en Europe, les pays sont excédentaires sauf la Grèce… et la France. Mais dira-t-on, il y a les finances publiques, les menaces de sanctions de la Commission envers l’Espagne et le Portugal. Des menaces symboliques. En dépit de résultats encore éloignés de la limite des 3%, ces deux pays ont tout de même réduit de moitié leur déficit en 5 ans et la Commission elle-même reconnaît qu’ils font des efforts significatifs. La zone euro n’est pas pour autant à l’abri de secousses, mais les causes potentielles ont évolué : problèmes bancaires dans certains pays (cf mon autre chronique), mais la zone est désormais assez bien armée pour y parer. Plus grave à mon sens est la situation déstabilisante créée par la politique de taux zéro de la banque centrale qui lamine les marges bancaires, et ses rachats massifs d’obligations, à tel point que près de la moitié de la dette publique émise dans la zone l’est à taux négatif. Potentiellement plus grave aussi est l’affaiblissement, au plan économique et financier, de la « charnière » franco-allemande qui maintenait l’unité entre un nord très performant et le sud. Alors que le sud se redresse, le délitement de l’axe « porteur » de la zone est peut-être le risque majeur auquel la monnaie unique est aujourd’hui confrontée. Le chiffre du mois : 26%, évidemment, taux de progression du PIB irlandais dû aux implantations de firmes étrangères et qui devrait faire réfléchir sur la pertinence du calcul actuel du PIB. Convoitises sur les activités de la place financière de Londres. La grande illusion ? Les résultats du référendum britannique étaient à peine connus que déjà les convoitises sur le pactole que représente l’activité de la place financière de Londres (près de 10% du PIB du pays) se découvraient. Nul jugement moral dans ce constat. Le Premier ministre anglais luimême n’avait-il pas, il y a quelques années, déclaré vouloir dérouler le tapis rouge pour les entreprises françaises qui fuiraient un pays où la fiscalité serait trop lourde ? C’est plutôt sur le réalisme de ces ambitions que l’on peut s’interroger. Londres n’est pas les îles Caïmans où, effectivement, une modification de la législation fiscale ferait déménager toutes les firmes qui y sont domiciliées avec de simples boites aux lettres. C’est le résultat de dizaines d’années de professionnalisme et de réputation, d’une aura, tels le prestige qui s’attache à une marque quel que soit son prix, et qui ne s’évaporeront pas facilement. Un professionnalisme, une réputation, une aura dont, à l’évidence, les places qui rêvent de détrôner Londres, ne jouissent pas, à tort ou à raison. Ajoutons que les Anglais ne se laisseront évidemment pas faire qui, déjà, déclarent vouloir abaisser le taux de l’impôt sur les sociétés à des niveaux irlandais. Il est significatif de constater que le projet de fusion de la bourse de Londres et de celle de Francfort n’est nullement remis en cause par le Brexit ce qui devrait faire réfléchir les autres responsables européens sur une supposée perte d’attractivité de la finance londonienne. Paris, disent les dirigeants français, veut récupérer la compensation en euros que Londres s’est arrogée. Mais si un transfert se produit, il y a de bonnes chances pour que ce soit vers Francfort, siège de la BCE et dont le poids financier va fortement se renforcer avec la fusion des deux bourses. De toutes manières, il faudrait que les autorités monétaires européennes débranchent l’accès au système de règlements interbancaires Target, dont jouissent les banques britanniques dans les mêmes conditions que les banques de la zone euro. Iront–elles jusque là ? Allons-nous vers un monde sans espèces monétaires ? C’est ce que prédisent des observateurs pour qui, souvent, l’instant et la nouveauté servent de boussole. La multiplication des monnaies « parallèles » est certes un fait avéré, mais : 1) dès que l’on sort du cercle des utilisateurs, il faut bien revenir à la monnaie classique, laquelle, d’ailleurs a servi de support à la mise en circulation de ces monnaies qui ne sont pas sorties de rien. 2) l’acceptation d’une monnaie repose sur la confiance. Dès que l’on est sorti du terrain restreint des monnaies métalliques, cette confiance a pris racine dans la conviction que, au-delà des formes les plus diverses que pouvaient prendre les moyens de paiement, il existait une « ultime monnaie », que l’on ne pourrait, quelles que soient les circonstances, refuser en paiement. Ce fut longtemps l’or ; actuellement, c’est le billet. Sur quoi reposerait la confiance dans un monde sans espèces ? Le nom du mois : Barroso. Son recrutement, à prix d’or évidemment, par Goldman Sachs fait scandale, en particulier en France où cette institution financière rassemble le summum de détestation de la finance qui caractérise l’esprit national. Evidemment que c’est choquant, d’autant que l’homme, dont les compétences financières ne sautaient pas aux yeux à ce jour, est recruté précisément pour commettre exactement ce qu’on lui reproche, le conflit d’intérêt, grâce à son carnet d’adresses. Il n’est pas le seul dans ce cas. Hélas ! Rares sont ceux qui résistent à l’attrait de l’argent. Le président de la BCE lui-même n’a guère eu de réserves pour se livrer à de tels errements dans le passé. Et que dire de l’ancien président de la Fed, Alan Greenspan, qui s’est laissé acheter par un hedge fund ! Difficultés des banques italiennes. Quand les systèmes les plus rationnels peuvent créer des problèmes. Personne ne peut critiquer les nouvelles règles européennes de « bail in » des banques en difficulté. Faire payer les actionnaires, puis les créanciers, enfin en dernier ressort les gros déposants, et non les contribuables relève du bon sens. Une reforme d’autant mieux admise que, dans l’esprit de la plupart d’entre nous, les actionnaires et même les créanciers des grandes banques sont forcément des capitalistes sans âme, voire même de honteux spéculateurs. Pas en Italie en tout cas où la dette publique, comme celle des grands acteurs économiques, est peu détenue par les non-résidents et constitue un placement apprécié par des millions de ménages. Les cinquante milliards d’euros estimés nécessaires pour atténuer le poids des créances douteuses des banques italiennes impacterait paraît–il plusieurs millions de ménages italiens. Le gouvernement italien, dans les clous budgétaires du pacte de stabilité depuis deux ans, est tenté de les prendre en charge. Qu’en pense la BCE, investie désormais de la mission de supervision bancaire, et bien silencieuse ? 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