Le rôle de l`interlocuteur natif dans l`interaction exolingue et l

Cahiers de praxématique
25 | 1995
S'approprier la langue de l'autre
Le rôle de l’interlocuteur natif dans l’interaction
exolingue et l’apprentissage de la compréhension.
The native, his role, part and position in intercultural encounters and the
learning of understanding.
Marie-Thérèse Vasseur
Édition électronique
URL : http://praxematique.revues.org/3083
ISSN : 2111-5044
Éditeur
Presses universitaires de la Méditerranée
Édition imprimée
Date de publication : 1 février 1995
Pagination : 53-77
ISSN : 0765-4944
Référence électronique
Marie-Thérèse Vasseur, « Le rôle de l’interlocuteur natif dans l’interaction exolingue et l’apprentissage
de la compréhension. », Cahiers de praxématique [En ligne], 25 | 1995, document 3, mis en ligne le 01
janvier 2015, consulté le 02 octobre 2016. URL : http://praxematique.revues.org/3083
Ce document est un fac-similé de l'édition imprimée.
Tous droits réservés
Marie-Thérèse VASSEUR,
Université René Descartes–PARIS V
GdR 113 et URA 1031 – CNRS
Le rôle de l'interlocuteur natif dans l'interaction
exolingue et l'apprentissage de la
compréhension1
Introduction
Dans l'échange exolingue, le natif est l'expert en ce qui concerne
l'outil de communication. C'est donc lui qui occupe la position haute.
Le non-natif, non expert donc, est couramment ressenti et présen
comme portant la responsabilité de l'échec de l'échange. C'est lui qui ne
comprend pas et ne peut pas se faire comprendre. Or, contrairement à
ce que l'on pense, l'intercommunication et l'acquisition en L2 relèvent
aussi de la responsabilité du natif. Pendant un instant donc, nous nous
interesserons au natif.
J'indiquerai rapidement le cadre dans lequel je me situe : l'interac-
tion exolingue et la réflexion actuelle sur la mise en relation des travaux
sur l'acquisition et des travaux sur l'interaction. Dans ce domaine, je
ferai un bref survol des travaux européens de ces 15 dernières années
sur la question sans insister sur le tail (voir Véronique 1992) mais en
soulignant la variation du regard des chercheurs sur l'interaction.
La perspective de départ consistait à partir du point de vue univoque
du locuteur non-natif dit d'embe ‘apprenant’ dans le cadre de ses
échanges avec le locuteur natif. Les chercheurs ont recensé les procédés
1 Le contenu de cet article a fait l'objet d'une communication au colloque EUROSLA
d'Aix-en-Povence, 8-10 septembre 1994.
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utilisés par le non-natif en difficulté selon l’‘objectif visé’ : centration
sur le sens à communiquer ou centration sur l'appropriation des données
linguistiques. Ces travaux ont abouti à des typologies de ‘stratégies’ se
répartissant essentiellement autour de la distinction stratégies de com-
munication stratégies d'apprentissage (Frauenfelder & Porquier 1979,
Faerch & Kasper1983 par exemple), et des actions à ces propositions
(Tarone 1979 & 1980 qui propose la distinction stratégies d'emploi de
la langue, stratégies de communication et stratégies d'apprentissage,
Corder 1984 qui indique que les mêmes stratégies peuvent avoir les
deux fonctions, puis Bialystok & Sharwood-Smith 1985, 1990 qui op-
posent les stratégies centrées sur les savoirs et les stratégies centrées sur
le contrôle).
Peu à peu, un autre point de vue apparait et prévaut. L'approche se
fait dialogique. On insiste sur le travail conjoint des deux partenaires.
On observe l'accommodement réciproque et les malentendus (Noyau &
Porquier 1984). Les chercheurs s'inspirent en partie des travaux de
Sacks, Schegloff et Jefferson (1974) sur le système de la conversation.
Cette dernière perspective de type ethnométhodologique caractérise les
travaux de l'équipe de Bielefeld. L'analyse se focalise sur les temps
forts de la collaboration : achèvement interactif, reformulation, défini-
tion, demande de bis… (Gülich 1986, Dausendschön-Gay & Krafft
1987). Elle est complétée par l'approche ethnographique (Gumperz
1982) qui privilégie le travail d'interprétation auquel se livrent les par-
tenaires à partir des indices de contextualisation repérables dans les
discours de l'un et de l'autre et donne au contexte une place extrême-
ment importante compte tenu des faibles ressources linguistiques du
non-natif en L2.
Enrichie de ces approches, l'analyse de la conversation exolingue se
poursuit en reprenant la question de l'acquisition. On cherche à analyser
la relation entre les procédés conversationnels et le développement
linguistique (De Pietro, Matthey & Py 1989, Vasseur 1990,…). Cette
relation est présentée à ce stade comme ayant un caractère d'évidence
qui reste à démontrer et à nuancer.
Cherchant alors à dissocier les procédés utilisés pour la communica-
tion et les procédés utilisés pour l'acquisition, on établit des distinctions
entre les formes discursives utilisées et leurs fonctions, (cf sur les
Le rôle de l'interlocuteur natif dans l'interaction exolingue 55
reprises : Vion & Mittner 1988 & Vasseur 1989). Dans le cadre de cette
réflexion sur la distinction procédé-fonction, Bange introduit la notion
de « double focalisation » des échanges exolingues (1987) qui se pola-
risent tantôt sur le sens communiqué, tantôt, quand il y a difficulté, sur
les outils linguistiques.
Le questionnement sur les relations intercomprehension-acquisition
entrepris dans le rapport du programme européen de recherche sur
l'acquisition d'une langue seconde par des adultes soutenu par la Fonda-
tion Européenne de la Science (Perdue 1988 et 1992) aboutit au constat
d'une extrême complexité et variabili dans les parcours de dévelop-
pement de la compétence en comprehension.
La recherche se poursuit actuellement dans les deux sens :
1) approche interactionniste : autour d'un approfondissement de la
réflexion sur la relation interaction-acquisition : affinement du concept
de SPA (Séquences Potentiellement Acquisitionnelles, Py 1990) puis
introduction du concept de SLASS (Second Language Acquisition
Support System)(Dausendschön-Gay & Krafft 1991) à partir du LASS
(Language Acquisition Support System) de Bruner.
Autour ensuite d'une redéfinition et d'un développement du concept
d’apprentissage, c'est-à-dire du « chaînon intermédiaire entre commu-
nication et acquisition » (Bange 1992), du choix, non nécessairement
explicite, du non-natif de contrôler son usage et son appropriation des
moyens de communication de l'autre (Vasseur 1993).
2) traitement isolé de chacun des deux points de vue : d'un côté le
point de vue du sujet apprenant : Py propose un modèle théorique avec
focalisation sur l'apprenant (1993) ; de l'autre, le travail conjoint, recen-
tration sur la complexité du travail de co-construction du sens et de sa
contextualisation par les deux partenaires, l'interaction verbale ou non
verbale, exolingue (Gumperz & Roberts 1991, Bremer 1992, Roberts,
Bremer, Vasseur & al. sous presse).
Ce va-et-vient que l'on peut observer entre les deux entrées :
interaction/ acquisition, le travail des deux partenaires ou le travail
personnel de l'apprenant, montre bien la difficulté qu'il y a, (par le fait
même de leur emboîtement), à les dissocier l'une de l'autre, mais aussi
la difficulté qu'ont les chercheurs à traduire au niveau cognitif le travail
qui se fait au niveau interactif (Véronique 1992). Les chercheurs
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interactionnistes s'accordent pour penser que ces deux domaines sont
liés l'un à l'autre, que « la perspective interactionniste est
nécessairement constructiviste » comme le dit Bange 1992, mais
qu'effectivement, bien que passant par l'interaction, la « mise en place
des outils n'est pas une conséquence automatique de (l'interaction) »
(Py 1993). Il me semble que, plutôt que de considérer l'interaction
comme un ensemble de « circonstances » plus ou moins favorables au
développement et donc au travail cognitif, l'on doit encore approfondir
l'analyse de cette interface socio-affectivo-cognitive que constitue
l'interaction et dans laquelle le travail d'élaboration conceptuelle qui se
fait est, selon les termes de Vygotsky (1934/1985), interpsychique
avant d'être intrapsychique.
Je chercherai ici à poursuivre la clarification en privilégiant le pôle
locuteur natif. A partir de données parfois déjà connues tirées du pro-
gramme européen de recherche déjà nom(Perdue 1992), je souhaite-
rais faire le point sur le travail que le natif fait parfois pour optimiser
l'échange avec le non-natif et, éventuellement, susciter un développe-
ment de ses moyens d'expression. Je me demanderai donc quel le
peut jouer le natif, dans quelles conditions peuvent se développer ses
conduites de coopération et ce qui fait qu'une conduite peut devenir
‘étayante’ c'est-à-dire auxiliaire d'apprentissage pour le non-natif
1. Les formes de collaboration du natif et leurs fonctions
Je commencerai par présenter une situation exemplaire (voir An-
nexe I). Le dialogue a lieu dans une agence de voyages à Londres. Le
non-natif italien veut s'informer sur les horaires et les tarifs des bus qui
vont à Birmingham. L'employé natif qui, dès le début, a repéré la
compétence linguistique déficiente de Santo, fait très peu d'effort pour
comprendre. Non seulement, il presse son interlocuteur de demandes de
précision, mais il le fait de façon elliptique et agressive (on what ? bus,
train, what ?). Et surtout, il fait de l'humour à ses dépens (what do you
want to travel on ? donkey ?) et il rit de sa maladresse lorsqu'il fait une
réponse inadéquate (someone) à la question injurieuse qu'il lui pose.
Ainsi, dans cette interaction, le natif, tel un miroir, renvoie au non-
natif les mots inadéquats qu'il a produits. Instaurant de ce fait un espace
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