Le rôle de l`interlocuteur natif dans l`interaction exolingue et l

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Cahiers de praxématique
25 | 1995
S'approprier la langue de l'autre
Le rôle de l’interlocuteur natif dans l’interaction
exolingue et l’apprentissage de la compréhension.
The native, his role, part and position in intercultural encounters and the
learning of understanding.
Marie-Thérèse Vasseur
Éditeur
Presses universitaires de la Méditerranée
Édition électronique
URL : http://praxematique.revues.org/3083
ISSN : 2111-5044
Édition imprimée
Date de publication : 1 février 1995
Pagination : 53-77
ISSN : 0765-4944
Référence électronique
Marie-Thérèse Vasseur, « Le rôle de l’interlocuteur natif dans l’interaction exolingue et l’apprentissage
de la compréhension. », Cahiers de praxématique [En ligne], 25 | 1995, document 3, mis en ligne le 01
janvier 2015, consulté le 02 octobre 2016. URL : http://praxematique.revues.org/3083
Ce document est un fac-similé de l'édition imprimée.
Tous droits réservés
Marie-Thérèse VASSEUR,
Université René Descartes–PARIS V
GdR 113 et URA 1031 – CNRS
Le rôle de l'interlocuteur natif dans l'interaction
exolingue et l'apprentissage de la
compréhension1
Introduction
Dans l'échange exolingue, le natif est l'expert en ce qui concerne
l'outil de communication. C'est donc lui qui occupe la position haute.
Le non-natif, non expert donc, est couramment ressenti et présenté
comme portant la responsabilité de l'échec de l'échange. C'est lui qui ne
comprend pas et ne peut pas se faire comprendre. Or, contrairement à
ce que l'on pense, l'intercommunication et l'acquisition en L2 relèvent
aussi de la responsabilité du natif. Pendant un instant donc, nous nous
interesserons au natif.
J'indiquerai rapidement le cadre dans lequel je me situe : l'interaction exolingue et la réflexion actuelle sur la mise en relation des travaux
sur l'acquisition et des travaux sur l'interaction. Dans ce domaine, je
ferai un bref survol des travaux européens de ces 15 dernières années
sur la question sans insister sur le détail (voir Véronique 1992) mais en
soulignant la variation du regard des chercheurs sur l'interaction.
La perspective de départ consistait à partir du point de vue univoque
du locuteur non-natif dit d'emblée ‘apprenant’ dans le cadre de ses
échanges avec le locuteur natif. Les chercheurs ont recensé les procédés
1
Le contenu de cet article a fait l'objet d'une communication au colloque EUROSLA
d'Aix-en-Povence, 8-10 septembre 1994.
54
Cahiers de praxématique 25, 1995
utilisés par le non-natif en difficulté selon l’‘objectif visé’ : centration
sur le sens à communiquer ou centration sur l'appropriation des données
linguistiques. Ces travaux ont abouti à des typologies de ‘stratégies’ se
répartissant essentiellement autour de la distinction stratégies de communication – stratégies d'apprentissage (Frauenfelder & Porquier 1979,
Faerch & Kasper1983 par exemple), et des réactions à ces propositions
(Tarone 1979 & 1980 qui propose la distinction stratégies d'emploi de
la langue, stratégies de communication et stratégies d'apprentissage,
Corder 1984 qui indique que les mêmes stratégies peuvent avoir les
deux fonctions, puis Bialystok & Sharwood-Smith 1985, 1990 qui opposent les stratégies centrées sur les savoirs et les stratégies centrées sur
le contrôle).
Peu à peu, un autre point de vue apparait et prévaut. L'approche se
fait dialogique. On insiste sur le travail conjoint des deux partenaires.
On observe l'accommodement réciproque et les malentendus (Noyau &
Porquier 1984). Les chercheurs s'inspirent en partie des travaux de
Sacks, Schegloff et Jefferson (1974) sur le système de la conversation.
Cette dernière perspective de type ethnométhodologique caractérise les
travaux de l'équipe de Bielefeld. L'analyse se focalise sur les temps
forts de la collaboration : achèvement interactif, reformulation, définition, demande de bis… (Gülich 1986, Dausendschön-Gay & Krafft
1987). Elle est complétée par l'approche ethnographique (Gumperz
1982) qui privilégie le travail d'interprétation auquel se livrent les partenaires à partir des indices de contextualisation repérables dans les
discours de l'un et de l'autre et donne au contexte une place extrêmement importante compte tenu des faibles ressources linguistiques du
non-natif en L2.
Enrichie de ces approches, l'analyse de la conversation exolingue se
poursuit en reprenant la question de l'acquisition. On cherche à analyser
la relation entre les procédés conversationnels et le développement
linguistique (De Pietro, Matthey & Py 1989, Vasseur 1990,…). Cette
relation est présentée à ce stade comme ayant un caractère d'évidence
qui reste à démontrer et à nuancer.
Cherchant alors à dissocier les procédés utilisés pour la communication et les procédés utilisés pour l'acquisition, on établit des distinctions
entre les formes discursives utilisées et leurs fonctions, (cf sur les
Le rôle de l'interlocuteur natif dans l'interaction exolingue
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reprises : Vion & Mittner 1988 & Vasseur 1989). Dans le cadre de cette
réflexion sur la distinction procédé-fonction, Bange introduit la notion
de « double focalisation » des échanges exolingues (1987) qui se polarisent tantôt sur le sens communiqué, tantôt, quand il y a difficulté, sur
les outils linguistiques.
Le questionnement sur les relations intercomprehension-acquisition
entrepris dans le rapport du programme européen de recherche sur
l'acquisition d'une langue seconde par des adultes soutenu par la Fondation Européenne de la Science (Perdue 1988 et 1992) aboutit au constat
d'une extrême complexité et variabilité dans les parcours de développement de la compétence en comprehension.
La recherche se poursuit actuellement dans les deux sens :
1) approche interactionniste : autour d'un approfondissement de la
réflexion sur la relation interaction-acquisition : affinement du concept
de SPA (Séquences Potentiellement Acquisitionnelles, Py 1990) puis
introduction du concept de SLASS (Second Language Acquisition
Support System)(Dausendschön-Gay & Krafft 1991) à partir du LASS
(Language Acquisition Support System) de Bruner.
Autour ensuite d'une redéfinition et d'un développement du concept
d’apprentissage, c'est-à-dire du « chaînon intermédiaire entre communication et acquisition » (Bange 1992), du choix, non nécessairement
explicite, du non-natif de contrôler son usage et son appropriation des
moyens de communication de l'autre (Vasseur 1993).
2) traitement isolé de chacun des deux points de vue : d'un côté le
point de vue du sujet apprenant : Py propose un modèle théorique avec
focalisation sur l'apprenant (1993) ; de l'autre, le travail conjoint, recentration sur la complexité du travail de co-construction du sens et de sa
contextualisation par les deux partenaires, l'interaction verbale ou non
verbale, exolingue (Gumperz & Roberts 1991, Bremer 1992, Roberts,
Bremer, Vasseur & al. sous presse).
Ce va-et-vient que l'on peut observer entre les deux entrées :
interaction/ acquisition, le travail des deux partenaires ou le travail
personnel de l'apprenant, montre bien la difficulté qu'il y a, (par le fait
même de leur emboîtement), à les dissocier l'une de l'autre, mais aussi
la difficulté qu'ont les chercheurs à traduire au niveau cognitif le travail
qui se fait au niveau interactif (Véronique 1992). Les chercheurs
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Cahiers de praxématique 25, 1995
interactionnistes s'accordent pour penser que ces deux domaines sont
liés l'un à l'autre, que « la perspective interactionniste est
nécessairement constructiviste » comme le dit Bange 1992, mais
qu'effectivement, bien que passant par l'interaction, la « mise en place
des outils n'est pas une conséquence automatique de (l'interaction) »
(Py 1993). Il me semble que, plutôt que de considérer l'interaction
comme un ensemble de « circonstances » plus ou moins favorables au
développement et donc au travail cognitif, l'on doit encore approfondir
l'analyse de cette interface socio-affectivo-cognitive que constitue
l'interaction et dans laquelle le travail d'élaboration conceptuelle qui se
fait est, selon les termes de Vygotsky (1934/1985), interpsychique
avant d'être intrapsychique.
Je chercherai ici à poursuivre la clarification en privilégiant le pôle
locuteur natif. A partir de données parfois déjà connues tirées du programme européen de recherche déjà nommé (Perdue 1992), je souhaiterais faire le point sur le travail que le natif fait parfois pour optimiser
l'échange avec le non-natif et, éventuellement, susciter un développement de ses moyens d'expression. Je me demanderai donc quel rôle
peut jouer le natif, dans quelles conditions peuvent se développer ses
conduites de coopération et ce qui fait qu'une conduite peut devenir
‘étayante’ c'est-à-dire auxiliaire d'apprentissage pour le non-natif
1. Les formes de collaboration du natif et leurs fonctions
Je commencerai par présenter une situation exemplaire (voir Annexe I). Le dialogue a lieu dans une agence de voyages à Londres. Le
non-natif italien veut s'informer sur les horaires et les tarifs des bus qui
vont à Birmingham. L'employé natif qui, dès le début, a repéré la
compétence linguistique déficiente de Santo, fait très peu d'effort pour
comprendre. Non seulement, il presse son interlocuteur de demandes de
précision, mais il le fait de façon elliptique et agressive (on what ? bus,
train, what ?). Et surtout, il fait de l'humour à ses dépens (what do you
want to travel on ? donkey ?) et il rit de sa maladresse lorsqu'il fait une
réponse inadéquate (someone) à la question injurieuse qu'il lui pose.
Ainsi, dans cette interaction, le natif, tel un miroir, renvoie au nonnatif les mots inadéquats qu'il a produits. Instaurant de ce fait un espace
Le rôle de l'interlocuteur natif dans l'interaction exolingue
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métalangagier, il propose à son partenaire non seulement des mots,
mais une image de lui-même extrêmement négative en la soulignant par
ses rires. C'est là un abus de pouvoir extraordinaire. Le non-natif est
contraint à regarder en face les limites de sa capacité à se faire comprendre et donc à communiquer. Ses réactions peuvent varier, mais on
sait que reprendre l'initiative nécessitera un effort important. De son
côté, le natif fournit très peu d'efforts pour aplanir les difficultés du
non-natif. Il utilise son statut élevé pour renforcer l'écart et la différence. Ce n'est pas toujours le cas, heureusement. Compte tenu de son
statut, le natif joue en effet un rôle extrêmement important, et l'observation de nombreuses interactions montre qu'il peut être déterminant dans
le déroulement de l'interaction et décisif dans l'appropriation de la
nouvelle langue par le sujet. Nous passerons ici en revue les fonctions
du discours du natif
1. 1. Nous venons de le voir, quelles que soient son attitude et ses
dispositions, le natif, inévitablement, évalue la compétence du nonnatif. Et, même s'il n'est pas enseignant, il utilise cette évaluation
comme base de la conduite qu'il va adopter. Il peut, pour diverses
raisons, évaluer de façon erronée, ce qui explique, chez certains natifs,
l'emploi d'un xénolecte parfois abusif. Pour éviter ce genre d'erreur et,
surtout, permettre la poursuite de l'interaction, il lui arrive de vérifier
ses évaluations intuitives en soulevant ou non les problèmes, i.e. en attirant l'attention du non-natif, implicitement (en répétant le mot ou la
phrase comme dans l'exemple I avec Santo : what ? what ? bus ?
train ?) ou explicitement (vous comprenez la question ?). Le choix et la
manière dépendent de son degré d'implication et d'expérience.
1. 2. Le natif peut (au début des échanges) faciliter l'accès à la parole
et à la compréhension. Il s'agit alors de préparer le déroulement de
l'interaction (ce qu'on a appelé un moment les « stratégies préventives »
Long 1983, Bremer & al. 1988) :
en annonçant le déroulement de l'activité, les thèmes traités,
en vérifiant les savoirs partagés
en favorisant ainsi les attentes et anticipations.
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Cahiers de praxématique 25, 1995
C'est la démarche que déploie l'employé des ASSEDIC lorsqu'il
reçoit Abdelmalek et qu'il lui demande : « vous êtes convoqué à l'Assedic. Est-ce que vous savez pourquoi ? », « vous avez compris ce que
c'est la commission ? » (voir annexe III).
Il s'agit aussi au cours de l'échange de rendre son propre discours
plus transparent :
en étant particulièrement explicite : « dans les transports en commun
dans le métro ou dans le bus ? » (annexe II)
en choisissant des mots supposés connus du non-natif : « proche de
votre domicile… près de chez vous » (annexe II)
en recourant à des structures peu complexes.
et d'encourager la participation du non-natif en lui laissant un espace de
parole et un espace discursif suffisants.
1. 3. Face aux problèmes d'intercompréhension, le natif peut aussi
diagnostiquer ou essayer de repérer la source possible du problème. Il la
signalera alors de diverses façons possibles, en soulignant (ainsi :
anyone/any dans l'exemple I), en accentuant, en répétant le mot ou
l'énoncé concerné.
1. 4. Puis, il pourra proposer une solution : en décomposant, en
reformulant, en explicitant pour rendre accessible. Ce travail fait l'objet
de ce que l'on appelle les séquences de ‘réparation’. Il a été longuement
analysé et présenté pour les interactions endolingues par les conversationnalistes (Sachs, Schegloff & Jefferson 1974) et pour les interactions
exolingues par les chercheurs du programme européen déjà cité (Perdue
1992, Bremer, Roberts, Vasseur & al. sous presse).
1. 5. Tout en remplissant les fonctions précédemment évoquées,
(évaluer, préparer, diagnostiquer, solutionner) le natif peut ou non
encourager l'autre à se conduire comme un partenaire légitime et manifester sa considération pour lui. Pour cela, il doit gérer la tension entre
les deux pôles : figuration et compréhension. Pour faire avancer l'interaction et éviter les blocages ou les ruptures, il doit recourir à des
moyens efficaces d'aide à l'intercompréhension certes, mais aussi rester
Le rôle de l'interlocuteur natif dans l'interaction exolingue
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relativement discret pour que l'autre ne perde pas trop la face en étant
brutalement confronté à son incompétence. Parmi les attitudes et dispositions qui permettent de conserver ce fragile équilibre, on citera les
précautions suivantes :
– éviter d'interrrompre
– éviter de rire, de s'énerver
– donner le temps pour réagir
– permettre les prises de parole…
(prenez votre temps, posez-moi des questions si vous ne comprenez
pas…)
L'exemple cité plus haut de Santo à l'agence de voyages est, en fait, un
bon contre-exemple de cette attitude.
1. 6. En même temps qu'il prévient ou aide à résoudre les problèmes
d'intercompréhension, le natif guide souvent son partenaire moins
expert dans l'accomplissement de la tâche à travers les échanges
question-réponse, qui structurent l'interaction. Ces questions d'orientation renvoient parfois au support de la tâche (guide horaire des chemins
de fer, programme de l'ordinateur pour l'employé de l'agence de
voyage, fiche-type pour l'employé des ASSEDIC ou de l'ANPE…) ou
au genre discursif vers lequel le natif guide le non-natif. Ce peut être un
récit, une description, une comparaison (cf Vasseur 1993). Les questions posées alors proposent indirectement le script plus ou moins
attendu de la tâche. Ainsi, les questions suivantes guident-elles pas à
pas le partenaire non-natif vers une description de son nouvel appartement :
– tu as encore déménagé ?…
– c'est loin ?…
– c'est un bel appartement ?…
– c'est mieux que l'autre ?…
– pourquoi ?…
1. 7. En même temps, il arrive que le natif aide à aborder, réviser,
modifier des connaissances et savoir-faire communicatifs, métacom-
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Cahiers de praxématique 25, 1995
municatifs et métacognitifs. Ceci revient en fait à proposer dans le
cadre de formats interactionnels (cf Dausendschön-Gay & Krafft 1991,
Vasseur 1993) :
– une aide à la référence. Il offre au non-natif les mots qui lui manquent.
– une aide à la mémorisation. Il lui répéte les mots nouveaux, comme
dans l'exemple III : « tout ça on va le dire en commission…vous avez
compris ce qu'est la commission ?,…ce papier, il va aller devant une
commission + une commission c'est d'autres gens…. »
– une aide à la catégorisation, à la différenciation. Il précise ou se fait
préciser des indications référentielles, spatiales par exemple : « près
de chez vous,… à Fon/près de Fontenay » ou « dans Paris + mais pas
à l'extérieur de Paris ? ». (annexe II)
– une aide sur la combinatoire, en proposant des modèles : « combien
d'heures de transport vous pouvez faire ?… combien d'heures. ?…
combien d'heures vous pouvez faire ? »… (annexe II)
D'une façon générale, on peut voir là un encouragement à l'instauration d'une attitude et d'habitudes métalangagières (Bouchard & de
Nuchèze 1987) ou réflexives (Vasseur & Arditty 1992). La non-transparence du discours rend en effet celui-ci plus « visible » et en fait,
davantage que dans la communication endolingue, un objet d'attention,
de questionnement (auto– et hétéro–), de travail, de mémorisation, de
contrôle et de réactivation.
2. Dans/à quelles conditions l'importance de ce rôle du natif varie-telle ? Rôles et places du natif.
Cette question nous amène à parler des éléments importants du
contexte dont dépend, dans le cadre de l'échange, la décision et le type
d'aide que va offrir le natif.
Des 4 dimensions du contexte proposées par Duranti & Goodwin
1992 et des trois types distingués par Auer 1992, je retiendrai l'opposition entre :
1) les éléments non-modifiables, qu'ils soient « déterminés »
(brought about selon la terminologie de Auer) comme les scripts, les
Le rôle de l'interlocuteur natif dans l'interaction exolingue
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cadres de participation et les savoirs, ou « apportés »(brought along
toujours selon Auer) comme l'environnement physique, la profession, le
sexe et les caractères ethniques ;
2) les éléments négociables apportés tels que les relations sociales,
que le jeu des comportements et des objectifs peut remettre en cause.
C'est à ce niveau où le contexte peut être « flexible » et « réflexif »
(Auer 1992) que se situe la marge de manœuvre des partenaires et plus
particulièrement du partenaire natif moins limité dans ses ressources
linguistiques.
Dans le cadre de la première catégorie des éléments déterminés, je
privilégierai les types d'échanges qui déterminent les rôles et, dans la
deuxième, je soulignerai l'objectif du natif concernant sa relation avec
le non-natif. Cet objectif détermine la place qu'il choisira d'adopter (au
sens de François 1984, qui entend par ce terme « la façon dont les rôles
sociaux sont repris-modifiés par les individus »). J'ajouterai à ces éléments du contexte un élément qui peut relever du texte ou du contexte,
à savoir le type de problème rencontré qui sera lui aussi déterminant
quant à la conduite adoptée par le natif.
2. 1. Le type d'échange
Selon les types d'échange, les rôles sociaux des partenaires se distribuent de façon variable et variée, en fonction des scripts et des cadres
de participation déterminés, autour de la relation et de l'enjeu d'intercompréhension. On peut distinguer une gestion différente de ces deux
axes dans les principaux types d'échange :
1) Dans la conversation familière : la tension peut être assez faible :
l'enjeu de compréhension est moins important, la compréhension
exhaustive n'est pas indispensable. Par contre, les relations interpersonnelles se prêtent souvent mieux à l'offre et à la demande de clarification/explication et à des initiatives, mais ce n'est pas automatique.
2) L'entretien (avec chercheur, enquêteur, journaliste), différent de
la conversation (comme l'ont souligné Arditty & Levaillant 1987), se
caractérise par un guidage plus contraignant, un objectif plus centré sur
la production de données, avec des consignes parfois très directives et
des séquences de vérification qui peuvent avoir de fréquents effets
secondaires d'ordre pédagogique. Dans cette perspective, l'auto-
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Cahiers de praxématique 25, 1995
confrontation, sous-catégorie de l'entretien tend à renforcer cette centration sur les productions du non-natif. Il arrive que la contrainte exercée par le chercheur natif soit ressentie comme insupportable pour son
partenaire qui alors peut manifester une certaine résistance. L'intervieweur peut aussi au contraire encore pratiquer ce que Rampton 1991
appelle une suraccomodation en fournissant de trop nombreuses indications de compréhension (oui oui, je vois ce que tu veux dire, je comprends très bien…) et réduire en quelque sorte l'informateur au silence.
Il peut encore surfocaliser sur le code et solliciter ou donner des précisions liées à des oppositions phonologiques, morphologiques ou syntaxiques. Ainsi, lorsque Berta signale à son interlocuteur qu'elle a
regardé [de frigo] dans les magasins, le natif cherche à lui faire distinguer la forme qui catégorise le nombre : « des frigos ? – non, un frigo »
Dans l'auto-confrontation, cette focalisation fait l'objet même de
l'échange. Au cours de la ré-écoute de l'entretien à l'ANPE, (cf. annexe
II) Berta dit qu'elle ne reconnaît que 2 mots dans la question : Combien
+ d'heures + de transport + vous pouvez faire par jour ? que lui a posé
l'employée : combien et jour. Le chercheur bilingue avec qui Berta s'entretient contextualise le passage en lui indiquant que pour lui trouver un
travail qui lui convienne l'employée a besoin de savoir à quelle distance
elle accepterait de se déplacer. Puis, il reprend l'énoncé de l'agent en lui
proposant de faire les inférences qu'elle aurait pu alors faire :
N–transport ? tu sais pas ce que ça veut dire ?
B–*no*
N–après elle te dit : euh le métro l'autobus
B- : ah *el* metro *autobus*
N–oui oui ++ tu vois à peu près ?
Une telle séquence a un objectif très pédagogique et propose un
travail d'inférence guidé que le non-natif est incité à prendre comme
modèle d'un travail qu'il peut systématiser seul.
3) L'échange dit de service (commercial ou administratif) qui se
caractérise par le discours dit transactionnel, est souvent tout aussi
asymétrique que l'entretien. Il est aussi, compte tenu de l'urgence fréquente des enjeux, très contraignant. La compréhension est parfois critique. Elle peut s'établir alors au prix d'impolitesses graves et lourdes de
Le rôle de l'interlocuteur natif dans l'interaction exolingue
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conséquences pour le non-natif. L'exemple I en est une bonne illustration.
Citons un autre exemple : celui de Berta (informatrice de l'exemple
II), se renseignant pour acheter du bois à la coupe afin de faire des
étagères. En réponse à sa question c'est combien ?, le natif, tout entier
dans son scenario transactionnel, lui pose de but en blanc la question
inattendue : ça dépend en quoi vous les prenez, en aggloméré ou en
latté ? Berta est complètement déroutée, son propre scénario est mis en
échec. Dans le type d'échange commercial qu'elle est en train d'avoir,
pressée par les autres clients qui attendent, elle ne peut signaler son
incompréhension et elle perd la face devant le vendeur qui l'abandonne
pour un autre client.
4) Autre type d'échange : le cours de langue. On connaît maintenant
le fonctionnement spécifique des échanges en classe de langue (cf
Grancolas 1985, Bange 1992…) et leur centration sur la norme linguistique plutôt que sur l'objectif communicatif, malgré le cadre et le type
d'approche annoncé officiellement.
2.2. L'objectif interactionnel du natif
C'est ce qui permet au natif de modifier ou de reprendre à son
compte les rôles qui lui sont attribués dans les différents types
d'échange. Il peut en effet plus ou moins tenir compte du problème que
constitue la relation dissymétrique inhérente à l'échange exolingue et
chercher à la réduire ou à la confirmer.
En se donnant l'un de ces deux objectifs, il choisit, pas nécessairement consciemment, sa place dans l'échange. La différence imposée par
les situations et types d'échange peut donc être plus ou moins soulignée.
C'est l'option prise par l'employé de l'agence de voyages dans
l'exemple 1. Elle peut aussi être plus ou moins gommée. Dans ce dernier scénario, le natif prend le temps de développer des séquences
explicatives, d'offrir au non-natif le temps de s'exprimer et de fournir à
ses sollicitations des réponses qui ne sont pas nécessairement thématiquement centrales, bref, de s'adapter au niveau de compétence de son
interlocuteur, comme on l'a montré plus haut.
Il peut aussi lui proposer directement une aide pédagogique, ce qui
n'est pas rare chez certains natifs en face d'étrangers, et pas seulement
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Cahiers de praxématique 25, 1995
en classe de langue. Le corpus des chercheurs de Bielefeld offre de
bons exemples de cette démarche (Gülich 1986, Dausendschön-Gay
1987).
2. 3. Le type de problème qui se pose
Les difficultés rencontrées par les partenaires dans la progression de
l'interaction traversent les différents domaines concernés par la communication verbale :
– Les problèmes qui se posent peuvent être d'ordre pragmatique. Ce
sont en général des incompréhensions ou des malentendus reposant sur
les schémas et les scripts culturellement déterminés et conditionnant les
représentations et attentes de chacun des partenaires. Ainsi, à l'ANPE,
Berta est surprise qu'on lui pose des questions sur ses préférences éventuelles. Ainsi encore, à l'agence immobilière, Fatima, autre informatrice
du projet, trouve que les questions de l'employé sont trop personnelles
et les interprète comme indiscrètes, ce qui a pour effet de limiter l'efficacité de la transaction.
– les problèmes sont plutôt d'ordre discursif quand ils sont liés aux
styles, direct ou indirect, au fonctionnement de l'implicite. Ainsi Berta
ne fait pas l'interprétation attendue de la question de l'employée de
l'agence pour l'emploi : qu'est-ce que vous faites ? (comme type de
travail, quel niveau vous avez et quelle responsabilité ?). Il faut donc
beaucoup plus de temps et d'énergie au natif pour obtenir les informations qu'indirectement il souhaitait obtenir.
– Les problèmes linguistiques sont les plus faciles à repérer, et
parmi eux, les problèmes lexicaux. L'indication-repère, fournie par le
non-natif, de ce type de problème est la question : quoi ?, comment ? ou
comment on dit ? Le natif définit, explique ou fournit le mot. On ajoutera que les problèmes de compréhension sont moins évidents, moins
apparents et plus difficiles à déceler que les problèmes de production.
Le plus difficile, c'est le diagnostic du problème. La capacité à faire
ce diagnostic est liée :
– au type d'échange qui a lieu, donc au rôle déterminé du natif. Il est
commerçant, employé de l'office HLM, de l'ANPE, voisin ou ami,
– à l'objectif que celui-ci se donne, c'est-à-dire à la place qu'il s'attribue,
– mais aussi à l'expérience qu'il a des échanges avec les non-natifs.
Le rôle de l'interlocuteur natif dans l'interaction exolingue
65
Ces éléments sont très importants à prendre en considération dans la
recherche lorsqu'on analyse des interactions comme lieu d'intercompréhension et comme cadre d'acquisition. On ne peut analyser de la même
façon différents types d'échanges et en particulier des conversations
familières et des entretiens administratifs où les enjeux et donc les
attitudes et les démarches sont totalement différents. Ceci est d'autant
plus délicat dans le cas de communication exolingue et interculturelle
où le problème des interprétations divergentes se pose plus dramatiquement.
Quant aux problèmes qui se posent, ils entraînent la mise en cause
des différents systèmes d'interprétation du non-natif. Ces problèmes ne
sont pas seulement linguistiques et sont donc plus ou moins saillants
pour l'analyste comme pour le natif. Les réactions de ce dernier seront
donc liées à son degré de perception du problème. S'il en percevait
mieux la source, celui-ci pourrait, qu'il soit enseignant ou non, et en
particulier s'il est en contact régulier avec des étrangers, avoir une
communication plus efficace avec le non-natif et même être entraîné à
diagnostiquer et résoudre ces problèmes.
3. Qu'est-ce qui fait que la conduite du natif peut devenir
‘étayante’, c'est-à-dire auxiliaire d'acquisition ?
La réponse à cette question est souvent un mystère, mais on serait
tenté de dire que la clé de l'efficacité de l'échange, c'est principalement
le guidage du non-natif, fondé sur les questions qu'il se pose d'abord à
lui-même, avant de les poser au natif :
Si le natif est l'expert en L2, le non-natif est l'expert de sa propre
langue. Il est sans doute, de ce point de vue, largement aussi bien placé
que le natif pour repérer ses difficultés à interpréter ou produire un
discours interprétable, les analyser et y trouver des solutions en utilisant
ou en élaborant ses connaissances. Les activités de focalisation sur les
outils de communication proposées par le natif ont une influence certaine sur l'intercompréhension, mais, si elles répondent à des initiatives
du non-natif, elles permettent beaucoup mieux de résoudre les problèmes de compréhension et de production.
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Cahiers de praxématique 25, 1995
Pour qu'une dynamique de développement se mette en place, il ne
suffit pas non plus que le non-natif soit disposé à résoudre ses problèmes de compréhension ou de production. Il faut nécessairement que
ce dernier soit disposé à considérer aussi (« but secondaire » dit Bange)
ses moyens d'expression limités comme des connaissances à construire.
Il faut qu'il envisage de les améliorer pour les adapter progressivement
à ses intentions de signification-communication avec l'aide d'un interlocuteur plus compétent dans les tâches qu'ils accomplissent conjointement. C'est ce désir d'élaborer ses savoirs et de se donner les moyens
pour le faire que l'on peut appeler l'apprentissage (Bange 1992, Vasseur
1993).
Selon l'expression de Bange, le non-natif peut être « candidatapprenant » mais il ne l'est pas nécessairement. Ce n'est pas nécessairement son objectif. Plutôt que d'un choix ferme et définitif, je dirai
qu'il s'agit, lorsqu'on parle d'apprentissage et de candidat-apprenant,
d'une tendance parfois affirmée et explicitée, parfois faiblissante et
mise en déroute par les circonstances, même si cela se passe dans le
cadre d'un cours de langue. Ce qui fait que, même si nous distinguons
deux cas de figure (apprenant/non-apprenant) tous les intermédiaires
sont possibles. Que se passe-t-il dans chacun de ces cas ?
3. 1. Si le non-natif n'est pas candidat-apprenant, il se voit souvent
imposer des échanges de type transactionnel, plus rarement interactionnel (cas des travailleurs migrants par exemple). A court terme, et en
fonction de la valeur qu'il attribue à l'enjeu de ces échanges, il peut
choisir de :
1 ne pas indiquer ses difficultés : la tâche est alors difficile pour le
natif qui ne peut que soupçonner l'existence de problèmes de compréhension ou constater les difficultés de production. Ce dernier pourra
prendre l'initiative de vérifier le bon fonctionnement de l'intercompréhension en l'incitant à indiquer ses problèmes. Il pourra aussi faire des
hypothèses sur ses problèmes et lui faire des propositions. Il parle alors
à sa place et ceci est souvent ressenti comme une menace qui peut
bloquer la motivation et l'initiative chez le non-natif.
2 indiquer ses difficultés, sans en préciser la source (je ne comprends pas) : le natif va avoir à porter un diagnostic. Ceci n'est pas
Le rôle de l'interlocuteur natif dans l'interaction exolingue
67
toujours facile et dépend de son degré d'expérience, de motivation. Que
l'on considère par exemple la complexité de l'énoncé : combien
d'heures par jour vous accepteriez de faire dans les transports ? pour
Berta (annexe II). Il doit donc faire des hypothèses sur ce qui fait problème et les tester :
– questions directes pour vérifier ses intuitions sur des mots qu'il pense
difficiles (ex. chez Abdelmalek : une commission tu comprends ?)
– recherche indirecte en facilitant la perception (en répétant plus lentement, en articulant etc…), en essayant d'éliminer de ce qui risque de
faire problème (substitution un mot à un autre, reformulation)
– recherche de problèmes discursifs et pragmatiques en rappelant les
points précédents et en explicitant leurs liens avec le nouveau point
abordé, avec l'objectif de l'échange.
3 si cela lui est possible, le non-natif peut indiquer la cause et la
source de son problème, même de façon minimale (en répétant approximativement le mot non compris) le natif peut alors proposer des
aides à la résolution en reformulant, en décomposant, en expliquant…
4 Il peut aussi prendre l'initiative quant au contenu de l'échange, aux
thèmes abordés pour préventivement réduire les risques en gardant le
contrôle de l'intercompréhension.
3.2. Si le non-natif est candidat-apprenant, il a tendance à prendre
l'initiative non pour réduire les risques de difficulté mais pour indiquer
plutôt explicitement la source de ses problèmes au natif en sollicitant
une solution, i.e. en essayant de contrôler sa compréhension par :
– des demandes de répétition
– des demandes de clarification explicite
– des hypothèses et des reformulations du discours de l'autre pour vérifier sa compréhension : « euh *seis* + *seis seis* + eh la *direccion*
de moi ? » (annexe II)
– une décomposition guidée du discours de l'autre qui l'oblige en
quelque sorte à coopérer
– des demandes de rappel de mots déjà introduits dans le stock mnésique. Par exemple, Berta. donne la liste des cours qu'elle prend dans
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Cahiers de praxématique 25, 1995
son stage : « français, électricité… : como s'appelle por travailler le
bois ? – la menuiserie – la menuiserie voilà ! »
– l'indication de malentendus de la part de N. Par exemple, Berta
évoque l'anniversaire de sa fille Susana « le dimanche avant ». Le
natif interprète « dimanche prochain »et demande :
N – qu'est-ce que tu vas faire ?
NN - ah non non sé lé dimanche avant (signifiant avant maintenant).
En bref, le non-natif a tendance à prendre en mains la gestion
collective de ses connaissances. Il finit même par trouver de lui-même
des solutions à ses problèmes de production qu'il gère parfois seul :
– en proposant des auto-paraphrases (ex. : pour la recherche du mot
belle-sœur : comme c'est ?, la sœur de mon mari)
– en modifiant spontanément des hypothèses proposées en premier
lieu : auto-correction ou travail sur un point ressenti comme critique,
par exemple : « le prof ilja un test qu'el donne / a donné vingt minutes »
– en recherchant éventuellement des explications et des aides complémentaires en dehors d'un échange donné avec le natif : manuels, dictionnaires, etc…
Il y a alors réelle inversion des rôles et, si l'on peut parler de contrat
pédagogique, il s'agit bien d'un contrat qui part de questions que se pose
le « candidat-apprenant », de demandes qu'il exprime plus ou moins
explicitement et auxquelles répond le natif qui sait écouter ces
demandes. Ce dernier joue alors le rôle d'accompagnateur d'apprentissage, rôle qui n'est pas réservé aux enseignants et que d'ailleurs les
enseignants ne jouent pas toujours. Le non-natif candidat-apprenant,
dans les échanges qu'il a avec les natifs de bonne volonté, en classe ou
ailleurs, peut, à l'occasion de séquences d'étayage auto-déclenchées, se
donner les meilleures conditions de constitution de savoirs et de savoirfaire communicatifs nouveaux.
On conclura par quelques remarques générales :
– C'est dans l'interaction et la réalisation de la tâche commune, dont
l'objectif est à court terme, que se met en place la collaboration des
partenaires et que se manifeste, à travers les conduites langagières de
Le rôle de l'interlocuteur natif dans l'interaction exolingue
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l'un et de l'autre, les objectifs à plus long terme qu'ils se sont donnés,
et, en particulier pour le non-natif, l'objectif d'apprentissage. Ces
conduites langagières et métalangagières, du natif et du non-natif,
sont observables, reproductibles et donc susceptibles d'être apprises.
– L'apprentissage fait passer le non-natif des objectifs à court terme de
l'intercompréhension aux objectifs à long terme de l'acquisition.
Le travail auquel se trouve confronté l'apprenant est double :
– construction à court terme de l'intercompréhension dans la réalisation
de la tâche (qu'elle soit transactionnelle ou scolaire). S'il n'est pas
candidat-apprenant, il peut se satisfaire de ce résultat et s'arrêter là.
– construction à long terme de systèmes sémiotiques parmi lesquels un
système linguistique à travers une meilleure construction de l'intercompréhension qui est en même temps une aide à l'élaboration
conceptuelle. La construction de l'intercompréhension porte traces du
choix fait par le non-natif de cet objectif (cf. Vasseur 1993).
– élaboration d'une identité sociale qui varie selon la place reconnue au
non-natif par les interlocuteurs natifs avec lesquels il est fréquemment
ou moins fréquemment en contact.
Deux variables donc essentielles :
1) le degré de convergence des focalisations : plus le type d'aide
apporté par le natif rencontre un questionnement et une sollicitation
active, dans une perspective d'apprentissage et plus il a des chances
d'être « étayant » ;
2) la tension vers l'apprentissage chez le non-natif : cette tension
consiste à dépasser, dans l'effort conjoint, l'objectif à court terme de
l'intercompréhension minimale au moindre coût figuratif et à viser à
plus long terme la constitution d'une identité de locuteur (+ ou –)
bilingue à travers l'élaboration de connaissances systématiques.
De non-candidat à candidat-apprenant, il peut y avoir toute une
gradation dans la volonté du non-natif de s'engager à la construction de
connaissances, toute une variation aussi dans les identités sociales
adoptées.
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Cahiers de praxématique 25, 1995
Conclusion
1) Il est important que les natifs soient conscients des rôles qu'ils
peuvent jouer auprès d'un non-natif surtout s'il est débutant. Dans notre
univers où les mouvements de personnes et de population deviennent
extrêmement nombreux et fréquents, il y a là un enjeu décisif de formation. Il faut que les natifs concernés par les contacts avec les étrangers
soient sensibilisés et formés à :
– comprendre les problèmes d'intercompréhension qui se posent dans
les échanges,
– saisir l'enjeu de leur résolution,
– proposer des solutions à ces problèmes,
– aider le non-natif à s'intéresser à ces problèmes et aux connaissances
qu'il peut construire pour les résoudre
2) Le problème de l'intéressement du non-natif pour les connaissances à construire est un vaste problème. Les contacts et types de
contact auxquels sont exposés les non-natifs sont largement déterminés
et souvent limités. Dans le cas des migrants, les échanges surtout administratifs avec les natifs qui adoptent des places confirmant souvent leur
rôle dominant ne favorisent guère l'intérêt pour des outils qui sont en
fait souvent utilisés contre eux de façon discriminatoire comme des
pièges.
Dans le cas des classes de langue, le natif enseignant dissocie
souvent l'objectif à long terme de l'acquisition du système linguistique
de l'objectif à court terme de la réalisation collective de la tâche et donc
de l'intercompréhension. Le non-natif a alors du mal à travailler sur des
connaissances qu'il considère comme gratuites, même si le jeu peut
séduire certains.
Un début de solution consisterait, dans toute interaction, à favoriser
la prise de conscience métalinguistique des activités réflexives exploratoires comme celles qui ont maintenant été repérées et présentées plus
haut et qui restent souvent intuitives. Et ce d'abord de la part du natif,
qui pourra ainsi, en reconnaissant dans le non-natif un partenaire
légitime, favoriser chez lui l'installation d'un espace de prise de parole
et donc de conscience et de contrôle pour une interaction plus efficace
Le rôle de l'interlocuteur natif dans l'interaction exolingue
71
menant à un désir d'apprentissage. Mais, à ce niveau, cela n'est pas
qu'un simple problème de gestion de la communication.
Annexe
I. SANTO : At a travel agent's
S : excuse me only for information how much one ticket the *corriera da
Londra a* Birmingham,
excusez-moi seulement pour l'information combien pour un ticket le car de
Londres à Birmingham
N : from London to Birmingham ?
de Londres à Birmingham ?
S : yeah ouais
N : yeah what ?
ouais quoi ?
S : er how much the price ?
euh combien le prix ?
N : what do you want to go by ?
comment voulez vous aller ?
S : next week
la semaine prochaine
N : on what ? + on what ? bus ? train ? what ?
comment ? + comment ? en bus ? en train ? comment ?
S : birmingham
N : yeah but what do you want to travel on ? donkey ?
ouais mais comment voulez-vous voyager ? à dos d'âne ?
S : anyone
n'importe qui
N : any /(laughs)
n'importe /(rires)
S : yeah/ ouais
N : is it coach ? + coach or bus ?
c'est le car ? + le car ou le bus ?
S : coach [coach]
car car
N : [one way ? ] / coach
aller ? / car
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Cahiers de praxématique 25, 1995
S : yeah / ouais
N : one way ? /aller ?
S : yeah ++ one way / ouais ++aller
N : (laughs)(rires)
S : me la devi spiegare questa* you eh ?
vous devez me l'expliquer celle-là vous hein ?
N : what you want to go on ? horse back ? and you said any one
comment voulez-vous y aller ? à (dos de) cheval, et vous avez répondu
« de n'importe qui »
S : anyone no problem
n'importe qui pas de problème
N : (laughs
S : you know what I mean ?
vous savez ce que je veux dire ?
N : yeah yeah oh I like that (laughs)
ouais ouais…oh j'adore (rires)
S : very funny / très drôle
N : London Birmingham (laughing)
Londres Birmingham (riant)
S : one person
une personne
N : mhm (+++++++) (very long pause whilst consulting information
sheet)……London Birmingham one way ?
hm (+++++++) (très longue pause pendant qu'il consulte la fiche de
renseignements)
S : yeah/ ouais
N : four fifty
quatre cinquante
S : four / four pound and fifty ?
quatre / quatre livres et cinquante ?
N : four pounds and fifty pence four pounds and fifty pence alright
quatre livres et cinquante pence quatre livres et cinquante pence tout-à-fait
S : thank you very much indeed
merci beaucoup vraiment
N : alright
S : goodbye
Le rôle de l'interlocuteur natif dans l'interaction exolingue
73
II. BERTA, avec l'employé de l'ANPE
N : d'accord + combien d'heures de transport vous pouvez faire par jour ?
B : quoi ?
N : combien d'heures + dans les transports en commun dans le métro ou dans le
bus ?
B : por metro ?
N : oui combien d'heures vous pouvez faire ? ++ vous comprenez la question ?
B : no compri pas
N : d'accord + alors dans Paris je note hein dans Paris
B : hm
N : ou proche de votre domicile
B : hm
N : près de chez vous + si c'est possible
B : euh *seis* + rue + *seis seis* + eh ? la *direccion* de moi ?
N : non
B : non ?
N : vous accepteriez de travailler
B : hm
N : euh près de chez vous
B : hm
N : près de Font/à Fontenay
B : hm
N : ou alors + dans Paris + mais pas à l'extérieur de Paris
B : ah non en al esterior Paris non (rires)
N : d'accord ++ alors + bon maintenant vous allez m'expliquer ce que vous
cherchez comme travail (LSFBE 16J 106-140)
III. ABEDMALEK avec l'employé des Assedic
b : vous / vous êtes convoqué aujourd hui à l'assedic ? est ce que vous savez
pourquoi ?
a : ? pourquoi ? euh pasque moi lé chômage ++ demandé comme la loi de
l'assedic pasque moi jamais hein entrer l'assedic
b : bon alors là vous a / vous êtes convoqué aujourd hui + parce que + vous
avez euh / vous avez eu un an de chômage\
a : \ oui oui un an de chômage
b : un an + bon + et au bout d'un an les droits sont arrêtés
(et l'employé demande à A. de lister les entreprises qu'il a contactées)….
b : ? mario ?
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Cahiers de praxématique 25, 1995
a : ouais
b : bon + vous savez que euh + tout ça on va le dire en commission
a : ouais ouais commission
b : hein ? vous avez compris ce que c'est la commission ?
a : commission
b : moi aujourd'hui je note tout ce que vous me dites + hein
a : ouais
b : puis après je vais l'écrire sur un papier
a : (rires)
b : et ce papier il va aller devant une commission + une commission c'est
d'autres gens \
a : \ ah d'autres gens
b : d'autres gens + qui vont lire ce que j’ai écrit
a : voilà d’accord
b : alors il faut bien dire tout ce que vous avez fait pour chercher du travail +
parce que eux ils vous auront pas vous en face \
a : \ face
b : ils auront que le [ papier ]
a : [ pier ] oui
b : vous comprenez ?
a : oui
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