COMMENT TRAITER AVEC SUCCES LES OTITES RECURRENTES
Tim Nuttall
Royal (Dick) School of Veterinary Studies, University of Edinburgh, Easter Bush Campus,
Roslin, UK
1. Traitement de l’otite externe aiguë
Des épisodes isolés d’otite externe peuvent être gérés en utilisant des préparations topiques
auriculaires contenant un glucocorticoïde (pour traiter la légère inflammation aiguë), un anti-
biotique et un antifongique (pour les Malassezia). Il peut être nécessaire d’effectuer un net-
toyage préalable en cas de présence de nombreux débris.
2. Otites chroniques et récurrentes
Dans ces cas, soit l’otite ne répond pas au traitement comme on l’attend (otites chroniques
persistantes) elle réapparaît dès qu’on cesse le traitement (otites récurrentes). Pour une
otite, il est important de bien faire la différence entre infection et inflammation. Presque
toutes les infections auriculaires font intervenir des organismes commensaux (comme des
staphylocoques et des Malassezia) et des organismes environnementaux opportunistes (Pseu-
domonas). Les vrais pathogènes primaires sont rares et dans une vaste majorité des cas, les
infections seront secondaires à une inflammation préexistante, à des corps étrangers, à une
obstruction ou à d’autres problèmes primaires.
La plupart des propriétaires et des praticiens savent ce qu’est une infection des oreilles et
elles sont en général soignées avec succès. Néanmoins, les inflammations persistantes sont
souvent oubliées. Ceci conduit à un cycle infernal d’infections récurrentes et chroniques qui
vont progressivement entraîner des remaniements pathologiques et une otite qui, au stade
final, nécessitera une intervention chirurgicale. L’inflammation chronique fait que chaque
poussée d’infections devient de plus en plus difficile à traiter et l’usage répété d’anti-
microbiens peut sélectionner des germes résistants.
3. Approche des otites chroniques ou récurrentes
Il faut commencer par examiner soigneusement l’oreille pour éliminer la possibilité de corps
étrangers, d’Otodectes etc. et vérifier la membrane tympanique.
A. Signes cliniques
La plupart des cas peuvent être classés cliniquement en otites érythémato-cérumineuses ou
suppuratives. Les otites érythémato-cérumineuses sont caractérisés par de l’érythème, du pru-
rit et un écoulement cérumineux à séborrhéique. Elles sont en général associées à une prolifé-
ration de staphylocoques ou de Malassezia. Les otites suppuratives sont caractérisées par un
érythème, des ulcérations, de la douleur et des secrétions purulentes. La plupart des cas sont
associées à une infection à Pseudomonas. L’examen otoscopique est important pour détermi-
ner l’état des conduits auditifs, le type et la quantité des sécrétions ainsi que l’intégrité de la
membrane tympanique voir les notes sur l’approche diagnostique des otites externes.
B. Causes sous-jacentes
Les otites chroniques ou récurrentes doivent être soigneusement évaluées afin d’identifier les
causes primaires, les facteurs prédisposants ou ceux qui la perpétuent. La réussite du traite-
ment nécessite qu’ils soient tous pris en compte. Les buts sont :
Identifier et traiter la cause primaire
Corriger les facteurs de prédisposition (si possible)
Retirer les débris et les sécrétions
Traiter les infections secondaires
Faire disparaître les lésions pathologiques chroniques
C. Cytologie
La cytologie est nécessaire dans tous les cas voir les notes sur l’approche diagnostique des
otites externes.
D. Biofilms
Les biofilms peuvent être identifié à l’examen otoscopique ou cytologique. Cliniquement, ils
forment un enduit collant, épais et gluant de couleur noire ou brun foncé. À l’examen cytolo-
gique, ils apparaissent comme un voile d’épaisseur variable qui peut masquer les bactéries et
les cellules. Les biofilms sont importants d’un point de vue clinique parce qu’ils empêchent
le nettoyage, font obstacle à la pénétration des produits antimicrobiens et constituent un ré-
servoir protégé de bactéries. En outre, les antibiotiques qui nécessitent une division bacté-
rienne se montrent moins efficaces puisque les bactéries formant le biofilm sont en général en
phase de repos. Les biofilms peuvent aussi favoriser le développement de résistance antimi-
crobienne, spécialement pour les bactéries Gram-négatives dont les mutations vers la résis-
tance se font en fonction de la concentration des antibiotiques.
4. Impact potentiel des biofilms sur la résistance aux antibiotiques
Les biofilms empêchent généralement la pénétration des substances antimicrobiennes. Dans
les situations ce phénomène entraîne une chute brutale de concentration antimicrobienne
(ligne continue ci-dessus), la plupart des bactéries seront exposés à des concentrations anti-
microbiennes soit élevées soit basses. Par conséquent, elles seront soit éliminées soit absolu-
ment pas affectées. Les bactéries non-touchées présentes dans le biofilm vont donc servir de
Membra-
netympa-
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Conduits au-
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Biofilm
Ouverture du
conduit auditif
réservoir, ce qui va entraîner un échec du traitement mais la tendance au développement
d’une résistance est relativement faible. En revanche, lorsqu’il existe une certaine pénétration
de l’agent antimicrobien dans le biofilm, une baisse progressive de la concentration de cer-
taines bactéries va faire que certaines vont se retrouver en concentrations intermédiaires.
Cette situation offre une opportunité pour la sélection de mutants. Dans ce cas, on se trouvera
confronté à un échec du traitement et au développement de résistance bactérienne.
5. Cultures bactériennes et test de sensibilité
A. Utiliser la cytologie pour prédire les types de susceptibilité
Les cultures bactériennes et les tests de sensibilité ne sont en général pas nécessaires dans la
plupart des cas d’otites externes et/ou lorsqu’un traitement topique est utilisé. La cytologie
peut identifier efficacement les organismes les plus probables dans la plupart des cas d’otites.
Ceci est particulièrement utile dans les cas d’infections mixtes, quand la culture risque
d’identifier plusieurs organismes avec des sensibilités différentes.
Malassezia et les staphylocoques sont faciles à identifier et on peut donner une bonne estima-
tion de leur sensibilité probable en se basant sur les résistances locales et les traitements pré-
cédents. Les bactéries Gram-négatives sont plus difficiles à différencier en se basant sur la
seule cytologie malgré que les Pseudomonas fassent partie des organismes les plus fréquents.
Leur profil de sensibilité est plus difficile à prédire bien que la plupart des primo-infections
soient sensibles aux aminoglycosides, à la polymixine B, au sulfadiazine d'argent et aux fluo-
roquinolones. Attention toutefois car les Pseudomonas acquièrent facilement des résistances
et la plupart des isolats prélevés sur des infections récurrentes s’avéreront multi-résistants.
B. Utilisation des cultures bactériennes et des tests de sensibilité antimicrobienne
Les cultures bactériennes et les tests de sensibilité peuvent aider à identifier les bactéries im-
pliquées dans l’infection. Ceci peut s’avérer utile pour les organismes moins courants qui
peuvent s’avérer difficiles à différencier par l’examen cytologique par exemple, les strepto-
coques, les entérocoques, E. coli, Klebsiella, Proteus et les corynébactéries. Une bonne con-
naissance de leur profil de sensibilité permettra de guider le choix du traitement.
C. Comprendre les valeurs critiques et la résistance
Les résultats de sensibilité antimicrobienne sont moins utiles dans les otites, surtout quand il
s’agit de traitements topiques. Les valeurs critiques utilisées pour déterminer la susceptibilité
ou la résistance d’un agent infectieux sont basées sur l’assomption d’un traitement systé-
mique. Brièvement, ces valeurs sont déterminées à partir de données pharmacocinétiques
pour estimer le taux présent dans les tissus suite à l’administration d’une dose standard. Si la
zone d’inhibition autour du disque antimicrobien ou la concentration minimum d’inhibition
(CMI) dépasse la valeur critique, il est peu probable que l’agent antimicrobien atteindra des
concentrations thérapeutiques dans les tissus cibles et l’infection sera considérée comme ré-
sistante à cet agent antimicrobien. Pourtant cela ne signifie pas nécessairement que la bactérie
soit résistante à l’antibiotique puisque des taux suffisamment élevés peuvent excéder la CMI.
Les données de sensibilité sont moins utiles dans le cas des médicaments topiques puisque les
concentrations dans le canal auriculaire sont plus élevées que dans ce que les tests in vitro
prédisent. La réponse au traitement est mieux évaluée en utilisant des critères cliniques et
cytologiques. On peut utiliser les données de sensibilité aux antibiotiques pour prédire
l’efficacité des drogues systémiques bien que la concentration dans les tissus auriculaires soit
souvent basse alors qu’en fait il faut des doses élevées.
6. Traitements topiques et systémiques
A. Choisir entre un traitement topique et un traitement systémique
Autant que possible, il faut préférer les traitements topiques. Ils permettent d’obtenir des con-
centrations élevées dans les canaux auriculaires. Les traitements antimicrobiens systémiques
peuvent se montrer moins efficaces dans le cas des otites externes érythémato-cérumineuses
puisque les bactéries sont présentes uniquement dans le conduit auriculaires externes et dans
le cérumen mais aussi parce qu’il n’y a pas de sécrétion inflammatoire et que la pénétration
au niveau du lumen auriculaire est faible.
Un traitement systémique peut s’avérer plus utile dans le cas d’otites externes suppuratives
et/ou d’otites moyennes on va se trouver face à une sécrétion inflammatoire active conco-
mitante à une infection localisée en profondeur dans l’oreille moyenne et dans les tissus du
conduit auditif (une sorte de « pyodermite » du revêtement du canal auriculaire). Un traite-
ment systémique est indiqué quand le canal auriculaire ne peut pas être traité topiquement
(par exemple en cas de sténose, de problèmes d’observance ou si on suspecte des effets se-
condaires indésirables) et dans les cas d’otites moyennes.
B. Topiques antimicrobiens
Les produits topiques contenant de la polymixine B, de l’acide fusidique, du florfénicol, de la
gentamicine, de l’enrofloxacine et de la marbofloxacine sont adaptés au traitement de la plu-
part des infections bactériennes. La polymixine B et le miconazole ont une activité synergis-
tique contre Pseudomonas et les autres organismes Gram-négatifs ; l’acide fusidique et la-
framycetine agissent en synergie contre les staphylocoques. Les fluoroquinolones, la genta-
micine et la polymixine B sont en général efficace contre Pseudomonas. L’acide fusidique et
le florfénicol sont actifs contre les SARM et les SPRM. La néomycine est moins puissante
que les autres aminoglycosides, bien qu’elle soit généralement efficace contre les bactéries
Gram-positives. Il est important d’utiliser un volume adéquat pour bien pénétrer dans les ca-
naux auriculaires –– 1ml est suffisant pour la plupart des oreilles mais peut s’avérer un vo-
lume trop important chez les animaux très petits tandis que les chiens de grande taille auront
sans doute besoin de plus.
L’efficacité des drogues concentrations-dépendantes (comme les fluoroquinolones et les ami-
noglycosides) dépend de la capacité à délivrer des concentrations 10 fois supérieures à la
CMI une fois par jour. Les molécules qui sont temps-dépendantes (pénicillines et céphalospo-
rines) nécessitent des concentrations supérieures à la CMI pendant une période au moins
égale à 70% de l’intervalle entre les administrations. Ceci est facilement réalisé grâce aux
traitements topiques qui permettent d’atteindre des concentrations locales élevées et qui per-
sistent en l’absence d’un métabolisme systémique. Les concentrations de gentamicine étaient
3-15x supérieures à la MIC90 et celles de miconazole 1.2-2x dans des isolats d’otites canines
contenant respectivement des staphylocoques et des Malassezia 10 jours après un traitement
de cinq jours avec Easotic®. Les taux de florfénicol et de terbinafine sont au moins mille fois
supérieurs à la MIC90 pour les staphylocoques et les Malassezia pour la durée du traitement
avec deux doses d’Osurnia®.
Le fait de retirer les débris et le matériel purulent augmente fortement l’efficacité des antibio-
tiques topiques, surtout les aminoglycosides et la polymixine B. Les produits avec de la
chlorhexidine, des acides et/ou des alcools sont très efficaces contre les Malassezia et les
bactéries. Les nettoyants auriculaires acides peuvent éventuellement inactiver certains anti-
biotiques (plus particulièrement les aminoglycosides et les fluoroquinolones) bien que le ca-
nal auriculaire ait d’excellentes capacités tampon assurant un retour rapide à un pH normal.
C. Antimicrobiens systémiques
Le céfadroxil, la céfalexine et l’amoxicilline-clavulanate sont d’excellentes drogues de pre-
mière intention pour les infections à staphylocoques. L’efficacité de la clindamycine et de la
lincomycine peut être limitée par des résistances. La focine et la cefpodoxime sont indi-
quées si l’observance et/ou l’administration risquent d’être difficiles. Les fluoroquinolones
sont normalement réservées à un usage de seconde intention lorsqu’il y a des preuves par
culture que les molécules utilisées en première intention ne sont pas appropriées. Néanmoins,
la pénétration des antibiotiques qui ont un faible volume de distribution dans les tissus du
canal auriculaire peut être limitée. Les fluoroquinolones qui ont un volume de distribution
élevé et pénètrent bien dans la plupart des tissus pourront sans doute s’avérer plus efficace
dans des infections par ailleurs susceptibles à d’autres antibiotiques.
7. Les otites à Pseudomonas
Les Pseudomonas sont résistants à de nombreux antibiotiques en raison de leurs parois cellu-
laires à faible perméabilité, de leurs bêta-lactamases, de leur résistance au clavulanate et de
leurs pompes defflux. Ils développent facilement une résistance encore plus importante si le
traitement est inefficace parce qu’ils disposent d’un vaste génome qui leur permet d’exprimer
des gènes résistants et des mutations. Ils sont aussi capables de transfert de plasmides et de
bactériophages et possèdent des transposons. Une fois qu’une résistance aux fluoroquino-
lones a été mise en évidence, il faut avoir recours à d’autres antibiotiques anti-Pseudomonas.
Malheureusement ils sont souvent coûteux, ne possèdent pas de licence pour l’utilisation chez
les animaux et doivent être administrés par voie IV lorsqu’on les utilise de façon systémique.
Antibiotiques utiles pour les otites à Pseudomonas
Ciprofloxacine*
0.2% sol. 0.15-0.3 ml/oreille q24h
Enrofloxacine
15-20mg/kg PO q24h; BaytrilOtic®; sol. injectable à 2.5% diluée 1:4 avec
du NaCl0.9% ou Epiotic® en topique q24h; 22.7mg/ml sol. 0.15-0.3
ml/oreille q24h
Marbofloxacine
5-10/kg PO q24h; Aurizon®; sol. injectable à 1% diluée 1:4 avec du
NaCl0.9% en topique q24h;20mg/ml sol. 0.15-0.3ml/oreille q24h
Ofloxacine
Ofloxacine 0.3% 0.15-0.3 ml/oreille q24h
Carbénicilline*
10-20mg/kg IV q8h
Ticarcilline-
Clavulanate*#
15-40 mg/kg IV q8h; sol. injectable reconstituée 0.15- 0.3 ml/oreille
q12h; 160mg/ml sol. 0.15- 0.3 ml/ oreille q12h
Ceftazidime*#
25-50mg/kg IVq8h; 100mg/ml 0.150.3 ml/ oreille q12h
Sulfadiazine
d’argent
Dilué 0.1-0.5% dans NaCl 0.9% ; combiné à enrofloxacine dans Baytril
Otic®
Polymixine B
Pparations topiques Surolan®
Amikacine*
10-15mg/kg SC q24h; 50mg/ml 0.15-0.3ml/oreille q24h
Gentamicine
5-10mg/kg SC q24h; topique Otomax® or Easotic®
Tobramycine*
Utiliser des gouttes ophtlamiques ou la solution injectable à 8mg/ml 0.15-
0.3ml/oreille q24h
* -sans AMM chez l’animal; # solution reconstituée stable jusqu’à 7 jours à 4oC ou 1 mois-
congelé; sulfadiazine d’argent montre une activité additionnelle avec la gentamicine et les
fluoroquinolones.
8. Toxicité potentielle des antimicrobiens
Les antimicrobiens suivants : ticarcilline, polymyxine B, néomycine, tobramycine et amika-
cine sont potentiellement ototoxiques et doivent être utilisés avec prudence en cas de rupture
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