CAS CLINIQUE Mots-clés : Surdité brusque – Auto-immunité – Corticothérapie. Keywords: Sudden hearing loss – Autoimmunity – Steroids. Syndrome de Cogan Cogan’s syndrome: case report D. Bouccara* Q uand suspecter une maladie de système devant une surdité de perception ? Quels sont les arguments qui vont faire suspecter une atteinte auto-immune de l’oreille interne ? Ces situations sont relativement rares mais méritent un diagnostic précoce. En effet, les signes auditifs sont parfois les premiers, et l’évolution peut se compliquer de l’atteinte d’autres organes : rein, cœur... Le rôle du médecin ORL est donc d’évoquer le diagnostic et de le confronter à l’avis du médecin interniste, qui décidera du bilan adapté et des modalités thérapeutiques. Le syndrome de Cogan illustre cette approche pluridisciplinaire. O b s e r v a t i o n Un patient âgé de 23 ans consulte pour une surdité brusque gauche. Il signale comme seul antécédent des bronchites non compliquées durant l’enfance. Il n’y a pas de notion d’allergie, pas d’atteinte auditive connue, pas de traumatisme ou d’exposition au bruit. Quelques semaines auparavant, il a été traité par un collyre pour une atteinte oculaire bilatérale – selon lui, une conjonctivite. Il signale qu’il a persisté une rougeur oculaire durant plusieurs semaines malgré le traitement. Très récemment, il a présenté une baisse brutale de l’audition à gauche, sans facteur déclenchant, associée à des acouphènes droits. L’examen ORL est normal. L’audiogramme retrouve une surdité de perception gauche (figure 1). Le diagnostic de surdité brusque “idiopathique” est retenu. Le patient reçoit un traitement associant des corticoïdes et des vasodilatateurs. L’évolution est marquée par une récupération quasi complète de l’audition. L’IRM qui est réalisée montre l’absence de lésion évolutive. Quelques jours après l’arrêt du traitement, le patient présente d’une part une récidive de l’atteinte auditive gauche, d’autre part, une rougeur oculaire. L’examen ophtalmologique retrouve une kératite interstitielle, et le diagnostic de syndrome de Cogan est établi. Un complément de bilan est effectué en médecine * Service d’ORL, hôpital Beaujon, Clichy. interne avant instauration d’une corticothérapie au long cours. Malgré ce traitement, l’évolution est marquée par une dégradation auditive motivant le recours aux traitements immunosuppresseurs (métho­ trexate et azathioprine), qui permettront de stabiliser l’audition. D i s c u s s i o n Le syndrome de Cogan est une vascularite rare caractérisée par l’association d’une atteinte ophtalmologique et d’une atteinte cochléovestibulaire (1, 2). Cette affection débute généralement entre 20 et 30 ans. Différentes hypothèses étiopathogéniques ont été avancées, en particulier infectieuse. L’atteinte oculaire est habituellement inaugurale, mais elle peut être méconnue si elle est transitoire. Il s’agit d’une kératite interstitielle bilatérale entraînant des douleurs oculaires, un larmoiement et une photophobie. Lors de l’examen ophtalmologique, l’aspect à la lampe à fente est voisin de celui des kératites infectieuses virales et chlamydiennes, ce qui peut retarder le diagnostic. D’autres atteintes oculaires sont possibles au cours du syndrome de Cogan : kératite superficielle, conjonctivite, choroïdite, uvéite antérieure, sclérite et épisclérite. Le traitement de ces atteintes oculaires est fondé sur l’administration de corticoïdes locaux. Les signes cochléo-vestibulaires apparaissent le plus souvent après les signes ophtalmologiques, avec un intervalle atteignant parfois plusieurs mois (entre 3 et 6 mois habituellement). L’atteinte débute brusquement et associe une hypoacousie avec acouphènes à des signes vestibulaires proches de ceux rencontrés au cours de la maladie de Ménière. La surdité étant souvent brutale, elle motive un traitement corticoïde, tel que proposé lors des surdités brusques. En général, il existe une réponse franche à ce traitement, avec récupération de l’audition au terme d’un traitement corticoïde de l’ordre d’une semaine. À l’arrêt de la corticothérapie, la surdité récidive habituellement en quelques jours, ce qui fait reprendre ce traitement. Plusieurs diagnostics sont alors évoqués : ➤➤ surdité fluctuante telle que rencontrée lors des pathologies pressionnelles (maladie de Ménière débutante), mais l’atteinte auditive touche habituellement prioritairement les fréquences graves ; 22 | La Lettre d’ORL et de chirurgie cervico-faciale • n° 330 - juillet-août-septembre 2012 CAS CLINIQUE Examen audiométrique tonal Droite (kHz) 0,1250,250 0,5 0,75 11,5234681216 dB – 20 – 10 0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 100 110 120 AC BC FF 0 (%) 100 Gauche (kHz) 0,1250,250 0,5 0,75 11,5234681216 dB – 20 – 10 0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 100 110 120 AC BC FF 0 00 00 00 75 75 7575 7575 7575 Examen audiométrique vocal 50 0 FF l l L/R 0 10 20304050 6070 8090100110120 dB Figure 1. Examen audiométrique tonal et vocal retrouvant une surdité de perception unilatérale gauche prédominant sur les fréquences aiguës. ➤➤ fistule périlymphatique du fait de fluctuations auditives, en cas de contexte traumatique ou barotraumatique ; ➤➤ de principe, une lésion évolutive, de type schwannome vestibulaire, est évoquée, faisant réaliser une imagerie (IRM). C’est l’association des 2 atteintes, oculaire et cochléo-vestibulaire, et la récidive des signes auditifs à l’arrêt de la corticothérapie qui permettent le diagnostic de syndrome de Cogan. L’avis du médecin interniste est alors nécessaire, avec un double objectif, diagnostique et thérapeutique. Le bilan diagnostique recherche les autres atteintes possibles au cours de cette maladie : articulaires, cardiaques avec insuffisance aortique, vascularite, neurologique… Un amaigrissement est parfois constaté. Le traitement repose sur la corticothérapie au long cours et/ou les immunosuppresseurs. Le médecin interniste décidera des modalités : corticothérapie à la dose la plus faible possible, pour laquelle les symptômes, en particulier auditifs, sont contrôlés, à laquelle peuvent être ajoutés des immunosuppresseurs (métho­ trexate et azathioprine). Cette association thérapeutique permet, dans un certain nombre de cas, de réduire la posologie des corticoïdes. La corticothérapie au long cours justifie des thérapeutiques associées et une surveillance clinique et biologique (tension artérielle, poids, ionogramme sanguin, glycémie, etc.), d’où l’intérêt d’un suivi commun par le médecin interniste et l’ORL, afin de vérifier l’absence d’effets indésirables et la stabilité de l’audition. Dans certains cas, malgré ces mesures thérapeutiques, l’évolution est marquée par une altération importante de l’audition, faisant discuter une implantation cochléaire. La Lettre d’ORL et de chirurgie cervico-faciale • n° 330 - juillet-août-septembre 2012 | 23 CAS CLINIQUE En l’absence de tout symptôme oculaire, une surdité brusque récidivante à l’arrêt des corticoïdes fera discuter une surdité autoimmune. La description initiale des surdités auto-immunes a été réalisée par B.F. Mc Cabe en 1979 (3, 4). Il s’agit de surdités de perception bilatérales progressives sur plusieurs semaines ou plusieurs mois, associées ou non à des troubles de l’équilibre, pouvant se présenter comme une maladie de Ménière. La principale caractéristique de ces surdités est l’efficacité de la corticothérapie, avec parfois une corticodépendance : récidive des symptômes, en particulier de la surdité, à l’arrêt des corticoïdes. Cette cortico­ dépendance peut conduire, là aussi, à proposer une corticothérapie au long cours à des doses minimales, et/ou des thérapeutiques immunosuppressives. En pratique, les situations cliniques pour lesquelles la question d’une surdité auto-immune se pose sont les surdités fluctuantes, les surdités bilatérales rapidement évolutives, les patients présentant une maladie de Ménière bilatérale, en les différenciant des surdités au cours d’affections auto-immunes spécifiques (syndrome de Cogan, lupus érythémateux, périartérite noueuse, etc.) [figure 2] (4). Du point de vue physiopathologique, l’oreille interne peut être le siège de réactions immunitaires au cours desquelles le sac endolymphatique joue un rôle central. De nombreuses études ont été réalisées pour identifier un test biologique spécifique de ces surdités auto-immunes. Qu’il s’agisse de tests cellulaires – tests d’inhibition de migration lymphocytaire ou de transformation lymphoblastique – ou de la recherche de certains anticorps détectés par immunomarquage vis-à-vis de différentes protéines – 68 (70) kDa, 30 kDa –, aucun de ces examens n’a démontré un niveau de sensibilité et de spécificité le rendant utilisable en pratique clinique. Le diagnostic est donc habituellement établi à partir d’éléments biologiques non spécifiques : VS et CRP, et sur la réponse à la corticothérapie, qui est donc un test diagnostique. Une fois le diagnostic suspecté, la réalisation d’un bilan en médecine Surdité fluctuante Surdité bilatérale rapidement évolutive Symptomatologie de maladie de Ménière bilatérale Et amélioration des symptômes durant la corticothérapie Suspicion d’atteinte auto-immune Évaluation clinique : atteinte oculaire, articulaire, état général… Reprise de la corticothérapie IRM éliminant une lésion évolutive, pathologie neurologique… Avis de l’interniste : bilan diagnostique et thérapeutique adaptée Surdités associées à une maladie auto-immune (syndrome de Cogan, périartérite noueuse, etc.) Surdités auto-immunes “isolées” Figure 2. Stratégie diagnostique d’une atteinte auditive potentiellement auto-immune. interne permet d’éliminer une pathologie systémique dont la surdité serait le premier symptôme et de fixer les modalités du traitement et de son suivi. ■ Références bibliographiques 1. Perdu J. Syndrome de Cogan : manifestations vasculaires et éléments du diagnostic. Sang Thrombose Vaisseaux 2000;12(2):111-4. 2. Grasland A, Pouchot J, Hachulla E et al. Typical and atypical Cogan’s syndrome: 32 cases and review of the literature. Rheumatology (Oxford) 2004;43:1007-15. 3. McCabe BF. Autoimmune sensorineural hearing loss. Ann Otol Rhinol Laryngol 1979;88:585-9. 4. Vinceneux P, Couloigner V, Pouchot J, Bouccara D, Sterkers O. Surdités autoimmunes. Presse Med 1999;28:1904-10. AVIS AUX LECTEURS Les revues Edimark sont publiées en toute indépendance et sous l’unique et entière responsabilité du directeur de la publication et du rédacteur en chef. Le comité de rédaction est composé d’une dizaine de praticiens (chercheurs, hospi­taliers, universitaires et libéraux), installés partout en France, qui représentent, dans leur diversité (lieu et mode d’exercice, domaine de prédilection, âge, etc.), la pluralité de la discipline. L’équipe se réunit 2 ou 3 fois par an pour débattre des sujets et des auteurs à publier. 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