– les « trois huit » - et l'accélération des cadences), qui repose sur le postulat du
rendement collectif et non individuel, offrait la possibilité de l'utilisation d'une
main d'oeuvre abondante et non qualifiée. Ces hommes furent ainsi confrontés à
une expérience qui les mit en rupture totale avec leur propre vécu: travail industriel
mais aussi confrontation avec le monde occidental, son mode de vie, son
fonctionnement administratif et politique.
Une telle expérience ne pouvait pas constituer une simple parenthèse dans
leur vie, d'autant que leur séjour en métropole s'est prolongé dans le temps. Plus de
14.000 d'entre eux furent contraints de demeurer en France jusqu'à la Libération.
Leur rapatriement s'étira jusqu'en 1950. Pour ces hommes jeunes (la plupart avaient
vingt ans en 1940), c'est une grande partie de leur jeunesse qui s'est écoulée en
métropole. Le sujet de cette étude est bien l'évolution de cette micro-société
immigrée transplantée temporairement hors de son univers traditionnel. Au
processus d'adaptation au travail industriel, de confrontation au modernisme et
d'acculturation s'ajouta une expérience inédite, celle d'une confrontation avec une
puissance coloniale en crise.
Traversée par des contradictions, vaincue, affaiblie et occupée, la
puissance française devenait contestable. L'effondrement du mythe de la France
toute puissante et protectrice de ses sujets coloniaux favorisa l'émergence d'une
prise de conscience d'un rapport de force nouveau qui se dessinait entre les
autorités coloniales et les colonisés. Partis dans un état d'inculture politique totale,
avec pour unique sentiment une haine rentrée contre la France qui les avait
contraints à s'exiler pour une cause qu'ils n'estimaient pas être la leur, ces requis
évoluèrent vers des positions anti-colonialistes fermement affirmées. Ce désir
d 'émancipation de la domination française n'avait pas seulement pour origine
l'affaiblissement du prestige de la France. Il prit racine dans le processus de
prolétarisation rapide de ces paysans, leurs souffrances physiques (faim, froid) et
morales ( nostalgie, racisme des Français). A la Libération, la rencontre de ces
ouvriers avec l'intelligentsia nationaliste et marxiste vietnamienne en France et le
prolétariat français, dont les organisations sortaient renforcées de la guerre, agit
comme un catalyseur du mouvement de contestation de la politique coloniale
française en lien avec les événements dans la colonie elle-même.
En août 1945, l'insurrection du Viêt-Minh avait conduit l'Empereur Bao Daï
à abdiquer et entraîné la proclamation de la République Démocratique du Viêt-
Nam. Pour ces milliers de travailleurs qui, au vue de l'expérience acquise au cours
des années écoulées, se sentaient plus des sujets exploités que des sujets protégés
de la France, surgit l'espoir de devenir des citoyens libres dans un pays
indépendant. L'histoire des travailleurs indochinois en France pendant la seconde
guerre mondiale participait ainsi de l'évolution générale que connut l'empire
colonial français pour lequel le glas avait sonné. Le lent réveil des peuples