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Début décembre, l'armée de Can-
ton occupe le Kouang Si et opère sa
liaison avec les troupes nippones
d'Indochine. Le 20 décembre, celles-
ci passent de l'état de "troupes d'oc-
cupation" à l'état "d'armée en campa-
gne" qui devient la 38
ème
Armée aux
ordres du général Tsuchihashi avec
un PC à Saigon. Dorénavant, l'Indo-
chine n'est plus la base arrière du
front birman, elle est, elle-même,
un front de guerre. Après le raid
meurtrier, exécuté le 12 janvier
1945 par l'aviation américaine sur
les côtes indochinoises, la confé-
rence suprême sur la conduite de la
guerre décide, le 17 janvier, puis
confirme, le 1
er
février, l'exécution d'un
coup de force, le plus tôt possible.
Le conflit de principe qui oppose les
chefs militaires, partisans, pour des
raisons de sécurité, du maintien de
l'Indochine sous un régime d'admi-
nistration militaire, aux diplomates
des Affaires Etrangères, partisans
d'accorder l'indépendance aux trois
Etats, pour concrétiser l'idée de la
Libération de la "plus grande Asie"
du joug colonial du Blanc, est tran-
ché, le 26 février, au bénéfice de la
thèse pour l'indépendance im-
médiate.
Pendant ce temps, les vingt-cinq
mille
hommes des forces nippones
(21
ème
division et 34
ème
brigade) sont
renforcés. La 37
ème
division venant de
Chine s'installe dans le Nord-Tonkin,
une 7
ème
brigade apparaît à Saïgon
et la 2
ème
division de Birmanie s'im-
plante au Cambodge. Début mars,
soixante-cinq mille Japonais se
trouvent sur le territoire : dix-huit
mille au Tonkin, douze mille dans
le Nord et Centre-Annam. quatre
mille dans le Sud-Annam, vingt-huit
mille en Cochinchine et six mille au
Cambodge. Des petites garnisons
s'installent, également, dans le
Laos, à Xieng Kouang, Thakek et
Savannaket. Aux portes de l'Indo-
chine, se rapprochent de la frontière
la 22
ème
division dans le Kouang Si et
la 4
ème
en Thaïlande, c'est-à-dire dix-
huit bataillons prêts à intervenir.
Près de cent mille hommes, bien
équipés et aguerris, peuvent, ainsi,
à leur initiative, fondre sur les
soixante cinq mille soldats franco-
indochinois, dispersés dans un dis-
positif parfaitement connu, démunis
de matériels modernes, handicapés
par la présence des familles. La
balance des forces penche de façon
inégale...
Du côté français, dès la fin février,
les informations et les indices sur
l'imminence d'une attaque japo-
naise ne manquent pas. Pris entre
le souci de déclencher une alerte
générale et celui d'éviter tout inci-
dent ou provocation, le com-
mandement demeure hésitant.
Seules. quelques mesures de sécu-
rité sont prises localement comme
"l'exercice d'alerte" décidé, le 8
au soir, pour la division du Tonkin.
Dans la soirée du vendredi 9
mars, après un simulacre d'ultima-
tum irrecevable, le Gouverneur gé-
néral et son entourage sont captu-
rés, tandis que, du Nord au Sud,
avec une simultanéité presque par-
faite, l'armée nippone attaque les
garnisons de l'armée d'Indochine.
Par surprise toujours, par ruse
sou-, vent, par traîtrise parfois, cet
assaut, en toute supériorité, désor-
ganise le commandement, s'em-
pare des forts et citadelles; isole les
postes et casernements. La résis-
tance, selon les conditions locales,
dure de quelques heures à quelques
jours. Il serait trop long de citer tous
ces combats désespérés conduits
avec courage et abnégation. De
nombreux récits ont fait connaître la
fin dramatique de ces soldats pris
au piège et auxquels aucune issue
n'était offerte.
Les détachements mobiles, lors-
qu'ils étaient bien préparés et
correctement orientés sur leur mis-
sion, parviennent à se constituer, à
se dérober à l'emprise de l'adver-
saire et à entreprendre le mouve-
ment qui doit les conduire vers les
zones prévues. Dans le Nord, la
proximité de la Chine alliée constitue
un refuge possible au cas où un
maintien sur le sol indochinois de-
viendrait impossible. Les colonnes
et groupements de la division du
Tonkin et du Nord-Laos mènent, ef-
fectivement, un difficile combat re-
tardateur et les plus chanceux, au
nombre de 5700 dont 3200 Indochi-
nois, franchissent la frontière chi-
noise en avril et mai 1945. Dans le
centre et dans le sud, la situation
est différente et sans issue. Les
détachements tentent, néan-
moins, de rejoindre les refuges re-
connus mais encore peu préparés.
Commence, alors une dramatique
survie sous un climat éprouvant,
dans une nature inhospitalière, au
milieu d'une population parfois
hostile, dans un dénuement pres-
que total, sous la traque d'un ad-
versaire mobile qui surgit de par-
tout, survie qui s'achève par une
longue agonie dans un combat
inégal ou dans l'épuisement le
plus absolu.
Pour Paris et Calcutta, longtemps,
l'Indochine ne répond plus…
Le bilan précis des pertes subies
est impossible à établir. Les estima-
tions généralement admises don-
nent les chiffres de 1262 tués et
857 disparus pour les seuls Euro-
péens et plus d'un millier pour les In-
dochinois.
Le service action de Calcutta s'ef-
force, cependant, de poursuivre les
parachutages d'approvisionnements
et de personnels au profit des com-
mandos de guérilla mis en place au
cours de l'hiver. Dans un Laos ami,
au milieu d'une population loyale,
ceux-ci, en effet, sont passés à
l'action et ont échappé à la destruc-
tion. Le 16 avril, des maquis franco-
lao reçoivent l'ordre de se mettre en
sommeil pour sauvegarder leur po-
tentiel. Ils représentent une force
non négligeable de trois cents Fran-
çais et de deux cents Laotiens, dispo-
sant, au signal donné, d'une réserve
mobilisable de plusieurs centaines
d'hommes, et maintenant, ainsi, tous
les signes d'une présence française.
L'Indochine après le
coup de force.
Les conséquences du coup de force
nippon sont, néanmoins, dramati-
ques et irréparables pour la
France, tragiques et sources d'ins-
tabilité pour les Etats de l'union. Au
moment où il amorce son déclin,
l'Empire du Mikado porte un coup
mortel à la présence de I'homme
blanc en Asie. Ce sera sa victoire
posthume.
En quelques heures, tout ce qui est
aux couleurs de la France disparaît.
L'armée est brisée, l'administration
et les services publics sont désorga-
nisés. Gouverneurs, résidents, admi-
nistrateurs, fonctionnaires et nota-
bles français sont écartés si ce
n'est poursuivis et incarcérés.