Position de thèse - Université Paris

publicité
UNIVERSITÉ PARIS-SORBONNE
ÉCOLE DOCTORALE DE GÉOGRAPHIE DE PARIS
Laboratoire de recherche : Espace, Nature et Culture UMR8185
THÈSE
pour obtenir le grade de
DOCTEUR DE L’UNIVERSITÉ PARIS-SORBONNE
Discipline/Spécialité : Géographie
Présentée et soutenue par :
Mickaël AUBOUT
le 06 décembre 2013
GÉOGRAPHIE POLITIQUE ET MILITAIRE
DU RÉSEAU DES BASES AÉRIENNES
FRANÇAISES (1909-2012)
Sous la direction de :
M. Jean-Robert PITTE
JURY :
Mme Béatrice GIBLIN
M. Philippe BOULANGER
M. Jean-Marc LAURENT
M. Jérôme de LESPINOIS
Professeur, Université Paris-Sorbonne
Professeur, Université Paris VIII
Professeur, Université Paris VIII
Général de corps aérien, Armée de l’air
Lieutenant-colonel, Armée de l’air
POSITION DE THESE
La place du fait militaire dans les études géographiques demeure encore aujourd’hui
très parcellaire. En dépit, de la résurgence de l’intérêt pour la géopolitique ou pour la
géographie des conflits, l’analyse géographique des questions de défense reste peu
développée. Pourtant, comme le souligne Étienne Auphan, le fait militaire fait partie
intégrante du paysage géographique français et « même dans le cadre limité de l’espace
national et du temps de paix, est donc l’objet de l’analyse du géographe qui ne peut ignorer
sa présence »1. La réflexion géographique est un instrument servant à organiser les territoires,
non seulement en prévision des batailles qu’il faudra livrer contre tel ou tel adversaire, mais
œuvrant également au contrôle des hommes sur lesquels l’appareil d’État exerce son
autorité2. Effectivement, parmi les institutions ayant grandement contribué à façonner le
paysage politique, économique, sociologique et l’aménagement du territoire de la France,
force est de constater que la Défense tient une grande place. Dans ce contexte, l’analyse
géographique d’un élément comme la base aérienne, de par sa surface d’implantation et les
interactions politiques, économiques, culturelles ou encore sociologiques qu’elle entretient
avec son environnement, est plus que fondée. Ensuite, la formation en réseau des bases
aériennes induit une logique d’organisation territoriale qui, elle-même, répond à une
planification et donc à une stratégie3.
Dans le cadre de notre thèse, au travers d’une approche géographique politique et militaire du
réseau des bases aériennes françaises, plusieurs éléments apparaissent.
D’abord, le réseau des bases aériennes, en tant qu’objet géographique, concoure à la
définition d’une géographie militaire aérienne et, plus largement, d’une géostratégie aérienne.
Définir la géostratégie aérienne par le prisme des bases aériennes aboutit à une grande variété
de type de réseaux qui s’apprécie selon la morphologie de leur territoire d’implantation, la
présence ou non de menaces à leurs frontières, la position plus ou moins distante de ces
dernières mais aussi les capacités du pays à mettre en œuvre une force aérienne puissante,
moyenne ou faible. La défense des territoires nationaux et des intérêts politique, militaire et
économique constitue un leitmotiv commun à toutes les nations. Pour autant, les objectifs
1
AUPHAN, Etienne, « La géographie et le militaire : théorie et application. Le fait militaire, facteur ou objet de
la géographie », Stratégique, n° 82/83, 2-3/2001, pp. 53-54.
2
LACOSTE, Yves, La géographie, ça sert, d’abord, à faire la guerre, nouvelle édition augmentée, Paris, La
Découverte, 2012, p. 61.
3
DUPUY, Gabriel, « Réseaux », Encyclopaedia Universalis, Paris, 2002, p. 875.
2
politiques qui en découlent restent propres à chacune d’entre elles et attachés à des zones
géographiques différentes. Aussi, l’emploi des moyens aériens qui concourent à les atteindre
abouti à de multiples formes de réseaux de bases. En outre, la stratégie aérienne peut
s’appréhender et se différencier selon les types de missions permises par l’aviation militaire.
Les stratégies aériennes de défense du territoire national, de dissuasion ou d’intervention
extérieure sous-tendent des réseaux de bases aériennes dédiées.
Ensuite, dans le cas de la géostratégie de la France, il existe de fortes relations entre les
politiques de défense et les dynamiques de répartition spatiale des bases aériennes. La
manière dont un pays comme la France emploie ses forces aériennes et en établit
l’organisation spatiale nous offre une grille de lecture particulière sur la façon dont elle
perçoit son environnement, tant sur son territoire métropolitain qu’en dehors de ses frontières.
L’analyse spatiale du réseau des bases aériennes françaises, depuis sa création, met en
exergue les rapports particuliers existant entre l’institution militaire, les territoires sous
souveraineté française et ceux au sein desquels la France y détient des intérêts politiques et
économiques.
La France se trouve actuellement dans une situation sans précédent dans son histoire. Depuis
plus d’un demi-millénaire, le continent européen a été au cœur de nombreux conflits de
puissance et la France y a été régulièrement confrontée. Désormais, il est difficilement
imaginable de voir le territoire métropolitain être le théâtre d’une guerre entre puissance
étatique. Cet état perpétuel de menace extérieure est à l’origine de l’émergence, du
développement et de la configuration du réseau des bases aériennes métropolitaines, à l’image
de l’ensemble des forces armées françaises. L’organisation spatiale de ce réseau est le reflet
de l’obsession des autorités politiques et militaires françaises pour la région Nord-Est. Perçue
durant plusieurs siècles, jusqu’à la fin de la guerre froide, comme la porte d’entrée principale
d’une possible invasion extérieure, elle concentre le plus grand nombre d’ouvrages et
d’infrastructures militaires. La prééminence de l’aviation militaire durant les conflits du XXe
siècle ont entraîné puis conforté les bases aériennes françaises à se répartir selon leur
fonction sur un axe Nord-Est/Sud-Ouest : en première ligne les bases de l’aviation de combat,
ensuite les bases de transport aérien et les centres logistiques, enfin les bases écoles dans le
sud-ouest et le sud. Les doctrines militaires françaises inspirées de cette posture défensive ont
forgé la physionomie du réseau des bases aériennes métropolitaines. La configuration du
réseau actuel constitue un héritage de cette période. La fin de cette focalisation spatiale NordEst aboutit à un réaménagement du réseau avec la fermeture, durant les années 2000, de la
3
moitié des bases aériennes de combat au-dessus d’un axe Creil-Troyes-Dijon. La répartition
des avions de combats s’est orientée en direction des bases du Sud de la France et désormais,
il est possible de constater un rééquilibrage entre le Nord-Est et le Sud de la métropole. Le
changement de perception de la France sur son environnement immédiat européen est à
l’origine de la reconfiguration de son réseau de bases aériennes. Ces changements ne sont pas
sans conséquence en termes économiques car la fixation de certaines bases aériennes en des
lieux, et ce, pour certains depuis la Première Guerre mondiale, a entraîné la formation de
profonds liens sociaux et économiques avec les municipalités environnantes. Aussi, la
fermeture d’une base aérienne et les impacts socio-économiques qui en découlent peuvent
constituer des traumatismes pour certaines régions où cette infrastructure militaire fait partie
des premiers employeurs de la région.
Si le réseau des bases aériennes métropolitaines découle de la sanctuarisation de ce territoire,
le réseau des bases extra-métropolitaines répond à d’autres logiques.
La France a ceci de particulier qu’elle est l’une des seules anciennes puissances
coloniales, avec le Royaume-Uni, à conserver des bases militaires dans certains pays issus de
son ancien empire colonial. L’étude du réseau des bases aériennes extra-territoriales met en
relief la vision que la France porte sur ces territoires et traduit, dans un premier temps la
politique coloniale qu’elle y a mené. Ensuite, la vision de la France sur sa place dans le
monde s’est largement illustrée au travers de l’emploi de ce réseau comme instrument et enjeu
de sa politique étrangère.
Dès l’apparition de l’aviation militaire française, l’empire colonial français s’est constellé
d’un vaste réseau d’infrastructures aériennes. La diffusion de ce réseau a pris la forme d’une
double vague. En direction du sud, à partir de l’Afrique du nord qui irrigue l’ensemble des
territoires français sub-sahariens jusqu’à Madagascar, puis vers l’Est en direction des
territoires du Levant et de l’Asie du sud-est. À la différence de sa consœur métropolitaine, le
réseau colonial ne se caractérise pas par une fonction uniquement militaire placée sur la
défensive la rendant statique. Perpétuellement en expansion, il est à l’image de la politique
coloniale française qui s’efforce d’explorer et de mettre en valeur ces territoires sous
souveraineté française.
Considéré comme l’outil de déplacement idoine aux grandes superficies, le réseau colonial va
surtout permettre à la France de réaliser ses vœux de voir un empire colonial, marqué par de
grandes discontinuités spatiales, réparti sur les cinq continents, devenir un ensemble spatial
homogène grâce aux liaisons aériennes. Les échelles spatio-temporelles importantes,
4
marquées par les distances plus ou moins grandes avec la métropole-mère, se réduisent. Si
jusque-là les liens de la France avec ses territoires coloniaux s’illustraient par des liaisons
maritimes se comptant en semaines, désormais ils s’envisagent en heures et en jours.
Cette vision de « la plus grande France » est désormais renforcée par la mise en place d’un
réseau de terrains d’aviation permise par les explorations aériennes et renforçant la proximité
des territoires coloniaux français entre eux.
La France va tenter de maintenir cette vision en préservant autant que possible la cohérence
de son empire. De la guerre du Rif et du Levant durant l’Entre-deux-guerres aux conflits
coloniaux de l’Indochine et de l’Algérie après le second conflit mondial, elle utilise son
réseau de bases aériennes pour exercer et verrouiller sa souveraineté sur ces territoires.
Avec la vague des indépendances des années 1960, ces territoires basculent du champ de la
politique coloniale à celui de la politique étrangère. Le réseau des bases extra-métropolitaines,
dans le cadre d’accords de défense et de coopération, sert au maintien de l’influence française
dans ses anciens territoires coloniaux. L’entrée en service de la dissuasion nucléaire française
entraîne la mise en place d’un nouveau rapport entre la France et ces derniers. Désormais, elle
appréhende sa position dans le monde selon un schéma géographique mental illustré par le
colonel Lucien Poirier dans sa théorie des trois cercles. Sa priorité stratégique réside dans le
premier cercle, la métropole, suivie de l’Europe et des nations de l’Alliance atlantique dans le
deuxième cercle. Enfin, le troisième cercle correspond au reste du monde et aux zones où la
France détient des intérêts particuliers, soit principalement son pré carré africain. Au sein de
ce troisième cercle, la France fait face à de multiples crises et conflits, multipliant, par
l’intermédiaire de son réseau de bases aériennes, les interventions militaires, le rapatriement
de ressortissants français et étrangers et la fourniture d’aide humanitaire. La position de la
France sur l’échiquier mondial s’illustre par sa capacité à intervenir dans les crises et conflits
touchant ses intérêts nationaux. Son réseau de bases extra-métropolitaines est employé à
maintenir son rang dans le concert des nations, illustré par son siège au conseil de sécurité des
Nations unies.
De l’analyse spatiale du réseau des bases aériennes françaises métropolitaines et extramétropolitaines depuis 1909 émerge l’image d’une France à double visage. D’un côté, elle
met en œuvre des moyens pour préserver, dans une posture plus que défensive, son sanctuaire
national ; de l’autre, elle s’est servi de son réseau des bases aériennes comme d’un instrument
d’exploration, de contrôle et de conservation de territoires coloniaux et ensuite de
préservation d’intérêts dit vitaux dans les pays étrangers et les territoires français d’outre-mer.
5
Pourtant les deux sont liés. En effet, assurer l’immunité du territoire national et soutenir les
intérêts français dans le monde n’est possible que si le premier objectif est atteint, car « on ne
s’engage pas au loin quand la maison brûle » ; inversement, l’acquisition du premier objectif
conduit naturellement à la poursuite du second4.
Il ressort donc une grande complémentarité des bases aériennes métropolitaines et extramétropolitaines, qui plus est dans un contexte de mondialisation accrue des menaces.
En cela, la géographie politique et militaire du réseau des bases aériennes françaises amène à
une notion plus large de géostratégie.
4
MESSMER, Pierre, « L’atome, cause et moyen d’une politique militaire autonome », Revue de défense
nationale, mars 1968, p. 396.
6
Téléchargement