J Maroc Urol 2010 ; 19 : 30-33 LA CHIRURGIE DES FISTULES URETROVAGINALES : INTERPOSITION D’UN LAMBEAU D’EMBLEE OU APRES ECHEC D’UNE PREMIERE INTERVENTION ? FAIT CLINIQUE (A PROPOS D’UN CAS ET REVUE DE LA LITTERATURE) A. KHALLOUK, O. ELYAZAMI, M.F. TAZI, M.J. ELFASSI, M.H. FARIH Service d’Urologie, CHU Hassan II, Fès , Maroc RESUME ABSTRACT Les fistules urétrovaginales (FUV) sont souvent d’origine obstétricale dans les pays en voie de développement, alors qu’elles sont surtout d’origine chirurgicale ou radique dans les pays développés. Elles constituent un challenge thérapeutique pour le chirurgien. Les échecs du traitement et la multiplicité des complications peuvent parfois altérer profondément la qualité de la vie des patientes. Nous rapportons le cas d’une jeune patiente de 23 ans, primipare, qui avait présenté une FUV d’origine obstétricale suite à un travail prolongé dans une situation dystocique. A travers cette observation, nous réalisons une revue de la littérature sur les fistules urétrovaginales, rappelons leurs étiologies, leur prise en charge et leur prévention. THE SURGERY OF URETHROVAGINAL FISTULAS : INITIALLY FLAP INTERPOSITION OR AFTER A FAILED FIRST INTERVENTION ? (CASE REPORT AND LITERATURE REVIEW) Urethrovaginal fistulas are often of obstetric origin in the developing countries, whereas they commonly result from surgery and radiation in developed countries. They constitute a therapeutic challenge for the surgeon. The failure of surgical repair and the multiplicity of complications could deteriorate the quality of life of the patients. We report a case of a young 23 old patient who presented with urethrovaginal fistula of obstetric origin secondary to prolonged obstructive labour. Through this observation we review the literature about urethrovaginal fistulas, we callback their etiologies, management and prevention. Mots clés : fistules urétrovaginales ; étiologies ; traitement Correspondance : Dr. A. KHALLOUK. Faculté de Médecine et de Pharmacie de Fès. BP : 1893, Km 2, 200, Route de Sidi Harazem, Fès, Maroc. E-mail: [email protected] Key words : urethrovaginal fistulas ; etiologies ; streatment INTRODUCTION OBSERVATION Les fistules urétrovaginales sont souvent classées dans le même contexte que les fistules vésicovaginales. Cependant, d’importantes différences existent entre les deux affections concernant les étiologies, le traitement et les complications. Sur le plan étiologique, le travail prolongé avec une situation dystocique est la principale cause dans les pays en voie de développement alors que dans les pays développés, les FUV sont souvent secondaires à la chirurgie urétrale et vaginale. La difficulté chirurgicale majeure est due essentiellement au très peu de tissues disponibles pour réparer le defect. Ainsi, plusieurs artifices techniques ont été élaborés pour palier à cette faiblesse. Il s’agissait d’une jeune patiente de 23 ans primipare, sans antécédent pathologique notable qui était admise au Service de la Maternité en cours d’un accouchement laborieux avec un travail dépassant 48 heures. La présentation était céphalique avec tête fœtale enclavée. L’extraction d’un mort-né, s’était faite par voie basse à l’aide du forceps. L’évolution était marquée par l’apparition le lendemain de l’accouchement, de fuites urinaires et de selles par la cavité vaginale avec conservation des quelques mictions. L’examen physique urogénital avait découvert à l’inspection une déchirure périnéale postérieure. L’examen sous valve avait montré une fistule urétrovaginale intéressant le tiers proximal de l’urètre avec respect du sphincter et du col vésical et une fistule rectovaginale associée. Localement, les tissus étaient très inflammatoires et il était impossible de procéder à une réparation chirurgicale immédiate. Nous avions, cependant, réparé la déchirure périnéale et réalisé un En fonction de la taille de la fistule et sa localisation par rapport au sphincter, plusieurs types de complications peuvent apparaître en postopératoire : récidive de la fistule, incontinence urinaire et sténose de l’urètre. -30- La chirurgie des fistules urétrovaginales A. KHALLOUK et coll. sondage urétrovésical avec prescription des soins locaux. La patiente avait également bénéficié d’une dérivation des matières fécales par la réalisation d’une colostomie gauche. Trois mois après, la patiente avait bénéficié d’un traitement chirurgical de la fistule rectovaginale avec interposition entre les deux plans vaginal et rectal d’un lambeau graisseux prélevé de la grande lèvre (Martius) avec rétablissement de continuité digestive. Le succès était total et aucune complication n’avait été observée en postopératoire. La réparation de la fistule urétrovaginale était décidée 1 mois après. La patiente était admise au Service d’Urologie. A l’examen clinique, la patiente était toujours porteuse d’une sonde vésicale, la fistule urétrovaginale était très bien délimitée et les phénomènes inflammatoires avaient disparu (fig. 1). La patiente était placée en position gynécologique sous rachianesthésie, nous avons placé 4 fils tracteurs autour de la fistule, procédé au dédoublement des plans urétral et vaginal et suturé l’urètre dans le sens transversal et le vagin dans le sens longitudinal. Un drainage urinaire postopératoire était réalisé par une sonde urétrovésicale laissée en place pendant 3 semaines. L’évolution était marquée par la récidive de la fistule urétrovaginale après ablation de la sonde vésicale. Il fallait probablement utiliser un lambeau pédiculé (Martius ou autre) d’emblée au cours de cette première intervention. utiliser un lambeau et les risques de complications postopératoires en particulier l’incontinence urinaire caractérisent surtout les FUV. Les traumatismes obstétricaux de l’urètre restent la principale cause de FUV dans les pays en voie de développement [1, 2, 3]. En effet, un travail prolongé sur une situation dystocique entraîne une compression ischémique de l’urètre et la vessie en avant et du rectum en arrière, contre les structures osseuses du pelvis, par la tête fœtale enclavée, ce phénomène aboutit à une nécrose tissulaire avec apparition de fistules urétrovaginales, vésicovaginales et rectovaginales. En outre, la mauvaise utilisation de manœuvres d’extraction peut aussi être en cause [1, 2, 4]. Dans notre contexte, malgré de grands efforts déployés pour améliorer la qualité de prise en charge obstétricale des femmes enceintes, on enregistre encore quelques rares cas de fistules uro-génitales d’origine obstétricale. Dans les pays développés, les FUV peuvent se voir surtout dans le cadre de la chirurgie utilisant la voie vaginale : diverticule urétrale, colporraphie, kyste paraurétral, incontinence urinaire [5, 6]. Des cas de fistules urétrovaginales ont été rapportés suite à l’insertion de bandelettes sous-urétrales (IVS, TVT) [7, 8]. Les autres étiologies moins fréquentes comprennent les traumatismes urétraux dans le cadre des traumatismes du bassin, les cathétérismes prolongés, les corps étrangers et l’irradiation pelvienne [1, 2]. Le délai d’apparition des signes cliniques varie surtout en fonction de l’origine de la FUV. En effet, les fistules d’origine obstétricale se manifestent typiquement dans 75% des cas dans les premières 24 heures après l’accouchement [1], comme cela été le cas de notre patiente. En revanche, ce délai peut s’allonger de 7 à 30 jours en postopératoire dans les traumatismes chirurgicaux, voire plusieurs mois à quelques années dans les fistules radiques [9]. La symptomatologie fonctionnelle dépend de la taille et la localisation de la fistule. En effet, les patientes dont les FUV siègent au niveau du tiers distal de l’urètre sont souvent continentes et se plaignent de fuites urinaires vaginales minimes en per ou post-mictionnel. Cependant, les lésions qui touchent le tiers proximal ou moyen de l’urètre se manifestent par une incontinence urinaire intermittente positionnelle ou une incontinence totale quand la perte de substance urétrale s’étende au col vésical et aux sphincters. En outre, d’autres symptômes accompagnent les fuites urinaires par le vagin tels que : les lésions vulvopérinéales irritatives, les infections urinaires à répétition et les candidoses vaginales [1]. Fig. 1. Examen gynécologique sous valve montrant la fistule urétrovaginale (flèche rouge) de notre patiente porteuse d’une sonde vésicale L’examen gynécologique sous valve permet de porter, sans difficulté, le diagnostic de fistule urétrovaginale en montrant une perte de substance urétrale d’importance variable, allant d’un petit orifice fistuleux à une perte totale du mur postérieur de l’urètre [1, 4]. Au cours de cet examen, il est intéressant de rechercher des lésions associées surtout les fistules vésicovaginales DISCUSSION Les fistules urétrovaginales constituent une entité rare en urologie féminine et sont à distinguer des fistules vésicovaginales [1]. En effet, les difficultés chirurgicales, les échecs thérapeutiques, la nécessité de souvent -31- J Maroc Urol 2010 ; 19 : 30-33 Quelques séries dans la littérature rapportent des taux variables concernant le succès de la chirurgie des FUV. En effet, Blaivas [17] rapporte un taux de succès de 79% après une première intervention, pour Lee [6], ce taux est de 92% alors que pour Pushkar [1], ce taux est de 90,14%. La première intervention a échoué pour notre patiente parce qu’il fallait probablement utiliser d’emblée un lambeau pédiculé vu le peu de tissu dont on disposait autour de la fistule. en procédant à un remplissage vésical avec éventuellement l’utilisation du bleu de méthylène [1]. Sur le plan paraclinque, l’urétrocystoscopie peut être utile pour préciser la taille et la localisation de la fistule et de rechercher d’éventuelles lésions vésicales. Certains auteurs recommandent systématiquement une échographie rénale et une urographie intraveineuse, surtout dans le contexte d’un traumatisme obstétrical, pour éliminer une lésion urétérale même en présence d’un trigone endoscopiquement normal [1]. Pour le traitement d’une éventuelle incontinence urinaire d’effort associée, Pushkar [1] préfère utiliser une bandelette transobturatrice de dedans en dehors (TVTo), alors que d’autres proposent la fronde sous cervicale qui peut être associée à la reconstruction de la fistule en utilisant un soutènement aponévrotique du col vésical [18]. Néanmoins, le soutènement du col vésical nécessite une dissection plus importante de l’urètre et du col vésical qui peut occasionner davantage de traumatisme urétral [1]. Le délai de réparation chirurgicale des FUV fait l’objet de controverse. Pour les FUV d’origine obstétricale, classiquement un délai de 2 à 3 mois voire 6 mois est nécessaire avant la chirurgie, ce délai permet la résorption des phénomènes inflammatoires et la cicatrisation des tissus péri-fistuleux [10]. En outre, ce délai permet une bonne préparation à l’intervention (soins locaux, traitements des infections urinaires et génitales…). La prévention concerne essentiellement les FUV obstétricales qui sont évitables en permettant à chaque femme d’accoucher dans une maternité accessible se dotant de moyens techniques adéquats et de personnel qualifié. Les FUV postopératoires et traumatiques doivent êtres suturées dans l’immédiat, passé le délai de quelques jours, elles rejoignent les fistules obstétricales. La technique chirurgicale est tributaire du siège de la fistule, de sa taille et de l’état local des tissus. La principale difficulté chirurgicale résulte du peu de tissus disponibles pour la cure de la fistule du fait de son siège urétral [1, 4]. Chaque FUV est unique, ce qui rend difficile de standardiser l’intervention chirurgicale. CONCLUSION Les fistules urétrovaginales sont plus difficiles à traiter que les fistules vésicovaginales. Les échecs thérapeutiques et les complications sont fréquentes, ce qui altère la qualité de vie des patientes. Nous pensons que le point le plus important c’est de pouvoir choisir la technique chirurgicale adéquate pour chaque cas. Le lambeau pédiculé doit être utilisé dès la première intervention quand un doute existe sur le succès de l’intervention sans celui-ci. Si toutes les techniques chirurgicales proposées ont pour but de fermer la fistule et de restaurer la continence, le succès opératoire repose sur des sutures étanches et sans tension. Quelle que soit la technique opératoire choisie, l’examen gynécologique préopératoire immédiat sous anesthésie est indispensable. En effet, cet examen permet d’éliminer une lésion associée et surtout d’évaluer la qualité des tissus avoisinant (souplesse vaginale, absence d’inflammation…), ce qui permet de choisir la technique la plus adaptée. REFERENCES La technique chirurgicale de base est inspirée de l’opération de Chassar Moir, utilisée dans la chirurgie des fistules vésico-vaginales, qui consiste en un dédoublement des deux plans urétral et vaginal puis suture de chaque plan à l’aide d’un fil résorbable et fin [11]. C’est l’intervention que nous avons réalisée chez notre patiente. Malheureusement, cette opération n’est pas toujours possible quand la perte de substance urétrale est importante. C’est dans ces cas que l’apport d’un tissu de voisinage, pédiculé et bien vascularisé, est nécessaire [12]. Ainsi, pour combler le defect, plusieurs types de techniques utilisant des lambeaux pédiculés ont été décrits. Le procédé de Martius consistant à prélever la graisse de la grande lèvre est le moins délabrant et le plus proche du site opératoire [13]. D’autres auteurs ont utilisé le muscle grand droit [3, 14, 15], le muscle droit interne, le lambeau pédiculé myocutané de la grande lèvre [16]. -32- 1. Pushkar DY, Dyakov W, Kosko JW, Kasyan GR. Management of urethrovaginal fistulas. Eur Urol 2006 ; 50 : 1000-5. 2. Bouya PA, Nganongo WI, Lomin D, Iloki LH. Etude rétrospective de 34 fistules uro-génitales d’origine obstétricale. Gynécol Obstet Fertil 2002 ; 30 : 780-3. 3. Dekou HA, Konan PG, Manzan K, Ouegnin GA, DjedjeMady A, Dje CY. Le point sur les fistules urogénitales en Côte d’Ivoire à la fin du XXe siècle. Résultats de 70 cas. Ann Urol 2002 ; 36 : 334-40. 4. Roenneburg ML, Wheeless CR Jr. Traumatic absence of the proximal urethra. Am J Obstet Gynecol 2005 ; 193: 2169-72. 5. Hilton P. Fistulae. In : Shaw RW, Souter WP, Stanton SL. editors. Gynaecology. Ed 2. 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