Tour d`horizon de M. Christophe Reymond

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Assemblée des délégués de la FPV du 29 mars 2017
La Marive, Yverdon-les-Bains
Tour d’horizon de M. Christophe Reymond,
secrétaire général
Le monde des entreprises à l’heure de la montée des populismes
Le combat politique, notre président vient de le relever, exige la persévérance, la
volonté d’aller de l’avant, une bonne dose d’ardeur dans la lutte, et aussi la fermeté
des convictions. Mais cette fermeté de pensée ne doit pas s’envisager de façon
théorique ou abstraite. Elle doit se nourrir des activités que nous réalisons nousmêmes, être à l’écoute de ce qui se dit et de ce à quoi nos concitoyens aspirent,
composer aussi avec la réalité et les personnes qui exercent le pouvoir.
C’est d’ailleurs bien en considération de la réalité politique d’aujourd’hui, de ce qu’il
est possible d’attendre des partis au pouvoir que nous nous sommes résolus à soutenir le projet Prévoyance 2020. Imparfait à plusieurs égards, au moins a-t-il le mérite de réaliser plusieurs objectifs que nous appelions de nos vœux : âge de référence commun pour la retraite des femmes et des hommes, diminution substantielle
du taux de conversion, maintien du taux de cotisation des indépendants. Dans l’appréciation de situation, ces points positifs finissent par peser plus lourds que les défauts du projet et son caractère inabouti.
Composer avec la réalité politique, c’est aussi composer avec les personnalités qui
sont à la tête de nos institutions. Vous ne m’en voudrez pas d’évoquer brièvement
cette question, à un mois d’élections qui décideront des gouvernants et des législateurs vaudois des cinq années à venir. Vous comprendrez que je m’en tienne à des
commentaires partiels, sans prétendre traiter l’ensemble d’un sujet qui appartient
aux partis politiques ; et l’organisation professionnelle, si elle est impliquée dans la
vie politique, n’a pas pour but la conquête du pouvoir. Il n’en reste pas moins que le
monde de l’entreprise n’envisage pas sans appréhension la perpétuation d’une situation politique dans laquelle notre canton est marqué par l’étatisme ainsi que par
une pensée écologique profondément hostile à l’économie moderne. Je voudrais
donc, avec la distance qui s’impose mais avec beaucoup de franchise, dire deux
choses.
2.
La première est que dans le régime rad-soc qui prévaut dans le canton depuis une
bonne dizaine d’années, l’étatisme n’en finit pas de progresser. L’emprise se constate dans à peu près tous les domaines. La politique foncière et du logement vise à
octroyer toujours plus de compétences aux autorités publiques. La redistribution au
titre des aides sociales de toutes sortes est érigée en mode d’administration ; voyez
la récente proposition de M. Maillard d’inventer de nouveaux impôts pour financer
les soins dentaires. C’est d’ailleurs dans le secteur de la santé que l’administration
n’en finit pas de s’étendre et de déborder sur le médical. Dans ce domaine socialement sensible, le Département entreprend sans relâche d’embrigader tous les acteurs dans des réseaux publics, de contrôler leurs investissements, de dicter leurs
conditions de travail. Ces manifestations incessantes de collectivisme ne font l’objet
que de trop rares velléités de résistance dans le monde politique. Saluons donc l’action des médecins indépendants, des cliniques privées, des médecins-dentistes,
des EMS privés, des pharmaciens et des physiothérapeutes indépendants. Ce sont
eux qui portent encore l’étendard de l’économie privée de la santé, gage de soins
orientés vers les personnes et non vers le système.
Ma deuxième remarque est que si l’aspect socialiste du régime rad-soc n’en finit
pas de progresser, c’est aussi parce que le centre-droite ne fait pas grand-chose
pour inverser la tendance. Il n’a pas su nouer en temps voulu des liens assez forts
entre toutes ses composantes, PLR, UDC, verts-libéraux. Il n’a pas préparé et organisé la relève. Surtout, il laisse faire, tolérant (quand ce n’est pas encourageant) un
droit de préemption dans le domaine immobilier en faveur des cantons et des communes, une clause du besoin pour les équipements médicaux lourds, des hausses
de charges bien supérieures à l’évolution de tous les paramètres économiques et
sociaux. Tout se passe comme s’il était hypnotisé par son adversaire, accréditant ce
constat que, décidément, il existe des socialistes dans tous les partis.
v v v
Ces élections à l’intérieur de notre pays renvoient très naturellement à examiner ce
phénomène qui n’est pas totalement récent mais qui a éclaté aux yeux du monde
entier l’an passé à la faveur en particulier du Brexit et de l’arrivée de M. Trump à la
présidence des Etats-Unis. Même dans un canton et dans une Suisse dont l’exiguïté et la prospérité atténuent bien des choses, ces réactions qu’il est désormais
convenu de qualifier de populistes se font sentir, en ce sens que plusieurs votes témoignent de la méfiance de nombre de citoyens envers leurs institutions, envers
leurs élus, envers leurs élites qui, censés les représenter, les trahissent en négligeant leurs préoccupations.
Les raisons de cette défiance qui déferle sur les nations libres ont été maintes fois
évoquées. Au plan économique, elles sont ancrées dans la stagnation des revenus
et la hausse des inégalités. Au plan social, elles découlent de la déstabilisation
d’une part de la population sous le double choc de la mondialisation et de la révolution numérique. Au plan politique, elles résultent du sentiment de perte de contrôle
face à l’impuissance des Etats à répondre à nombre de défis. Au plan culturel enfin,
ces réactions naissent d’une perte d’identité face à l’avènement d’une société extrêmement ouverte et à des vagues migratoires incontrôlées.
3.
Sur la base de ces sentiments, il existe une vraie exaspération à l’égard de la déconnexion des élites politico-économico-médiatiques et à l’encontre des institutions.
Le premier message que j’aimerais transmettre à cet égard en cette fin d’après-midi
est que le monde de l’économie privée ne doit jamais négliger de prendre le pouls
de la population, d’écouter la rue.
Il le faut tout d’abord parce que notre système politique l’exige. Le régime démocratique n’est jamais remis en cause lorsque les citoyens votent « bien ». Par exemple,
en ce qui nous concerne, lorsqu’ils rejettent le revenu de base inconditionnel, le salaire minimum ou deux semaines de vacances supplémentaires. Mais dès le moment où les votants choisissent de limiter l’immigration ou de refuser une réforme
de la fiscalité des sociétés, c’est au mieux parce que l’émotion l’a emporté sur la raison, au pis parce qu’ils ont été trompés par de vils arguments. Est-ce vraiment le
cas ?
Remarquons d’abord qu’il y a de multiples exemples où des décisions ont été prises
sans l’assentiment des peuples, ou contre leur avis, ou avec des arguments pour le
moins discutables. On considère aujourd’hui que les Britanniques qui se sont prononcés pour la sortie de leur Royaume de l’Union européenne représentent l’archétype des victimes du populisme. Mais à cet aulne, que dirait-on du peuple suisse,
qui s’est exprimé à plusieurs reprises sur des questions analogues et s’est toujours
gardé de rapprochements trop étroits avec l’UE ? Et comment doit-on juger les politiciens qui, naguère, ont convaincu les peuples ou les parlements d’une vingtaine de
pays européens qu’il était possible de créer une monnaie unique sans unifier de
multiples pans de la politique de chacun des Etats ? Raisonnables ou populistes ?
Plus près de nous, si le peuple et les cantons ont rejeté la fameuse RIE III ou accepté l’initiative contre l’immigration de masse, et même si cela nous navre, ce n’est
certainement pas parce qu’il a été roulé dans la farine. C’est parce qu’il a estimé
que les avantages fiscaux accordés aux sociétés l’étaient moins pour aider l’ensemble de l’économie que pour maintenir en Suisse des multinationales que les
gens de gauche assimilent au grand capital et que bien des gens de droite regardent de travers parce qu’elles restent parfois étrangères à la culture du pays. Face
à la libre-circulation, la réaction populaire n’est pas tant l’expression de la xénophobie que le désarroi manifesté face à un phénomène migratoire qui n’est pas maîtrisé, qui a outrepassé toutes les prévisions avancées au moment de son introduction, face aussi à des excès qui relèvent du dumping salarial ou qui laissent pantois
quant au traitement réservé à certains travailleurs détachés.
A regarder les choses avec sang-froid, on peut se dire que les thèmes sont replacés
par les votants dans un contexte assez large, avec une vision d’ensemble qui est
loin d’être incohérente. C’est ce qui explique que les citoyens que l’on qualifie de
populistes proviennent de cultures politiques de droite comme de gauche et que les
arguments qu’ils développent soient en provenance de tous les côtés de l’échiquier
politique. On observera d’ailleurs que dans notre système, un citoyen populiste vaut
autant qu’un votant bien éduqué et qu’au-dessus de 50%, populiste, ça devient populaire…
4.
On ajoutera que dans à peu près tous les cas, les votes protestataires, quoique provenant de pays différents et de contextes économiques et sociaux divers, expriment
des préoccupations qui se recoupent. Au plan politique, on discerne un appel à restituer leur souveraineté aux Etats qui l’ont déléguée à des structures supranationales qui n’inspirent plus confiance. Les frontières se reforment et les appartenances nationales ressurgissent avec d’autant plus de vigueur qu’on en a davantage nié la légitimité. Au plan économique, la mondialisation sauvage inquiète. Tout
en profitant à maints égards d’échanges toujours plus nombreux, chacun sent que
la course au bas prix et à l’immédiateté questionne la justice et l’efficacité de notre
système économique. Aux plans culturel et social, on a trop gaussé l’exaspération,
voire la colère, de ceux qui se sentent submergés par des mœurs et des cultures
profondément éloignées des nôtres. Le poids de la bien-pensance, la moralisation
incessante émanant de l’intelligentia politique, académique et médiatique aboutissent à une véritable pression sociale. Il en résulte chez beaucoup le sentiment
d’une perte de liberté de parole, comme aussi d’une perte de bon sens dans l’appréhension des questions sociétales.
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Voilà, Mesdames et Messieurs, en termes un peu élaborés, ce que me semblent
traduire les votes qualifiés de populistes. Voilà ce dont nous, représentants des entreprises, devons nous employer à comprendre la logique, afin de la concilier, de la
réconcilier avec les exigences et les lois de l’économie. La diabolisation ne mène à
rien ; l’écoute attentive est nécessaire ; les réponses nuancées sont possibles.
Nous devons nous souvenir tout d’abord que l’être humain n’est pas qu’un acteur
économique. Il s’inscrit dans une histoire, dans un pays, manifeste des besoins de
protection pour lui-même et sa communauté. Or la mondialisation éloigne, disperse
ou dissimule les centres de décision ; les facilités pratiques et juridiques du recours
à de la main-d’œuvre extérieure créent des frustrations. Face à cela, il faut réaffirmer la priorité du local et pratiquer autant que faire se peut la préférence indigène.
Favorisons l’emploi et l’ascension des gens d’ici. Engageons des jeunes ; trop de
jeunes femmes et de jeunes gens végètent pendant des mois alors qu’ils sont titulaires d’un diplôme académique ou d’un CFC. Il ne sert à rien de se glorifier d’avoir
le meilleur système de formation du monde – ce qui est vrai – si ceux qui en sont issus n’arrivent pas à entrer de plain-pied et rapidement dans la vie professionnelle
et nous en connaissons tous.
Continuons aussi d’œuvrer avec finesse sur le plan diplomatique pour faire cohabiter ce besoin existentiel qu’a la Suisse de pouvoir accéder aux marchés du monde
(parce qu’elle gagne un franc sur deux à l’étranger) et cette nécessité de faire en
sorte que la globalisation de l’économie soit acceptable socialement. Le protectionnisme ne relève ainsi pas du tout ou rien. Une organisation comme la nôtre a eu
l’occasion de répéter à plusieurs reprises qu’une certaine dose en était nécessaire
pour maintenir une agriculture, indispensable à tout Etat. Ceux qui critiquent cette
position ne s’offusquent pas en revanche de la politique de notre Banque nationale
destinée à protéger nos exportations ou de notre défense acharnée de la propriété
intellectuelle et de la souveraineté fiscale, toutes démarches parfaitement légitimes
mais dont plusieurs aspects protectionnistes ne doivent échapper à personne.
5.
Dans cet esprit, et à l’heure où les grands projets multilatéraux sont en panne, la
Suisse doit poursuivre sa politique d’ouverture des marchés fondée sur des accords
bilatéraux. Elle a plusieurs coups d’avance sur d’autres pays en ayant signé ou négocié des accords commerciaux avec la Chine, l’Inde, le Mercosur ou le Vietnam,
en ayant su maintenir un dialogue avec la Russie. La Suisse doit jouer ses propres
cartes avec la modestie qu’implique sa taille, mais avec assez d’affirmation pour
que cela traduise sa réalité de puissance économique moyenne, y compris à l’égard
de l’Union européenne. Celle-ci, engoncée à l’intérieur et impuissante face à l’extérieur, donne trop souvent l’impression qu’il n’y a qu’à l’égard de la Confédération
qu’elle parvient à montrer de l’unité et de la détermination. Nous avons le droit de le
lui faire sentir.
Enfin, l’esprit du temps est à la proximité, la traçabilité, la régulation, l’internalisation
des coûts, à la moralisation de l’économie. Cela rend un certain nombre de choses
plus lourdes et compliquées, mais nous pouvons aussi en tirer parti, d’autant que
les couches de la population déstabilisées ne se tournent pas par principe vers
l’Etat ou les partis qui ne conçoivent le progrès que s’il est dispensé par l’administration publique. Les citoyens savent les efforts constants des entreprises et de
leurs dirigeants, dont ils partagent souvent, dans leur vie professionnelle, le quotidien fait de labeur et de soucis.
Retournons donc en le positivant le message que nous transmettent les votes qualifiés de populistes, ici et ailleurs. Préservons l’ascenseur social en luttant contre le
déclassement et pour la reconnaissance des mérites. Assumons le besoin primordial et communément ressenti d’un horizon fini et stable, d’un droit sûr et fiable, de
l’ordre dans les rues et du respect de nos mœurs. Répétons la nécessité vitale pour
une communauté de se définir d’abord par ses propres besoins, sa propre souveraineté, ses propres institutions et sa propre histoire. Il s’agit d’un programme ambitieux, complexe à mettre en oeuvre, mais que je me réjouis d’entreprendre avec
vous.
29 mars 2017
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