Maladies et Grands Syndromes -Trouble psychosomatique (289)

Faculté de Médecine de Marseille
DCEM 3 – Module Pluridisciplinaire n° 13
Psychiatrie.
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Maladies et Grands Syndromes -Trouble
psychosomatique (289)
Professeur J.M. Azorin
Mai 2005
Bibliographie
Bruchon-Schweitzer M, Dantzer R (2000) Introduction à la psychologie de la santé,
Psychologie d’aujourd’hui, Paris : PUF.
Haynal A, Pasini W, Archinard M (1997) Médecine psychosomatique. Aperçus
psychosociaux, Abrégés, Paris : Masson
Jeammet Ph, Reynaud M, Consoli SM (1996) Psychologie Médicale, Abrégés, Paris :
Masson.
Keller PH (2000) Médecine et psychosomatique, Dominos, Paris : Flammarion.
Marty P (1996) La psychosomatique de l’adulte, Que sais-je ?, Paris : PUF.
PediniellI JL, Rouan G (1998) Concept d’alexithymie et son intérêt en
psychosomatique, Encyclopédie Médico-Chirurgicale, Psychiatrie, 37-400-D-20,
Paris : Elsevier.
1. Introduction
Le mot “psychosomatique” est d’usage courant. Employé aussi bien par les malades que par les
médecins, il renvoie à l’idée convenue que les maladies physiques peuvent résulter de causes
psychiques et trouver, ne serait-ce qu’en partie, leur sens dans les traits de caractère et l’histoire
propre du malade. En médecine, on emploie le terme “psychosomatique” pour qualifier :
une approche médicale globale cherchant à comprendre et à intégrer la maladie
somatique dans son contexte biographique,
un trouble somatique lorsqu’il comporte avec évidence dans son déterminisme un facteur
psychologique,
un type de personnalité favorisant l’émergence de tels troubles. Le trouble
psychosomatique s’oppose par définition à l’hystérie de conversion.
Fortement influencée par la psychanalyse, l’approche psychosomatique a longtemps procédé par
étude de cas et constructions théoriques spéculatives. À partir des années 1970, elle rencontre les
préoccupations d’autres courants de pensée, notamment la psychologie sociale, dans le sillage
d’une discipline nouvelle, la psychologie de la santé. Dans le même temps, des études
quantitatives permettent de relativiser le rôle du psychisme sur le plan strictement étiologique
tout en rattachant la vulnérabilité vis-à-vis de certaines maladies somatiques à des profils de
comportement caractéristiques.
On s’accorde habituellement sur le fait que les troubles psychosomatiques impliquent la gestion
des émotions dans leur déterminisme. C’est sur celle-ci que portera essentiellement l’action
psychothérapeutique, tout en travaillant sur les liens qui, dans le discours du patient, unissent le
psychique et le somatique et rattachent l’expérience de la maladie à la multiplicité des histoires
qui constituent son identité biographique.
2. Définition
Est dit “psychosomatique” tout trouble somatique qui comporte avec évidence dans son
déterminisme un facteur psychologique.
Suivant cette définition, il faut réserver le terme de psychosomatique aux troubles
s’accompagnant d’altérations anatomocliniques ou biologiques objectivables (comme l’asthme
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bronchique) ou aux manifestations pathologiques fonctionnelles qui résultent du dérèglement de
fonctions vitales (comme l’hypertension ou certaines formes de constipation chronique).
Ainsi défini doublement par la présence effective d’une lésion et l’implication dans sa genèse
d’une causalité psychique, le trouble psychosomatique se distingue clairement :
de l’hystérie, dans laquelle il y a une causalité psychique mais pas de lésion effective,
de la pathomimie, dans laquelle le trouble est délibérément provoqué même si les
motivations du sujet sont en partie inconscientes,
des manifestations psychiques qui accompagnent ou tendent à compenser un trouble
somatique, la maladie étant alors la cause et non plus la conséquence des modifications
du vécu psychique.
3. Histoire du concept
3.1. Le poids du dualisme cartésien dans la médecine
occidentale
Comparativement à la médecine chinoise, inspirée par le tao, ou bien encore au bouddhisme en
Inde, qui préconisaient bien avant notre ère des techniques de mentalisation pour atténuer la
souffrance - mentale ou physique – la force propre de la vie mentale ne semble guère avoir
intéressé la médecine occidentale, prompte à en abandonner le domaine aux prêtres, voire aux
charlatans. Contrairement aux cultures orientales, la culture européenne moderne ne favorise pas
une telle approche car elle est imprégnée du dualisme cartésien. Pour l’occidental depuis
Descartes, le corps et l’esprit sont étrangers, pensés comme étant extérieurs l’un à l’autre,
purement et simplement détachables. En occident, les progrès de la médecine moderne ont été
conditionnés par l’affirmation de ce dualisme et l’émancipation qu’il autorisait de la science vis-
à-vis de la philosophie et de la religion. Au XIXème siècle, le dualisme cartésien trouve ainsi son
épanouissement à l’ère pasteurienne dans les découvertes de l’anatomopathologie et de la
physiologie. Dans ce contexte cartésien, la psychosomatique n’a pu se constituer en une véritable
discipline car elle ne porte pas sur un champ d’expertise bien défini comme on peut en voir dans
la médecine d’organe. Elle vise essentiellement à aborder le malade plutôt que la maladie, et la
maladie dans le contexte plus global de la personne (approche holistique). A la vérité, ces deux
grands courants que sont la médecine d’organe et l’approche holistique, s’opposent depuis
l’antiquité. La médecine grecque connaît deux grandes écoles : celle d’Hippocrate et celle de
Galien.
3.2. Deux écoles complémentaires depuis l’antiquité :
Hippocrate et Galien
3.2.1.
L’école de Cnide est centrée sur la maladie
Galien et l’école de Cnide centrent la pratique médicale sur l’idée que la maladie est une entité
indépendante.
Suivant cette conception :
la médecine repose sur la notion de maladie,
la maladie a une existence autonome,
l’intervention médicale consiste à localiser le mal dans le corps et si possible à l’extirper.
C’est cette conception, positiviste et mécaniciste, qui triomphe au XIXème et que le plein
développement de l’approche psychosomatique au XXème cherche à modérer.
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3.2.2.
L’école de Cos est centrée sur le malade
Hippocrate et l’école de Cos proposent une conception synthétique et dynamique de la pratique
médicale, une approche globale de l’homme.
Suivant cette conception :
la médecine a pour objet l’homme malade dans sa totalité, elle tient compte du
tempérament du malade et de son histoire,
la maladie est conçue comme une réaction globale de l’individu à une perturbation
interne ou externe, réaction impliquant à la fois son corps et son esprit,
l’intervention thérapeutique consiste à rétablir l’harmonie perdue de l’homme avec son
milieu et avec lui-même.
Cette conception préfigure la médecine psychosomatique.
3.3. Deux noms à retenir au XIXème siècle : Heinroth et
Trousseau
3.3.1.
Le terme “psychosomatique” apparaît avec Heinroth
Heinroth, psychiatre autrichien, utilise pour la première fois en 1818 l’expression “psycho-
somatique”. Il le fait à propos de maladies où le facteur corporel, et notamment sexuel, modifie
l’état psychique. L’apparition du mot indique déjà bien une forme de questionnement sur les
rapports intimes des pensées et du corps.
3.3.2.
Trousseau rapporte une de ses crises d’asthme à la
violence d’une émotion
Trousseau, médecin souffrant lui-même de crises d’asthme, apporte vers 1850 une contribution
essentielle en proposant dans une auto-observation l’idée que la crise d’asthme pouvait faire
suite à une émotion. L’analyse introspective de Trousseau lui montre comment l’une de ses
propres crises d’asthme, particulièrement violente, n’a pas pour seul facteur la présence dans
l’atmosphère de poussières en suspension (la “poussière de l’avoine”) mais bien plutôt ce qu’il
appelle une “émotion morale”, en l’occurrence la colère rentrée qu’il éprouve à l’égard de son
cocher, colère si forte qu’elle vient à lui provoquer un “ébranlement nerveux”. On se souviendra
dans la médecine occidentale de la richesse heuristique de cette description.
3.4. Au début du XXème siècle : l’émergence en Europe du
courant psychanalytique
3.4.1.
Tout commence avec la théorie freudienne de la
conversion somatique
Freud fait reposer tout l’édifice théorique de la psychanalyse sur l’intrication et l’ancrage du
psychique dans le biologique. Pour l’inventeur de la psychanalyse, qui étaye sa théorie sur la
neurophysiologie de son temps, la pulsion, et notamment la pulsion sexuelle est un concept
énergétique (la libido) au carrefour du psychique et du somatique. Le symptôme névrotique est
l’expression d’un conflit inconscient entre la pulsion et les interdits moraux que présupposent la
vie sociale.
Avec Freud, les symptômes de l’hystérie trouvent une première explication scientifique : la
conversion somatique est un symptôme corporel sans base anatomo-clinique réalisant un
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compromis entre le désir et les forces qui s’y opposent. Sa signification renvoie toujours à un
fantasme inconscient qu’il convient de décrypter.
Toutefois, tout en se montrant conscient du rôle des facteurs psychologiques dans les maladies
organiques, Freud n’a pas lui-même exploré directement le domaine de la psychosomatique. Ce
sont des disciples, comme Ferenczi ou un inspirateur, Groddeck, qui vont s’en charger.
3.4.2.
Groddeck applique aux maladies somatiques la théorie de
la conversion.
Groddeck est considéré comme le véritable précurseur du mouvement psychosomatique.
Groddeck ouvre en 1900 une clinique pour maladies organiques et en fait un espace de
contestation de la médecine officielle. Il s’y adresse plus volontiers à ses malades qu’à ses pairs.
Son système de pensée, résolument moniste, repose sur l’idée qu’il n’existe en l’homme qu’une
seule et même force responsable à la fois du psychisme et du corps, force pulsionnelle qu’il
nomme le “ça”. C’est à Groddeck que Freud emprunte le terme de “ça” pour qualifier le pôle
pulsionnel de l’appareil psychique. Groddeck est également à l’origine de la notion de “langage
d’organe”. Si la théorie de Groddeck est pour beaucoup aujourd’hui source de confusion car elle
ne permet pas de différencier clairement l’hystérie des troubles psychosomatiques, l’une de ses
intuitions fondamentales reste l’idée que “le malade est le maître du médecin”.
Pour Groddeck, c’est en quelque sorte le ça du malade qui enseigne au médecin comment il
fonctionne et comment il faut s’y prendre pour lui restituer son sens. Si le médecin contemporain
se montre prêt à reconnaître le savoir du malade quant à sa propre expérience, il est souvent sans
le savoir très proche de Groddeck.
Ferenczi, proche de Groddeck, accepte dès les années vingt en psychanalyse des patients dits
“psychosomatiques”, se proposant de déchiffrer le sens de ces symptômes organiques.
3.4.3.
Balint restitue les symptômes somatiques dans la relation
médecin/malade.
Balint, un des grands noms de la psychosomatique, est son analysant. Il replace les symptômes
corporels dans la relation avec le malade, considérant que celui-ci “offre” en quelque sorte sa
maladie au médecin. Pour Balint, l’attitude du médecin va donc contribuer à la guérison des
symptômes. Balint sera à l’origine d’un courant de réflexion (ce que l’on appelle aujourd’hui les
groupes Balint”) aujourd’hui encore très productif sur les motivations inconscientes du
médecin à l’égard de ses patients.
3.5. Dans la deuxième moitié du XXème siècle : l’idée d’un profil
de personnalité
3.5.1.
L’École de Chicago
Alexander, immigré aux USA dans les années 30, est dès 1962, notamment avec Dunbar,
l’inspirateur de l’École de Chicago. Il tente d’élaborer un système cohérent en mettant en
parallèle des conflits spécifiques (au sens psychanalytique du terme) et certaines modifications
physiologiques. Pour l’école de Chicago, c’est un profil de personnalité particulier, caractérisé
par un conflit spécifique, qui peut entraîner dans certaines circonstances, un type de lésions
spécifique : l’intervention du psychanalyste consistera à révéler à l’intéressé la signification
conflictuelle de ses symptômes.
Alexander répartit ces malades en deux grandes catégories, liées à des dispositions psychiques
particulières :
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d’une part, les maladies qui surgissent dans un contexte de désir de passivité refoulé
(ulcère, asthme, etc),
d’autre part, celles qui accompagnent les tendances à l’agressivité réprimées
(hypertension, diabète, etc).
Dans les deux cas, c’est l’existence d’un terrain organique prédisposant qui se révèle déterminant
pour que l’une ou l’autre de ces maladies survienne. Si pour Alexander et son école, le conflit
psychique n’est pas le seul et unique déclencheur d’une pathologie, ce qui différencie clairement
le mécanisme de conversion hystérique et la pathogénèse psychosomatique, on a critiqué à juste
titre le caractère excessivement réducteur de ces descriptions spécifiques (voir plus loin).
3.5.2.
L’École de Paris
Marty, psychanalyste à la SPP, forme à la même époque, avec de M’Uzan, David et Fain ce
qu’il est convenu d’appeler l’École de Paris. Cette école reste très prudente sur la notion de
profils spécifiques et cherche plutôt à décrire un ensemble de traits communs à toutes les
personnalités susceptibles de faire des troubles psychosomatiques. Constatant que les malades
psychosomatiques se comportent différemment des malades névrotiques, Marty observe que leur
vie fantasmatique est pauvre, seuls émergent dans leur discours des contenus concrets
raisonnables, ce qu’il appelle une “pensée opératoire”. Le malade psychosomatique, incapable
de symboliser les affects et les conflits personnels, régresse à un niveau défensif primitif où
dominent les tendances auto-agressives et la pulsion de mort.
3.5.3.
L’École de Boston.
Sifneos, et avec lui l’École de Boston, propose en 1972, suivant la direction ouverte par Marty,
le terme d’“alexithymie”. L’expression, étymologiquement, renvoie à l’absence de mots pour
exprimer les émotions. Avec l’alexithymie, dans laquelle Sifneos impliquera quinze ans plus tard
un déficit du transfert interhémisphérique (l’expressivité émotionnelle dépendrait de la
communication entre les deux hémisphères par le biais du corps calleux et de l’association des
deux plans de fonctionnement que représentent les deux hémisphères), la psychosomatique
trouve enfin un concept carrefour suffisamment ouvert à toutes les disciplines pour pouvoir
l’intégrer dans une conception bio-psycho-sociale des maladies qui, lorsqu’elle n’est pas une
simple addition de facteurs hétérogènes, en étend considérablement le champ.
Pour être complet, il faut en effet intégrer à cet historique les modèles qui, parallèlement au
développement de la psychanalyse et longtemps en opposition avec elle, ont cherché à étayer les
données cliniques de la psychosomatique sur des bases expérimentales, qu’elles soient
biologiques ou, comme nous le verrons dans un chapitre ultérieur, épidémiologiques et/ou
psycho-sociologiques.
3.6. L’intégration progressive de la théorie du stress dans un
modèle bio-psycho-social
3.6.1.
La “théorie cortico-viscérale” de Pavlov
Pavlov est en matière de psychosomatique souvent cité comme un précurseur. Soumettre
l’organisme animal à un certain nombre de contraintes provoque en réaction chez lui l’apparition
de divers symptômes physiques (infarctus du myocarde, ulcère) qui représentent, selon Pavlov,
de véritables “névroses expérimentales”. Pavlov étend ses conclusions à l’homme et nomme
cette théorie “cortico-viscérale” : soumis à des contraintes auxquelles il ne peut se soustraire de
lui-même, l’homme comme l’animal développe troubles du comportement et/ou maladie
d’organe.
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