Faculté de Médecine de Marseille Maladies et Grands Syndromes -Trouble psychosomatique (289) Professeur J.M. Azorin Mai 2005 Bibliographie • Bruchon-Schweitzer M, Dantzer R (2000) Introduction à la psychologie de la santé, Psychologie d’aujourd’hui, Paris : PUF. • Haynal A, Pasini W, Archinard M (1997) Médecine psychosomatique. Aperçus psychosociaux, Abrégés, Paris : Masson • Jeammet Ph, Reynaud M, Consoli SM (1996) Psychologie Médicale, Abrégés, Paris : Masson. • Keller PH (2000) Médecine et psychosomatique, Dominos, Paris : Flammarion. • Marty P (1996) La psychosomatique de l’adulte, Que sais-je ?, Paris : PUF. • PediniellI JL, Rouan G (1998) Concept d’alexithymie et son intérêt en psychosomatique, Encyclopédie Médico-Chirurgicale, Psychiatrie, 37-400-D-20, Paris : Elsevier. 1. Introduction Le mot “psychosomatique” est d’usage courant. Employé aussi bien par les malades que par les médecins, il renvoie à l’idée convenue que les maladies physiques peuvent résulter de causes psychiques et trouver, ne serait-ce qu’en partie, leur sens dans les traits de caractère et l’histoire propre du malade. En médecine, on emploie le terme “psychosomatique” pour qualifier : • une approche médicale globale cherchant à comprendre et à intégrer la maladie somatique dans son contexte biographique, • un trouble somatique lorsqu’il comporte avec évidence dans son déterminisme un facteur psychologique, • un type de personnalité favorisant l’émergence de tels troubles. Le trouble psychosomatique s’oppose par définition à l’hystérie de conversion. Fortement influencée par la psychanalyse, l’approche psychosomatique a longtemps procédé par étude de cas et constructions théoriques spéculatives. À partir des années 1970, elle rencontre les préoccupations d’autres courants de pensée, notamment la psychologie sociale, dans le sillage d’une discipline nouvelle, la psychologie de la santé. Dans le même temps, des études quantitatives permettent de relativiser le rôle du psychisme sur le plan strictement étiologique tout en rattachant la vulnérabilité vis-à-vis de certaines maladies somatiques à des profils de comportement caractéristiques. On s’accorde habituellement sur le fait que les troubles psychosomatiques impliquent la gestion des émotions dans leur déterminisme. C’est sur celle-ci que portera essentiellement l’action psychothérapeutique, tout en travaillant sur les liens qui, dans le discours du patient, unissent le psychique et le somatique et rattachent l’expérience de la maladie à la multiplicité des histoires qui constituent son identité biographique. 2. Définition Est dit “psychosomatique” tout trouble somatique qui comporte avec évidence dans son déterminisme un facteur psychologique. Suivant cette définition, il faut réserver le terme de psychosomatique aux troubles s’accompagnant d’altérations anatomocliniques ou biologiques objectivables (comme l’asthme 1 DCEM 3 – Module Pluridisciplinaire n° 13 Psychiatrie. Faculté de Médecine de Marseille bronchique) ou aux manifestations pathologiques fonctionnelles qui résultent du dérèglement de fonctions vitales (comme l’hypertension ou certaines formes de constipation chronique). Ainsi défini doublement par la présence effective d’une lésion et l’implication dans sa genèse d’une causalité psychique, le trouble psychosomatique se distingue clairement : • de l’hystérie, dans laquelle il y a une causalité psychique mais pas de lésion effective, • de la pathomimie, dans laquelle le trouble est délibérément provoqué même si les motivations du sujet sont en partie inconscientes, • des manifestations psychiques qui accompagnent ou tendent à compenser un trouble somatique, la maladie étant alors la cause et non plus la conséquence des modifications du vécu psychique. 3. Histoire du concept 3.1. Le poids du dualisme cartésien dans la médecine occidentale Comparativement à la médecine chinoise, inspirée par le tao, ou bien encore au bouddhisme en Inde, qui préconisaient bien avant notre ère des techniques de mentalisation pour atténuer la souffrance - mentale ou physique – la force propre de la vie mentale ne semble guère avoir intéressé la médecine occidentale, prompte à en abandonner le domaine aux prêtres, voire aux charlatans. Contrairement aux cultures orientales, la culture européenne moderne ne favorise pas une telle approche car elle est imprégnée du dualisme cartésien. Pour l’occidental depuis Descartes, le corps et l’esprit sont étrangers, pensés comme étant extérieurs l’un à l’autre, purement et simplement détachables. En occident, les progrès de la médecine moderne ont été conditionnés par l’affirmation de ce dualisme et l’émancipation qu’il autorisait de la science visà-vis de la philosophie et de la religion. Au XIXème siècle, le dualisme cartésien trouve ainsi son épanouissement à l’ère pasteurienne dans les découvertes de l’anatomopathologie et de la physiologie. Dans ce contexte cartésien, la psychosomatique n’a pu se constituer en une véritable discipline car elle ne porte pas sur un champ d’expertise bien défini comme on peut en voir dans la médecine d’organe. Elle vise essentiellement à aborder le malade plutôt que la maladie, et la maladie dans le contexte plus global de la personne (approche holistique). A la vérité, ces deux grands courants que sont la médecine d’organe et l’approche holistique, s’opposent depuis l’antiquité. La médecine grecque connaît deux grandes écoles : celle d’Hippocrate et celle de Galien. 3.2. Deux écoles complémentaires depuis l’antiquité : Hippocrate et Galien 3.2.1. L’école de Cnide est centrée sur la maladie Galien et l’école de Cnide centrent la pratique médicale sur l’idée que la maladie est une entité indépendante. Suivant cette conception : • la médecine repose sur la notion de maladie, • la maladie a une existence autonome, • l’intervention médicale consiste à localiser le mal dans le corps et si possible à l’extirper. C’est cette conception, positiviste et mécaniciste, qui triomphe au XIXème et que le plein développement de l’approche psychosomatique au XXème cherche à modérer. 2 DCEM 3 – Module Pluridisciplinaire n° 13 Psychiatrie. Faculté de Médecine de Marseille 3.2.2. L’école de Cos est centrée sur le malade Hippocrate et l’école de Cos proposent une conception synthétique et dynamique de la pratique médicale, une approche globale de l’homme. Suivant cette conception : • la médecine a pour objet l’homme malade dans sa totalité, elle tient compte du tempérament du malade et de son histoire, • la maladie est conçue comme une réaction globale de l’individu à une perturbation interne ou externe, réaction impliquant à la fois son corps et son esprit, • l’intervention thérapeutique consiste à rétablir l’harmonie perdue de l’homme avec son milieu et avec lui-même. Cette conception préfigure la médecine psychosomatique. 3.3. Deux noms à retenir au XIXème siècle : Heinroth et Trousseau 3.3.1. Le terme “psychosomatique” apparaît avec Heinroth Heinroth, psychiatre autrichien, utilise pour la première fois en 1818 l’expression “psychosomatique”. Il le fait à propos de maladies où le facteur corporel, et notamment sexuel, modifie l’état psychique. L’apparition du mot indique déjà bien une forme de questionnement sur les rapports intimes des pensées et du corps. 3.3.2. Trousseau rapporte une de ses crises d’asthme à la violence d’une émotion Trousseau, médecin souffrant lui-même de crises d’asthme, apporte vers 1850 une contribution essentielle en proposant dans une auto-observation l’idée que la crise d’asthme pouvait faire suite à une émotion. L’analyse introspective de Trousseau lui montre comment l’une de ses propres crises d’asthme, particulièrement violente, n’a pas pour seul facteur la présence dans l’atmosphère de poussières en suspension (la “poussière de l’avoine”) mais bien plutôt ce qu’il appelle une “émotion morale”, en l’occurrence la colère rentrée qu’il éprouve à l’égard de son cocher, colère si forte qu’elle vient à lui provoquer un “ébranlement nerveux”. On se souviendra dans la médecine occidentale de la richesse heuristique de cette description. 3.4. Au début du XXème siècle : l’émergence en Europe du courant psychanalytique 3.4.1. Tout commence avec la théorie freudienne de la conversion somatique Freud fait reposer tout l’édifice théorique de la psychanalyse sur l’intrication et l’ancrage du psychique dans le biologique. Pour l’inventeur de la psychanalyse, qui étaye sa théorie sur la neurophysiologie de son temps, la pulsion, et notamment la pulsion sexuelle est un concept énergétique (la libido) au carrefour du psychique et du somatique. Le symptôme névrotique est l’expression d’un conflit inconscient entre la pulsion et les interdits moraux que présupposent la vie sociale. Avec Freud, les symptômes de l’hystérie trouvent une première explication scientifique : la conversion somatique est un symptôme corporel sans base anatomo-clinique réalisant un 3 DCEM 3 – Module Pluridisciplinaire n° 13 Psychiatrie. Faculté de Médecine de Marseille compromis entre le désir et les forces qui s’y opposent. Sa signification renvoie toujours à un fantasme inconscient qu’il convient de décrypter. Toutefois, tout en se montrant conscient du rôle des facteurs psychologiques dans les maladies organiques, Freud n’a pas lui-même exploré directement le domaine de la psychosomatique. Ce sont des disciples, comme Ferenczi ou un inspirateur, Groddeck, qui vont s’en charger. 3.4.2. Groddeck applique aux maladies somatiques la théorie de la conversion. Groddeck est considéré comme le véritable précurseur du mouvement psychosomatique. Groddeck ouvre en 1900 une clinique pour maladies organiques et en fait un espace de contestation de la médecine officielle. Il s’y adresse plus volontiers à ses malades qu’à ses pairs. Son système de pensée, résolument moniste, repose sur l’idée qu’il n’existe en l’homme qu’une seule et même force responsable à la fois du psychisme et du corps, force pulsionnelle qu’il nomme le “ça”. C’est à Groddeck que Freud emprunte le terme de “ça” pour qualifier le pôle pulsionnel de l’appareil psychique. Groddeck est également à l’origine de la notion de “langage d’organe”. Si la théorie de Groddeck est pour beaucoup aujourd’hui source de confusion car elle ne permet pas de différencier clairement l’hystérie des troubles psychosomatiques, l’une de ses intuitions fondamentales reste l’idée que “le malade est le maître du médecin”. Pour Groddeck, c’est en quelque sorte le ça du malade qui enseigne au médecin comment il fonctionne et comment il faut s’y prendre pour lui restituer son sens. Si le médecin contemporain se montre prêt à reconnaître le savoir du malade quant à sa propre expérience, il est souvent sans le savoir très proche de Groddeck. Ferenczi, proche de Groddeck, accepte dès les années vingt en psychanalyse des patients dits “psychosomatiques”, se proposant de déchiffrer le sens de ces symptômes organiques. 3.4.3. Balint restitue les symptômes somatiques dans la relation médecin/malade. Balint, un des grands noms de la psychosomatique, est son analysant. Il replace les symptômes corporels dans la relation avec le malade, considérant que celui-ci “offre” en quelque sorte sa maladie au médecin. Pour Balint, l’attitude du médecin va donc contribuer à la guérison des symptômes. Balint sera à l’origine d’un courant de réflexion (ce que l’on appelle aujourd’hui les “groupes Balint”) aujourd’hui encore très productif sur les motivations inconscientes du médecin à l’égard de ses patients. 3.5. Dans la deuxième moitié du XXème siècle : l’idée d’un profil de personnalité 3.5.1. L’École de Chicago Alexander, immigré aux USA dans les années 30, est dès 1962, notamment avec Dunbar, l’inspirateur de l’École de Chicago. Il tente d’élaborer un système cohérent en mettant en parallèle des conflits spécifiques (au sens psychanalytique du terme) et certaines modifications physiologiques. Pour l’école de Chicago, c’est un profil de personnalité particulier, caractérisé par un conflit spécifique, qui peut entraîner dans certaines circonstances, un type de lésions spécifique : l’intervention du psychanalyste consistera à révéler à l’intéressé la signification conflictuelle de ses symptômes. Alexander répartit ces malades en deux grandes catégories, liées à des dispositions psychiques particulières : 4 DCEM 3 – Module Pluridisciplinaire n° 13 Psychiatrie. Faculté de Médecine de Marseille • d’une part, les maladies qui surgissent dans un contexte de désir de passivité refoulé (ulcère, asthme, etc), • d’autre part, celles qui accompagnent les tendances à l’agressivité réprimées (hypertension, diabète, etc). Dans les deux cas, c’est l’existence d’un terrain organique prédisposant qui se révèle déterminant pour que l’une ou l’autre de ces maladies survienne. Si pour Alexander et son école, le conflit psychique n’est pas le seul et unique déclencheur d’une pathologie, ce qui différencie clairement le mécanisme de conversion hystérique et la pathogénèse psychosomatique, on a critiqué à juste titre le caractère excessivement réducteur de ces descriptions spécifiques (voir plus loin). 3.5.2. L’École de Paris Marty, psychanalyste à la SPP, forme à la même époque, avec de M’Uzan, David et Fain ce qu’il est convenu d’appeler l’École de Paris. Cette école reste très prudente sur la notion de profils spécifiques et cherche plutôt à décrire un ensemble de traits communs à toutes les personnalités susceptibles de faire des troubles psychosomatiques. Constatant que les malades psychosomatiques se comportent différemment des malades névrotiques, Marty observe que leur vie fantasmatique est pauvre, seuls émergent dans leur discours des contenus concrets raisonnables, ce qu’il appelle une “pensée opératoire”. Le malade psychosomatique, incapable de symboliser les affects et les conflits personnels, régresse à un niveau défensif primitif où dominent les tendances auto-agressives et la pulsion de mort. 3.5.3. L’École de Boston. Sifneos, et avec lui l’École de Boston, propose en 1972, suivant la direction ouverte par Marty, le terme d’“alexithymie”. L’expression, étymologiquement, renvoie à l’absence de mots pour exprimer les émotions. Avec l’alexithymie, dans laquelle Sifneos impliquera quinze ans plus tard un déficit du transfert interhémisphérique (l’expressivité émotionnelle dépendrait de la communication entre les deux hémisphères par le biais du corps calleux et de l’association des deux plans de fonctionnement que représentent les deux hémisphères), la psychosomatique trouve enfin un concept carrefour suffisamment ouvert à toutes les disciplines pour pouvoir l’intégrer dans une conception bio-psycho-sociale des maladies qui, lorsqu’elle n’est pas une simple addition de facteurs hétérogènes, en étend considérablement le champ. Pour être complet, il faut en effet intégrer à cet historique les modèles qui, parallèlement au développement de la psychanalyse et longtemps en opposition avec elle, ont cherché à étayer les données cliniques de la psychosomatique sur des bases expérimentales, qu’elles soient biologiques ou, comme nous le verrons dans un chapitre ultérieur, épidémiologiques et/ou psycho-sociologiques. 3.6. L’intégration progressive de la théorie du stress dans un modèle bio-psycho-social 3.6.1. La “théorie cortico-viscérale” de Pavlov Pavlov est en matière de psychosomatique souvent cité comme un précurseur. Soumettre l’organisme animal à un certain nombre de contraintes provoque en réaction chez lui l’apparition de divers symptômes physiques (infarctus du myocarde, ulcère) qui représentent, selon Pavlov, de véritables “névroses expérimentales”. Pavlov étend ses conclusions à l’homme et nomme cette théorie “cortico-viscérale” : soumis à des contraintes auxquelles il ne peut se soustraire de lui-même, l’homme comme l’animal développe troubles du comportement et/ou maladie d’organe. 5 DCEM 3 – Module Pluridisciplinaire n° 13 Psychiatrie. Faculté de Médecine de Marseille 3.6.2. Surrénales et “théorie du stress” Cannon introduit la notion d’homéostasie. Il étudie les réactions de frayeur du chat lorsqu’il est confronté à la menace du chien. Il montre que les réactions de fuite ou de combat sont liées à la libération d’une hormone médullo-surrénalienne, l’adrénaline, elle-même liée à l’activité du système sympathique. Selye, en 1936, développe dans cette direction la “théorie du stress”. Il observe que des agressions très diverses (brûlures, fractures, infections) présentent toujours la même triade à l’autopsie : ulcères gastriques, réduction de taille du thymus et des organes lymphatiques, augmentation de l‘épaisseur du cortex surrénalien. Selye montre ainsi qu’en cas de stimulation brusque, l’organisme réagit globalement, déclenchant une “réaction d’alarme” générale, sans aucune spécificité, médiatisée par les hormones cortico-surrénaliennes. À cette alerte corporelle générale, l’organisme peut réagir de deux manières : • soit il s’adapte de façon spécifique et réagit à la nature même du stimulus qui l’a affolé, • soit il maintient cet état de mobilisation générale et s’épuise progressivement. Cette dernière réaction implique une réponse inadéquate de l’axe hypophyso-surrénalien, épuise l’organisme à plus long terme, déclenchant un certain nombre de maladies que l’on peut qualifier de maladies de l’adaptation. Cette théorie reste l’une des plus communément citées en médecine, le stress devenant progressivement un mot fourre-tout sans grande spécificité. Elle connaît des développements importants aujourd’hui sur le plan expérimental dans le domaine de la neuro-endocrino-immunologie. 3.6.3. Stress et subjectivité Engel, en 1977, propose pour rendre compte des interactions des divers facteurs qui entrent en jeu dans les relations de l’organisme avec son milieu un modèle bio-psycho-social. Ce modèle a le mérite de remplacer le type de causalité linéaire auquel se réduisaient jusqu’alors les recherches médicales par un type de causalité complexe, à la fois multifactoriel et interactif, plus apte à rendre compte de ce que l’on observe couramment en clinique, à savoir l’intrication de plusieurs facteurs à l’origine d’une pathologie. Ce modèle bio-psycho-social a été principalement appliqué en matière de maladies somatiques aux troubles coronariens et au cancer (voir plus loin). Un cancer par exemple est bien un phénomène biologique dans lequel des cellules se reproduisent de façon aberrante, mais divers facteurs psychiques peuvent avoir joué un rôle déterminant en créant certaines conditions du milieu interne (notamment immunologiques) favorisant le déclenchement, l’entretien ou l’arrêt du processus cancéreux. Du point de vue des mécanismes physiologiques en jeu, les neuro-endocrinologues ont pu montrer que la théorie linéaire du stress (stimulus-réponse) qui fait des réactions hormonales un simple réflexe doit être dépassée. Les réactions hormonales dépendent notamment de la situation du sujet et de l’état émotionnel qu’il induit. Les travaux de Dantzer (1989), à Bordeaux, notamment montrent comment les facteurs subjectifs ont un grand rôle dans le déclenchement des réactions hormonales : un événement ne provoque une réaction de stress que parce qu’il survient de façon soudaine et inattendue. Lazarus et Folkman dans cette direction proposent en 1984 la définition du stress aujourd’hui la plus consensuelle car elle implique à la fois la personne en tant que sujet et son environnement : “le stress consiste en une transaction entre la personne et son environnement dans laquelle la situation est évaluée par l’individu comme débordant ses ressources et pouvant mettre en danger son bien-être. Lazarus avait auparavant (1979) proposé, en introduisant le concept fondamental de coping, une véritable théorie cognitive du stress. Le coping est un processus cognitif et comportemental qu’un individu interpose entre lui et l’événement stressant pour maîtriser ou diminuer l’impact de celui-ci sur son bien-être physique et psychologique (to 6 DCEM 3 – Module Pluridisciplinaire n° 13 Psychiatrie. Faculté de Médecine de Marseille cope with : faire face). On parle de stratégies d’ajustement (traduction usuelle de l’anglais “coping strategy”) pour évoquer ces stratégies d’adaptation qui peuvent aussi bien être de nature totalement cognitivo-affective (par exemple, chez un cancéreux : penser que le cancer pour lequel on est soigné n’est qu’une tumeur bénigne) que de nature comportementale (par exemple, chez un schizophrène : placer un walkman sur ses oreilles pour lutter contre les voix hallucinatoires). Cette théorie déborde largement le cadre de la psychosomatique puisqu’elle ne sert à décrire le plus souvent que les stratégies d’adaptation à des troubles déjà constitués. 4. Classification des troubles psychosomatiques 4.1. Les troubles fonctionnels 4.1.1. Définition Ce que la médecine traditionnelle appelle “trouble fonctionnel” regroupe l’ensemble des troubles qui résultent du dérèglement de certaines fonctions vitales sans pour autant impliquer une lésion organique sous-jacente. Les plus classiques sont les palpitations, les vertiges, les céphalées, les spasmes (la spasmophilie n’a aucun substratum organique), les algies diverses. Pour ne pas avoir à y revenir, car ces troubles sont en marge de ce qui constitue le propre de l’approche psychosomatique, nous donnons ici quelques conseils pratiques. 4.1.2. Signification. Dans la médecine traditionnelle, les troubles fonctionnels sont avant tout un diagnostic d’élimination. En l’absence de support lésionnel, le médecin est tenté de répondre à la plainte du malade par une réponse en tout ou rien : ou il y a quelque chose, et ce n’est plus un trouble fonctionnel, ou il n’y a rien, et “ce n’est rien”. Cette dernière réponse, entendue à juste titre comme un jugement de valeur (“vous faîtes des histoires pour rien”), ne fait qu’accroître la solitude du patient. Dire “c’est nerveux” à un patient qui ressent ses troubles réellement dans son corps revient à peu près à la même chose. Mieux vaut interpréter les troubles fonctionnels lors de l’entretien avec le patient comme étant l’expression d’un contenu psychique dans le langage du corps (pour exemple : une gastralgie valant pour “ne pas pouvoir digérer” un événement source d’émotion, une dorsalgie comme valant pour “en avoir plein le dos”, etc) plutôt que de donner une explication physiopathologique de trop faible valeur (une prétendue “dystonie neurovégétative”, une “spasmophilie”), si l’on ne veut pas entériner l’existence du trouble et par là même sa chronicité. Il faut se demander à quelle nécessité et à quel malaise internes (besoin d’être reconnu et/ou revendication affective) répond chez le malade l’expression réitérée de ce genre de troubles. 4.1.3. Fréquence. La fréquence de tels troubles (50 à 75% d’une consultation de généraliste) ne permet en tout cas pas de les ignorer. Le tableau suivant regroupe divers troubles fonctionnels en fonction de leur prévalence : 7 DCEM 3 – Module Pluridisciplinaire n° 13 Psychiatrie. Faculté de Médecine de Marseille Tableau 1 : les troubles fonctionnels en fonction de leur prévalence. Douleurs articulaires 37% Dorsalgies 32% Céphalées 25% Fatigue 25% Douleurs du thorax (gastralgies, précodialgies) 25% Douleurs dans les membres 24% Douleurs abdominales 24% Vertiges 23% 4.2. Les maladies psychosomatiques 4.2.1. Définition Les maladies dites “psychosomatiques” sont celles qui s’accompagnent de lésions organiques vérifiables mais dans le déclenchement ou l’évolution desquelles on est fondé d’incriminer des événements à résonance affective (deuils, séparations, changements d’environnement…) auxquels le sujet répond par la maladie. Les plus classiques, depuis les travaux d’Alexander sont : l’ulcère duodénal, la rectocolite ulcéro-hémorragique, la maladie de Crohn, l’asthme, l’hyperthyroïdie ou l’hypertension artérielle essentielle, diverses maladies de peau. 4.2.2. Signification Deux notions classiques sont : • en ce qui concerne particulièrement les maladies somatiques qui évoluent par poussées, l’existence d’un balancement entre la survenue des troubles somatiques et celle de troubles franchement psychiatriques pendant lesquels tous les troubles somatiques disparaissent ; • en ce qui concerne particulièrement les maladies de peau (eczéma atopique, psoriasis, vitiligo, pelade, prurit), leur survenue en des localisations privilégiées ou aberrantes, les zones corporelles ainsi désignées étant associées dans l’histoire du patient ou dans son esprit au souvenir d’un traumatisme ou à une fonction symbolique particulière. L’existence de ces localisations privilégiées pose assez clairement le problème de la distinction entre trouble psychosomatique et conversion hystérique. Elle n’est pas aussi évidente que ne le voulait Alexander et certains psychosomaticiens comme Valabrega n’hésitent pas à évoquer des formes de passage. 4.2.3. Une zone floue Le trouble psychosomatique s’oppose par définition depuis les travaux d’Alexander aux symptômes de conversion observés dans la névrose hystérique. 8 DCEM 3 – Module Pluridisciplinaire n° 13 Psychiatrie. Faculté de Médecine de Marseille En pratique, les critères qui définissent la conversion hystérique par opposition au trouble psychosomatique sont les suivants : • l’absence de toute altération organique • la réversibilité spontanée du trouble • le “choix d’un organe”, choix en lui-même porteur d’une signification inconsciente spécifique • le sens biographique tout personnel du symptôme somatique qui en fait l’expression, la “mise en scène corporelle” d’un conflit inconscient. Il existe cependant comme nous venons de le voir au chapitre 4.2.2. une zone floue, occupée par des troubles qui, bien qu’organiques, ne remplissent pas les critères et, le choix de l’organe effectivement lésé prenant un sens électif dans la biographie du sujet. 4.3. Troubles somatoformes Les classifications internationales ayant aujourd’hui cours en psychiatrie (DSM-IV et CIM-10), ouvertement athéoriques, ne font guère cas des distinctions psychopathologiques qui président à la classification que nous venons de proposer. Il faut noter que dans le DSM-IV l’hystérie étant démantelée en plusieurs syndromes, on retrouve le syndrome de conversion en compagnie des troubles de somatisation, des troubles de la douleur, de l’hypocondrie et d’autres troubles fonctionnels non spécifiés sous la dénomination générale de troubles somatoformes (F45). Dans cette même classification, la question psychosomatique n’est posée comme telle qu’au travers de la notion de facteurs psychologiques affectant les conditions physiques (F54), catégorie résiduelle où l’on évoque notamment les mécanismes de coping. 5. Clinique et théorie : approches qualitatives et quantitatives 5.1. Une approche plus compréhensive qu’explicative Nous proposons dans ce chapitre une sorte d’état des lieux de la recherche. Les grands courants que nous avons décrits au chapitre historique y sont tous représentés. Le point important sur le plan théorique est que la psychosomatique tend aujourd’hui à s’affirmer comme une approche globale de l’homme malade : on ne cherche plus tant à mettre en évidence l’étiologie psychique d’un trouble, dit alors psychosomatique, que les relations, non nécessairement causales et souvent explicitées par le malade lui-même, pouvant exister entre la situation du sujet (disposition affective, biographie, capacité d’auto-analyse et de réflexion), l’expérience subjective de la maladie, son mode d’apparition et ses particularités évolutives. On peut distinguer globalement deux types d’approche : • les approches qualitatives, purement subjectives et dominées par la psychanalyse, • les approches quantitatives, cherchant à objectiver à l’aide d’outils de mesure et de statistiques l’existence de relations entre le trouble et des données appartenant à l’expérience propre du sujet qui le subit. 5.2. L’approche qualitative : la psychanalyse et ses applications 5.2.1. Du “trouble psychosomatique” à “l’approche psychosomatique” Dans la situation la plus classique le psychosomaticien est un psychanalyste, qu’il soit psychiatre ou psychologue. C’est la raison pour laquelle la recherche en psychosomatique est 9 DCEM 3 – Module Pluridisciplinaire n° 13 Psychiatrie. Faculté de Médecine de Marseille longtemps restée cantonnée aux études de cas singuliers (monographies), conformément à l’usage habituel en psychanalyse. L’idée des tenants de l’École de Chicago d’identifier des “profils de personnalité” liés spécifiquement à certaines affections réputées “psychosomatiques”, telles que l’hypertension artérielle essentielle, l’insuffisance coronarienne, l’hyperthyroïdie, l’ulcère gastro-duodénal, l’asthme bronchique, n’a jamais pu être confirmée sur le plan expérimental. Elle a pu conduire sur le plan pratique à des abus lorsque certains praticiens semblaient chercher à confirmer à tout prix chez un patient donné la présence d’un profil spécifique qu’ils identifiaient à un mécanisme causal supposé généralisable. On a critiqué non sans raison l’inefficacité, voire la violence, d’interprétations appliquant à la lettre cette conception très théorique, sans fondement empirique, des troubles psychosomatiques. Par ailleurs, il est apparu artificiel de distinguer au sein des maladies somatiques un groupe dit “psychosomatique” et un autre dit “purement organique”. Il est certainement plus productif sur le plan pratique de s’interroger non pas sur les particularités psychologiques distinctives de diverses maladies mais sur ce que ces individus, tombés malades dans leur corps pour des raisons en partie psychologiques peuvent avoir en commun. On s’est donc de plus en plus intéressé tant aux particularités psychologiques des malades organiques qu’au repérage d’un type général d’organisation psychique propre à favoriser la survenue d’une maladie physique. Le tableau suivant donne une idée des interprétations autrefois proposées et des risques que pouvait faire courir au praticien une totale adhésion à ces théories. Tableau 2 : quelques troubles psychosomatiques et leur signification classiquement supposée en psychanalyse Hypertension artérielle Asthme bronchique Ulcère gastro-duodénal Rectocolite ulcéro-hémorragique Diabète Hyperthyroïdie Eczéma L’hypertendu manque d’assurance, est hyperémotif, se sent toujours menacé, lutte constamment contre ses sentiments hostiles, agressifs et leurs inhibitions. L’asthmatique souffre d’un attachement excessif et non résolu à sa mère. L’ulcéreux recherche profondément la dépendance et la sécurité, notamment dans le travail. Le sujet fonctionne sur un mode obsessionnel, ne supporte pas le rejet ou l’hostilité, réprime son agressivité, a des traits paranoïdes, a eu une mère trop autoritaire, rigide, fusionnelle et moralisante. Le diabétique insulino-dépendant est immature, oralement dépendant, passif, et masochiste. L’hyperthyroïdien lutte constamment contre la peur de perdre l’intégrité corporelle et de mourir. L’eczémateux est masochiste, se sent coupable de fantasmes incestueux, a peur des relations hétérosexuelles. 10 DCEM 3 – Module Pluridisciplinaire n° 13 Psychiatrie. Faculté de Médecine de Marseille 5.2.2. La pensée opératoire Sur le plan pratique, le psychanalyste porte une attention préférentielle à ce que dit le malade, il travaille avec et sur le discours. Sa recherche théorique porte donc logiquement sur le mode d’organisation psychique qui structure le discours du malade. L’idée la plus communément admise aujourd’hui, à la suite de Marty, est que les personnes présentant des troubles psychosomatiques ont pour point commun une difficulté à mentaliser les conflits et les émotions qui leur sont liées. C’est ce que Marty appelle la “pensée opératoire”. La pensée opératoire décrite par Marty correspond dans le discours des patients à une description purement concrète de leur réalité, sans fantaisie, sans affect véritable. Pour Marty, ce discours est le reflet fidèle d’une vie intérieure pauvre et quasiment privée de fantasmes. En l’absence de fantaisie, tout se passe comme si l’appareil psychique laissait le soma sans défense lorsque le patient se trouve confronté à une agression, qu’elle soit interne ou externe. Ces patients évitent le recours aux pensées personnelles et aux images verbales (métaphores), par elles-mêmes trop liées aux affects. Ils entretiennent un mode de relation neutre (dite “blanche” par les psychanalystes), peu chaleureuse, minutieuse et impersonnelle, souvent ennuyeuse. Ces patients sont conformistes et l’autre lui-même n’est pas perçu par eux dans sa singularité et sa différence. Leurs problèmes personnels sont volontiers présentés comme “les problèmes de tout le monde”. La pensée opératoire apparaît comme une modalité de fonctionnement psychique régressif. La personne régresse lorsque ses défenses mentales les plus élaborées sont débordées. La pensée opératoire renvoie pour les psychanalystes à une forme de “dépression essentielle”, une dépression infra-clinique (à bien distinguer des troubles de l’humeur que l’on décrit en clinique sous le nom de dépression) caractérisée par une perte de vitalité du fonctionnement psychique vécue paradoxalement sans douleur morale. Ces descriptions peuvent être rapprochées de ce que le psychanalyste Sami Ali a appelé le “banal”. Elles renvoient sur le plan existentiel à l’idée que les personnes qui présentent un trouble psychosomatique vivent leur vie quotidienne dans un net déséquilibre en faveur de l’identité sociale, celle de “Monsieur tout le monde”, au détriment de l’identité personnelle, nettement affaiblie sous le poids des contraintes. Ce phénomène est particulièrement net dans l’auto-observation qui a rendu célèbre le roman de Fritz Zorn intitulé : “Mars” (voir plus loin). 5.3. Un concept au carrefour des approches qualitatives et quantitatives : l’alexithymie 5.3.1. Un problème majeur : quantifier des facteurs d’ordre subjectif La richesse heuristique de l’approche psychanalytique a pour contre-partie sa limitation au domaine de l’investigation psychodynamique individuelle. La quantification d’une telle pratique, nécessaire à la démonstration empirique de sa validité, pose des problèmes difficiles. Dans une perspective de recherche, essentiellement en psychologie sociale et dans la perspective de la psychologie de la santé, on a cependant développé dès les années 70 des protocoles expérimentaux reposant sur des outils de mesure d’un mode de fonctionnement psychique caractéristique : l’alexithymie. Le Beth-Israel Questionnaire (BIQ) est une liste de huit critères côtés en “oui” ou “non“ à la suite d’un entretien clinique. La validité du BIQ n’a jamais été établie, mais il a fourni la base de l’analyse factorielle qui a permis à Sifneos de définir les composantes de l’alexithymie. 11 DCEM 3 – Module Pluridisciplinaire n° 13 Psychiatrie. Faculté de Médecine de Marseille La Toronto Alexithymic Scale (TAS) de Taylor possède par contre de bonne qualités métrologiques et a été traduite et validée en français. C’est avec cet outil qu’ont été conduites la plupart des recherches. Ces recherches ont pour but de clarifier l’impact des facteurs psychologiques dans la détermination des maladies somatiques et visent à répondre à des questions précises. 5.3.2. Les quatre composantes de l’alexithymie L’alexithymie est un concept proche de celui de la pensée opératoire. Les analyses factorielles effectuées à l’aide de la TAS montrent que l’alexithymie comporte essentiellement quatre composantes : • l’incapacité à reconnaître, identifier et exprimer verbalement ses propres émotions, • la limitation de la vie imaginaire, notamment de l’aptitude à la “rêverie diurne”, • la tendance à recourir à l’action pour éviter ou résoudre les conflits, • enfin la description détaillée des faits, événements, ou symptômes physiques. La difficulté à reconnaître les émotions et à les exprimer verbalement n’implique cependant en rien que l’alexithymique soit incapable de reconnaître les émotions chez autrui, ni qu’il n’ait pas à sa disposition les mots pour qualifier la vie affective ou les émotions. Le problème se situe véritablement pour le sujet dans la reconnaissance de ses propres émotions, dans sa capacité à distinguer sensations corporelles et émotions, dans la difficulté à éprouver des émotions lors de situations qui devraient les solliciter, dans son aptitude à mettre en rapport des émotions ressenties avec des pensées plutôt qu’avec des événements extérieurs. 5.3.3. Répartition de l’alexithymie et troubles associés On retrouve de façon significative des scores d’alexithymie plus élevés chez les patients souffrant d’affections somatiques que chez les patients névrosés. Mais la répartition de l’alexithymie ne concerne pas les seuls troubles psychosomatiques. On retrouve également l’alexithymie chez les patients souffrant de douleurs chroniques, de stress post-traumatique ou de conduites addictives. Des manifestations cliniques proches de l’alexithymie ont été également constatées chez les patients commissurotomisés (split-brain) ou souffrant d’agénésie du corps calleux. Cette constatation a conduit à une théorie neuropsychologique de l’alexithymie. Par ailleurs, on retrouve (Lindholm) assez fréquemment chez les alexithymiques une perturbation du test à la dexaméthasone (DST), perturbation en faveur d’un dérèglement diencéphalique des régulations neuro-endocriniennes et suggérant des anomalies dans les aptitudes à la gestion du stress. 5.3.4. Alexithymie primaire et secondaire. La survenue d’une alexithymie chez des malades neurologiques et l’absence d’une stabilité parfaite des résultats psychosomatiques chez des patients souffrant d’affections somatiques, évalués à plusieurs mois d’intervalle ont conduit à postuler deux formes d’alexithymie : primaire et secondaire, de mécanisme et de signification différents. Dans sa forme dite primaire, l’alexithymie est un “trait” de personnalité, que celui-ci soit imputé à des facteurs génétiques ou au développement affectif précoce de l’individu. Elle manifeste une insuffisance ou une fragilité des systèmes de défense de l’individu. Dans sa forme dite secondaire, l’alexithymie est un “état”, un mécanisme de défense ou une stratégie d’ajustement (suivant la perspective du chercheur, psychanalyste ou cognitiviste) qui se met en place lorsque l’expérience vécue dépasse les capacités habituelles d’adaptation (stress post-traumatiques) ou lorsque la réalité quotidienne devient source potentielle d’angoisse 12 DCEM 3 – Module Pluridisciplinaire n° 13 Psychiatrie. Faculté de Médecine de Marseille (survenue d’une maladie particulièrement douloureuse, handicapante, ou mettant en jeu le pronostic vital). On voit ici qu’une alexithymie peut fort bien venir “compliquer” une affection somatique sans avoir forcément contribué à la survenue du problème physique. 5.4. La plupart des études quantitatives concernent la notion de profil comportemental (behaviour pattern) 5.4.1. Le profil comportemental de type A Les premières études épidémiologiques en psychologie de la santé portent sur les maladies coronariennes. Deux cardiologues américains, Friedman et Rosenmann, ont décrit en 1959 un profil comportemental dit de type A censé être caractérisé par une hyperréactivité hémodynamique et neuro-humorale au stress et contribuer à la survenue de l’insuffisance coronarienne. Les sujets ne présentant pas ces traits sont désignés dans leur étude comme du type B. Les sujets de type A sont portés à accomplir de plus en plus de choses en un temps de plus en plus court. Ils aiment la compétition, s’engagent dans le travail ou les jeux pour gagner et convoitent la performance. Ils sont vifs, marquent fréquemment des signes d’impatience et supportent mal les temps morts ou tout obstacle venant différer l’atteinte de leurs objectifs. Ils sont particulièrement stimulés par les échéances à tenir et expriment cette disposition à l’agir, cette combativité et cette précipitation aussi bien à travers une tension permanente de leur musculature faciale qu’à travers certaines caractéristiques prosodiques de leur langage (rythme rapide, voix explosive, anticipation des paroles de l’interlocuteur lorsque celui-ci cherche ses mots). L’agressivité, l’hostilité exprimées pendant l’entretien ont une grande valeur prédictive. Ce type est nettement encouragé par la société occidentale moderne qui privilégie les valeurs de compétition et de productivité. Friedman et Rosenmann ont conduit une étude prospective de 8 ans à l’aide d’un entretien structuré sur 3500 hommes en bonne santé de 39 à 59 ans : les types A ont deux fois plus de risques que les autres de faire une coronaropathie ; sur les 7% ayant fait pendant cette période un infarctus du myocarde, 2/3 étaient des types A, indépendamment de tout autre facteur de risque. Un outil plus récent que l’entretien de Friedman a été validé pour évaluer le comportement de type A : le Jenkins Activity Survey (JAS). Les analyses factorielles effectuées à l’aide du JAS permettent d’individualiser trois composantes principales sous-jacentes au type A et indépendantes les unes des autres : • composante S : rapidité et impatience • composante J : implication dans le travail • composante H : combattivité-compétitivité. Si le mérite principal du travail de Friedman et Rosenmann a été de vouloir aller jusqu’au bout de la démarche du psychosomaticien en utilisant les outils de l’épidémiologie et de la psychologie pour tester la réalité de l’association psyche/soma, les résultats de ces études ont été largement contestés (Friedman et Booth-Kewley, 1988, Contrada, 1990). On a pu faire remarquer que : • la notion de type A ne permet pas de prédire le risque coronarien chez la femme (Harbin, 1989) • le risque somatique pris en considération est hétérogène, • la cohérence de ses composantes est faible, • seule l’hostilité semble en constituer le noyau (Barefoot et al.). Le comportement hostile chez les types A est une attitude de base, décrite comme une “méfiance cynique”. Ont été considérés comme particulièrement significatifs à cet égard le visage exprimant le dégoût et la haine dans le regard pendant l’entretien (Chesney et Ekman, 1990). 13 DCEM 3 – Module Pluridisciplinaire n° 13 Psychiatrie. Faculté de Médecine de Marseille On sait par ailleurs que les sujets de type A ont tendance à se fixer des objectifs plus élevés que la population générale tout en ne tirant pas d’enseignement de leurs échecs éventuels, échecs qui les conduisent souvent à se fixer des objectifs encore plus élevés. L’effet pernicieux du type A semble donc passer par la multiplication des stress rencontrés. On met volontiers aujourd’hui en relation l’irritabilité qui caractérise ces sujets avec une dépressivité fondamentale (débordement, fatigabilité, irritabilité, troubles du sommeil, sans tristesse évidente). Appels notamment a insisté sur l’“épuisement vital” qui accompagne la surenchère dans les performances. 5.4.2. Le profil comportemental de type C, dit aussi “répresseur” Il est issu des recherches épidémiologiques consacrées au développement des cancers Temoshok, en 1987, a regroupé un ensemble hétérogène de traits de personnalité, de styles comportementaux et de stratégies de coping sous l’étiquette “profil comportemental de type C”. Ce profil s’oppose presque point par point au profil de type A et constituerait un facteur de risque pour l’apparition et l’évolution des cancers. On l’implique également dans les maladies auto-immunes. Les personnes ayant un profil de type C sont décrites comme agréables, joyeuses, patientes et impassibles face aux événements de la vie. Elles n’expriment ni la colère ni les affects négatifs, se montrent particulièrement conciliantes. Elles sont sujettes à la dépression et réagissent à la maladie par la résignation. Le comportement émotionnel des profils de type C est résumé ici : • Traits de caractère : stoïcisme, gentillesse, amabilité, sociabilité, activité, perfectionnisme, conformisme, soumission sociale, évitement des conflits interpersonnels • Difficulté à exprimer et/ou éprouver des émotions négatives (en particulier la colère) • Attitude de résignation et/ou de désespoir Le comportement de type C est proche de l’alexithymie avec laquelle une corrélation positive a été démontrée. Aucune étude expérimentale n’a pour le moment démontré la valeur prédictive de ce profil. Mais l’étude prospective de Shekelle et al. a montré que le risque de mourir d’un cancer est deux fois plus élevé dans un groupe de personnes diagnostiquées dix-sept ans plus tôt. De même, l’étude prospective d’Heidelberg, qui a duré dix ans et qui a porté sur 140.000 personnes, a permis à Grossarth-Maticek et al. de montrer que des individus évalués au cours d’entretiens comme “rationnels et anti-émotifs” ont plus de risque de développer par la suite un cancer que les autres. Enfin, indépendamment du profil du type C, on a évoqué d’autres facteurs psychosociaux dans le développement des cancers, notamment la qualité et la densité du soutien social dont bénéficie un individu, dans son enfance ou pendant sa vie adulte. De même, les événements stressants (deuils, changements existentiels majeurs) ont souvent été considérés comme déterminants pour la vulnérabilité au cancer, ou pour la rapidité de son évolution. 14 DCEM 3 – Module Pluridisciplinaire n° 13 Psychiatrie. Faculté de Médecine de Marseille 6. Clinique et pratique : du discours du sujet à l’indication d’une psychothérapie 6.1. Le discours du malade au sujet de sa maladie 6.1.1. À titre d’exemple, un cas célèbre d’auto-analyse : Fritz Zorn En matière de psychosomatique et dans la perspective psychothérapique, le savoir que détient le malade sur sa propre expérience (le “savoir du malade”) constitue le seul véritable matériel clinique. Nous donnons ici pour exemple le cas de Fritz Zorn, auteur suisse qu’un livre écrit à propos de son propre cancer a rendu célèbre. Dans ce livre, “Mars”, Fritz Zorn a laissé un témoignage saisissant de ce qui constitue à proprement parler la question psychosomatique. “Mars” a été publié au moment où Fritz Zorn disparaissait d’un lymphome malin. Zorn y évoque sa mort annoncée et met en scène le cancer comme révélateur et exécuteur testamentaire d’un être aux prises avec les tourments existentiels les plus accablants. La maladie y est personnifiée au point de pouvoir être confondue avec la famille toute entière du malade : • “je ne suis pas moi-même le cancer qui me dévore, c’est ma famille […] en moi qui me dévore” Le cancer s’y montre peu à peu conquérant, tous les êtres humains disparaissant derrière le mal qui ronge l’auteur. L’état dépressif de l’auteur lui-même s’estompe face au cancer conquérant : • “la dépression était faite d’une grisaille étouffante, imprécise et omniprésente ; le nouvel état d’une transparence glaciale et claire comme le cristal” Ce livre est une référence en matière de psychosomatique dans la mesure où il montre comment la maladie impose à celui qui en souffre de se prononcer sur elle à sa manière. Ce que Fritz Zorn apprend à repérer dans ce cancer qui l’envahit, c’est le conformisme de son entourage qui l’a depuis toujours envahi et contraint soit à vivre lui-même dans le conformisme soit à ne pouvoir se penser différent qu’au prix d’un effort qui le détruit. Mais le texte de Zorn ne fournit pas pour autant la preuve de l’origine psychique du cancer ni celle de sa nature psychosomatique. Ici, le point important est la signification symbolique que le cancer acquiert après-coup dans le discours de celui qui en souffre. 6.1.2. Nature des relations entre le malade et sa maladie. Dans le discours du malade, la place occupée par la maladie peut être très variable : parfois considérable, parfois négligeable, elle peut être affectivement investie comme à l’opposé être l’objet de déni. Lorsqu’il se questionne à propos de cet événement qu’est la maladie, le malade cherche à l’intégrer dans la continuité d’un récit. Les relations qu’il établit alors entre la survenue de sa maladie, la signification qu’il lui donne et son expérience subjective ne sont pas des relations de type causal mais des relations de type analogique. Le trouble somatique à l’origine survient indépendamment des possibilités de contrôle du sujet. Il survient dans une forme d’essentielle inanité que le malade essaie de surmonter en intégrant ses troubles dans un récit de type linéaire. Marty évoquait à propos de cette inanité la “bêtise” du trouble psychosomatique, le fait que contrairement au symptôme de conversion, c’est un symptôme qui, de par son renvoi direct à un substrat organique, par essence le même pour tous, ne veut rien dire. La qualité d’écoute du médecin prend là toute son importance. 15 DCEM 3 – Module Pluridisciplinaire n° 13 Psychiatrie. Faculté de Médecine de Marseille 6.1.3. L’approche psychosomatique et la conduite de l’entretien clinique. Évoquer chez un patient un trouble psychosomatique, reconnaître chez un autre patient la participation affective à un trouble qui rend compte de sa persistance, apprendre incidemment qu’un trouble somatique est survenu au décours d’un événement grave de la vie, telles sont les situations dans lesquelles l’investigation clinique devra être conduite avec l’idée que le premier remède, c’est bien le médecin lui-même. À vrai dire, quelle que soit la situation, le médecin doit savoir écouter. L’approche psychosomatique, en médecine courante, se réduit à cette idée que la souffrance, même lorsqu’elle est somatique, a toujours une composante psychique et s’intègre par là même dans un tissu narratif. Plus pauvre est le tissu narratif, plus rigides sont les mécanismes mis en œuvre par le sujet pour faire face à sa souffrance. La tâche du médecin est donc non seulement de rechercher les événements traumatiques qui ont pu précéder l’émergence d’un trouble somatique mais surtout d’explorer les ressources psychiques du patient et de favoriser la construction d’un récit autour de cet événement qu’est en lui-même le trouble somatique. Le médecin doit être capable d’apprécier chez tout patient somatique ses mécanismes de défense, la qualité de sa relation, ses traits de caractère, sa capacité à associer librement des idées, l’investissement affectif de sa maladie, la honte qu’elle engendre où la culpabilité qui remonte à sa source. L’expression corporelle qui accompagne le discours est parfois en elle-même un signe, notamment la mimique, la tonicité musculaire, la rigidité de l’attitude. Il ne faut pas être excessivement directif dans la conduite de l’entretien, laisser le patient exprimer librement ce qu’il ressent et ne pas se contenter d’un interrogatoire clinique portant sur les symptômes. Les capacités d’association du patient doivent être évaluées non seulement quant au réseau sémantique dans lequel le trouble somatique se trouve forcément impliqué, mais aussi en tant que telles, indépendamment du trouble, pour apprécier la capacité du patient à la fantaisie et à l’expression des affects. Par ailleurs ses libres associations peuvent indiquer spontanément la direction à prendre dans la conduite de l’entretien. Lorsque le patient s’exprime peu spontanément, il faut savoir l’interroger sur sa biographie, et explorer particulièrement les soucis, même minimes, sur lesquels son anxiété se polarise. Un problème délicat en pratique : distinguer une dépression essentielle, dépression dont l’expression clinique est latente et qui ne nécessite pas en elle-même de traitement symptomatique (notamment pas d’antidépresseur) d’une dépression symptomatique qui, elle, nécessitera compte tenu du syndrome d’inhibition qui l’accompagne un double traitement, à la fois biologique et psychothérapique. 6.2. Approche psychosomatique et projet psychothérapeutique 6.2.1. L’aménagement d’un projet psychothérapeutique. En pratique, prendre en compte la dimension psychosomatique en médecine peut avoir pour débouché la mise en place d’un projet psychothérapique approprié. L’indication d’une psychothérapie ne peut se faire sans la volonté du patient. Elle suppose que le médecin qui l’indique soit prêt à discuter de cette indication avec le patient lui-même, et ce en toute franchise. L’indication de psychothérapie ne doit en aucun cas apparaître comme une indication par défaut. En matière de psychosomatique, la pratique psychanalytique classique doit être le plus souvent aménagée, conduisant le psychanalyste à opérer en face à face et parfois au lit du malade. Ses interventions seront peu interprétatives et passeront plus volontiers par le soutien. Il sera dans 16 DCEM 3 – Module Pluridisciplinaire n° 13 Psychiatrie. Faculté de Médecine de Marseille cette même direction parfois utile d’expliquer au patient ce qu’est son trouble pour favoriser chez lui la construction de représentations de la maladie. C’est par ailleurs dans le cadre général de la psychosomatique que la médecine d’organes fait aujourd’hui sa place à ce qu’il est convenu d’appeler la “psychiatrie de liaison”. S’il arrive que le psychosomaticien fasse parfois consultation commune avec le médecin spécialiste, il est plus fréquent que les somaticiens invitent un psychologue ou un psychiatre à assurer un suivi complémentaire du malade à l’hôpital, puis en extra-hospitalier. 6.2.2. Quelques approches thérapeutiques possibles. Dans le cadre d’un suivi psychothérapique d’accompagnement, sont souvent proposées des techniques spécifiques comme : • les thérapies de relaxation (sans doute les plus adaptées en pratique courante) • l’hypnose • les thérapies comportementales Mais la psychanalyse, dans la mesure où elle est aménagée (psychothérapie dite d’inspiration psychanalytique), reste indiquée chez les personnes qui souhaitent rechercher la racine de leur bouleversement psychologique et semblent prêtes à se remettre en question de façon plus radicale. 6.2.3. Une dynamique associative d’importance croissante : les groupes d’aide mutuelle Les groupes d’entraide (self-care) sont devenus monnaie courante dans la plupart des maladies chroniques. Ils permettent aux patients de prendre conscience collective de l’impact de leurs troubles dans la vie quotidienne, de prendre des responsabilités et de trouver réconfort, soutien matériel et pratique. Souvent constituées en groupe de défense, les associations de malades évaluent la qualité des soins, stimulent la recherche ; leur impact a notamment été grand sur la réduction des effets secondaires en matière de traitements biologiques. 6.3. Particularités de l’approche psychosomatique chez l’enfant L’absence de moyens de communication verbale, l’immaturité motrice, et l’état de profonde dépendance à autrui, propres au nourrisson, le prédisposent tout particulièrement à exprimer ses affects avec son corps. On a pu dire (Mazet et Houzel) que l’enfance est à proprement parler “l’âge d’or de la psychosomatique”. Parmi les troubles fonctionnels, on retiendra les coliques idiopathiques du 1er trimestre, survenant volontiers chez des enfants hypertoniques dont la mère s’occupe avec une sollicitude anxieuse permanente, interprétant de façon inadéquate les cris de leur bébé et répondant de façon stéréotypée par une suralimentation. Les plus fréquents troubles psychosomatiques de l’enfant sont l’eczéma atopique et l’asthme bronchique précoce. Ces troubles ne peuvent se comprendre qu’en tenant compte du fonctionnement de la dyade mère-enfant. 17 DCEM 3 – Module Pluridisciplinaire n° 13 Psychiatrie.