Ce petit fri, ou ce grand brun, difrencie les petites filles des grandes. Pourtant, pour être une femme, une vraie,
une qui «prend soin d’elle», il faudrait le couper, l’extraire, le triturer, l’atomiser. Lutter contre la nature jusqu’à
ce que ce petit frisé, ou ce grand brun, revienne au galop. «C’est pas une convention sociale, juste du dégoût», m’a
dit un jour une esthéticienne. Un dégoût aussi néralisé, ce serait pas un tout petit peu une convention sociale,
non"? Elle a haus les épaules et a tiré d’un grand coup sur la bande de cire. Si on ne peut pas aimer le vagin sans
aimer les poils, comme le dit Eve Ensler dans Les Monologues du vagin, de quoi le poil est-il l’incarnation"?2
QUi A PeUr du grand
méchant poil!?
47 Causette # 62
Corps et âme
DOSSIER RÉALISÉ PAR CLARENCE EDGARD-ROSA ILLUSTRATIONS CAMILLE BESSE
Corps et âme Corps et âme
Kate Winslet dans The Reader,
Rooney Mara dans Millénium": il nest
pas rare que les actrices se parent
d’une moumoute pubienne pour pro-
téger leur pudeur ou éviter les ana-
chronismes, car un ticket de métro à
la Renaissance, cest pas raccord
Cette perruque, le merkincest son
nom en anglais–, est aussi utilie par
les performeuses burlesques : on en
trouve de toutes les formes, de la
moustache à la toue tressée. Initia-
lement porté par les prostituées au
XVesiècle, le merkin servait aussi de
déco dans les culottes de la noblesse.
«On a appris leur existence d’une
manière inattendue», raconte l’étho-
logue anglais Desmond Morris dans
La Femme nue *. «Le corps assassiné
d’une marquise française avait été
abandonné dans une rue, les parties
génitales délibérément exposées. Là
[…] se trouvait sa perruque pubienne
ornée de rubans à franges de toutes
les couleurs. Il semble que le roi de
France insistait pour que les dames de
la cour restreignent la splendeur de
leurs robes. Elles obéirent à leur
monarque, mais compensèrent cette
obligation en portant des décorations
à la mode en dessous.»2 C. E.-R.
* La Femme nue, de Desmond Morris.
Éd. Calmann-Lévy, 2005.
Petite
histoire
de la
perruque
de chatte
Le MâLE incarné
Un brun à gueule d’ange
se réveille, caresse
la jambe qui se frotte à lui, et là, horreur"!
La jambe est poilue. Il se retourne et
tombe non pas sur sa douce, mais sur un
gros monsieur qui lui explique qu’il s’est
rasé hier, donc bon, désolé, ça pique un
peu. «Don’t risk dudeness» Ne risquez
pas de vous transformer en mec»), conclut
en grosses lettres capitales la marque
Veet, voulant jouer la carte de l’humour,
dans ce spot publicitaire sorti l’année
dernière aux États-Unis. Une femme qui
ne serait pas impeccablement glabre serait
donc un homme. Les Françaises sont 77%
à estimer que l’épilation est importante
pour être séduisantes et 65% à se sentir
plus sûres d’elles quand
elles sont lisses"1forcé-
ment, elles corres-
pondent alors à ce que
l’on attend d’une femme,
une vraie. Les poils, c’est
donc la virilité"? Ah oui,
mais non.
Dans un autre spot
publicitaire, la marque
Philips nous montre un
spécimen viril vantant
les mérites du débrous-
saillage des parties
intimes grâce à sa ton-
deuse pour le corps.
«C’est propre, c’est net et
c’est si bon», dit-il avec
force sourires bright. «En plus, sans la
broussaille, l’arbre [a l’air] plus grand.»
C’est bien pratique": l’épilation sert aussi
bien la virilité que l’antivirilité, c’est au
choix, mais, pour vendre, le marketing
n’est pas à une contradiction près"!
Quel qu’il soit, le corps au naturel est
absolument inacceptable, martèle la pub.
Respectez-vous, merde"! Les poils sont
vus comme sales, pourtant, ils sont exac-
tement le contraire": leur rôle est de nous
protéger contre la chaleur, le froid, les
irritations et les agressions extérieures.
Ils préservent le film hydrolipidique de
la peau, sorte d’hydratation naturelle que
les crèmes et autres lotions ne font qu’imi-
ter. Mais puisqu’il est communément
admis que se débarrasser de ses poils
c’est prendre soin de soi, les publicités
pour les rasoirs, crèmes dépilatoires et
épilateurs en tout genre nous montrent
des individus correspondant en tout point
aux canons de beauté, qui prennent un
plaisir fou à se débarrasser de leur pilosité
disgracieuse. «Il faut souffrir pour être
belle, mais tout doit être fait pour dissimuler
ce message parce qu’il est anxiogène, explique
Marion"2, qui travaille au service commu-
nication d’une grande marque de produits
antipoils. Pour être efficace, la pub doit
jouer sur l’aspect libérateur de la chasse au
poil": on axe sur l’idée qu’on le fait pour soi,
qu’on y trouve du plaisir, que c’est une
manière de se débarrasser des carcans. Il ne
faut surtout pas culpabiliser la consomma-
trice, même si c’est évidemment ça le nerf
de la guerre": pas épilée, on serait sale, moche,
inadaptée socialement.»
Le meilleur exemple
en date": la dernière cam-
pagne Gillette Venus,
lancée avec le hashtag
#UseYourAnd. Sur une
musique «inspirante»
(gros violons et montée
en puissance drama-
tique) et des images
valorisantes (des filles
fortes et passionnées),
on nous dit qu’on peut
être ce qu’on veut, qu’il
faut se départir de la
vilaine étiquette. «Sortez
de la boîte», dit la dame,
nous invitant à nous
rebeller. Tout en nous rasant soigneuse-
ment les jambes, les aisselles, la chatte
et tout le toutim, bien sûr. Une rébellion
lisse et bien cadrée, en somme.2
1. Source : «Enquête sur les Français et l’épilation»,
Ipsos, 2006.
2. Le prénom a été modifié.
QU’ON SE LE DISE UNE
BONNE FOIS POUR
TOUTES : LE POIL EST
SALE. EN PLUS,
IL PUE. C’EST EN TOUT
CAS L’IDÉE QUE LE
MARKETING A RÉUSSI
À NOUS FOURRER DANS
LE CRÂNE. UNE VASTE
ENTREPRISE DE DÉGOÛT
DE SOI QUI A LA PEAU
DURE ET… LISSE COMME
UN TOBOGGAN, BIEN
ENTENDU.
Pour être
efficace, la pub
doit jouer sur
l’aspect
libérateur de
la chasse
au poil. […] Pas
épie, on serait
sale, moche,
inadaptée
socialement
19,90€
Prix d’un kit pour se teindre la toison
pubienne en «bleu ultra fashion» ou en
«rose étincelant et flashy».
417 à 1 077
Fourchette des prix du mètre carré à Poil,
dans la Nièvre.
4%
Proportion d’hommes qui se rasent
les fesses (sondage réalisé par le site
de rencontres Emmanuelles).
6 800 à
9 600€
Prix d’une épilation laser définitive pour être nue
comme un ver (visage + moustache + menton
+aisselles + maillot + bras + jambes + dos).
PAR CLARENCE EDGARD-ROSA
8,2%
Écart salarial à emploi égal
entre les barbus et les moustachus,
à lavantage de ces derniers
(d’après une étude de Quicken et
de lAmerican Mustache Institute).
48 Causette # 62 49 Causette # 62
Corps et âme Corps et âme
«Je suis féministe.» En réponse à cette
affirmation, on se prend souvent dans les
dents un petit «ah"! t’aimes pas les hommes"?»,
ou «t’as une jupe et t’es maquillée, je te
signale…», ou encore le fameux «mais
alors, tu t’épiles pas"?!». La féministe est
rabougrie, mal habillée (elle le fait vraiment
exprès), mal foutue (sinon elle coucherait
avec les mecs au lieu de les faire chier"!)
et, bien sûr, poilue. Du haut, du bas, de
partout"! Ça fait partie du package «fémi-
nisme»"! Mais d’où vient ce foutu cliché
de la féministe forcément velue"? Marie-
France Auzépy, coauteure d’Histoire du
poil"1, l’explique ainsi": «L’image que notre
sociépatriarcale donne de la femme jusque
dans les années 1970, c’est une “femme petite
fille”, lisse et sans poils, qui dit “merci” au
monsieur. C’est normal qu’on donne une image
inverse à la ministe. Elle, elle ne dit pas
merci.» La féministe mauvaise femme"!
refuse de se prêter à la comédie de la sou-
mission. Alors, l’imaginaire collectif
Vers 1750, un manuel érotiqueL’Aube au printempsclasse
parmi «les choses dont il convient qu’elles soient de petite taille»":
«les poils de la fente», afin que les amants ne s’y empêtrent
pas. Ces poils-là, semble-t-il, sont prisés, car ils sont
rares": beaucoup de Japonaises portent des poils
pubiens naturellement longs et soyeux comme
des chevelures. Les prostituées se les peignent,
par coquetterie, mais prennent soin d’expurger
ceux qui entourent le pourtour immédiat de la
vulve, suivant la technique très prisée de l’abra-
sion (à l’aide de deux pierres entrechoquées
comme des pierres à silex) qui donne au poil
des extrémités douces.
La capilliculture
pubienne est cou-
rante au XVIIIesiècle.
Puis vient l’ère Meiji
(XIX
e
siècle), syno-
nyme de modernisation": le poil,
comme le sexe, est banni d’une
culture qui adopte le puritanisme
occidental en même temps que les
trains à vapeur et les chapeaux
melon. De nos jours encore, le cinéma
porno est censuré": les mosaïques qui
floutent les organes génitaux laissent
à peine dépasser quelques poils. Dans
la presse, en revanche, la censure a sauté":
en 1994, la revue Tenmei se met à publier
des photos de poils et, la police ne réagis-
sant pas, tous les autres magazines s’en-
gouffrent dans la brèche.
UN BRUN DE «PLUS PRODUIT»
Depuis la fin des années 1990, le poil excite toutes
les convoitises. Dans les boutiques pour
«maniaques», il n’est pas rare que des jeunes filles
vendent leur culotte avec, en plus produit, un brin
arraché à leur toison… Sacrifice délicat auquel
leshommes ne semblent pas pouvoir résister. Si
une femme se fait souffrir pour eux, comment
pourraient-ils douter de ses sentiments"? Le don
du poil est romantique.
La preuve": créées par la compagnie Juicy Honey, les «cartes
à ADN» sont des cartes à collectionner comportant –pressé
entre deux lamellesun échantillon de cheveux appartenant
à une star du porno. «Ces cartes ont été baptisées “à ADN” parce
qu’il aurait été obscène d’utiliser le mot “hair”, qui, au Japon,
est synonyme de nudité.» Ko Sekimoto, responsable des
ventes à Juicy Honey, précise que les premières cartes
contenaient un cheveu de «pop-idole». Mais il s’est
avéré, très vite, que les clients étaient bien plus attirés
par l’idée de posséder un «souvenir» de stars du
porno": «Comme rien ne ressemble plus à un poil qu’un
cheveu, nos cartes ont eu
énormément de succès.
Sur le marché des col-
lectionneurs, cer-
taines se vendent
plus de 100"000yens.
DeS cArtEs à poils
AU JAPON, LE POIL, C’EST ÉROTIQUE. ET QU’EST-CE QUI RESSEMBLE
LE PLUS À UN POIL ? UN CHEVEU. ON PEUT DONC COLLECTIONNER LES POILS DE TÊTE
DE STARS DU X SOUS LA FORME DE “CARTES À ADN”.
PAR AGNÈS GIARD
S ur le plan
symbolique, les
cheveux sont des
objets de grande
valeur, car ils
incarnent la beauté
d’une femme
Ko Sekimoto, responsable
des ventes à Juicy Honey
Cela n’a rien à voir avec la génétique, bien sûr. Il ne
s’agit pas pour les acheteurs de manipuler des brins
d’ADN ni de cloner son actrice favorite… Il s’agit juste
de fétichisme. Sur le plan symbolique, les cheveux sont
des objets de grande valeur, car ils incarnent la beauté
d’une femme. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les
soldats japonais emportaient une mèche de leur épouse
ou un tressage de ses poils pubiens en guise de porte-
bonheur et pour garder le “lien” avec elle.»2
l’exclut du jeu de séduction tel qu’il est
socialement admis. Un constat plutôt
unanime": la blogueuse Klaire fait Grr"2 a
écrit Au poil"!"3, un petit ouvrage dans lequel
elle s’indigne avec drôlerie du diktat de
l’épilation. Pour elle, le cliché des fémi-
nistes à poils nous vient d’une vaste entre-
prise de discrédit des femmes militantes":
«Les antiféministes essaient depuis longtemps
de faire croire que les féministes veulent
prendre la place des mecs. D’où l’idée des
“féministes poilues”, qui voudraient ressembler
à des hommes.» Mais pourquoi a-t-on fait
des poils une caractéristique exclusivement
masculine"? «En fait, le poil, plus qu’un “truc
de mec”, c’est un truc sexuel, hormonal. Qu’est-
ce qui est à l’origine des poils"? La testostérone.
De quoi d’autre la testostérone est-elle res
-
ponsable"? Du sir sexuel féminin et masculin.
Partant de là, on peut se demander pourquoi
notre société a décidé que les poils, ces indices
de l’existence du désir, seraient des stigmates
à éradiquer à tout prix du corps des femmes.
La preuve qu’elles sont des êtres matures,
adultes et dotés de désir ferait-elle peur à
certains"? Nooon…» On le savait": c’est un
complot"!
Il n’empêche qu’aujourd’hui l’épilation
est bel et bien un enjeu politique": dans
une soc la peau lisse s’impose comme
la norme, s’afficher toute de poils vêtue,
ce n’est pas rien. Le Miel (Mouvement
international pour une écologie libidinale)
lutte depuis 2005 pour mettre un frein à
la frénésie antipoils": «L’épilation est un
comportement de soumission à une norme
sociale, et la plupart des femmes qui la pra-
tiquent n’ont aucunement conscience de cette
soumission.» De quelque côté qu’on soit,
c’est tout bénef"! Y a de quoi culpabiliser
pour celles qui enlèvent leurs poils, et pour
celles qui les gardent…2
1. Histoire du poil, de Marie-France Auzépy
et Joël Cornette. Éd. Belin, 2011.
2. Son blog : www.klaire.fr
3. Au poil !, de Klaire fait Grr. Éd. Jungle !, 2015.
Le FémiNisME,
ça craint velu!!
12 750tonnes
Poids de poils épilés chaque année en France.
PAR JULIETTE PLAGNET
1 800 à
7 400€
Somme à débourser pour se faire
implanter des poils de barbe.
50 Causette # 62 51 Causette # 62
Corps et âme
Oui, oui, on sait bien
que s’épiler répond à une
injonction sociale, mais il n’empêche que nous
sommes encore majoritaires à nous allonger chez
l’estticienne et à hurler de douleurOu à nous
raser frénétiquement les gambettes (et pas que)
sous la douche. Mais pourquoi, bon Dieu"?
Poilorama. Quand le poil tente de sauver sa
peau, websérie d’Arte Creative en dix épisodes,
en ligne dès décembre, interroge la norme
glabre de nos corps et rigole de notre obéis-
sance généralisée.
De nombreux intervenants (psychanalystes,
philosophes, historiens, femmes de médias…
et Causette) apportent leur pierre à l’édifice,
et la série est rythmée par des inserts pop issus
d’une multitude de films et autres «moments
télé» truculents. Un énorme travail de
recherche d’archives et d’actus sociétales pour
un résultat burlesque et déculpabilisant. Parce
que, franchement, s’épiler, on n’a rien de mieux
à faire"?2ANNA CUXAC
Poilorama. Quand le poil tente de sauver sa peau,
le 1erdécembre sur http://creative.arte.tv
En exclusivité, deux épisodes sur causette.fr,
à partir du 25novembre.
Un débat se tiendra le jeudi 3décembre à Paris (voir p.99).
SuR ArTe, la grosse poilade
Florilège
des SOS et
autres conseils
avisés des
inquiets du
poil sur le
forum du site
Doctissimo
© ALEX SEREBRYAKOV/ISTOCKPHOTO G-STOCKSTUDIO
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