L`humour comme stratégie de communication ? Le cas des élections

Communiquer
Revue de communication sociale et publique
6 | 2011
Varia
L’humour comme stragie de communication ?
Le cas des élections municipales 2009 au Québec
Humour as a communication strategy? The case of the 2009 municipal elections
in Quebec
Micheline Frenette et Marie-France Vermette
Édition électronique
URL : http://communiquer.revues.org/437
DOI : 10.4000/communiquer.437
ISSN : 2368-9587
Éditeur
Département de communication sociale et
publique - UQAM
Édition imprimée
Date de publication : 1 octobre 2011
Pagination : 1-22
Référence électronique
Micheline Frenette et Marie-France Vermette, « L’humour comme stratégie de communication ? Le
cas des élections municipales 2009 au Québec », Communiquer [En ligne], 6 | 2011, mis en ligne le 21
avril 2015, consulté le 02 octobre 2016. URL : http://communiquer.revues.org/437 ; DOI : 10.4000/
communiquer.437
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Certains droits réservés © Micheline Frenette et Marie-France Vermette (2011)
Sous licence Creative Commons (by-nc-nd).
ISSN 1913-5297
1
www.ricsp.uqam.ca
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CS
Revue internationale
Communication sociale et publique
L’humour comme stratégie de communication ?
Le cas des élections municipales 2009 au Québec
Micheline Frenette
Professeure, Université de Montréal, Canada
Marie-France Vermette
Doctorante, Université d’Ottawa, Canada
Résumé :
Le déclin de la participation électorale est un problème au Québec. Des campagnes de
communication tentent de remédier à la situation comme celle du Directeur général des
élections du Québec de 2009 qui avait pour but d’inciter les citoyens à voter aux élections
municipales. Dans le cadre d’une étude exploratoire, la stratégie de création (l’utilisation de
l’humour) de ces messages du DGE a été analysée à travers la lentille théorique du modèle
de la construction de sens alors que la stratégie d’implantation (utilisation d’Internet) a
été étudiée à partir du modèle des usages et gratications. Pour ce faire, des groupes de
discussion et des entrevues ont été réalisés auprès de citoyens québécois en âge de voter. Les
résultats appuient nos réserves quant à la pertinence des stratégies utilisées par le DGE. Des
suggestions pour l’amélioration des campagnes futures sont proposées.
Mots-clés : campagne sociale ; participation électorale ; humour.
The declining rate of voter turn-out during elections is problematic in Quebec. Multiple
political, institutional and social factors inuence the voting behaviours of citizens.
Communication campaigns attempt to reverse the situation, among which the latest
campaign of the Directeur general des elections (DGE) that aired in 2009. The goal of this
campaign was to encourage citizens to vote in the municipal elections. In this exploratory
study, the creation strategy (use of humour) and the implementation strategy (use of
Internet) of the messages produced by the DGE are analysed using the Sense-Making
and the Uses and Gratications models. To this aim, focus groups and interviews were
conducted among some Quebec voters. Results conrm our hypothesis that the strategies
used by the DGE are not necessarily the optimal ones. Suggestions for the improvement of
campaigns to come are offered.
Keywords: social campaign ; voter turnout ; humour.
Introduction
Le vote des citoyens au moment des élections est considéré par plusieurs comme la pierre
d’assise de notre système démocratique. Or, le taux de participation électorale est en baisse
constante au Québec depuis plusieurs années. En 1998, 78 % des citoyens québécois ont
exercé leur droit de vote aux élections provinciales ; en 2007, la participation moyenne se
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situait à 71 % et en 2008, elle chutait à 56 %1. Si la situation est problématique au niveau
provincial, elle l’est d’autant plus au niveau municipal puisque « l’intérêt des Québécois
et des Québécoises pour les affaires municipales est généralement perçu comme étant
moins important que pour les enjeux nationaux. »2 En effet, aux élections municipales de
2005, 45 % des citoyens sont allés voter à l’échelle du Québec ;3 lors du dernier scrutin
tenu le 1er novembre 2009, le taux de participation ne s’est guère amélioré, se chiffrant à
40 %.4 Depuis 2003, les campagnes sociales incitant les citoyens à aller voter sont l’une
des actions mises de l’avant par le Directeur général des élections (DGE) pour tenter de
remédier à ce problème. Dans son plan stratégique 2009-2013, le DGE afrme vouloir faire
preuve de créativité et d’innovation an de s’adapter à l’actualité et de mieux répondre aux
besoins et aux attentes des citoyens. Ainsi, en contraste avec les campagnes précédentes qui
faisaient appel aux aspirations personnelles (2007-2008) et aux droits individuels (2003),
et ce, sur un ton sérieux,5 la campagne conçue pour les élections municipales de 2009 avait
recours à l’humour et au cynisme. Le but de cet article est de partager notre réexion sur la
problématique de communication que pose une telle campagne.
Bien que le geste de voter soit, somme toute, simple et ponctuel, la décision de voter ou
non est quant à elle un phénomène très complexe qui a fait l’objet de nombreuses études
en sociologie et en sciences politiques. À titre d’exemple, on peut mentionner la revue
de la littérature de Duval (2005) sur la participation électorale et celle de Sarra-Bournet
(2008) sur l’abstentionnisme. Pour sa part, l’étude récente de Bélanger et Nadeau (2009)
sur le comportement électoral des Québécois tient compte de deux catégories de variables
explicatives, soit les variables dites « lourdes » ou de long terme (langue, âge, sexe, clivage
régional, scolarité, statut socioéconomique, pratique religieuse, valeurs et position sur la
question nationale) et les variables de court terme (conjoncture économique, enjeux de la
campagne, image des chefs, sondages d’opinion). Vu la complexité de la problématique, on
conçoit aisément qu’il faut avoir recours à des actions éducatives sur une longue période
pour faire en sorte qu’un plus grand nombre de citoyens se sentent partie prenante de la
vie politique. Néanmoins, il est légitime de se demander dans quelle mesure une action
ponctuelle comme une campagne sociale arriverait tout de même à renforcer certains
facteurs favorables à la participation électorale, voire à les stimuler ?
Rappelons dès maintenant la campagne du DGE pour les élections municipales de 2009
qui fait l’objet de notre analyse. Intitulée « Le 1er novembre, on vote ! », celle-ci comportait
un volet télévisuel et un volet Web. Ces deux volets mettent de l’avant les responsabilités du
pouvoir municipal an que les gens reconnaissent l’importance d’aller voter pour maintenir
la qualité des services publics. Les six messages télévisuels de 15 secondes portent chacun
sur un service municipal, soit la qualité de l’eau, le recyclage et les déchets, le déneigement,
les espaces verts et les loisirs, la voirie et le service des incendies. Dans chaque message,
un personnage différent s’interroge sur la pertinence de voter : « Veux-tu ben (sic) me
dire pourquoi j’irais voter aux élections municipales ? ». Les téléspectateurs sont invités
à déduire la réponse en regardant la suite de la saynète. Par exemple, dans le cadre de la
publicité sur l’eau potable, on peut voir une femme ouvrir le robinet et se servir un verre
d’eau brunâtre6. Le volet Web consistait en une série de huit capsules mises en ligne sur un
site créé pour l’occasion (RDNTV.ca) du 6 octobre au 1er novembre 2009. Celles-ci mettaient
en scène une fausse émission d’affaires publiques, Chouinard en direct, dans laquelle
1. www.electionsquebec.qc.ca
2. Le gouvernement du Québec. (2004), « Muni-stat », vol 1, no 1, p.1
3. DGEQ. (2005) Rapport annuel de gestion 2004-2005, p. 43, Québec, 135 pages
4. http://www.radio-canada.ca/regions/Municipales2009/2009/11/02/012-dge-taux-participation.shtml
5. Pour une analyse détaillée de la campagne 2007-2008: « Je m’exprime », voir Frenette, M. (2010), La
recherche en communication : un atout pour les campagnes sociales, Presses de l’Université du Québec.
6. Les messages télévisuels sont décrits de manière plus détaillée à l’annexe A.
Une campagne pour promouvoir la participation électorale | 3
un animateur harangue le public en illustrant la situation des villes du Québec quelques
semaines après des élections municipales où personne n’est allé voter. Les services publics
sont inexistants et le chaos règne. Les vidéos présentent des enjeux différents allant de
l’absence de services d’incendie (faisant place à une brigade de pompiers très amateurs) au
contrôle des stationnements de la ville par le crime organisé7.
Pour mener à bien notre réexion, nous allons nous inspirer d’une démarche qui
s’appuie sur les connaissances acquises en sciences sociales, incluant les sciences de la
communication et qui est décrite en détails dans Frenette (2010). Cette réexion sera
orientée par un cadre théorique éclectique, inspiré de modèles sur la persuasion et sur
l’inuence des médias et servant à comprendre dans quelles circonstances les individus en
viennent à modier leur comportement et dans quelle mesure une campagne médiatique
pourrait soutenir un tel cheminement. À la lumière de ce cadre théorique, nous examinerons
des études sur la participation électorale et sur l’utilisation de l’humour en publicité et en
politique ainsi que des données issues d’une enquête exploratoire sur la réception de cette
campagne auprès d’une soixantaine de citoyens. Bien qu’il soit impossible d’en vérier
l’inuence a posteriori, nous espérons néanmoins contribuer un tant soit peu à la réexion
sur le rôle des campagnes sociales dans la problématique de la participation électorale.
Orientation théorique
Pour orienter notre réexion sur la campagne du DGE, nous avons privilégié une
orientation théorique qui fait appel à deux théories de la persuasion ou du changement et à
une théorie sur l’inuence des médias. Les premières attirent notre attention sur certaines
variables associées aux changements de comportement de manière à guider les initiatives
de persuasion. Ainsi, la théorie du comportement planié suggère de guider les gens vers
les changements souhaités en tenant compte de leurs attitudes, des coûts et bénéces que
représente le changement proposé et de leur capacité à changer. Toutefois, malgré ses
avantages (et comme son nom l’indique), elle reète une conception très rationelle du
comportement humain qui ne fait pas sufsamment de place, à notre avis, aux processus
interprétatifs. C’est pourquoi nous avons cru bon de la jumeler avec l’approche de la
construction du sens qui accorde davantage d’autonomie à l’individu et qui pose comme
condition préalable à tout changement la pertinence du message pour celui-ci. Or, même
dans le cas où les campagnes sociales s’inspirent d’une approche théorique de la persuasion,
les messages qui parviennent aux individus par l’entremise des médias sont non sollicités.
C’est pourquoi nous jugeons important d’adjoindre une théorie sur l’inuence des médias
an de comprendre comment la portée de la campagne sera ampliée, diminuée ou annulée
par la dynamique des médias dans laquelle elle s’insère. À cette n, nous avons retenu
l’approche des usages et gratications. Dans l’optique de ce modèle, la personne avec qui
nous communiquons au moyen d’une campagne est active face aux messages proposés, peut
facilement leur résister et en jugera l’utilité en fonction de ce qu’elle en retire. Nous allons
maintenant expliquer davantage chacune de ces trois approches avant de parler de leur
complémentarité.
La théorie du comportement planié
La théorie du comportement planié (Ajzen & Fishbein, 1980 ; Fishbein et Yzer, 2003)
suggère que l’individu modie ses comportements en fonction de trois variables : ses
attitudes (son point de vue face au comportement), ses normes subjectives (la perception
de ce qu’on attend de lui dans la société) et son foyer de contrôle (la perception qu’il a de sa
7. Les capsules vidéo sont décrites de manière plus détaillée à l’annexe A.
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4 | M. Frenette et M.-F. Vermette
propre capacité à agir). La théorie du comportement planié est apparue pertinente pour
anticiper l’inuence d’une campagne sur la participation électorale parce que ces trois volets
captent chacun un aspect important du phénomène.
En premier lieu, les attitudes des personnes seraient inuencées par la perception
des conséquences que le comportement aura pour eux ; cette perception s’appuie sur
l’évaluation des coûts et des bénéces du comportement en question. Ainsi, la décision de
voter répond à des motivations diverses, mais contrairement aux problématiques de santé
visées par plusieurs campagnes sociales, le vote n’est pas ressenti comme une urgence avec
des conséquences immédiates pour l’individu, ce qui rend la tâche de persuasion d’autant
plus difcile.
Deuxièmement, la théorie du comportement planié suggère d’accorder de l’importance
aux normes subjectives (autrement dit, la vision sociale de l’individu) lorsqu’on cherche
à encourager de nouveaux comportements. Le vote individuel est justement un geste qui
prend tout son sens dans une perspective collective. Il semble donc essentiel d’inclure cette
dimension sociale dans un argumentaire qui se veut convaincant.
Enn, en incluant dans le modèle du comportement planié la notion de foyer de
contrôle, on nous invite à tenir compte du fait que les individus diffèrent dans leur habileté
à exécuter certains comportements jugés souhaitables. Bien que le geste concret de voter
soit à la portée de presque tous les citoyens, la motivation pour se rendre aux urnes est
fortement liée aux compétences civiques de chacun, incluant la perception qu’ils ont de leur
propre marge de manœuvre dans la société. Nous examinerons dans quelle mesure une
campagne pour inciter à la participation électorale comme celle du DGE peut miser sur ces
trois volets.
La théorie de construction du sens
Dans une optique complémentaire à la théorie précédente, le modèle de la construction du
sens propose de concevoir l’individu comme un être en mouvement dans un espace-temps
donné qui cherche constamment à produire un sens à partir du monde dans lequel il vit (y
compris des messages qui sont portés à son attention), an de progresser dans l’atteinte de
ses objectifs personnels (Dervin et Frenette, 2001). L’interprétation qu’il fera d’un message
dépendra de divers facteurs dont son contexte de vie (expériences, besoins) et le constat
qu’il fait de la problématique (brèches, problèmes, questions et obstacles). Ainsi, dans le
cas de la participation électorale, il est possible qu’un message à ce sujet le laisse indifférent
parce qu’il juge d’autres aspects de la vie prioritaires, parce qu’il a une mauvaise expérience
de la politique, parce qu’il ne voit pas le lien entre les élections et les enjeux importants à
ses yeux, et ainsi de suite. Selon cette approche, c’est dans la mesure où le message reète
son expérience de vie et fait écho à ses préoccupations qu’il fera sens pour lui. Ce serait là
une condition préalable nécessaire mais insufsante pour que se produise un changement
d’attitude ou de comportement. Pour lui permettre de faire ce pas supplémentaire, il faudrait
que le message lui propose en plus un élément de solution, par exemple, une réponse à une
question ou une ressource à consulter. À l’aide de ce modèle, nous tenterons d’anticiper
le sens que peut avoir la campagne 2009 du DGE aux yeux des électeurs et comment elle
pourrait s’insérer dans leur cheminement politique.
La théorie des usages et gratications
Les études sur l’inuence des médias issues de la tradition des usages et gratications
(Katz, 1989) fournissent des indications utiles pour optimaliser une campagne sociale.
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