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2* Chercheur à l'Institut d'économie islamique, Université du Roi Abdulaziz, Djeddah, Arabie saoudite, membre de la Chaire
"Éthique et normes de la finance islamique" de l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne en
collaboration avec l'Université du Roi Abdulaziz et de l'équipe de recherche finance islamique de l'Université de
sur des pensées arabo-musulmanes classiques liées au risque. En dépit de leur intérêt, ces développements
présentent un certain nombre de limites. D'une part, ils font essentiellement référence à une perspective
normative. Or, la question du risque peut être issue d’une préoccupation morale3, pratique, ou
computationnelle. Elle peut également être abordée comme réalité objective se référant à une définition
institutionnelle ou comme construction sociale produite par la confrontation des intérêts, savoirs et
pratiques des différents acteurs sociaux (Bajos, 2006, pp. 19-21). D’où la nécessité d’élargir les mises en
perspective sans privilégier a priori tel ou tel angle de vue, ni tel ou tel outil. Ce qui revient à les utiliser à
bon escient tout en étant conscient de leurs limites respectives (Pradier, 2006, 2012). D'autre part, la
question du risque est abordée de manière anachronique. Ce qui ne va pas sans poser problème pour la
recherche historique rigoureuse. Enfin, elle se limite à l'étude des sources écrites conventionnelles sans
envisager d'autres sources telles que les récits de voyages et les manuscrits relatifs à des contrats de vente.
L’exploration des collections de papyrus arabes dispersées dans les différentes bibliothèques du monde
révèle un volume impressionnant de lettres expédiées ou destinées à des marchands, sans parler des actes
qu'ils ont dressés, des comptes qu'ils ont rédigés, des traditions qu’ils ont héritées (Ragheb, 1988).
A titre d'exemple, sous l'ère abbasside (750-1258) des lettres de commerçants du Fustat4, datant au XIe
siècle, évoquent les risques que dans un contexte rural, la conclusion d'un contrat salam5 pose pour les
commerçants venant des villes (Johansen, 2006, p. 867).
II. La perception du risque comme une prohibition
Dans le célèbre dictionnaire classique de langue arabe "Lisan al-'arab" d'Ibn Mandhur (1232-1311) (1988,
4, pp. 136-139), l’équivalent arabe du mot risque, en l’occurrence "mukhatara", a pour origine trois lettres:
_ (kha), _ (ta), _ (ra), respectivement 7e, 16e et 10e lettres de l'alphabet arabe, qui forment le mot "khatar".
En ceci, l’étymologie du mot arabe est différente de celle du mot français emprunté à l’Arabe "rizq" (Piron,
2004). D'emblée, le lecteur est frappé par le caractère polysémique du terme "khatar" qui peut être une
source de richesse, tout comme il peut constituer un facteur de confusion.
Le mot "khatar" peut signifier un rang ou une position élevée, une audace, un pari, une imprudence, une
mise en péril, une incertitude. Ceci démontre que le mot risque n'a pas en soi de connotation positive ou
négative dans l'arabe classique. Tout dépend de l'usage dont il fait l'objet et du contexte dans lequel il est
employé.
3 A titre d’exemple, un texte du code de Hammurabi vient rappeler que le partage des risques s'inscrit aux sources du droit
(Pradier, 2010).
4 Fustat: première capitale arabe de l'Égypte fondée par 'Amr Ibn al-'As en 641, elle était aux temps des règnes omeyyades (661-
750) et abbassides (750-1258) une ville fortifiée. Elle fait partie aujourd'hui du Vieux Caire.
5 "Dans le salam, un investisseur avance un capital à un vendeur qui, en l'acceptant, s'oblige à lui livrer, à une échéance fixée par
contrat, un bien qui est l'objet de l'investissement: au moment de la conclusion du contrat, l'investisseur achète un objet sous la
forme d'une obligation personnelle. L'objet de celle-ci ne peut être livré que dans le futur" (Johansen, 2006, p. 864).