Préambule
Le Japon ne cesse décidément de nous surprendre. Sa miraculeuse croissance avait fait couler
beaucoup d’encre, de même que la spectaculaire crise dans laquelle il s’était enlisé au début
des années 1990. Puis, au moment où l’on commençait presque à le considérer comme un pays
« normal », voilà qu’il fait son come-back là où on ne l’attendait pas : dans le domaine de la
culture populaire.
Alors que le J-sense (« le sens japonais ») est devenu une référence incontournable dans notre
culture de masse et que les produits manufacturés nippons continuent de se déverser sur les
marchés mondiaux, cette superpuissance qui cumule à elle seule la production de la France, de
l’Allemagne et du Royaume-Uni, est singulièrement restée jusqu’ici un « nain diplomatique ».
En témoignent les derniers événements en Irak, au cours desquels le Japon ne s’est pas départi
de son suivisme discret à l’égard des Etats-Unis.
Curieuse combinaison, donc, que l’hypertrophie économique (depuis peu également
culturelle) et l’atonie diplomatique de ce petit archipel dont la superficie – faut-il le rappeler ?
– n’excède pas 70% de celle de l’Hexagone ; un archipel de surcroît exposé à une haute
sismicité et pauvrement doté en ressources naturelles.
L’approche géographique apporte un éclairage à cet apparent paradoxe. Il est indéniable que
l’insularité du Japon, sa faible emprise territoriale et sa position excentrée dans les « cartes
géopolitiques » des XIX et XXe siècles, ont favorisé l’émergence d’un modèle de
développement original, tout en maintenant l’archipel à l’écart des grands centres de décision.
Ces traits singuliers ont été encore grossis par les choix internes de gouvernements : la
fermeture du pays sous les Tokugawa (du XVIIe au XIXe) pour préserver l’archipel de la
convoitise des puissances occidentales ; l’expansion coloniale nipponne, suivie de la mise
sous tutelle militaire américaine, dans un contexte régional fortement marqué par la Guerre
Froide; enfin, les politiques industrielles de l’après-guerre, qui ont concentré l’essentiel des
activités et des hommes sur une étroite bande littorale.
Mais, à l’aube du XXIe siècle, le Japon connaît une mutation radicale de son environnement.
Le déplacement du centre de gravité économique vers l’Asie a induit un actif mouvement de
recomposition politique qui commence déjà à infléchir la posture diplomatique du Japon. En
parallèle, le fameux « modèle » productif nippon donne des signes d’essoufflement depuis
que l’économie a atteint un stade de maturité avancée. Son organisation spatiale est
partiellement responsable des maux actuels de la société japonaise, en butte aux déséquilibres
territoriaux et aux disfonctionnements urbains. De toute évidence, la société japonaise, qui
atteint elle aussi un niveau de maturation élevée, devra se forger de nouveaux repères
identitaires et spatiaux dans le nouveau contexte mondialisé.
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