Le jour où j’ai acheté
ton mépris au Virgin Megastore
De Julien Bouffier
D’après nos souvenirs de spectateurs des lms de Godard et d’Antonioni et du Misanthrope de Molière
Les chansons sont tirées des textes de Camille Laurens Cet absent-là, récit, Léo Scheer, 2004, et Ni toi ni moi, roman, P.O.L, 2006
MISE EN SCÈNE Julien Bouffier
AVEC Marc Baylet Delperier, Vanessa Liautey, Julien Guill, Alice David, Nicolas Vallet
SCÉNOGRAPHIE Emmanuelle Debeusscher, Julien Bouffier
VIDÉO Laurent Rojol, Julien Bouffier
MUSIQUE Dimoné, Éric Guennou, Franck Rabeyrolles, Jean-Christophe Sirven
LUMIÈRES ET RÉGIE GÉNÉRALE Christophe Mazet
COSTUMES Catherine Sardi
PHOTOS Marc Ginot
Nos créations ont toujours des origines extrêmement métissées, rarement théâtrales.
Non pas que le répertoire dramatique ne recèle pas des merveilles mais la provenance non-
théâtrale des matériaux permet de toujours réinterroger le théâtre.
Dans le titre se confrontent deux références qui ont été fondatrices dans l’écriture de ce projet:
le lm de Godard sur le roman de Moravia, Lepris comme emblème d’un certain cinéma
voulant réinventer ses règles de représentation du monde, et la liquidation du Virgin Megastore
qui défraya la chronique en dévoilant des scènes de folie acheteuse de clients revenus au stade
primaire de la possession.
Le mépris prend alors un double sens, ou s’attache à deux situations, celle du désamour du
couple (la situation intime) et le sentiment plus large, quasiment sociétal, qui découle des re-
lations humaines modernes et en particulier
des relations professionnelles. L’un éclairant
l’autre, sujet, moteur, conséquence de l’un vis
à vis de l’autre. Le titre joue avec ce double
sens, où l’on peut acheter autant un sentiment
qu’un objet culturel dans un magasin.
Et puisque le texte parle de la fabrication du ci-
néma, le spectateur pensera au lm de Jean-
Luc Godard et nous devrons provoquer notre
imagination dans un travail de «reguration»
mettant en jeu notre capacité de spectateurs à
se défaire du formatage que lon voudrait nous
imposer.
Le répertoire dramatique a été aussi une
grande source d’inspiration et de repères.
Le nom des personnages est emprunté à
L’É c ha ng e de Claudel et le rôle de mise en
abîme du Misanthrope est primordial. Sans
oublier lapport de Camille Laurens qui ajoute
une voix intime à l’œuvre.
UNE INCARNATION
CONTEMPORAINE
Le jour où j’ai acheté ton mépris au Virgin Me-
gastore incarne une société en crise à travers
l’histoire d’un couple. Faire référence dans le
titre à cette entreprise de divertissement cultu-
rel quest le Virgin Megastore introduit claire-
ment le climat social dans lequel l’histoire
d’amour de Marthe et de Louis se développe.
Létouffement du couple ne se cherche pas
de raisons psychologiques. Il est le fruit d’un
contexte. Leur scène primitive se passe le jour
de la liquidation de cette enseigne marchande,
temple de la consommation culturelle. L’évé-
nement de leur rencontre est alors masqué
par la situation; il est marqué au fer rouge de
cette compulsion obscène de posséder. Ce
n’est pas le début d’une passion banale mais
celui d’une histoire d’amour naissante un jour
de folie humaine contemporaine. Le jour où
j’ai acheté ton mépris au Virgin Megastore
met laccent sur le poids du travail dans la vie
de chacun et comment ce dernier est le mo-
teur de notre construction et de notre relation
aux autres.
UN
ADN
RÉFÉRENCÉ ET « MULTICULTUREL»
Études d’Emmanuelle Debeusscher, croquis et plan 3D
LE MIROIR Misanthrope
Réintroduire du théâtre où on ne l’attend plus.
Adapter pour la scène un lm qui met en scène
une pièce de théâtre.
Le Misanthrope est une pièce ambiguë qui
permet des interprétations de traitement ra-
dicalement différentes véhiculant, chacune,
des esthétiques variées. Au cours de l’his-
toire, beaucoup ont écrit de manière contra-
dictoire sur Le Misanthrope, entre Rousseau
qui considère Molière «inexcusable car il se
moque des hommes vertueux», et Hugo pour
qui Alceste est le premier et le plus radical des
républicains. Dans Le jour où j’ai acheté ton
mépris au Virgin Megastore, Thomas, l’indus-
triel, producteur de cinéma, veut faire du Mi-
santhrope un divertissement, Louis rêve d’une
gure plus héroïque. Son Alceste, blessé
par les injustices, veut conserver une vision
noble du monde. Il préférera devenir un ter-
roriste, redresseur de tord, plutôt que daban-
donner le monde à son sort. Louis restera le
négatif dAlceste n’osant jamais s’opposer au
contexte dans lequel il évolue. Alceste, à la
différence de Louis, comprend que sa relation
amoureuse avec Célimène est révélatrice du
dysfonctionnement de la société.
Dans cette société de lécran dans laquelle
nous vivons, l’omniprésence de l’image n’est
plus à démontrer. C’est cette pollution vi-
suelle, tout à la fois constructrice d’imaginaire
et imposant un formatage des pensées, que
nous développerons dans l’utilisation de la
vidéo. La projection d’images se perdra dans
l’espace ou sera contenue dans les cadres
réalistes des moniteurs, téléviseurs. Une
image donc presque absente au commen-
cement, une tache qui empiétera petit à petit
sur l’espace du couple. D’abord fantomatique
comme un palimpseste sur les murs noirs de
leur appartement, les projections écraseront
les acteurs lors du dernier mouvement avec le
grand rectangle de lécran de cinéma.
Il y aura plusieurs statuts d’images : celles
prises en temps réel par plusieurs caméras
sur le plateau dont les personnages n’auront
pas conscience et celles avec lesquelles ils
joueront. Marthe et Louis seront toujours sous
surveillance, entre le mégastore culturel, leur
appartement ou la demeure de l’industriel.
Les vidéos réalisées au préalable montre-
ront le lm de Louis sur son adaptation du
Misanthrope et celles-ci seront diffusées, au
contraire des images prises en temps réel,
dans le format dans lequel elles ont été tour-
nées.
Le texte est construit en cinq mouvements
qui se terminent chacun par une chanson à
la façon des textes classiques grecs mais au
lieu dêtre un résumé de ce qui vient de se
produire, ces chansons sont les gros plans
d’une parole intime. Marthe, qui ne se conera
jamais aux autres personnages, le fait ici en
chanson, à travers l’écriture de Camille Lau-
rens. Ce sont des textes empruntés à Ni toi ni
moi et à Cet absent-là. Camille Laurens tente
de percevoir de quoi se nourrit le désamour.
Ni toi ni moi peut être considéré comme une
enquête sur le désamour dont le point de
vue, celui qui n’est plus aimé, est une femme
(l’inverse du pris). J’ai coné ces extraits
à trois compositeurs de chansons issus de la
pop, de la chanson française et de l’électro-
nique (Dimoné, Franck Rabeyrolles et Jean-
Christophe Sirven). Nous avons déjà colla-
boré plusieurs fois avec Dimoné (Le Début
de l’A de Pascal Rambert, Perlino Comment
de Fabrice Melquiot, Hiroshima mon amour
de Marguerite Duras) et Jean-Christophe Sir-
ven (Perlino Comment, Forget Marilyn). Ces
chansons seront ensuite déclinées par un
partenaire récurrent pour la création musicale
de la compagnie, Éric Guennou, responsable
de la matière sonore du spectacle. Il écrira lui-
même la musique qui soutiendra l’approche
sensible de notre spectacle.
Élément fondamental de notre identité artis-
tique, la musique, encore plus pour ce spec-
tacle lié au cinéma, tiendra le même rôle
qu’une bande originale de lm.
Trois personnages comme trois désirs qui se
croisent et se nourrissent les uns les autres.
Cet appétit insatiable sera aussi leur tombeau.
Marthe rêve d’habiter dans un endroit qui lui
appartiendrait au risque de s’y perdre. C’est la
première qui se réveillera de cet univers d’il-
lusions. Peut-être parce que cest la première
qui perd son travail et qui se retrouve seule
face à elle-même. Louis voudrait s’affranchir
de cette société du désir en écrivant mais se
trouve foudroyé par la beauté de Marthe et sa
fascination pour le cinéma. Lécriture devient
alors non plus un travail émancipateur mais le
moyen de se noyer dans ses désirs. thoMas,
depuis longtemps ne se reconnaît plus dans
son rôle d’industriel. Il aspire à être quelqu’un
d’autre. Il s’autoproclame producteur de ci-
néma pour être acteur des fantasmes collec-
tifs de la société. Son changement de statut
le fragilisera, trop pressé de quitter son rôle
de constructeur d’habitat. Son passage de la
pierre au virtuel ouvre devant lui un gouffre.
Les lieux de Le jour où jai acheté ton mépris
au Virgin Megastore sont des espaces inha-
bitables. Ils n’existent que par leur capacité à
produire du désir. Entre le supermarché cultu-
rel, la demeure de l’industriel au jardin virtuel,
le plateau de tournage et la salle de cinéma,
les personnages errent. Ils n’habitent pas hor-
mis l’appartement qu’ils acquièrent. Leur ap-
partement, ce logis si souhaité, devait être le
repaire (repère) de Marthe et de Louis mais il
se referme sur eux comme un piège, comme
si l’inscription de leurs aspirations dans le réel
des autres était impossible. Marthe et Louis
se retrouvent toujours à la marge, jamais in-
tégrés au désir collectif. Ils sont à côté du tu-
multe dans la première séquence et c’est cette
«marge» qui accueillera leur relation. Chez
l’industriel, ils ne pénétreront jamais dans sa
maison, dans l’édice de son pouvoir. Leur dé-
sir de propriétaire se contentera d’un apparte-
ment à lentresol. Ils resteront hors-champ de
la vie qu’ils projetaient. Ils la regarderont par la
fenêtre. Le cinéma est la porte daccès à leur
désir et ils ne feront quassister à sa création.
Le cadre du cinémascope est alors trop grand
pour eux, si ouvert qu’ils s’y perdent. L’écran
de projection nal consume la présence, l’hu-
manité, et Louis seul face à l’écran ressemble
au papillon assuré de nir brûlé par l’ampoule
du projecteur.
A l’aide de murs mouvants, la scénographie
dévoilera ces différents espaces entre réa-
lisme de leur intérieur et graphisme plus abs-
trait des «marges» dans lesquelles évoluent
nos protagonistes. Lécran de cinéma du der-
nier tableau sera constitué des restes des es-
paces précédents.
Les personnages
TRAVAILLER À DÉSIRER OU
SIRER TRAVAILLER
L’espace
UN DÉSIR INHABITABLE
La Musique
PENSÉE INTIME,
FORMALISME THÉÂTRAL ET
RÊVERIE CINÉMATOGRAPHIQUE
La vidéo
L’IMAGE FANTÔME
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