Le jour où j`ai acheté ton mépris au Virgin Megastore

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Le jour où j’ai acheté
ton
mépris au Virgin Megastore
De Julien Bouffier
D’après nos souvenirs de spectateurs des films de Godard et d’Antonioni et du Misanthrope de Molière
Les chansons sont tirées des textes de Camille Laurens Cet absent-là, récit, Léo Scheer, 2004, et Ni toi ni moi, roman, P.O.L, 2006
Julien Bouffier
Avec Marc Baylet Delperier, Vanessa Liautey, Julien Guill, Alice David, Nicolas Vallet
Scénographie Emmanuelle Debeusscher, Julien Bouffier
Vidéo Laurent Rojol, Julien Bouffier
Musique Dimoné, Éric Guennou, Franck Rabeyrolles, Jean-Christophe Sirven
Lumières et régie générale Christophe Mazet
Costumes Catherine Sardi
Photos Marc Ginot
Mise en scène
Nos créations ont toujours des origines extrêmement métissées, rarement théâtrales.
Non pas que le répertoire dramatique ne recèle pas des merveilles mais la provenance nonthéâtrale des matériaux permet de toujours réinterroger le théâtre.
Dans le titre se confrontent deux références qui ont été fondatrices dans l’écriture de ce projet :
le film de Godard sur le roman de Moravia, Le Mépris comme emblème d’un certain cinéma
voulant réinventer ses règles de représentation du monde, et la liquidation du Virgin Megastore
qui défraya la chronique en dévoilant des scènes de folie acheteuse de clients revenus au stade
primaire de la possession.
Le mépris prend alors un double sens, ou s’attache à deux situations, celle du désamour du
couple (la situation intime) et le sentiment plus large, quasiment sociétal, qui découle des relations humaines modernes et en particulier
des relations professionnelles. L’un éclairant
l’autre, sujet, moteur, conséquence de l’un vis
à vis de l’autre. Le titre joue avec ce double
sens, où l’on peut acheter autant un sentiment
Une incarnation
qu’un objet culturel dans un magasin.
contemporaine
Et puisque le texte parle de la fabrication du cinéma, le spectateur pensera au film de JeanLe jour où j’ai acheté ton mépris au Virgin MeLuc Godard et nous devrons provoquer notre
gastore incarne une société en crise à travers
imagination dans un travail de « refiguration »
l’histoire d’un couple. Faire référence dans le
mettant en jeu notre capacité de spectateurs à
titre à cette entreprise de divertissement cultuse défaire du formatage que l’on voudrait nous
rel qu’est le Virgin Megastore introduit claireimposer.
ment le climat social dans lequel l’histoire
Le répertoire dramatique a été aussi une
d’amour de Marthe et de Louis se développe.
grande source d’inspiration et de repères.
L’étouffement du couple ne se cherche pas
Le nom des personnages est emprunté à
de raisons psychologiques. Il est le fruit d’un
L’Échange de Claudel et le rôle de mise en
contexte. Leur scène primitive se passe le jour
abîme du Misanthrope est primordial. Sans
de la liquidation de cette enseigne marchande,
oublier l’apport de Camille Laurens qui ajoute
temple de la consommation culturelle. L’évéune voix intime à l’œuvre.
nement de leur rencontre est alors masqué
par la situation ; il est marqué au fer rouge de
cette compulsion obscène de posséder. Ce
n’est pas le début d’une passion banale mais
celui d’une histoire d’amour naissante un jour
de folie humaine contemporaine. Le jour où
j’ai acheté ton mépris au Virgin Megastore
met l’accent sur le poids du travail dans la vie
de chacun et comment ce dernier est le moteur de notre construction et de notre relation
aux autres.
Le miroir Misanthrope
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Réintroduire du théâtre où on ne l’attend plus.
Adapter pour la scène un film qui met en scène
une pièce de théâtre.
Le Misanthrope est une pièce ambiguë qui
permet des interprétations de traitement radicalement différentes véhiculant, chacune,
des esthétiques variées. Au cours de l’histoire, beaucoup ont écrit de manière contradictoire sur Le Misanthrope, entre Rousseau
qui considère Molière « inexcusable car il se
moque des hommes vertueux », et Hugo pour
qui Alceste est le premier et le plus radical des
républicains. Dans Le jour où j’ai acheté ton
mépris au Virgin Megastore, Thomas, l’industriel, producteur de cinéma, veut faire du Misanthrope un divertissement, Louis rêve d’une
figure plus héroïque. Son Alceste, blessé
par les injustices, veut conserver une vision
noble du monde. Il préférera devenir un terroriste, redresseur de tord, plutôt que d’abandonner le monde à son sort. Louis restera le
négatif d’Alceste n’osant jamais s’opposer au
contexte dans lequel il évolue. Alceste, à la
différence de Louis, comprend que sa relation
amoureuse avec Célimène est révélatrice du
dysfonctionnement de la société.
Un
ADN
référencé et « multiculturel »
quis et
plan 3D
Trois personnages comme trois désirs qui se
croisent et se nourrissent les uns les autres.
Cet appétit insatiable sera aussi leur tombeau.
Marthe rêve d’habiter dans un endroit qui lui
appartiendrait au risque de s’y perdre. C’est la
première qui se réveillera de cet univers d’illusions. Peut-être parce que c’est la première
qui perd son travail et qui se retrouve seule
Les personnages
Travailler à désirer ou
désirer travailler
face à elle-même. Louis voudrait s’affranchir
de cette société du désir en écrivant mais se
trouve foudroyé par la beauté de Marthe et sa
fascination pour le cinéma. L’écriture devient
alors non plus un travail émancipateur mais le
moyen de se noyer dans ses désirs. Thomas,
depuis longtemps ne se reconnaît plus dans
son rôle d’industriel. Il aspire à être quelqu’un
d’autre. Il s’autoproclame producteur de cinéma pour être acteur des fantasmes collectifs de la société. Son changement de statut
le fragilisera, trop pressé de quitter son rôle
de constructeur d’habitat. Son passage de la
pierre au virtuel ouvre devant lui un gouffre.
Les lieux de Le jour où j’ai acheté ton mépris
au Virgin Megastore sont des espaces inhabitables. Ils n’existent que par leur capacité à
produire du désir. Entre le supermarché culturel, la demeure de l’industriel au jardin virtuel,
le plateau de tournage et la salle de cinéma,
les personnages errent. Ils n’habitent pas hormis l’appartement qu’ils acquièrent. Leur appartement, ce logis si souhaité, devait être le
repaire (repère) de Marthe et de Louis mais il
se referme sur eux comme un piège, comme
si l’inscription de leurs aspirations dans le réel
des autres était impossible. Marthe et Louis
se retrouvent toujours à la marge, jamais intégrés au désir collectif. Ils sont à côté du tumulte dans la première séquence et c’est cette
« marge » qui accueillera leur relation. Chez
l’industriel, ils ne pénétreront jamais dans sa
maison, dans l’édifice de son pouvoir. Leur désir de propriétaire se contentera d’un appartement à l’entresol. Ils resteront hors-champ de
la vie qu’ils projetaient. Ils la regarderont par la
fenêtre. Le cinéma est la porte d’accès à leur
L’espace
Un désir inhabitable
désir et ils ne feront qu’assister à sa création.
Le cadre du cinémascope est alors trop grand
pour eux, si ouvert qu’ils s’y perdent. L’écran
de projection final consume la présence, l’humanité, et Louis seul face à l’écran ressemble
au papillon assuré de finir brûlé par l’ampoule
du projecteur.
A l’aide de murs mouvants, la scénographie
dévoilera ces différents espaces entre réalisme de leur intérieur et graphisme plus abstrait des « marges » dans lesquelles évoluent
nos protagonistes. L’écran de cinéma du dernier tableau sera constitué des restes des espaces précédents.
Dans cette société de l’écran dans laquelle
nous vivons, l’omniprésence de l’image n’est
plus à démontrer. C’est cette pollution visuelle, tout à la fois constructrice d’imaginaire
et imposant un formatage des pensées, que
nous développerons dans l’utilisation de la
vidéo. La projection d’images se perdra dans
l’espace ou sera contenue dans les cadres
réalistes des moniteurs, téléviseurs. Une
image donc presque absente au commencement, une tache qui empiétera petit à petit
La vidéo
L’image fantôme
sur l’espace du couple. D’abord fantomatique
comme un palimpseste sur les murs noirs de
leur appartement, les projections écraseront
les acteurs lors du dernier mouvement avec le
grand rectangle de l’écran de cinéma.
Il y aura plusieurs statuts d’images : celles
prises en temps réel par plusieurs caméras
sur le plateau dont les personnages n’auront
pas conscience et celles avec lesquelles ils
joueront. Marthe et Louis seront toujours sous
surveillance, entre le mégastore culturel, leur
appartement ou la demeure de l’industriel.
Les vidéos réalisées au préalable montreront le film de Louis sur son adaptation du
Misanthrope et celles-ci seront diffusées, au
contraire des images prises en temps réel,
dans le format dans lequel elles ont été tournées.
La Musique
Pensée intime,
formalisme théâtral et
rêverie cinématographique
Le texte est construit en cinq mouvements
qui se terminent chacun par une chanson à
la façon des textes classiques grecs mais au
lieu d’être un résumé de ce qui vient de se
produire, ces chansons sont les gros plans
d’une parole intime. Marthe, qui ne se confiera
jamais aux autres personnages, le fait ici en
chanson, à travers l’écriture de Camille Laurens. Ce sont des textes empruntés à Ni toi ni
moi et à Cet absent-là. Camille Laurens tente
de percevoir de quoi se nourrit le désamour.
Ni toi ni moi peut être considéré comme une
enquête sur le désamour dont le point de
vue, celui qui n’est plus aimé, est une femme
(l’inverse du Mépris). J’ai confié ces extraits
à trois compositeurs de chansons issus de la
pop, de la chanson française et de l’électronique (Dimoné, Franck Rabeyrolles et JeanChristophe Sirven). Nous avons déjà collaboré plusieurs fois avec Dimoné (Le Début
de l’A de Pascal Rambert, Perlino Comment
de Fabrice Melquiot, Hiroshima mon amour
de Marguerite Duras) et Jean-Christophe Sirven (Perlino Comment, Forget Marilyn). Ces
chansons seront ensuite déclinées par un
partenaire récurrent pour la création musicale
de la compagnie, Éric Guennou, responsable
de la matière sonore du spectacle. Il écrira luimême la musique qui soutiendra l’approche
sensible de notre spectacle.
Élément fondamental de notre identité artistique, la musique, encore plus pour ce spectacle lié au cinéma, tiendra le même rôle
qu’une bande originale de film.
Créer
habiter
La compagnie Adesso e sempre est née dans
la tête de dix lycéens sortis des cours de
théâtre des comédiens d’Antoine Vitez au lycée Molière à Paris, il y a plus de 20 ans. Tout
de suite confrontés à un public rural lors d’une
représentation de leur première création à
Clermont-l’Hérault, ils font le pari de s’installer
dans l’Hérault pour éprouver plus simplement
leur rapport au public.
Après six ans de résidence à la Scène nationale de Sète, la compagnie, dirigée par Julien
Bouffier, est associée au théâtre des Treize
Vents, Centre dramatique national de Montpellier L-R, pendant trois ans puis au théâtre
Jean Vilar de Montpellier pendant deux ans et
en compagnonnage avec le théâtre Jean Vilar
de Vitry-sur-Seine depuis 2009. Depuis 2003,
la compagnie est subventionnée par Ministère
de la Culture / Drac Languedoc-Roussillon au
titre des compagnies conventionnées.
Faisant d’abord ses armes sur des œuvres méconnues d’auteurs du répertoire, Julien Bouffier
met en scène pour la compagnie de plus en
plus de textes contemporains. L’éducation classique qu’il a reçue l’éloigne d’abord de l’écriture
contemporaine. Il croit au rôle d’auteur tenu par
le metteur en scène. En proposant des lectures
singulières qui provoquent le spectateur dans
sa manière de regarder une œuvre, il imagine
agir sur la société et ouvrir les portes du théâtre
à des personnes qui s’en sentent exclues.
En 1997, il adapte et met en scène un roman
autofictionnel de Claude Lucas sur le monde
carcéral, Suerte, qui obtient le prix de la jeune
création au dernier festival d’Alès. Dans ce
spectacle, il décide de modifier le rapport au
public en plaçant les spectateurs dans des
boxes face à une glace sans tain. C’est par ce
spectacle « peep-show » qu’il sera distingué
bien au-delà de la région Languedoc-Roussillon. L’État reconnaît son travail et signe
une convention (reconduite à ce jour jusqu’en
2014) avec la compagnie.
En 2002, il crée Le Début de l’A de Pascal
Rambert dans un dispositif bi-frontal qui
empêche le public d’assister à tout ce qui
est joué. Il questionne encore et toujours le
rapport au spectateur, soit par la place qu’il
lui donne dans l’espace (rapport de proximité,
d’éloignement, axes du regard…), soit par la
perte de ses repères en jouant avec la réalité
et la fiction, soit par une démultiplication des
signes pour assouplir, voire détourner la codification de la représentation théâtrale.
En 2003, s’opère un tournant. Alors que la
compagnie présente à Avignon le texte de
Pascal Rambert, elle prend part au combat
des intermittents et comprend que ce qu’elle
prenait pour acquis ne l’est pas. C’est la place
du théâtre dans la société et son rôle qui sont
remis en cause. Il décide alors de ne plus être
seulement sur le champ de la forme mais de
travailler les questions sociétales sur scène.
Ainsi, à partir de 2005, Julien Bouffier a la
volonté de mettre en scène le monde du
travail et les conflits liés à cette thématique
(Les Yeux rouges de Dominique Féret sur le
conflit LIP, Les Vivants et les Morts de Gérard
Mordillat, grande fresque de 8 heures sur
une lutte ouvrière plus ou moins fictionnelle)
en produisant un théâtre engagé capable de
toucher le grand public et notamment celui qui
cherche à s’évader d’une réalité quotidienne,
à se divertir, à se rassurer pour oublier... Quel
espace de respiration commune et d’émancipation peut proposer le théâtre ?
La poésie de l’artiste n’est-elle pas une sorte
de sas de décompression qui peut nous permettre, avec lui, d’aborder ce que l’on fuit et de
construire une réponse ?
Dans le même temps la compagnie continue à
approfondir sa recherche sur la présence sur
scène de l’image et de l’art numérique. Elle
développe des systèmes de captation vidéo
en temps réel rediffusée en simultané.
En 2009, la compagnie crée le festival
Hybrides qui l’engage dans de nouvelles
réflexions sur la transdisciplinarité et le théâtre
documentaire, en particulier à l’occasion de
résidences (Sondes) qu’elle organise avec
le Centre national des écritures scéniques
à la Chartreuse de Villeneuve-lès-Avignon.
Le projet Les Témoins naîtra lors de ces
Sondes et conduira la compagnie à un travail
de près de quatre ans autour du traitement
théâtral de l’actualité, questionnant encore de
manière plus interactive la place du spectateur
physiquement et virtuellement. Le public soit
est installé dans des serres face à des écrans
ou des acteurs, soit déambule autour des
espaces de jeu, un casque sur la tête.
En 2013, Julien Bouffier commence un
nouveau cycle avec sa version du Mépris
de Godard, où il prend de la distance avec
la question documentaire même si le titre du
spectacle, Le jour où j’ai acheté ton mépris
au Virgin Megastore, ramène à une actualité
proche. Dans un monde où les seuls repères
sont financiers, il avait besoin de travailler
une mémoire commune qui rassemble et qui
aide à se projeter dans l’avenir. Après celle du
cinéma, avec ses souvenirs de spectateur du
Mépris, il adaptera le texte d’Anne Philippe,
Le Temps d’un soupir, pour interroger la figure
de Gérard Philippe et du Théâtre National
Populaire de Jean Vilar.
Extrait
Premier mouvement
L’espace commercial et culturel
Une boîte avec une porte qui nous laisse
entrevoir un intérieur. Louis, Marthe.
Louis C’est l’apocalypse, ici.
Marthe Ils liquident.
Louis Qui ?
Marthe Le magasin…
Louis Je ne pensais pas que les gens avaient
encore autant d’intérêt pour la culture.
Marthe Ils font plutôt des affaires. Regardez
celui-là avec ses cinq IPad. Ils sont à 50%.
Louis Et vous ?
Marthe Je travaille ici. Je ne sais pas trop si je
dois utiliser le présent ou le passé.
Louis Vous vous occupez du rayon livre ?
Marthe Oui, c’est plus calme. On ne peut pas
brader les livres, c’est interdit.
Louis Vous ne savez pas où je pourrais trouver
Le Mépris.
Marthe Je ne m’occupe pas des films.
Louis Non, c’est le livre de Moravia qui m’intéresserait. Pas le film de Godard.
Marthe C’est dans le rayon des auteurs étrangers mais comme il se trouve juste à côté des
jeux vidéos, je vous conseille d’attendre un
peu. C’est la folie là-bas. Les gens ne choisissent plus. Ils prennent TOUT ce qui passe à
hauteur de panier. TOUT : peluches, DVD au
hasard, magnets, écouteurs, jeux de société,
cartouches d’imprimantes. Ils ne choisissent
pas, ils ont trop peur que d’autres leur volent
leur butin. Alors ils prennent, ils prennent, se
gavent sans peur de vomir. Ils prennent pour
empêcher d’autres de prendre.
Silence.
Louis Vous l’avez-vu ?
Marthe Qui ?
Louis Brigitte Bardot dans Le Mépris.
Marthe Brigitte Bardot, vous savez, ce n’est
pas trop ma tasse de thé, entre son amour
pour les animaux abandonnés et son mari
Front National.
Louis Elle est magnifique dans Le Mépris.
Vous ne vous souvenez pas de la séquence
où elle demande s’il les aime ses fesses ? Attendez, on doit trouver cela sur internet. Voilà.
Ils regardent sur l’écran de son smartphone la scène
mythique où Bardot apparaît nue.
Cette scène n’est pas dans le scénario
d’origine. Godard l’a rajouté car les producteurs américains voulaient absolument voir
Bardot nue. Pour se foutre d’eux - attention
pas d’elle ! - il l’expose comme un morceau
de viande magnifique. Le désir du boucher
capitaliste !
Elle rie.
Marthe Mon père est boucher.
Louis Je n’ai rien contre les bouchers.
Marthe Vous êtes communistes ? Comparer
la boucherie au capitalisme, c’est un peu
caricatural.
Louis Caricatural, je ne sais pas. Lyrique,
peut-être.
Marthe Mon père était boucher.
Louis Il s’est reconverti ?
Marthe Il a été retrouvé pendu à un croc de
boucher dans son garage après la fermeture
de son magasin.
Louis Je suis confus.
Silence. Temps.
Louis Qu’est-ce que vous comptez faire avec
cette pile de livres ? Vous n’alliez pas faire
une bêtise ?
Marthe Pardon ?
Elle rie encore.
Se pendre sur son lieu de travail pour protester contre sa dure vie de labeur ? Dénoncer l’injustice d’une pauvre petite employée
passionnée par son métier de libraire, détruite
par la machine capitaliste ? Non, ce n’est pas
pour moi. Je serais plus radicale.
Elle lui souffle à l’oreille :
Je tournerais terroriste. Je me pointerais chez
les actionnaires avec une ceinture d’explosifs.
Là, ça aurait de la gueule !
Louis Dans les deux cas, vous finiriez morte.
Ce serait dommage. Nous nous connaissons
à peine.
La lumière au-dessus d’eux s’éteint. Ils ne sont plus
éclairés que par la lumière du magasin au lointain. Silence.
Marthe J’ai emporté des livres car je voulais
les protéger.
Louis Vous croyez qu’ils vont les brûler ?
Marthe Ils en seraient capables. Regardezles. On dirait des bêtes. Leur dignité vendue
pour des prix cassés. Ils se battent comme
des chiens pour un vulgaire 50%. Comment
voulez-vous qu’ils aient envie de lire des
romans ? Je vais les cacher. Tout à l’heure,
je suis sortie fumer une clope. Je n’avais
même pas allumé ma cigarette que des gens
m’ont sauté dessus en me demandant de leur
mettre des Ipad de côté : « Achetez-en un
pour vous, et je vous le rachète ! ». J’ai refusé
et je me suis faite insultée. Il y en a un qui m’a
balancé : « Vous devriez être contents, on
rachète vos indemnités ».
Silence. Temps.
Louis Vous pensez que cela va durer longtemps ?
Marthe Vous vous ennuyez déjà avec moi !
Elle rie.
Rassurez-vous, les stocks ne sont pas inépuisables.
Louis Je ne m’ennuie pas mais quitte à être
avec une très jolie femme dans un espace
obscure, je préfèrerais être autre part.
Marthe Dans une salle de cinéma ?
Louis Ce n’était pas ce à quoi je pensais.
Ils rient.
Marthe Le Mépris, séquence 38, intérieur nuit,
une femme nue allongée sur un lit. Ils viennent
de faire l’amour. Un homme la contemple.
L’acteur ressemble à Piccoli. La femme pas du
tout à Bardot.
Louis, avec son Smartphone, éclaire le corps de Marthe
comme si c’était une caméra qui faisait un travelling.
Marthe est toujours avec sa pile de livres dans les bras.
Travelling sur le corps de la femme qui se
cache derrière une pile de livres.
Marthe, amusée Bravo ! La littérature comme
cache sexe !
Louis, regardant dans sa pile de livres Au contraire,
le livre comme multiplicateur du désir, loin
des soldes virtuelles des rencontres sans
lendemain.com, de pilules bleues capables
de développer vos facultés physiques et vous
transformer en monstres pornographiques.
L’image de ce qu’il filme avec son Smartphone est diffusée
sur le décor. On voit les livres en gros plan. Jeu de cachecache entre elle et lui avec les livres. Apparaît alors Cet
absent-là de Camille Laurens ? En voix-off, on entend un
texte de Cet absent-là de Camille Laurens ?
Marthe Dit par elle ?
Louis Oui.
Marthe lit « L’objet aimé - l’objet, c’est à dire
l’obstacle, ce qui stoppe la course négligente
des yeux, ce qui est littéralement jeté par là
pour capter le regard - l’objet aimé apparaît
comme Dieu dans l’Ancien Testament, nimbé
d’une lumière glorieuse, inconnue. L’éblouissement est aussi un ébahissement : on n’a
jamais vu ça. Puis le regard accommode,
l’apparition prend forme et se fait apparence,
l’auréole floue devient découpe folle, on n’a
plus d’yeux que pour elle. (…) »
Elle lui donne le livre.
Non par lui.
Louis lit « Il y a pour moi une sorte de parenté
intime entre la photographie et l’expérience de
l’amour - en tous cas dans l’art du portrait. Il
faut de l’amour pour saisir un visage, l’amour
est ce qui rend visible. Et qu’est-ce qui nous
intéresse, à part être sous le regard ? Qu’estce qui nous blesse, sinon la transparence où
nous sommes laissés ? Rien ne nous manque
jamais que la foi des visionnaires et le don
du visage : si nous pouvions seulement, ne
serait-ce qu’une fois, céder au mystère de
l’apparition- si nous pouvions oser ce geste
mystique et fou : croire nos yeux. »
Ensemble, elle et lui.
Marthe et Louis lisent ensemble « Qu’est-ce
qu’être aimé, dis-le moi, sinon apparaître- je suis
là, regarde-moi-, apparaître, oui, être à part. »
Louis a posé son Smartphone sur le livre pour embrasser
Marthe. Ils ne sont éclairés que par la boucle vidéo qui
doit laisser apparaître leur silhouette. Transformer la
boucle en fichier vidéo préenregistré autour de mots écrits.
Leurs corps enlacés, un vrai moment.
Marthe, murmurant dans les bras de Louis Le texte
ensemble, je crois que c’est trop.
Création les 4 et 5 février 2014
Théâtre de l’Onde, Vélizy-Villacoublay
Les 7, 8, 9 février 2014
Théâtre Jean Vilar, Vitry-sur-Seine
Les 27 et 28 février 2014
Théâtre Jean Vilar, Montpellier
Production
Compagnie Adesso e sempre / Julien Bouffier
Administratrice-production Nathalie Carcenac
42 rue Adam de Craponne 34000 Montpellier
www.adessoesempre.com
Adesso e sempre
La Compagnie est subventionnée par le Ministère de la Culture / Drac LanguedocRoussillon au titre des compagnies conventionnées, la Région Languedoc-Roussillon, Montpellier Agglomération, la Ville de Montpellier.
La Spedidam est une société de perception et de distribution qui gère les droits
des artistes interprètes en matière d’enregistrement, de diffusion et de réutilisation
des prestations enregistrées.
Conception Christophe Caffier . Photos Marc Ginot, DR . DESSIn Emmanuelle Debeusscher
Coproduction
Théâtre Jean Vilar, Vitry-sur-Seine
Théâtre de l’Onde, Vélizy-Villacoublay
Théâtre Jean Vilar de la Ville de Montpellier
Contact diffusion
Anne-Lise Ourmières
06 74 59 44 49
[email protected]
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