Dans cette société de l’écran dans laquelle
nous vivons, l’omniprésence de l’image n’est
plus à démontrer. C’est cette pollution vi-
suelle, tout à la fois constructrice d’imaginaire
et imposant un formatage des pensées, que
nous développerons dans l’utilisation de la
vidéo. La projection d’images se perdra dans
l’espace ou sera contenue dans les cadres
réalistes des moniteurs, téléviseurs. Une
image donc presque absente au commen-
cement, une tache qui empiétera petit à petit
sur l’espace du couple. D’abord fantomatique
comme un palimpseste sur les murs noirs de
leur appartement, les projections écraseront
les acteurs lors du dernier mouvement avec le
grand rectangle de l’écran de cinéma.
Il y aura plusieurs statuts d’images : celles
prises en temps réel par plusieurs caméras
sur le plateau dont les personnages n’auront
pas conscience et celles avec lesquelles ils
joueront. Marthe et Louis seront toujours sous
surveillance, entre le mégastore culturel, leur
appartement ou la demeure de l’industriel.
Les vidéos réalisées au préalable montre-
ront le lm de Louis sur son adaptation du
Misanthrope et celles-ci seront diffusées, au
contraire des images prises en temps réel,
dans le format dans lequel elles ont été tour-
nées.
Le texte est construit en cinq mouvements
qui se terminent chacun par une chanson à
la façon des textes classiques grecs mais au
lieu d’être un résumé de ce qui vient de se
produire, ces chansons sont les gros plans
d’une parole intime. Marthe, qui ne se conera
jamais aux autres personnages, le fait ici en
chanson, à travers l’écriture de Camille Lau-
rens. Ce sont des textes empruntés à Ni toi ni
moi et à Cet absent-là. Camille Laurens tente
de percevoir de quoi se nourrit le désamour.
Ni toi ni moi peut être considéré comme une
enquête sur le désamour dont le point de
vue, celui qui n’est plus aimé, est une femme
(l’inverse du Mépris). J’ai coné ces extraits
à trois compositeurs de chansons issus de la
pop, de la chanson française et de l’électro-
nique (Dimoné, Franck Rabeyrolles et Jean-
Christophe Sirven). Nous avons déjà colla-
boré plusieurs fois avec Dimoné (Le Début
de l’A de Pascal Rambert, Perlino Comment
de Fabrice Melquiot, Hiroshima mon amour
de Marguerite Duras) et Jean-Christophe Sir-
ven (Perlino Comment, Forget Marilyn). Ces
chansons seront ensuite déclinées par un
partenaire récurrent pour la création musicale
de la compagnie, Éric Guennou, responsable
de la matière sonore du spectacle. Il écrira lui-
même la musique qui soutiendra l’approche
sensible de notre spectacle.
Élément fondamental de notre identité artis-
tique, la musique, encore plus pour ce spec-
tacle lié au cinéma, tiendra le même rôle
qu’une bande originale de lm.
Trois personnages comme trois désirs qui se
croisent et se nourrissent les uns les autres.
Cet appétit insatiable sera aussi leur tombeau.
Marthe rêve d’habiter dans un endroit qui lui
appartiendrait au risque de s’y perdre. C’est la
première qui se réveillera de cet univers d’il-
lusions. Peut-être parce que c’est la première
qui perd son travail et qui se retrouve seule
face à elle-même. Louis voudrait s’affranchir
de cette société du désir en écrivant mais se
trouve foudroyé par la beauté de Marthe et sa
fascination pour le cinéma. L’écriture devient
alors non plus un travail émancipateur mais le
moyen de se noyer dans ses désirs. thoMas,
depuis longtemps ne se reconnaît plus dans
son rôle d’industriel. Il aspire à être quelqu’un
d’autre. Il s’autoproclame producteur de ci-
néma pour être acteur des fantasmes collec-
tifs de la société. Son changement de statut
le fragilisera, trop pressé de quitter son rôle
de constructeur d’habitat. Son passage de la
pierre au virtuel ouvre devant lui un gouffre.
Les lieux de Le jour où j’ai acheté ton mépris
au Virgin Megastore sont des espaces inha-
bitables. Ils n’existent que par leur capacité à
produire du désir. Entre le supermarché cultu-
rel, la demeure de l’industriel au jardin virtuel,
le plateau de tournage et la salle de cinéma,
les personnages errent. Ils n’habitent pas hor-
mis l’appartement qu’ils acquièrent. Leur ap-
partement, ce logis si souhaité, devait être le
repaire (repère) de Marthe et de Louis mais il
se referme sur eux comme un piège, comme
si l’inscription de leurs aspirations dans le réel
des autres était impossible. Marthe et Louis
se retrouvent toujours à la marge, jamais in-
tégrés au désir collectif. Ils sont à côté du tu-
multe dans la première séquence et c’est cette
«marge» qui accueillera leur relation. Chez
l’industriel, ils ne pénétreront jamais dans sa
maison, dans l’édice de son pouvoir. Leur dé-
sir de propriétaire se contentera d’un apparte-
ment à l’entresol. Ils resteront hors-champ de
la vie qu’ils projetaient. Ils la regarderont par la
fenêtre. Le cinéma est la porte d’accès à leur
désir et ils ne feront qu’assister à sa création.
Le cadre du cinémascope est alors trop grand
pour eux, si ouvert qu’ils s’y perdent. L’écran
de projection nal consume la présence, l’hu-
manité, et Louis seul face à l’écran ressemble
au papillon assuré de nir brûlé par l’ampoule
du projecteur.
A l’aide de murs mouvants, la scénographie
dévoilera ces différents espaces entre réa-
lisme de leur intérieur et graphisme plus abs-
trait des «marges» dans lesquelles évoluent
nos protagonistes. L’écran de cinéma du der-
nier tableau sera constitué des restes des es-
paces précédents.
Les personnages
TRAVAILLER À DÉSIRER OU
DÉSIRER TRAVAILLER
L’espace
UN DÉSIR INHABITABLE
La Musique
PENSÉE INTIME,
FORMALISME THÉÂTRAL ET
RÊVERIE CINÉMATOGRAPHIQUE
La vidéo
L’IMAGE FANTÔME