24 novembre messe de sainte Geneviève avec la Région de

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Sainte Geneviève 2016
A la manière de Jésus qui vit sur les routes, qui
passe chez les personnes qui l’accueillent, vous,
gendarmes, mais aussi policiers, vous vivez quelque chose
des paroles entendues il y a un instant.
« Jésus entra dans un village. Une femme nommée Marthe
le reçut dans sa maison ».
Du fait de vos missions, vous êtes appelés à entrer dans la
maison des gens, au sens très concret de cela, mais appelés
aussi à entrer dans la vie des gens.
Bien entendu, la loi appelle au respect de la vie privée,
mais, lorsqu’intervient une circonstance particulière,
parfois un délit, un crime, vous devez entrer ou bien chez
des victimes ou bien chez des personnes suspectes.
Parfois en frappant à la porte, d’autres fois en forçant cette
porte ; ici, je parle de « porte » dans tous les sens de ce
mot, c’est la porte de la maison, mais aussi la porte
numérique, celle qui donne accès à l’ordinateur de telle ou
telle personne.
Alors que l’on dit souvent que les gens vivent de plus en
plus isolés les uns des autres, vos métiers vous permettent
de découvrir la vie de beaucoup, jusque dans leur intimité,
voire leurs secrets.
Pour autant, vous mesurez que si la loi vous enjoint ces
attitudes, importe la manière de vivre cela.
La délicatesse, le respect, contribuent ou pas à la dignité
de chacun, à la vôtre aussi.
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Dans ce sens, le verbe qui revient plusieurs fois dans
l’Evangile de cette rencontre avec les deux sœurs, Marthe
et Marie, constitue bien un appel pour vous tous, pour moi
aussi, ce verbe c’est « écouter ».
« Marthe avait une sœur appelée Marie qui, s’étant assise
aux pieds du Seigneur, écoutait sa parole ».
Enquêter, prendre en compte des situations aussi diverses
les unes que les autres, demande que vous développiez
cette faculté : « écouter ».
On le sait bien, écouter c’est plus qu’entendre ; de même
que regarder c’est plus que voir.
Ici, même si les sens sont nécessaires, ils ne sont pas
suffisants.
Il faut souvent aller au-delà des paroles qui sont
prononcées, ou des gestes accomplis, pour percevoir ce
qui n’est pas dit, mais qui est souvent l’essentiel.
Soit que la personne cache la vérité de faits et de
comportements, soit, et c’est plus souvent le cas, que ce
n’est jamais simple de dire des choses qui concernent
l’intimité, d’exprimer les sentiments qui habitent le cœur.
L’attitude de Marie montre que ceci demande qui nous ne
projetions pas nos attentes sur ce qu’une personne nous
dit.
Ceci demande aussi du temps ; en effet, il faut souvent
parler d’abord, en pendant longtemps, de la pluie et du
beau temps, avant que les choses les plus sérieuses arrivent
à la parole.
Vous nous dites justement que, le temps, c’est souvent ce
qui vous fait défaut.
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Les missions s’ajoutent les unes aux autres ; les attaques
terroristes qui ont frappé le pays ajoutent des charges
nouvelles ; le bon exercice de vos missions peut s’en
ressentir.
Vous savez que la population a bien conscience de tout
cela, elle vous sait gréée de vos engagements, vécus dans
des conditions exigeantes, souvent dangereuses.
Tout ceci est aussi éprouvant à vivre, pour vous, des
hommes et des femmes qui pouvez être atteints par les
situations rencontrées : violences, souffrances, détresses
morales et physiques.
Certainement que l’on doit peiner parfois à laisser cela au
casernement, à faire que rien n’empiète sur la vie
personnelle et la vie de famille.
Vos concitoyens ont conscience de la difficulté de vos
métiers, comme aussi de ce qui vous motive : le service
des autres, celui de l’Etat, la promotion d’une société
meilleure pour chacun.
J’ai lu un témoignage de ces situations dans un des livres
publiés en septembre, un livre qui a reçu le prix Médicis.
Il s’agit du livre d’Yvan Jablonka intitulé Laëtitia (La
librairie du XXIe siècle, Seuil, 2016).
Ce livre – peut-être certains d’entre vous l’ont-ils lu ? –
suit pas à pas l’enquête qui suivit le meurtre de Laëtitia
Perrais, à Pornic, en 2011.
L’auteur, plutôt que de s’intéresser à l’assassin, Tony
Meilhon, veut rendre justice à la jeune-fille assassinée et à
ceux qui conduisirent l’enquête.
Je termine en lisant quelques passages de ce livre.
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Bien entendu il s’agit d’une affaire exceptionnelle, mais
elle peut exprimer quelque chose de votre travail et de
votre vie.
C’est François Touchais qui dirigeait l’enquête concernant
la mort de Laëtitia, il se souvient : « Ce sont de très grosses
journées, de très grosses semaines, très intenses. Moi, je
répartis le boulot. Il y a plusieurs ateliers, avec des
responsables pour chaque atelier. Est-ce qu’il y a un acte
de complicité ou pas ? […]
La photo de Laëtitia est accrochée au mur de la cellule
d’enquête. Cette photo, c’est le fil conducteur, le lien. Il ne
faut pas qu’il y ait un seul jour où les gars se demandant
ce qu’ils font là […]. On ne dort pas beaucoup. Le peu de
temps qu’on a pour se reposer, on continue d’y penser. Le
soir, dans notre mobil-home, on en parle et, quand on se
couche, on y pense encore » p. 106-107.
« A la division ‘’Atteinte aux personnes’’ de la Section de
Recherche d’Angers, Frantz Touchais et ses collègues ne
s’arrêtèrent pas beaucoup. Leur quotidien, ce sont les
viols, les enlèvements d’enfants, les tentatives
d’assassinat, les meurtres. Bien sûr, cela crée un hiatus
avec la vie de famille. Quand on rentre à la maison après
des mois de travail, entre épuisement, visions d’horreur et
sentiment du devoir accompli, on retrouve le menu tracas
de la vie quotidienne. On s’en occupe, parce que c’est la
vie, mais on a envie de dire à sa femme : ‘’Te plains pas,
les tiens ils sont au lit et ils dorment.’’ Pourtant, en
l’absence de mari, ce sont bien les épouses qui font tenir
la famille. Elles acceptent de partager leur homme avec la
cause » p.362-363.
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« L’Etat n’est pas un monstre patriarcal sexiste. Tout au
long de l’enquête, des hommes comme Martinot,
Desaunettes, Ronsin et Touchais ont été mus par la passion
de la vérité. Celle-ci ne s’est pas manifestée par des
imprécations ou des injures, mais par un raisonnement
encadré par les règles de l’Etat de droit.
Tout comme Ronsin s’efface devant la loi, Touchais est un
homme de l’ombre ; Martinot peut passer des journées à
lire des rapports et à répondre au téléphone. Tous estiment
n’avoir fait que leur devoir. Je ne crois pas qu’ils aient
jamais été remerciés pour la dignité qu’ils ont rendue à
Laëtitia » p.335.
Gendarmes, policiers, la population peut souvent être
exigeante ; vous savez cependant qu’elle sait ce qu’elle
vous doit.
Alors, merci.
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