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La première fois que j’ai rencontré Sabine Bernert, c’était
à Paris en février 2007. Elle faisait partie de ceux qui
m’attendaient à la fin d’une de mes conférences, pour se
faire dédicacer l’un de mes livres. Elle m’avait apporté un petit
livre de photographies qu’elle avait prises alors qu’elle visitait un
de nos sanctuaires de chimpanzés orphelins, le « Jane Goodall
Institute Chimpanzee Eden », en Afrique du Sud. J’ai vu au
premier coup d’œil son intérêt profond pour les sujets qu’elle
photographiait. Ce jour-là, hélas, nous n’avons pas eu le temps
de nous parler, de nombreuses personnes se pressaient autour
de moi. Dans la dédicace de mon livre Les Chimpanzés et moi que
je lui remettais, je me souviens avoir écrit « Follow your heart »
(Suivez votre cœur). Et c’est exactement ce que Sabine a fait.
Une année plus tard, nous nous sommes revues. Sabine avait
rejoint entre-temps l’Institut Jane Goodall en France. Elle en était
devenue un membre très actif, convaincue qu’il était capital de
sensibiliser les Français à la situation dramatique des chimpanzés
vivant à l’état sauvage. L’Institut Jane Goodall France avait
organisé une exposition saisissante d’une vingtaine de ses
photographies de chimpanzés orphelins prises à Chimpanzee
Eden. Les photos étaient exposées sur la façade du Conseil
régional d’Île-de-France, en plein Paris, et j’ai pu observer de
très nombreux passants fixer ses immenses portraits, surpris par
la similitude évidente entre les hommes et les chimpanzés, nos
plus proches cousins. Les portraits s’accompagnaient d’un court
texte relatant les histoires tragiques de ces primates.
Aujourd’hui, dans le cadre de son engagement pour défendre
la vie sauvage en Afrique et de par le monde, Sabine Bernert
nous propose ce magnifique ouvrage, Rencontres Africaines. Dans
sa propre vie, Sabine a été inspirée par des personnalités qu’elle
a rencontrées qui ont toutes dédié leur vie à la protection des
espèces en voie d’extinction. Elle a donc décidé de nous faire
partager ses expériences, avec l’espoir d’éveiller la conscience
des lecteurs sur la situation critique de ces animaux. Elle nous
montre que chacun d’entre nous a un rôle à jouer pour préserver
la vie et les espaces sauvages de notre planète, avant qu’il ne soit
trop tard.
Je souhaite vous faire partager une histoire qui me tient
particulièrement à cœur sur un chimpanzé nommé JoJo. Né en
Préface
par Jane Goodall
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Afrique, sa mère fut abattue par des braconniers alors qu’il avait
à peine deux ans en effet, on ne peut capturer un petit qu’en
tuant sa mère. JoJo fut alors envoyé dans un zoo en Amérique
du Nord où, pendant plus de dix ans, il vécut seul dans une petite
cage. Puis un nouveau directeur parvint à collecter suffisamment
de fonds pour construire un grand enclos entouré d’un fossé
empli d’eau. Il constitua un groupe de 20 chimpanzés, auquel fut
intégré JoJo. Après avoir été présentés les uns aux autres, les
chimpanzés furent laissés seuls. Tout avait l’air de bien se passer,
jusqu’à ce qu’un mâle défie JoJo avec une grande démonstration
de force. JoJo, terrifié, escalada la clôture destinée à empêcher
les chimpanzés de se noyer dans l’eau profonde du fossé, et
se jeta dans l’eau pour échapper à son agresseur. Mais JoJo,
comme tous les chimpanzés, ne savait pas nager. Par trois fois,
il refit surface, suffoquant pour retrouver sa respiration, puis il
coula comme une pierre.
Ayant assisté à la scène, un des visiteurs du zoo, Rick Swope,
se précipita à son secours, pourtant prévenu que les chimpanzés
mâles sont plus forts que les hommes et potentiellement dangereux.
Il parvint à glisser les 60 kilos du corps inerte de JoJo sur ses
épaules, grimpa par dessus la clôture et poussa le chimpanzé à
peine conscient sur la berge de l’enclos. Puis il fit demi-tour pour
rejoindre sa famille, tandis que le public lui hurlait de se dépêcher
car trois mâles adultes s’approchaient, le poil hérissé, pour voir
ce qui se passait... Hélas, au même moment JoJo glissait de
nouveau dans l’eau, la berge était trop raide. Rick, n’écoutant
que son courage, retourna vers l’enclos, ignorant les mâles qui
approchaient et les hurlements des gens, et parvint à repousser
JoJo sur le sol plat avant d’escalader à nouveau la clôture pour
se mettre hors de danger. Quand on lui demanda pourquoi il
avait risqué sa vie pour sauver ce chimpanzé, il répondit : « Je
l’ai regardé droit dans les yeux et c’était comme regarder dans les
yeux d’un homme, le message était : n’y aura-t-il donc personne
pour m’aider ? »
Cet appel à l’aide résonne partout autour de nous, pour autant
que nous ouvrions nos yeux et nos cœurs. Dans Rencontres
Africaines, vous pouvez, au travers du regard de Sabine, plonger
dans les yeux de Sally la jeune femelle chimpanzé, de CP le
guépard ou de Nelson le vautour fauve. Dans tous ces regards,
il y a un message silencieux, un appel à l’aide. Ces animaux
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sont des représentants d’espèces menacées et sans notre aide,
ils disparaîtront de la planète pour toujours, comme le Dodo,
cet oiseau coureur endémique de l’île Maurice qui s’est éteint à
la fin du XVIIe siècle. L’implacable croissance de la population
humaine et l’exploitation de nos ressources naturelles entraînent
la diminution des espaces sauvages et l’accroissement du nombre
d’espèces en voie d’extinction.
Le seul espoir pour la vie sauvage sur la Terre est que nous
nous impliquions tous pour freiner ce processus. Par chance, je
rencontre partout des gens qui ont perçu, comme Rick, cet appel
à l’aide et qui apportent chacun leur pierre à l’édifice. Bien sûr, la
plupart d’entre nous n’ont pas la possibilité ou les qualifications
pour dédier sa vie à plein temps à la protection de la vie sauvage,
comme le font les personnages présentés dans cet ouvrage. Mais
chacun d’entre nous peut jouer un rôle et contribuer à éveiller
les consciences. Sabine le fait au travers de ses écrits et de ses
photographies, en incitant d’autres personnes à s’impliquer.
D’autres aident en collectant des fonds, en donnant de leur
temps comme bénévole, ou en travaillant avec des enfants (par
exemple en participant à des programmes tels que Roots & Shoots
Racines et Bourgeons –, développé par l’Institut Jane Goodall).
Et nous pouvons tous faire la différence en changeant notre style
de vie afin de ne laisser que la plus légère empreinte écologique
possible, en menant une vie plus en accord avec les préceptes
du développement durable. Ce n’est que lorsque chacun se sera
impliqué que nous pourrons espérer préserver la vie sur terre,
telle que nous la connaissons, pour les générations futures. C’est
à nous, à vous et à moi, que revient cette décision.
Alors merci Sabine pour ce livre, pour ces images merveilleuses,
pour ce message qui tombe à point nommé. Puisse-t-il toucher
le cœur de ceux qui le liront et leur inspirer une nouvelle
détermination pour jouer leur rôle et faire la différence.
Jane Goodall
PhD, DBE
Fondatrice de l’Institut Jane Goodall
Présidente d’honneur de l’Institut Jane Goodall France
Messagère de la Paix des Nations Unies
www.janegoodall.fr
www.rootsandshoots.org
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