- Mais ?
Elle pose son regard sur l'horizon, respire profondément, ne répond pas.
- Pour le goûter, est-ce que ?
- Non.
- Même pas la moitié ?
- Tiens, ton père arrive, il va te raccompagner immédiatement à la maison.
- Bonjour chérie, bonjour les enfants ! s?écrie le mari, encore en tenue de ville. Tenez, j?ai
apporté des choux à la crème pour le goûter ! Tiens Jojo !
- Certainement pas, objecte-t-elle, d?un air souverain.
Le père, étonné, se tourne vers son épouse, puis vers Jojo, la tête baissée.
- Tu vas même raccompagner ce jeune homme à la maison. Il vient de me causer la pire des
frayeurs.
- Que s'est-il passé ? demande-t-il, adoptant un air sévère pour la circonstance.
- Vois-tu, notre fille s?est noyée.
- Que? que dis-tu ?
- Oui, tu vois, ce n?est pas drôle, n?est-ce pas, c?est exactement comme ça qu'il me l'a dit :
Jeannine s'est noyée, il m'a dit ça comme si de rien n'était, sans s'affoler ! J'étais en train de
lire, il me dérange, Jeannine est noyée et voilà !
- Euh ? mais Jeannine ?
Le père balaie alors la plage du regard. Quand il voit l'enfant patauger dans l'eau comme un
crabe, il esquisse un sourire de satisfaction.
- Très très bien, on ne peut mieux.
- Jojo, pourquoi as-tu dit ça à ta mère ? fait le père en attrapant son fils par les épaules et en
fronçant les sourcils.
- Mais parce que Jeannine n'était plus sur la plage, j'ai pensé qu'elle s'était noyée.
- Dis-moi Jojo, avant de « penser » qu'elle s'était noyée, n'as-tu pas envisagé d?autres
possibilités expliquant le fait qu'elle n'était plus là ?
- Ben, non, maman nous dit toujours qu'il faut faire attention à ne pas se noyer. L'autre jour,
maman nous a raconté l'histoire d'un petit garçon qui avait disparu de la plage, et qui s'était
noyé ?
- Tu n'as pas fait ça pour t'amuser au moins !
L'enfant le dévisage avec des yeux interrogatifs. La mère intervient :
- Ce qui me choque, Alfred, ce n'est pas qu'il ait voulu plaisanter, parce que ça, au moins, c'est
humain. Non, ce qui m'indigne le plus, c'est la façon dont il me dit ça, très calme, comme si sa
sœur ne comptait pas pour lui ! Il aurait eu plus de peine s'il avait perdu son ours en peluche !
Quelle famille ! Il n'aime pas sa sœur ! Tu te rends compte ! Je t'ai déjà dit que tu le gâtais
trop !
Le père, contrarié, s'adresse à son fils, solennel :
- mais, tu as dû avoir peur, que Jeanine ?
- Ben non, tant pis, sinon, j'aurais joué tout seul. Mais je préférais qu'elle soit là, pour que
maman lui dise de revenir ? Mais je voulais la prévenir ?
- Mais d'où ? Fait le père, interloqué ?
- Ben, de la noyade.
- De la noyade ?
- Ben oui ! Jojo montre du doigt les enfants qui se baignent. Eux aussi ils sont à la noyade !
Le père abandonne son air fâché, et regarde sa femme :
- Sait-il ce que signifie « se noyer » ?
La mère réalise alors que son enfant est trop jeune pour comprendre ce qu?est la mort. Elle
relève sa chaise, reprend son roman, en le secouant, retrouve sa page, et dit à Jojo : « ton chou