Prise en charge
de la constipation
de lenfant :
le point de vue du chirurgien
Claude Louis-Borrione, Géraldine Hery, Mirna Haddad
Département de chirurgie pédiatrique, Hôpital Timone Enfants, 365 Rue St Pierre,
13385 Marseille
La constipation de lenfant est très fréquente, souvent associée à des fuites
fécales, appelées à tord « encoprésie ». Le terme dincontinence fécale fonction-
nelle (IFF) semble mieux adapté. La constipation de lenfant est le plus souvent
dorigine fonctionnelle et aucun examen complémentaire nest nécessaire.
Linterrogatoire et lexamen clinique suffisent dans la très grande majorité des
cas. Lincontinence fécale fonctionnelle doit être reconnue et une prise en
charge adape permet déviter les récidives.
Mots clés : constipation, encoprésie, incontinence fécale fonctionnelle
La constipation de lenfant est très
fréquente et représente un véri-
table problème de santé publique à
léchelle mondiale. Elle est souvent
associée à des fuites fécales, appelées
à tort encoprésie. Le terme dinconti-
nence fécale fonctionnelle (IFF)
semble mieux adapté. Ces troubles
sont dans la très grande majorité des
cas dorigine fonctionnelle. Mais les
causes organiques ne doivent pas
être méconnues.
La constipation présente une
grande variabilité dans sa symptoma-
tologie et donc parfois une certaine
difficulté de la reconnaître.
La définition de moins de 3 selles
par semaine ne doit plus avoir cours.
On retiendra plutôt celle d«émis-
sion difficile voire douloureuse de sel-
les trop rares ou trop dures. »
10 % des enfants consultent pour
ce motif et 10 % pour une symptoma-
tologie dérivée, sans être conscients
du trouble réel.
Circonstances
de découverte
La constipation est constatée car
elle occasionne une symptomatologie
douloureuse ou bruyante :
douleurs abdominales récidi-
vantes ;
douleurs anales lors de lexoné-
ration ;
prolapsus muqueux ;
rectorragies.
La constipation est non diagnosti-
quée et la symptomatologie est mal
interprétée :
fuites fécales chez le grand
enfant ou selles émis que debout ou
dans une couche chez un enfant de
plus de 4 ans ;
diarrhées fréquentes ;
infections urinaires à répétition
sans fièvre ;
énurésie ou fuites diurnes ;
vulvovaginites à répétition ;
retard staturo-pondéral.
m
t
p
Tirés à part : C. Louis-Borrione
doi: 10.1684/mtp.2009.0205
mt pédiatrie, vol. 12, n° 1, janvier-février 2009
Dossier
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Clinique
Linterrogatoire de la mère et de lenfant :
âge de début de la constipation, souvent sous-estimé ;
période néonatale : méconium, type dallaitement,
exonération de lenfant (type de poussée, stimulation
anale, traitements prescrits) ;
âge dacquisition de la propreté et déroulement de
cet apprentissage ;
antécédents familiaux ;
habitudes nutritionnelles et dhydratation de len-
fant (apport insuffisant en fibres alimentaires et trop riche
en hydrates de carbone. Hydratation pauvre en eau. Trop
de lait) ;
état de sudation (non compensé) ;
symptomatologie urinaire ou respiratoire ;
comportement défécatoire :
lieu, installation, horaires,
durée, fréquence, consistance, alternance avec des
diarrhées,
signes daccompagnement : douleurs, rectorragies,
prolapsus, tâches ou selles dans la culotte ;
tentatives thérapeutiques ;
vécu de la symptomatologie par lenfant et sa famille.
Lexamen clinique
Retentissement pondéral (hypotrophie ou obésité) ;
Inspection abdominale (météorisme, circulation
collatérale) ;
Palpation abdominale (FIG +++ et FID) recherche
de fécalome ou dune corde colique, recherche dun tym-
panisme.
Examen périnéal +++ :
position de lanus (équidistance entre le scrotum ou
la fourchette vulvaire et la pointe du coccyx),
existence dune fossette cutanée pré-sacrée,
anatomie de lanus : déplisser doucement la marge
anale et rechercher : parasitose, fissure(s)anale(s) ou péri-
néales, inflammation, dilatations veineuses, béance anale
spontanée,
toucher rectal en prévenant lenfant de cet acte et
en lui expliquant son but (à éviter si fissure),
perméabilité du canal anal et du bas rectum,
tonicité sphinctérienne,
rectocèle postérieure,
présence dun fécalome,
permet déliminer une tumeur antérieure ou posté-
rieure responsable dune compression,
étude de la poussée, de la contraction et du relâ-
chement sphinctérien.
Examens complémentaires
Les examens complémentaires sont inutiles dans la
plupart des cas.
Toujours prescrits après initialisation du traitement
et guidés par la clinique ; ils permettent :
dapprécier la surcharge stercorale ;
de rechercher une cause organique ;
détudier la motricité colique et anorectale pour
guider la rééducation.
Labdomen sans préparation :
couché de face ;
intérêt chez lenfant obèse ;
évaluation de la surcharge stercorale ;
répartition des matières dans le colon ;
malposition éventuelle.
La radiologie du sacrum de face et de profil : inté-
grité des pièces sacrées.
IRM médullaire : situation de la moelle, lipome.
La manométrie anorectale.
Sondes à ballonnets, atraumatique et indolore. Tou-
jours après évacuation des fécalomes.
Elle permet de rechercher le réflexe recto-anal inhibi-
teur (RRAI), qui correspond à la relaxation du sphincter
interne en réponse à une dilatation rectale. Elle est suivie
dune contraction du sphincter externe.
Seront également étudiés :
la pression de clôture du canal anal ;
le seuil de sensibilité rectale consciente ;
la capacité rectale.
Chez le constipé chronique, le volume de distension
pour obtenir le réflexe est nettement supérieur à la nor-
male et peuvent survenir des réactions antagonistes avec
apparition dune hypercontraction du sphincter interne et
une relaxation partielle du sphincter externe = véritable
obstacle fonctionnel => formation de fécalomes puis pas-
sage des selles sus-jacentes liquides (IA) = dyssynergie
recto sphinctérienne lisse.
Parfois, on peut constater au niveau de la marge anale
des contractions réflexes amples et répétitives lors des dis-
tensions rectales = anisme ou dyssynergie recto sphincté-
rienne striée.
Cette dyssynergie se traduit cliniquement par une sen-
sation de besoin avec impossibilité dévacuation, voire
avec impression deffet « ascenseur ».
Les dyssynergies sont responsables dune constipation
terminale.
La défécographie
Elle doit être réservée aux constipations sévères résis-
tantes aux traitements conventionnels.
Elle permet détudier les modifications géométriques
du rectum et de lanus au cours de la défécation volon-
taire.
Ouverture de langle recto-anal lors de la poussée et
fermeture lors des contractions de la musculature péri-
néale.
Elle peut être utile dans la perspective dune rééduca-
tion.
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Les biopsies rectales
En cas de suspicion de maladie de Hirschsprung, cli-
nique ou RRAI absent.
Rectoscopie
Suspicion de polype ou de lésions inflammatoires.
Temps de transit des marqueurs radio opaques
Peu utilisé chez lenfant, il permet de distinguer les
constipations terminales des constipations coliques glo-
bales.
Approche comportementale
Prudente, si possible pas lors de la première consul-
tation qui doit rester très médicale, sauf si la famille
aborde franchement le problème, dautant quil est fré-
quent que lenfant ait déjà un long vécu de consultations
de pédopsychiatrie.
Recherche dun facteur déclenchant : mise sur le
pot forcée, rentrée au CP, décès ou maladie dans lentou-
rage, naissance, déménagement.
Attention de ne pas sarrêter à ce simple fait.
Qualité des WC à lécole, cantine.
Attitude de la famille vis-à-vis du trouble (IA en par-
ticulier).
Étiologies
Constipations secondaires
Causes métaboliques ou médicamenteuses
Hypercalcémie, hypothyroïdie.
Mucoviscidose.
Maladie cœliaque (10 %).
Anticonvulsivants, fer, codéine.
Allaitement maternel (15 %) : lait trop riche en
caséine, mais elle doit être respectée.
Allergies alimentaires
Il faut savoir les rechercher, tout particulièrement chez
les enfants atopiques.
Causes locales évidentes
Parasitose : oxyurose.
Infectieuse : anite streptococcique (A).
Lichen scléroatrophique.
Ce type de pathologies, par les fissures anales quelles
engendrent, est une cause de constipation rétentionnelle.
Les douleurs lors des exonérations et les rectorragies sont
quasi constantes.
Causes organiques (rares et qui imposent une correction
chirurgicale)
Maladie de Hirschsprung ou autre dysplasie neuro-
nale intestinale (jamais dincontinence anale).
Malformation anorectale basse, anus antéposé, dia-
phragme muqueux, fistule périnéale (selles rubanées, dif-
ficulté ou impossibilité de mettre un suppositoire).
Anomalie médullaire (troubles urinaires associés,
fossette pré-sacrée).
Il faut penser au syndrome de Currarino, qui est dori-
gine génétique et qui associe une malformation anorec-
tale, parfois minime, à une agénésie sacrée partielle et à
une tumeur pré-sacrée.
Pour ces pathologies, des explorations complémentai-
res sont alors indispensables et guidées par la clinique.
Constipations primitives
Les plus fréquentes, fonctionnelles avec ou sans fuites
fécales. Elles sont communément intégrées dans le cadre
des dyssynergies et accessibles à la rééducation
sphinctéro-anale avec biofeedback.
Lincontinence fécale fonctionnelle
Les fuites fécales sont fréquemment associées à une
constipation de lenfant. Certaines études relèvent que
25 % des enfants constipés présentent une incontinence
fécale.
Cette incontinence fécale se traduit par le passage fré-
quent, souvent quotidien, dune certaine quantité de sel-
les, dures ou liquides dans la culotte durant le jour de
manière involontaire. Ces fuites sont parfois uniquement
nocturnes chez un certain nombre denfant.
Linterrogatoire retrouve souvent un long passé de
constipation. Chez ces enfants les exonérations sponta-
nées sont en général très rares et très espacées.
Les selles sont alors volumineuses : « Docteur, il nous
bouche les cabinets ! ».
Il sagit le plus souvent dun garçon.
La palpation retrouve un fécalome « mou », lanus est
béant, des signes urinaires sont fréquemment associés.
La constipation est parfois méconnue surtout quand
les fuites sont quotidiennes, les enfants sont alors très sou-
vent orientés en première intention vers une consultation
en pédopsychiatrie et sont très souvent régulièrement
réprimandés par leur entourage. La fuite fécale engendrée
par une constipation fonctionnelle nest pas volontaire et
il nest pas surprenant que ces enfants développent à plus
ou moins long terme des troubles anxieux avec une perte
de lestime de soi, un retard scolaire ou des comporte-
ments anti-sociaux.
Des études ont montré une diminution des troubles
comportementaux et une amélioration de lintégration
sociale des enfants qui avaient été traités de leur trouble
sphinctérien.
Prise en charge thérapeutique
Seule la prise en charge des constipations primitives
sera traitée dans cet article.
La prise en charge des troubles sphinctéro-anaux fonc-
tionnels repose sur le respect de la physiologie élémen-
taire de la défécation : hydratation du bol fécal, améliora-
tion de la motricité intestinale et exonération régulière.
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Les recommandations actuelles de la NAPS-GHAN
incluent quatre phases importantes dans le traitement
dune constipation chronique : éducation, désimpaction,
prévention dune réaccumulation de selles et suivi.
Le but du traitement sera clairement expliqué aux parents
mais surtout à lenfant afin de le responsabiliser, dobtenir
son adhésion à une prise en charge qui sera longue.
En préliminaire à toute thérapeutique, il faudra expli-
quer très clairement à lenfant et à sa famille, grâce à des
schémas simples, la physiologie de la défécation et le
trouble qui découle de son dysfonctionnement.
Hydratation du bol fécal et amélioration
de la motricité intestinale : régime alimentaire
La constatation à linterrogatoire de lexistence de sel-
les dures traduit un manque dhydratation, soit par un
défaut dapport deau, soit par une déperdition anormale-
ment exagérée (transpiration excessive surtout nocturne).
Il faudra donc insister sur la nécessité daugmenter la
ration hydrique quotidienne, sans excès. Eau, fruits et
légumes crus devront donc être consommés de façon
plus régulière et en plus grande quantité.
Des laxatifs osmotiques seront prescrits en parallèle en
attendant que les nouvelles habitudes soient bien ancrées.
Il est impossible de fixer un délai de prescription, tout
dépendra du comportement familial à modifier ses habi-
tudes.
La prescription de laxatifs osmotiques sera évitée chez
les enfants qui présentent une incontinence anale car ils
aggravent les fuites fécales.
La motricité intestinale sera nettement améliorée par
lintroduction de fibres. Lapport quotidien recommandé
en fibres alimentaires est de : lâge (en années) + 5 g.
Désimpaction et obtention dexonérations
régulières
Avant toute prescription, il est impératif de désimpac-
ter le rectum de tout fécalome. Cette désimpaction peut
être obtenue par voie orale ou rectale.
Le choix de la voie dadministration dépendra de lâge
de lenfant, du volume du fécalome et de sa consistance
et bien entendu de la collaboration de lenfant et des
parents.
Le traitement dentretien aura pour but de réapprendre
àlenfant à aller à la selle tous les jours. Nous disposons
de suppositoires effervescents très utiles pour initialiser le
réflexe de défécation et non irritants pour le tube digestif.
Parallèlement, de nouvelles habitudes devront être appri-
ses : présentation aux toilettes à heure fixe, après un repas
et mise en place dun réducteur et dun repose-pieds.
Lenfant tiendra un carnet de bord quotidiennement.
En fonction de lâge de lenfant, une rééducation
sphinctéro-anale pourra être prescrite. Une manométrie
anorectale est alors indispensable pour authentifier le
trouble existant. Cette réeducation doit être non traumati-
sante pour lenfant et consiste alors en un apprentissage
de la poussée abdominale avec prise de conscience de la
réponse du sphincter externe en situation de poussée.
Le biofeedback avec mise en place de sonde endorectale
ne nous semble pas être adapté à lenfant.
Dans certaines situations, linjection intrasphincté-
rienne de toxine botulique nous a donné pleinement satis-
faction, en complément des prescriptions habituelles.
Une analyse de nos résultats est en cours.
Dans certaines formes très sévères, la mise en place
temporaire dune cæcostomie continente (Malone) par
lintermédiaire de lappendice ou dun bouton peut être
dune grande utilité.
Le suivi
Le suivi de ces enfants sera très régulier.
Il est indispensable pendant plusieurs mois car les
récidives sont fréquentes. Des études ont montré que
50 % des enfants traités récidivaient au moins une fois
dans les 5 ans qui suivent.
Conclusion
La constipation et la symptomatologie qui en découle
sont une source dangoisse et de mal-être pour lenfant et
sa famille. La constipation de lenfant est le plus souvent
dorigine fonctionnelle et aucun examen complémentaire
nest nécessaire. Linterrogatoire et lexamen clinique suf-
fisent dans la très grande majorité des cas. Lincontinence
fécale fonctionnelle doit être reconnue afin déviter les
errances médicales non appropriées. Une prise en charge
adaptée doit être rapidement instaurée afin déviter les
récidives et surtout la persistance dune constipation à
lâge adulte.
Pour en savoir plus
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