la production ne rattrape pas l’appauvrissement humain qu’à nécessité
son obtention.
N’est-il pas significatif que le premier souci d’une politique économique,
aujourd’hui, ne soit pas de satisfaire des demandes matérielles mais de
créer des emplois. La production, qui était le but du travail est devenue
un moyen d’en fournir. D’où le caractère hagard de la vie contemporaine.
Même les plus atroces débauches de consommation, pour ceux qui
peuvent s’y livrer, ne rendent pas ce qui a été perdu dans la dissociation
complète des moyens et des fins car la consommation laisse inassouvi
un besoin fondamental de l’être humain qui est d’agir, ou du moins d’en
avoir la possibilité.
Il est vrai que selon certains utopistes, les progrès de la technologie et
de l’automatisation pourraient faire régresser le temps de travail
nécessaire dans de telles proportions que l’existence se trouverait
presque entièrement vouée aux loisirs. Le malheur est que dans ce cas
la gratuité du loisir, qui fait une grande partie de son charme en
contraste avec les activités nécessaire, deviendrait une malédiction, tant
il est vrai que la liberté ne s’épanouit pas à l’écart de la nécessité mais à
son contact, ou du moins dans son voisinage permanent.
Les machines ne doivent pas être trop efficaces afin que puisse s’établir
un équilibre sain entre ce que nous tirons de l’industrie et ce que nous
avons besoin de faire par nous-mêmes. Les bons outils - ceux que Illich
nomme « conviviaux » -, sont ceux qui augmentent l’autonomie de la
personne. Les mauvais outils sont ceux qui ne sont plus à la mesure de
la personne et qui dépassent complètement ce que l’utilisateur est à
même de se représenter.
***
La propriété n’a pas disparu, loin de là, mais elle tend à se concentrer
toujours davantage au sein de grandes firmes qui, au lieu de vendre
quelque chose, donnent accès à des services qui, lorsqu’ils
s’interrompent laissent la personne parfaitement démunie : on devient
locataire de sa propre existence.