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de soigner la personne ou de protéger la société contre leur présence indésirable. Le
changement de dénomination (ce sont les mêmes établissements, avec le même personnel)
vise un but : que l’on se centre sur l’enfant. Que l’évaluation s’abstraie au moins en partie des
plaintes de la société pour tenter de comprendre la psychologie de l’enfant ou du jeune.
Quelle signification donner à la conduite décrite ? Et la finalité du soin est plus affirmée
qu’elle ne l’était avant. Mais cela suppose désormais qu’on se donne d’autres critères, ce
qu’on appelle des données cliniques.
Critères cliniques (basés sur l’observation, l’écoute et l’inteprétation)
Prenons l’exemple de Pierre. Il a cinq ans. Il vient de baisser la culotte de Déborah dans les
toilettes. On est tous d’accord pour dire que ce n’est pas bien. Du point de vue de la morale, il
va falloir lui apprendre à respecter les filles. Il y a au minimum un travail éducatif à assurer.
Pour autant, faut-il emmener Pierre en consultation chez un psychologue ? Pour répondre à
cette question, nous devons trancher non pas au regard du bien et du mal, mais du normal et
du pathologique. Pour évaluer cette conduite, nous allons nous appuyer sur cinq critères :
l’image de soi, la capacité d’introspection, la capacité d’empathie, le sens moral et l’ouverture
au dégagement.
Image de soi
Le premier critère, c’est l’image que se fait l’enfant de lui-même. Pierre se considère-t-il déjà
comme une sorte de vicelard programmé à se conduire de la sorte ? Ou bien s’agit-il, de son
point de vue, d’un moment d’égarement dont il se sent capable de se ressaisir ? Au passage,
vous saisissez l’importance des mots qui vont être utilisés pour lui reprocher sa conduite. Si
on lui dit : « Tu es un sale petit cochon, ça commence dans les toilettes des filles et ça finit
aux assises pour viol », on lui suggère une identité définitive dont il n’a aucune chance de
sortir. Un destin tracé. Si, au contraire, on ne pointe que le geste — ce que tu as fait n’est pas
bien — on préserve l’image qu’il a de lui-même et on lui donne des chances de s’amender.
Et s’il s’agit d’un moment d’égarement, il est peut-être capable de remonter le fil de sa petite
histoire. Est-il en mesure de dire quelque chose sur ce qui a motivé son geste ? Comment une
telle envie lui est-elle venue ? Qu’a-t-il éprouvé ?
Introspection
C’est ce qu’on appelle la capacité d’introspection, voir en soi-même, connaître les
mouvements psychiques qui se passent en nous. C’est le second critère. Les enfants atteints de
véritables troubles du comportement sont souvent comme aveugles à eux-mêmes. Ils
éprouvent des sentiments, des désirs, mais sont incapables de les identifier et, a fortiori, d’en
dire quelque chose. Ils sont étrangers à leur propre monde intérieur. Le fait que l’enfant se
taise quand vous lui demandez ce qui lui a pris de faire la vilaine chose ne signifie pas
nécessairement qu’il soit incapable d’introspection. Cela peut venir d’un sentiment de honte,
surtout si vous le regardez d’un air méchant. Si l’enfant a honte, encore une fois, du point de
vue psychologique, rien n’est perdu.
Récemment, la petite Laura, 10 ans, me raconte ceci : « L’autre, là, elle arrêtait pas, elle
m’énervait exprès. Alors je lui ai fichu un coup de poing. Ça m’a fait du bien. C’est comme
mon père quand il était en pension, il a appris à se défendre. » La conduite de Laura est
inacceptable du point de vue moral et réglementaire. Mais reconnaissons que du point de vue
de l’introspection, il n’y a rien à redire. Elle est capable de décrire exactement ce qu’elle a
ressenti. Je note, en plus, le petit élément d’identification à son père, qui me semble également
de bon pronostic. Rassurez-vous, je ne l’ai pas encouragée à recommencer, je ne vous fais
part que des réflexions qui me venaient en l’écoutant.