Faire tomber le mur des idées reçues

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12 Campus
La schizophrénie n’est de loin pas une maladie chronique : un message
que Philippe Conus, chef du Département de psychiatrie du CHUV,
souhaite faire passer auprès des jeunes. F. Imhof©UNIL
Faire tomber
le mur
des idées
reçues
Démystifier une maladie qui concerne les jeunes entre 15 et 25 ans et touche une
personne sur 100 : tel est le but des neuvièmes Journées de la schizophrénie qui se
dérouleront entre le 27 et le 29 mars sur le campus.
Sophie Badoux
S
chizophrénie. Le mot fait souvent
peur. En effet, les maladies psychiatriques sont pour beaucoup méconnues du grand public et leurs mécanismes
encore mal compris par les médecins. Invisible, touchant à la personnalité, aux perceptions sensorielles et rendant parfois difficile
la relation à l’autre, la schizophrénie atteint
une personne sur 100, dont 85% des cas se
déclarent entre 15 et 25 ans.
délires de persécution empêchent aussi fréquemment le patient de demander de l’aide,
par peur qu’on lui fasse du mal.
« La maladie n’est pas un mur infranchissable. Il ne faut pas s’attarder sur des attitudes que l’on ne comprend pas mais profiter de riches moments de partage avec le
malade ». C’est le cœur du message d’Anne
Leroy, vice-présidente de l’Association des
Journées de la schizophrénie. Son fils aîné
Nicolas est diagnostiqué schizophrène en
1998. Sa maladie progresse rapidement et il
Invité de marque des neuvièmes Journées de décède en 2008. « Tout a été brusque, et parla schizophrénie, le professeur Philippe Co- ticulièrement le soudain mutisme de mon
nus, chef du service de psychiatrie générale fils, qui a duré près de dix ans ». Le jeune
homme se replie totaau CHUV et spécialiste dans le traitement
Un décalage avec la réalité est lement sur lui-même
et refuse de parler.
de cette pathologie,
un des signes de la maladie . « Il s’agit alors de
décrit les premiers
réapprendre à comsymptômes
comme
des perceptions et des croyances décalées muniquer et de comprendre que le malade a
par rapport à la réalité. Ces manifestations une autre logique. Il n’a plus de « bon sens »
cliniques sont accompagnées d’une tendance et n’est plus dans la même adéquation au
à l’isolement et parfois à la dépression. Les monde que nous », témoigne Anne Leroy.
patients souffrent aussi d’hallucinations, Le psychiatre Philippe Conus parle lui de
surtout auditives. Ils entendent des voix ou la perte de l’évidence naturelle. « Le patient
se parlent à eux-mêmes et peuvent avoir schizophrénique n’arrive plus à comprendre
un discours incohérent. La paranoïa et les les relations avec autrui. Toutes les inter-
actions humaines deviennent alors compliquées », explique-t-il.
Oser en parler et aller vers les
autres
Les angoisses intenses et la peur de la mort,
le rappeur-slameur vaudois de 27 ans, de
son nom d’artiste « le fils de la terre », les a
connues également. Atteint de schizophrénie depuis 2005, il est forcé d’arrêter les
études en sciences sociales et politiques qu’il
avait entreprises à l’UNIL. Le jeune homme
se replie sur lui-même et coupe peu à peu les
liens avec ses amis et sa famille. « Les premiers symptômes de la maladie font peur,
je n’osais pas en parler », confie-t-il. C’est
un des combats du docteur Conus. « Il est
clair que la psychiatrie effraie et que les gens
osent difficilement venir consulter, pourtant dans nos hôpitaux on est loin des clichés véhiculés par certains films comme le
célèbre Vol au-dessus d’un nid de coucou. »
Les traitements psychiatriques ont évolué
et il faut savoir que les patients ne sont pas
des gens dangereux et violents. La schizophrénie n’est pas une maladie chronique.
« On peut en guérir et reprendre sa vie et
ses études. Plus l’intervention est précoce et
l’uniscope n° 571 | 2012
Campus 13
plus la récupération sera bonne. » La prévention ainsi que la déstigmatisation du recours
à la psychiatrie sont donc indispensables
pour inciter les gens à oser aller consulter.
Toutefois, la prévention primaire reste complexe, car les premiers symptômes sont fugaces et peuvent être le signe de différentes
pathologies. De plus, annoncer à quelqu’un
qu’il a un risque de développer une schizophrénie peut engendrer un stress supplémentaire déstabilisant pour une personne
déjà fragilisée. Le programme d’intervention précoce du Département de psychiatrie
du CHUV se focalise donc sur la prévention
secondaire, en visant à réduire le délai entre
l’apparition des symptômes et la mise en
route du traitement et en travaillant à limiter les facteurs aggravants l’évolution de la
maladie. « La consommation de cannabis,
très fréquente chez les jeunes atteints de psychoses, renforce le repli sur soi et le manque
d’énergie. C’est pourquoi nous avons développé des traitements de groupe qui visent
à informer les jeunes patients de ce risque et
à les motiver à interrompre leur consommation », ajoute le psychiatre.
Arrêter de fumer du cannabis a été la première étape du traitement pour « le fils de
la terre ». Son état est actuellement stabilisé,
même s’il prend encore des neuroleptiques.
« Il y a des effets secondaires aux médicaments mais ça aide à rassembler ses idées.
Sinon l’esprit est comme morcelé et part
dans tous les sens. » Son rêve désormais :
vivre de sa musique, continuer à témoigner
et apporter de l’aide à d’autres malades par
le biais d’ateliers d’écriture qu’il a mis en
place dans un foyer éducatif et au GRAAP
(Groupe romand d’accueil et d’action psychiatrique). Dans ses textes, le rappeur veut
« aller d’l’avant même si c’est à contre-courant ». Désormais « en paix avec lui-même,
il ne craint plus les autres » puisqu’il sera un
des intervenants de la PechaKucha à l’EPFL
le 28 mars.
Les neuvièmes Journées
de la schizophrénie seront « fun »
Pour parler de manière décomplexée de la maladie et présenter différents points de vue,
une PechaKucha est organisée au Polydôme de l’EPFL le mercredi 28 mars entre 12h30
et 13h30. Sorte de joute verbale savante et ludique, la PechaKucha consiste à présenter
vingt images, chacune commentée en vingt secondes, ce qui offre 6 minutes 40 secondes
à chaque invité pour démystifier la maladie.
Invités : Philippe Conus, chef du service de psychiatrie générale au CHUV, Pierre
Magistretti, directeur du pôle de recherche national Synapsy (Brain Mind Institute)
de l’EPFL, Malcolm Braff, pianiste, Nicole Seiler, chorégraphe, Marco Bakker et Alexandre
Blanc, architectes fondateurs du bureau
Bakker&Blanc, le fils de la terre, rappeurslameur (www.myspace.com/lefilsdelaterre),
Isabelle Moncada, journaliste et productrice
de l’émission santé 36.9 o de la TSR.
Consulter
sur le campus
A l’UNIL et à l’EPFL, les étudiants qui
peuvent ressentir un stress ou des questionnements liés à leurs études, leur vie
sentimentale ou familiale ont la possibilité d’obtenir un soutien psychothérapique. Il s’agit d’une prise en charge
brève d’un à quatre entretiens permettant de désamorcer une période difficile
dans la vie de l’étudiant ou de détecter
éventuellement des signes précoces
de pathologies. « Pour les étudiants, le
cerveau n’est pas seulement le lieu du
psychisme, c’est aussi leur premier outil
de travail et ils consultent généralement
pour des problèmes de concentration.
Ces difficultés révèlent souvent des
troubles anxieux ou dépressifs », relève
Luc Michel, psychiatre responsable de
ces consultations et également MER à la
Faculté de biologie et de médecine. En effet, le 90% des étudiants qui consultent
souffrent de troubles psychologiques
passagers car ils sont dans une période
de vie instable.
Informations et rendez-vous :
www.unil.ch/sasc voir social
> soutien psychothérapeutique
www.info-schizophrenie.ch
L’événement sera également retransmis
en direct sur Fréquence Banane, la radio
des étudiants du campus sur 94.1 FM ou
www.frequencebanane.ch.
Les stands d’information tenus par des
proches et des soignants seront aussi l’occasion pour les jeunes de faire des rencontres
et de poser toutes leurs questions sur
la maladie.
Mardi 27 mars 2012, 10h-15h
UNIL, devant le Café Anthropos
17h-19hSchizo-apéro au Zelig
Mercredi 28 mars 2012, 10h-15h
EPFL, Rolex Learning Center
Jeudi 29 mars 2012, 10h-15h
CHUV, hall principal
2012 | l’uniscope n° 571
Désormais armé de mots, le rappeur-slameur « le fils de la terre » a combattu la maladie et les préjugés pendant
plusieurs années. F. Imhof©UNIL
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