Journal Identification = IPE Article Identification = 1185 Date: April 21, 2014 Time: 2:24 pm
J.-C. Pénochet
indirecte. Car s’il n’est pas exceptionnel que des médecins aient été condamnés au
pénal, c’était toujours antérieurement dans la situation d’un lien direct entre la faute et
le dommage.
La dénégation du président du tribunal correctionnel de Marseille, « on ne juge pas
ici la psychiatrie, ni les psychiatres. Il s’agit pour nous de savoir si, dans une situation
concrète, une faute caractérisée a été commise »,n’était pas, c’est le moins qu’on
puisse dire, vraiment convaincante ni en mesure de rassurer le corps professionnel.
Les juges avaient pris la précaution de se prémunir contre la sempiternelle invocation
de l’absence de « risque zéro » en soulignant leur pleine connaissance du problème,
et avertissaient qu’ils étaient totalement conscients de la difficulté de l’exercice de la
profession.
À titre personnel, chacun sentait donc souffler le vent du boulet, au regard de la
difficulté de choix décisionnels à faire au quotidien qui imposent inéluctablement une
prise de risque. Chacun sentait du Canarelli en soi. Et collectivement, la discipline tout
entière pouvait vraiment s’inquiéter d’un retour contraint à l’institution asilaire.
Sans se pencher sur la robustesse du fond du jugement, l’éditorialiste du Monde qui
titrait « La psychiatre et l’assassin : un jugement courageux » saluait la bravoure des
juges tirant des balles dans les pieds des juges d’application des peines naviguant dans
le même bateau ivre des décisions à risques lourdes de conséquence.
Dans une réponse au journal, Denis Salas continuait à combattre la montée inquié-
tante de la pénalisation dans notre société contrastant avec la faiblesse de la régulation
déontologique ou disciplinaire. Il soulignait la complexité de la prise en charge de
l’humain et appelait à la collégialité des prises de décisions difficiles. Avec des accents
foucaldiens, les psychiatres ont affirmé leur impossibilité de soigner au sein d’un prin-
cipe de précaution généralisé qui les transformerait totalement en gardiens de l’ordre.
Dénonc¸ant la recherche de la responsabilité à tout prix d’une société sécuritaire, ils
s’estimaient victimes de la logique du bouc émissaire lorsque le juge avait rappelé à la
presse qu’« il ne peut exister d’impunité, la société ne l’accepte pas ». Après tant de
discours sur la responsabilisation des malades mentaux, ne fallait-il pas rendre respon-
sable les psychiatres des crimes pour lesquels ils avaient prononcé l’irresponsabilité
de leurs auteurs ?
Toutes ces considérations n’empêchaient malheureusement pas notre collègue d’être
condamnée. L’espoir d’une autre issue à court terme ne pouvait venir que d’une lecture
juridique critique des motivations du jugement.
Lorsque l’action fautive effectuée en connaissance du danger est indirecte, les
juristes ont rappelé que la mise en évidence de la faute caractérisée ne suffit pas à
entraîner la responsabilité. Il reste qu’entre la faute et le dommage, comme la juris-
prudence constante l’affirme notamment en matière médicale, le lien de causalité doit
être certain. Et si le législateur a entendu placer la personne qui a indirectement causé
le dommage dans une situation plus favorable que l’auteur direct du dommage en exi-
geant la caractérisation d’une faute de degré de gravité supérieur, dans le même esprit,
la certitude du lien de causalité ne saurait être affaiblie.
Or, c’est bien sur ce point que le jugement initial paraît éminemment critiquable :
le lien de causalité est affirmé dans les dernières lignes du jugement sans que son
existence ne soit discutée, comme si elle allait de soi, ni surtout qu’en soit démontré le
caractère de certitude.
Le reproche principal fait au Dr Canarelli et qui sous-tend tous les autres est d’avoir
constamment sous-estimé la dangerosité de son patient. Mais la dangerosité n’est
jamais rien d’autre qu’une probabilité. Que le Dr Canarelli ait sous-estimé la pro-
babilité n’empêche pas que, dans le cas contraire, celle-ci n’aurait jamais pu être de
cent pour cent comme non plus de zéro pour cent. Aucun psychiatre ne peut affirmer
que son malade ne tuera jamais, comme jamais il ne peut assurer que son malade
commettra un crime dans les heures ou les jours qui suivent. Quoi qu’on fasse, quel
que soit le degré d’erreur d’appréciation, une probabilité reste une probabilité qui par
définition exclut la certitude.
240 L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 90, N◦4 - AVRIL 2014
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