Directives anticipées, Arcinfo, 12.09.2013

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"Rédiger ses directives anticipées, c'est parler de la mort, de
sa fin"
DROIT DES PATIENTS
Les directives anticipées expriment les volontés du patient sur les soins qu'il désire recevoir ou pas au cas où il serait
privé de son discernement. SP
Privé de discernement, quels soins souhaiteriez-vous?
Seul un minuscule 2% de la population, en Suisse, a rempli des formulaires avec, dedans, ses directives anticipées. Il est par
conséquent fort probable que vous comptiez parmi les 98% qui ne l'ont pas fait.
Sans doute, même, ignorez-vous totalement de quoi il s'agit. "Une maladie ou un accident peut rendre quelqu'un incapable de
confier aux professionnels de la santé comment il veut être pris en charge", explique Jacques Wacker, médecin-conseil du
groupe bénévole d'accompagnement de fin de vie de Caritas-Neuchâtel. "Les directives anticipées sont l'expression écrite, par
avance, du type de soins que le patient souhaite ou non se voir dispenser, au cas où il serait dans l'impossibilité d'exprimer ses
choix. Fruit d'une démarche volontaire, elles n'ont rien d'obligatoire."
Puissance juridique
Depuis le 1er janvier 2013, par la révision du code civil au niveau du droit de la protection de l'adulte et de l'enfant (art. 370,
371, 372, 373, 378, 379, notamment), ces directives ont force de loi et doivent être respectées. "Elles ont à refléter un avis
clairement exprimé, mûrement réfléchi par le patient, s'il devait se retrouver privé de discernement", spécifie Natacha Pittet,
responsable des affaires juridiques à Hôpital neuchâtelois (lire encadré ci-dessous). "Il y désigne un intime qu'il autorise à
prendre les décisions à sa place en matière clinique."
Directeur de La Croix Rouge dans le canton, Robin Delisle informe qu' "un aspect tutélaire sur le plan de la gestion financière
peut être également lié à ces dispositions".
Quel avantage y a-t-il à coucher celles-ci sur papier? "Souvent, c'est la première fois que l'on parle aux siens de sa propre mort,
et qu'un échange permet d'aborder ce sujet tabou", relève Jacques Wacker. "On réalise sa finitude. Et l'autre grand avantage
que j'y vois, c'est que les soignants sont, grâce à elles, informés sur les valeurs, les désirs et les croyances du malade, qu'ils ne
connaissent ni d'Eve ni d'Adam, et qui arrive, par ailleurs, inconscient. Avant, nous, les docteurs, étions les décideurs.
Aujourd'hui, la loi révisée renforce l'autodétermination de chacun."
Il cite une étude, un peu questionnante, menée à l'hôpital de La Chaux-de-Fonds en 2002. "Elle montrait que les médecins
manifestaient bien davantage de pessimisme que les patients. Tandis que ces derniers déclaraient, pour 48,6% d'entre eux,
avoir une bonne qualité de vie, et donc qu'il valait la peine qu'on les ranime en cas de souci important, seuls 8,7% des blouses
blanches rejoignaient leur opinion. Ce sondage révélait de la sorte que le corps médical se trompait! Et pas qu'un peu: 8,7%
contre 46,8%! C'est le genre de constat qui donne envie de rédiger ses consignes quant à la prévenance espérée, si l'on perd le
contact avec la réalité, non?" Encore un point, selon lui, très incitateur: "Cinquante pour cent des décès sont consécutifs à une
décision médicale! Ce chiffre aussi laisse songeur."
Claire Frauchiger, coordinatrice pour les directives anticipées au sein des croix-rouges romandes, a participé à l'élaboration du
formulaire à compléter avec ses desiderata alors qu'on est encore en pleine possession de son entendement, dans le cadre de
l'organisation non gouvernementale. "Et je forme des bénévoles afin qu'ils aident des gens à en remplir." A ses yeux, cette
formalité est aussi une manière d'agir en amont d'Exit. "On peut faire différemment que choisir le suicide assisté."
Elle a observé que c'est fréquemment la famille ou d'autres proches qui décident pour la personne inconsciente, "lorsque celle-ci
n'a pas communiqué ses souhaits médicaux. Tout ce monde est complètement démuni. Et ça provoque des histoires." "Aux
Etats-Unis, des parents ont attaqué l'établissement hospitalier pour acharnement thérapeutique!", ajoute Jacques Wacker.
Dépasser la peur
Claire Frauchiger a informé ses familiers de ses aspirations, si elle s'abîme dans l'inconscience. "Et j'ai pleuré à certains
moments. C'est extrêmement émotionnel!" Elle tient à souligner que le contenu du document complété est modifiable à
n'importe quel moment. "Il suffit essentiellement de le dater et de le signer à nouveau."
"Et vous, avez-vous rédigé les vôtres?", avons-nous cherché à savoir autour de nous. Les réponses régulièrement apportées à
cette question, y compris par des spécialistes de l'entraide, ont été: "J'y pense" , "J'ai commencé, mais pas fini" , "Je n'ai pas
encore eu le temps..." ou "J'ai encore du temps..."
Cette dernière justification est la plus courante. Et la moins sûre. "Car s'il y a une seule certitude dès la naissance, c'est qu'un
jour on meurt", ainsi qu'aime à le dire Jacques Wacker. "Et cette évidence, on la gomme, on la met de côté. Je comprends, car la
vie prend toujours le dessus. Cependant, il serait bon d'y penser..."
Pourquoi ce silence?
On n'entend guère parler des directives anticipées. "Il n'y a pas de battage, parce qu'elles touchent à un thème délicat", précise
Jacques Wacker, médecin-conseil du groupe bénévole d'accompagnement de fin de vie de Caritas-Neuchâtel.
En 2009, l'Académie suisse des sciences médicales a publié des recommandations médico-éthiques, offrant ainsi des normes aux
médecins, aux personnels infirmiers et aux autres professionnels appelés à les appliquer ou à conseiller les patients dans la
rédaction de leur propre document. L'auteur peut faire inscrire la constitution et le lieu du dépôt des directives sur sa carte
d'assuré. Que le médecin traitant est désormais tenu de par la loi de consulter, si le patient est incapable de discernement, afin
de vérifier s'il en a rédigé ou non.
En Suisse, toute une série d'organisations, d'institutions et d'autorités mettent à disposition, la plupart gratuitement, des
modèles de directives anticipées. On compte ainsi une quarantaine de formulaires de ce genre. Ils sont parfois très différents les
uns des autres, tant sur la forme que sur le fond. Certaines directives anticipées tiennent sur une page, d'autres sur plusieurs,
comprenant des instructions détaillées. "Plus il y a de pages à remplir, plus il y a de risques que la personne qui les rédige se
contredise dans les souhaits exprimés. Raison pour laquelle, d'ailleurs, il vaut mieux se faire conseiller par quelqu'un de bien
renseigné ou notamment par son médecin", recommande Jacques Wacker. Où les déposer? "A la fin du texte, il est utile de
mentionner où on peut les trouver: chez le médecin traitant, un(e) ami(e), un proche..."
DANS LE CODE CIVIL SUISSE
Le 19 décembre 2008, le Conseil national et le Conseil des Etats ont adopté la modification du code civil relative à la protection
de l'adulte, au droit des personnes et au droit de la filiation. Non contesté par un référendum, le nouveau droit est entré en
vigueur dans le code civil suisse le 1er janvier 2013. Il réglemente pour la première fois les directives anticipées.
"Au 1er janvier 2012, à l'article 25a, les directives anticipées existaient déjà dans la loi neuchâteloise de la santé" , fait savoir
Natacha Pittet, responsable des affaires juridiques à l'Hôpital neuchâtelois. "Aujourd'hui, cet article 25a prévoit simplement que
'les dispositions du code civil relatives aux mesures personnelles anticipées et à celles appliquées de plein droit aux personnes
incapables de discernement sont réservées'."
Lorsque les directives anticipées du patient ne sont pas respectées, ses intérêts sont compromis ou risquent de l'être, que les
actes médicaux ne correspondent pas à l'expression de sa libre volonté, alors il y a intervention des autorités de protection de
l'enfant et de l'adulte.
Par SYLVIA FREDA
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