Nom de l’élève : ................................................................ Prénom : .................................................................
Examen d’admission dans la scolarité obligatoire publique, 2008 FRANCAIS – 9VSG/VSB 2/8
Le mendiant, la princesse et le souvenir
Il était une fois, dans les hautes montagnes, une fille de roi nommée Dénid. Elle était
belle et mélancolique comme un printemps pluvieux. En vérité, un malheur inconnu rongeait
son esprit. Elle vivait enfermée dans des pensées obscures, et ne parlait jamais. Son père le
roi s’en désolait si fort qu’un jour, désespérant de la consoler sans autre secours que son
amour pour elle, il envoya par tout le pays cinq cents messagers vêtus de rouge courant les
chemins sur des chevaux noirs, et leur fit publier ceci :
5
10
15
20
25
30
35
40
- Moi, roi des hautes montagnes, je donnerai ma fille en mariage à celui qui saura lui faire
dire une parole heureuse.
Aussitôt un prince de la vallée, monté sur un éléphant paré de broderies, suivi de ses
ministres et de ses saltimbanques, s’en vient rendre visite à la princesse Dénid. Il déploie
devant elle des tintamarres de cymbales, des chants, des danses, il lui offre à genoux un
flamboyant poème d’amour. Dénid, assise raide sur ses coussins de velours, reste
impassible, les yeux glacés. Quand le prince s’en va, tête basse, elle ne daigne même pas
lui dire adieu. Alors vient le plus riche marchand du pays. Il répand ses trésors aux pieds de
la princesse, des coffres de bijoux, des étoffes rares. Elle ne semble pas les voir. Exalté
comme un adolescent il lui promet merveilles. Elle ne semble pas l’entendre. La tête
penchée de côté, elle regarde tristement le ciel et les montagnes, par la fenêtre. Le
marchand vaincu s’éloigne sur le chemin du retour, tirant son cheval par la bride.
Ce jour-là, un jeune mendiant, dans le plus lointain village, apprend la bonne fortune
promise par le roi à qui rendra la parole à sa fille, et décide de tenter sa chance. Il se met
donc en route, vêtu de ses haillons, portant un parasol de feuillage. Cheminant par les
sentiers, il rencontre une vieille femme qui descend de la montagne, parmi les rochers.
- Où vas-tu, mendiant ? lui dit-elle.
- Je vais à la haute ville. Je veux essayer de rendre la parole à la fille du roi, mais je n’ai
guère d’espoir. Je crains qu’elle ne soit tout simplement muette.
- Muette, la princesse Dénid ? répond la vieille scandalisée. Allons donc! Moi, jeune fou, je
peux te dire qu’elle a le don d’éloquence et qu’elle est d’une grande sagesse. Je sais
pourquoi elle refuse de parler. En vérité, elle se souvient de ses vies antérieures. Écoute
bien, et fais ton profit de ce que je vais te dire : il y a fort longtemps, alors qu’elle vivait dans
le corps d’une tigresse, son compagnon et ses petits furent tués par un chasseur. Elle en
mourut de chagrin. Alors elle revint au monde dans le corps d’une perdrix. Des laboureurs
mirent le feu au buisson dans lequel ses œufs, elle les couvait, et elle fut brûlée. Sa nouvelle
existence fut celle d’une alouette. Son aire, elle la fit dans une digue, au bord d’une rivière.
Une bande d’enfants, passant par là, s’amusa à tuer son compagnon et sa couvée, et la fit
prisonnière. Elle mourut en cage. Voilà pourquoi, maintenant, se souvenant de la cruauté
des hommes, elle refuse leur compagnie.
Ainsi parle la vieille femme et le mendiant, tout à coup illuminé, se souvient de ces
lointaines vies qu’il a vécues auprès d’une tigresse, auprès d’une perdrix, d’une alouette
aussi. Il dit :
- Salut, vieille mère, et merci !
Conte du Tibet tiré de L’arbre à soleils, Henri Gougaud