5 Rev Mar Mal Enf 2013; 31 : 5-15 Mise au point Angines aigues M. Bouskraoui1, A. Abid2 1 2 Service de Pédiatrie A, Hôpital Mère-Enfants, CHU Mohamed VI, Université Cadi Ayad, Marrakech 55, Boulevard Zerktouni, Casablanca L’angine est une des pathologies les plus fréquentes en pédiatrie et en médecine générale. Si dans les angines aigues, les virus sont les premiers agents étiologiques, le streptocoque béta-hémolytique du groupe A (SGA) reste la première bactérie en cause (25 à 40%). Le rhumatisme articulaire aigu (RAA), principale complication des angines à SGA, constitue toute la gravité potentielle de l’infection. La prévention des complications post-streptococciques, en particulier du RAA, passe par un traitement antibiotique adapté des angines streptococciques. Pour reconnaître celles-ci parmi l’ensemble des angines, le recours aux seules données cliniques reste une stratégie insuffisante et très controversée. Le recours au test de diagnostic rapide (TDR) permet de bien différencier une angine virale d’une angine bactérienne. Ainsi, ce test permet d’économiser le coût du traitement antibiotique inutile des angines virales, qui sont les plus fréquentes, et de réduire la survenue des résistances bactériennes en épargnant l’antibiothérapie. Or, en consultation quotidienne et surtout dans le contexte de la santé publique, il est évident que ce test poserait aussi le problème de son coût, de sa disponibilité et de sa faisabilité. Par conséquent, au Maroc, la stratégie «maximaliste» d’antibiothérapie systématique de toutes les angines s’inscrit dans le même ordre que celle de l’ensemble des pays en développement, où l’incidence du RAA est environ 50 à 100 fois plus fréquente que dans les pays développés. DONNEES EPIDEMIOLOGIQUES Au Maroc, le RAA est un problème majeur de santé publique, en raison de sa fréquence et de sa morbidité, nécessitant une lourde prise en charge médicale et un suivi médico-social long et coûteux en matière de dépenses de santé. En 1996, 5681 patients ont été traités pour RAA, dont 2,5% d’enfants âgés de moins de 5 ans (Fig.1). Cependant, il n’y a pas de données ministérielles officielles sur la prévalence de l’angine [1]. Selon une enquête à Settat, chaque médecin généraliste du secteur public était sollicité à traiter 10 à 60 cas d’angines par semaine alors que celui du secteur libéral n’en traite que seulement 1 à 10 par semaine. La prévalence du SGA et l’incidence du RAA diffèrent des pays développés aux pays en voie de développement. Ainsi, chez les écoliers, l’incidence du RAA en Amérique du Nord varie de 0,2 à 50,5 pour 100 000 habitants par an, alors que cette incidence est de 300 pour 100 000 habitants par an dans les pays en voie de développement (Fig.2). En France, 9 millions de patients consultent pour des angines chaque année. L’origine de ces angines est virale dans 60 à 90%. Le SGA, bactérie la plus fréquente, n’est en cause que dans 20% des angines, tous âges confondus (25 à 40% chez l’enfant et 10 à 25% chez l’adulte). L’angine survient à partir de l’âge de 3 ans ; son pic d’incidence se situe entre 5 et 15 ans. Chez le nourrisson et l’enfant de moins de 3 ans, les angines observées sont généralement d’origine virale et le streptocoque n’est 6 Fig.1. Nombre de nouveaux cas de RAA, de cardites et de rechutes : 2005 -2011. Fig.2. Prévalence de RAA chez l’enfant entre 5 et 14 ans. Rev Mar Mal Enf 2013; 31 : 5-15 7 Rev Mar Mal Enf 2013; 31 : 5-15 que rarement en cause. D’autres bactéries, en particulier d’autres streptocoques bêta-hémolytiques (notamment C et G) peuvent être en cause de façon plus rare, mais ils ne partagent pas le risque de RAA du SGA. SYMPTOMATOLOGIE CLINIQUE L’angine constitue un syndrome clinique qui associe une fièvre, une gêne douloureuse à la déglutition (odynophagie), des modifications de l’aspect de l’oropharynx et des adénopathies sous-maxillaires satellites. En fonction de l’agent étiologique et de l’âge du patient, d’autres symptômes sont diversement associés, à savoir douleurs abdominales, éruption cutanée et/ou signes respiratoires (rhinorrhée, toux, enrouement, gêne respiratoire). Le diagnostic de l’angine est essentiellement clinique, et se fait par l’examen de l’oropharynx [2,3,4]. Plusieurs aspects cliniques sont possibles : -Les amygdales et le pharynx sont uniquement congestifs: c’est l’angine érythémateuse (Fig.1,2). -Il peut s’y associer un enduit purulent parfois très abondant recouvrant une partie ou toute la surface Fig.3. Angine erythémateuse. de l’amygdale: c’est l’angine érythémato-pultacée (Fig.3,4). - Le pharynx peut présenter des vésicules: c’est l’angine vésiculeuse (herpangine due à un entérovirus, virus coxsackie ou gingivo-stomatite herpétiforme). Il peut être aussi ulcéreux, ulcéro-nécrotique ou phlégmoneux. Dans la majorité des cas l’atteinte est bilatérale. Ce sont surtout les deux premiers aspects d’angine érythémateuse et érythémato-pultacée qui posent un problème de diagnostic étiologique entre virus et SGA, et donc de choix de prescrire ou non une antibiothérapie. Enfin, Il peut être difficile de distinguer une angine d’une rhinopharyngite chez un enfant présentant une hypertrophie chronique des amygdales ; la présence d’une odynophagie est en faveur d’une angine. Il faut insister sur l’examen de la gorge qui doit se faire dans de bonnes conditions : chez un enfant couché ou assis, à l’aide d’un abaisse-langue et d’une torche avec un bon éclairage, de préférence une lumière blanche. Cet examen n’est pas toujours chose facile et dans bien des cas, l’enfant ne s’y prête pas volontiers. Il Fig 4. Angine erythémateuse avec quelques pétéchies du voile. Fig.5. Angines érythemato-pultacées. 8 faut donc savoir agir avec douceur et sans précipitation. Il importe de ne pas avoir la simple vue des amygdales mais de tout l’intérieur de la bouche. Il n’est pas toujours aisé d’apercevoir un enduit pultacé plus ou moins caché dans les replis des piliers. Il faut s’efforcer de ne procéder qu’à une seule investigation mais ne pas hésiter à la recommencer s’il persiste un doute d’exploration incomplète des amygdales, des piliers, de la luette, du voile du palais, de la paroi postérieure du pharynx, des muqueuses jugale, gingivale et linguale. Ce geste sera complété par la palpation des ganglions cervicaux et un examen clinique complet, notamment cardiovasculaire. APPROCHE DU DIAGNOSTIC ETIOLOGIQUE Les germes isolés dans les prélèvements de gorge chez des patients atteints d’angines sont nombreux, mais ils restent largement dominés par les virus et le streptocoque du groupe A. Les streptocoques des groupes C, G, E, F, le gonocoque, l’Arcanobacterium Hæmolyticum sont très rares et peuvent aussi être en cause. Ces bactéries ne donnent qu’exceptionnellement les complications du SGA, elles ne sont pas sensibles à la pénicilline et ne poussent pas sur les milieux de culture utilisés pour les angines à SGA (gonocoque). Autrement dit, ni un traitement systématique par la pénicilline, ni les prélèvements de gorge systématiques ne permettent de dépister et de traiter ces patients. Enfin, certaines bactéries n’ont aucun rôle pathogène démontré et ce sont des bactéries commensales, comme Hæmophilus influenzae et parainfluenzae, Brahamella catarrhalis, pneumocoque, staphylocoque, anaérobies. Quant à Corynebacterium diphtheriae, il n’est plus en cause dans notre pays du fait de la vaccination contre la diphtérie (Tab.I). Sur le plan scientifique, la différenciation entre une angine à SGA et une angine virale est indispensable pour une prise en charge optimale de l’angine, dont l’objectif est de limiter le coût économique de l’antibiothérapie systématique et de contribuer à réduire la sélection des résistances bactériennes. Ainsi, selon certaines enquêtes effectuées auprès du corps médical, cette distinction serait très utile en pratique médicale courante pour une grande proportion des médecins interviewés : 78% selon une étude tunisienne et 67% pour des médecins marocains. Selon ces médecins interviewés, les signes Rev Mar Mal Enf 2013; 31 : 5-15 cliniques qui doivent faire évoquer une angine bactérienne, sont dans 51% la présence d’exsudat sur les amygdales, la fièvre intense dans 41%, la rougeur dans 23% et la présence d’adénopathie cervicale pour 21% de ces médecins. En réalité, cette distinction n’est pas aussi simple. 1. La distinction entre angine virale et angine bactérienne n’est pas facile cliniquement, car aucun des critères fonctionnels et physiques d’angine aiguë n’est totalement discriminant. En effet, la combinaison de plusieurs critères cliniques tels que l’exsudat, les adénopathies cervicales antérieures, l’absence de toux et la présence de la fièvre peuvent aider le praticien à seulement prédire l’origine streptococcique de l’angine, mais sans la confirmer. A l’opposé, la symptomatologie évoquant une origine virale comporte l’absence de fièvre, l’existence d’une toux, d’un enrouement, d’un coryza, d’une conjonctivite, d’une diarrhée et la présence de vésicules ou d’une stomatite. Toutefois, l’exsudat peut être retrouvé même en cas d’angines virales (Tab.II). 2. De nombreux scores cliniques sont proposés pour aider les médecins à prescrire une antibiothérapie ou non devant une angine. Ces différents scores cliniques ont une sensibilité et une spécificité variables, mais dont les résultats, par rapport à la culture, ne sont pas toujours satisfaisants. Ainsi, dans les pays en développement où le RAA demeure un problème de santé, il s’avère donc nécessaire d’adapter et contextualiser ces scores cliniques, afin d’obtenir localement une sensibilité élevée et une spécificité adéquate (Tab.III et IV) [3,4,5]. On peut citer : - Le score clinique de l’OMS, appliqué en Egypte chez des enfants de 5 à 12 ans, révèle une spécificité de 93,8 à 97,4%, mais une très faible sensibilité de 3,6 à 8,5%. Cela est insatisfaisant dans une prise charge basée uniquement sur la clinique vu le fort pourcentage des faux négatifs. - Le score de Breese varie de 18 à 38. Un score positif, supérieur ou égal à 26, correspond à un risque significatif d’angine streptococcique. Une forte probabilité d’angine streptococcique, autour de 85%, est obtenue si le score est supérieur à 31. Selon une étude menée en Turquie portant sur des enfants de 3 à 17 ans, pour un score de Breese supérieur ou égal à 30, la sensibilité était 9 Rev Mar Mal Enf 2013; 31 : 5-15 Tableau I. Principales caractéristiques cliniques des angines à SGA et des angines virales. Eléments permettant de suspecter cliniquement une angine à SGA Angine à SGA Epidémiologie Signes fonctionnels ou généraux Signes physiques - Hiver et début printemps - Pic d’incidence entre 5 et 15 ans (survenue possible dés 3 ans) - Début brutal - Dysphagie intense - Absence de toux - Fièvre élevée - Erythème pharyngé intense - Adénopathies satellites sensibles - Purpura du voile - Eruption scarlatiniforme - Exsudat Angine virale - Début progressif - Dysphagie modérée ou absente - Toux, coryza, enrouement, diarrhée, arthralgies, myalgies - Vésicules (Coxsackie, herpès) - Eruption évocatrice d’une maladie virale (ex. syndrome pieds-mains-bouche) Tableau II. Scores cliniques de diagnostic de l’angine à Steptocoque A Auteurs Critéres diagnostiques Breese et al Saison Age Taux de globules blancs dans le sang Fièvre>38,50c Mal de gorge Céphalée Pharynx anormal Adénopathie cervicale antérieure Toux Exsudat Adénopathie cervicale antérieure Toux Histoire de la fièvre Age (5-15 ans) Saison (novembre- mai) Fièvre>38,30c Adénopathie cervicale antérieure Erythème, hypertrophie, exsudat des amygdales Signes d’infections respiratoires hautes Température>38oc Toux Adénopathie cervicale antérieure Amygdale hypertrophiée ou exsudat Age 3–14 ans Age 15–44 ans Age > 45 ans Exsudat ou adénopathie cervicale Centor et al Wald et al Mc Isaac et al Abu Reesh Steinhoff et al OMS Adénopathie cervicale Rash cutané Rhinite Exsudat et adénopathie cervicale Score si présent Score si absent 1-4 1-4 1-6 4 4 4 4 4 2 1 1 0 1 1 1 1 1 1 0 1 0 1 1 1 0 -1 1 2 2 2 2 2 4 0 0 1 0 0 0 0 0 0 1 0 1 0 0 0 0 0 0 1 0 0 1 0 1 1 0 10 Rev Mar Mal Enf 2013; 31 : 5-15 Tableau III. Sensibilité et spécificité des scores cliniques appliqués en Egypte. Steinhoff et al 38 Mc Isaac et al 91 31 Abu Reesh 39 Wald et al 40 Breese et al 92 84 81 28 OMS 93 93 12 Centor et al 4 100 80 60 40 20 99 0 Spécificité 20 40 60 80 100 Sensibilité Tableau IV. Agents bactériens et viraux associés aux angines. Bactéries Virus Streptocoques pyogènes Streptocoques equi ssp equisimilis Streptocoques equi ssp zooepidzmicus Streptocoque B-hémolytique du Group G Arcanobacterium haemolyticum Mycoplasma pneumoniae Chlamydia pneumoniae Neisseria gonorrheae Corynebacterium diphteriae Corynebacterium ulcerans Yersinia enterocolitica Yersinia pestis Treponema pallidurn Parasites Adénovirus Epstein-Barr virus Herpes simplex 1 et 2 Entérovirus Rhinovirus Influenza A et B virus Parainfluenae Coronavirus Virus de l’immuno-déficience humaine Toxoplasma gondii Actinomycètes Candida de 76% et la spécificité de 67%, c’est à dire avec 24% de faux négatifs et 33% de faux positifs. -Le score de Centor varie de 0 à 4. Un score à 1 indiquerait une probabilité d’infection à SGA de 5%. Ce score a été modifié en incluant l’âge des patients, en donnant lieu à deux scores similaires : score de Wald et score de Mc Isaac. Pour Mc Isaac, une étude menée au Canada sur des enfants de 3 à 14 ans a montré une sensibilité de 94% et une spécificité de 70% mais, il y Champignons avait 6% de faux négatifs. Cela traduit une sensibilité acceptable qui pourrait être satisfaisante pour une prise en charge de l’angine basée uniquement sur la clinique. 3. Les techniques de confirmation du SGA dans l’angine comportent le TDR et la mise en culture bactériologique du prélèvement pharyngé [3,4,5]. La qualité de réalisation du prélèvement pharyngé est essentielle, car elle conditionne la performance de ces techniques diagnostiques. Ce prélèvement n’est pas facile chez le 11 Rev Mar Mal Enf 2013; 31 : 5-15 jeune enfant et l’entraînement du préleveur reste déterminant. En 2002, dans ses recommandations de bonnes pratiques devant des angines érythémateuses ou érythémato-pultacées, l’AFSSAPS (Agence Française de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé) a adopté la stratégie de prise en charge fondée sur l’utilisation des TDR, comme alternative à la bactériologie classique (culture sur gélose) qui est pratiquement irréalisable à large échelle. Le principe de ces tests consiste, à partir d’un prélèvement oro-pharyngé par écouvillonnage, à mettre en évidence l’antigène polysaccharidique du streptocoque A par une réaction antigène-anticorps en présence des anticorps spécifiques. Sa durée de réalisation est estimée à 10 minutes. Sa sensibilité est de plus de 90% avec une spécificité voisine de 95%. La culture n’est indiquée que si le TDR est négatif et qu’il y a des facteurs de risque de RAA. Cette technique de culture classique (gélose au sang) possède une sensibilité et une spécificité de 90 à 95%. Le résultat n’est obtenu que dans un délai de 1 à 2 jours, en sachant qu’une culture négative au bout de 48 heures, peut amener 5% de cas positifs en plus si elle est poursuivie jusqu’à 72 heures. En réalité, la confirmation de tout TDR négatif par une culture du prélèvement de gorge serait une attitude avec un coût excessif. Ainsi, aucun signe ou score clinique n’a de valeur prédictive positive et/ou négative suffisante pour affirmer l’origine streptococcique d’une angine, en dehors de signes cliniques d’une scarlatine typique. Selon les recommandations nord-américaines, une place très large est donnée aux scores cliniques. Pour les recommandations françaises, les scores cliniques n’ont pas d’intérêt et la prise en charge doit être centrée sur le TDR. Au Maroc, on essaie d’adopter les recommandations de l’OMS qui consistent à traiter d’emblée par un antibiotique, surtout s’il y a un exsudat pharyngé et des adénopathies cervicales. Au Maroc, en 2002, un guide pratique a été publié par le Ministère de la Santé pour améliorer la prise en charge de l’angine basée sur la clinique dans les formations sanitaires de base. Cependant, très peu de médecins marocains connaissaient et appliquaient ces recommandations. Par ailleurs, les TDR ne sont pas disponibles et les médecins n’y sont que très peu sensibilisés. Toute- fois, il parait souhaitable de sensibiliser les médecins à l’utilisation de ces tests, en commençant d’abord par les pédiatres et les médecins généralistes du secteur libéral, puis par la suite ceux du secteur public, afin de tester la faisabilité et de modifier ainsi notre comportement prescriptif systématique des antibiotiques. Il faut faciliter l’accès à ces produits et étudier leur prix et leur rapport coût-bénéfice. Une fois validée, cette stratégie pourrait être intégrée comme politique nationale de santé dans les centres de santé afin de mieux contrôler la prescription d’antibiotiques. Quoi qu’il en soit, la généralisation de ce test peut avoir certaines limites : une sensibilité inférieure à 100% de ces tests signifie que de vraies angines à SGA peuvent passer inaperçues ; la réalisation du test consomme plus de temps que la prescription de l’antibiotique ; le coût du test autour de 60 dirhams (5,64 euros en France) peut constituer un frein et un obstacle à la fois pour le médecin et pour le patient. Mais les économies d’épargne de l’antibiothérapie dépassent largement les frais des tests [6,7,8]. MODALITÉS DE L’ANTIBIOTHERAPIE 1. Objectifs de l’antibiothérapie et réduction du RAA [5] La prescription d’antibiotiques dans les angines à SGA a plusieurs objectifs : - Accélérer la disparition des symptômes même si la guérison spontanée des symptômes est de règle, leur durée est réduite d’environ 24 heures par les antibiotiques à condition d’être prescrits précocement. - Diminuer la dissémination du SGA à l’entourage : les patients ne sont plus contagieux 24 heures après le début du traitement antibiotique. Sans traitement, l’éradication du SGA peut être obtenue dans des délais plus longs, pouvant atteindre jusqu’à 4 mois. La diminution du portage pharyngé par les antibiotiques se traduit par la négativation des cultures de SGA chez au moins 90% des patients à la fin d’un traitement correctement conduit. -Prévenir les complications post-streptococciques, en particulier le RAA. Les seules études contrôlées ayant établi le pouvoir préventif (prévention primaire et 12 secondaire) des antibiotiques sur le RAA ont été menées avec la Pénicilline G injectable dans l’angine. Chez les patients présentant une angine à SGA (vérifiée par culture) traités par la pénicilline G intramusculaire, le taux de RAA était réduit d’environ 25%. -L’incidence des suppurations loco-régionales a diminué depuis l’introduction de la pénicilline, mais un phlegmon péri-amygdalien peut survenir même après un traitement antibiotique bien conduit d’une angine. L’effet préventif des antibiotiques sur la survenue de ces complications n’est pas clairement établi. La diminution de l’incidence des phlegmons pourrait être expliquée par l’évolution des conditions socio-économiques autant que par les antibiotiques. Les réalités des données actuelles dans la réduction du RAA dans les pays occidentaux permettent de souligner les points suivants : - Le RAA survient dans 1 à 3% des angines streptococciques non traitées. - Le RAA a quasiment disparu dans les pays industrialisés et cette diminution d’incidence a largement débuté avant l’apparition des antibiotiques. - L’efficacité des antibiotiques est prouvée dans la prévention du RAA. - Le RAA peut survenir dans un tiers, voire la moitié des cas chez des patients n’ayant eu aucun signe d’angine ou chez des patients ayant même été traités par antibiotiques. - Les risques du traitement antibiotique sont établis, notamment le risque individuel d’effets indésirables et les risques écologiques liés à l’évolution de la résistance bactérienne attribuée en partie à la consommation abusive d’antibiotiques. Dans ce contexte, la prise en charge des angines érythémateuses ou érythémato-pultacées a été modifiée dans les pays occidentaux pour ne traiter que celles qui doivent l’être. L’intérêt d’une prescription antibiotique plus sélective est triple : écologique (moindre augmentation des résistances), individuel (moindre risque d’effets indésirables) et économique. 2. Classes des antibiotiques à prescrire dans les angines érythémateuses ou érythémato-pultacées [9,10] De nombreux antibiotiques se sont montrés efficaces dans le traitement de l’angine. Ce traitement diffère Rev Mar Mal Enf 2013; 31 : 5-15 selon les pays et selon les médecins. En effet, la pénicilline G, la pénicilline V, la benzathine-benzylpénicilline, les aminopénicillines incluant les associations aux inhibiteurs des bétalactamases, les céphalosporines et les macrolides sont les antibiotiques les plus fréquemment utilisés. Cependant, il n’y a pas d’études démontrant que les traitements par la pénicilline V orale pendant 10 jours, par l’amoxicilline, les macrolides ou encore certaines céphalosporines, avaient le même pouvoir préventif et aussi efficace vis-à-vis du RAA que la pénicilline injectable. Mais, tous ces antibiotiques ont fait la preuve de leur efficacité sur l’éradication du SGA du pharynx dans des proportions comparables à la pénicilline injectable. L’antibiothérapie peut être retardée jusqu’au 9ème jour après le début de l’angine avec une prévention aussi efficace du RAA. Par contre, la preuve que les antibiotiques préviendraient la survenue d’une GNA (glomérulonéphrite aigue) n’a pas été rapportée. - La pénicilline G injectable est le traitement de référence historique dans le traitement de l’angine, car son efficacité a été démontrée en terme de prévention du RAA. La pénicilline V orale est devenue, par extension, le traitement de référence avec une durée validée de 10 jours. Malgré qu’elle soit de spectre étroit et bien tolérée, la pénicilline V reste très peu utilisée en pratique quotidienne, et elle n’est donc pas préconisée en première intention, compte tenu de la durée du traitement impérative de 10 jours. Des durées plus courtes, de 5 à 7 jours, ont montré des taux d’éradication plus bas avec davantage de rechutes. A cause du problème de la douleur et de la mauvaise tolérance locale, les médecins généralistes et encore moins les pédiatres, ne prescrivent plus d’injections intramusculaires de pénicilline chez l’enfant. Toutefois, en santé publique, l’intérêt de la Benzathine-benzylpénicilline (extencilline) en injection intra-musculaire unique reste capitale, car c’est le traitement le plus simple qu’il faut utiliser en cas de non respect d’un traitement oral prolongé et en cas d’un risque élevé de RAA ou de rechutes. C’est le traitement de référence du programme national de lutte contre le RAA. - Les aminopénicillines et les céphalosporines se sont montrés aussi efficaces dans le traitement de l’angine à SGA, mais aucune étude scientifique comparative n’a mis en évidence ni plus, ni moins d’échecs bactériologiques ou de rechutes avec la pénicilline. Rev Mar Mal Enf 2013; 31 : 5-15 - L’amoxicilline en courte durée de 6 jours est le traitement le plus préconisé, car d’une part son protocole facilite la bonne observance du traitement, et d’autre part, le SGA garde une très bonne sensibilité vis-à-vis de l’amoxicilline. L’amoxicilline est le traitement le plus préconisé par les médecins du secteur libéral. C’est d’ailleurs ce que recommande l’AFSSAPS. Quant à l’association amoxicilline-acide clavulanique, elle n’est indiquée que dans les angines récédivantes. - Les céphalosporines de 1ère génération peuvent être indiquées car elles sont aussi efficaces dans l’angine avec une éradication bactérienne supérieure mais leur coût est nettement supérieur. - Les céphalosporines de 2ème et 3ème génération par voie orale peuvent être utilisées en deuxième intention, notamment en cas d’allergie aux pénicillines, sans contre-indication aux céphalosporines. Cependant, la prescription des céphalosporines se heurte dans les pays en développement à un problème de coût même quand les traitements courts sont utilisés. - Les macrolides sont aussi efficaces par rapport au traitement de référence de la pénicilline V, avec une certaine équivalence entre eux. En plus, ils ont l’avantage d’être administrés en traitements courts : la clarithromycine et la josamycine en 5 jours, puis l’azithromycine en 3 jours du fait d’une demi-vie prolongée. Cependant, il faut prendre actuellement en considération l’augmentation croissante des souches résistantes de SGA aux macrolides pour mieux définir la place de ces antibiotiques dans le traitement. Des taux de résistance vis-àvis de l’érythromycine et de la clarithromycine à 14% jusqu’à plus de 20% ont été rapportées [11]. Dans ce cas, il vaut mieux les réserver en cas de contre-indication aux bêta-lactamines, une allergie en particulier. Par ailleurs, l’utilisation de nouveaux macrolides va de pair avec davantage d’effets secondaires gastro-intestinaux que par rapport à la pénicilline. Aux Etats Unis, entre 1989-1999, une surveillance nationale a montré que la prescription des antibiotiques recommandés, à savoir pénicilline orale, pénicilline intramusculaire et macrolides, diminuait tandis que celle des céphalosporines augmentait. Ainsi, la prescription d’un antibiotique dans le traitement des angines diffère selon les pays, les médecins, leurs perceptions du risque de complications et l’épidémiologie locale. La pénicil- 13 line V traitement « gold standard » est de plus en plus délaissée au profit des traitements courts. L’amoxicilline (6 jours), azithromycine (3 jours), céphalosporine (4-5 jours) sont de plus en plus prescrits par les médecins. Dans l’expérience Costa Ricaine des 30 dernières années, le diagnostic de l’angine à SGA était basé sur la clinique (fièvre, douleur de la gorge, mauvaise haleine, rougeur du pharynx exsudat et hypertrophie des amygdales). Le recours au test de diagnostic rapide et la culture n’étaient pas recommandés et le traitement de référence était la Benzathine-benzylpénicilline. Cette attitude a été d’un grand succès dans la réduction du RAA. Cependant, les schémas d’antibiotiques de courte durée doivent être de plus en plus recommandés. Une sensibilisation et une éducation des patients sont indispensables pour faciliter l’adhésion à une nouvelle stratégie de prise en charge des angines. Elles doivent insister sur l’intérêt de limiter l’indication de l’antibiothérapie au traitement des angines à SGA et la nécessité d’une bonne observance faisant privilégier les traitements de courte durée. L’intérêt des antibiotiques n’est pas prouvé dans le traitement des angines non streptococciques, en dehors des très exceptionnelles infections à Corynebacterium diphtheriae, Neisseria gonorrhoeae et à bactéries anaérobies. 3. L’évolution de l’angine sous traitement antibiotique est le plus souvent favorable. La persistance des symptômes après trois jours de traitement doit conduire à réexaminer le patient. En cas d’échec clinique, il n’y a pas de consensus pour la prise en charge thérapeutique. Toutefois, un avis spécialisé en ORL, en pédiatrie ou en infectiologie peut être nécessaire ainsi que la réalisation de prélèvements bactériologiques et biologiques. Les causes de ces échecs d’éradication ou de récidives sont en rapport avec : -Le portage chronique de SGA, asymptomatique et sans risque de complications, concerne 5 à 20% des enfants. Le prélèvement est positif alors même que l’angine est virale et les antibiotiques (péni V notamment) entraînent rarement une éradication du SGA chez ces enfants. Pour ces raisons, de nombreux experts aux 14 Rev Mar Mal Enf 2013; 31 : 5-15 Etats-Unis ne conseillent pas de réaliser un TDR (ou un prélèvement de gorge) chez les patients présentant une angine avec des signes évocateurs de maladie virale (toux, dysphonie, rhinorrhée, conjonctivite, vésicules), ni de vérifier l’éradication du SGA en fin de traitement chez les patients asymptomatiques. - La ré-infection à partir de l’entourage. Des récidives fréquentes peuvent amener à prélever, et en cas de résultat positif, à traiter l’entourage de l’enfant. - La mauvaise compliance au traitement est favorisée par un nombre élevé de prises journalières et une durée de traitement longue. La compliance diminue lorsque les symptômes s’amendent et chutent nettement après 5 jours de traitement. Or il est démontré que des traitements plus courts de 5 à 6 jours entrainent moins de récidive que les traitement longs et classiques. -La résistance des souches de SGA aux antibiotiques est rarement en cause. La pharmacocinétique des antibiotiques est variable d’un patient à l’autre, et un petit nombre de patients ont des concentrations amygdaliennes d’antibiotiques indosables. Sur le plan des échecs cliniques, aucune étude comparative n’a mis en évidence une différence significative entre la pénicilline et les autres antibiotiques ; on n’observe ni plus, ni moins d’échecs bactériologiques ou de rechutes avec la pénicilline qu’avec les autres antibiotiques. La réalisation de prélèvements bactériologiques par culture et antibiogramme permet enfin d’affiner les éventuelles résistances vis-à-vis de toutes ces classes d’antibiotiques. TRAITEMENT SYMPTOMATIQUE Ce traitement vise à améliorer le confort du malade. Il est utilisé soit isolément comme traitement de soutien dans l’angine virale, soit en association à l’antibiothérapie dans le traitement de l’angine bactérienne. - Les antalgiques et antipyrétiques tel le paracétamol sont recommandés. Il n’y a pas de données permettant d’établir l’intérêt ni des anti-inflammatoires non stéroïdiens à dose anti-inflammatoire ni des corticoïdes par voie générale dans le traitement des angines à SGA. Les corticoïdes peuvent parfois être indiqués dans certaines formes sévères d’angines à Epstein-barr virus (mononu- cléose infectieuse). Selon un essai clinique randomisé et contrôlé, une corticothérapie à durée courte apporterait un bénéfice dans la réduction de l’intensité et la durée de la douleur et de l’inconfort dans les formes sévères. Il n’existe pas de place à une bithérapie associant paracétamol et anti-inflammatoires non stéroîdiens. -Les anesthésiques locaux ont montré une action antalgique d’au moins 3 heures, mais l’intensité de leur effet était inférieure à d’autres traitements comme le paracétamol. -L’intérêt des antibiotiques administrés par voie locale n’a pas été démontré et il ne faut pas les recommander. ANGINES RECIDIVANTES Les angines sont considérées comme récidivantes à partir de 5 à 7 épisodes par an ou de 10 durant les 2 à 3 dernières années. La pertinence du diagnostic des épisodes antérieurs est difficile à affirmer. Elles représentent un problème souvent frustrant pour les pédiatres [10]. Ce type d’angines pose de réels problèmes thérapeutiques car leur caractère récurrent s’explique notamment par une modification de la flore oro-pharyngée avec un caractère poly-microbien au niveau des amygdales et des végétations adénoides, comme le montrent plusieurs études bactériologiques. En effet, des études ont retrouvé sur des pièces d’amygdalectomie pour angines récidivantes la présence de streptocoque A et l’association de germes co-pathogènes fréquemment producteurs de bétalactamase (plus 70% des cas) : Haemophilus influenzae, Bactéroides, Moraxella, staphylococcus aureus. Le caractère poly-microbien de cette flore impose l’adaptation de l’antibiothérapie dans le spectre de streptocoque et aussi de ces germes sécréteurs de betalactamases. Ainsi, il faut préconiser des molécules comme les céphalosporines de 1er G, l’association amoxicilline-acide clavulanique, les C2G, C3G orales. Ces trois derniers antibiotiques n’ont pas d’indication dans l’angine aigue. Enfin, aucune étude clinique scientifique n’a confirmé l’efficacité supérieure de ce type d’antibiotiques dans les angines récidivantes. En pratique clinique, il paraît licite de proposer dans un premier temps les traitements de référence de l’angine aigue en s’assurant de leur observance correcte puisque la non-compliance est une des principales causes de récidive. Il faut aussi faire une 15 Rev Mar Mal Enf 2013; 31 : 5-15 enquête à la recherche d’un éventuel porteur-recontaminant dans l’entourage, d’un facteur favorisant lié au terrain ou à l’environnement, d’un foyer infectieux ou inflammatoire de voisinage insuffisamment traité. Si les récidives continuent, on peut incriminer les remaniements anatomiques de l’amygdale et les modifications profondes de la flore amygdalienne. Il est alors recommandé d’utiliser les molécules douées d’une diffusion régulière dans l’amygdale, même fibrosée, scléreuse et non dégradée par les enzymes d’inactivation produits par la flore commensale de l’oropharynx. L’amygdalectomie n’est certes plus un acte pratiqué aussi largement qu’autrefois, mais elle garde des indications plus précises et indiscutables : angines récidivantes (5 et plus par an), amygdalite chronique (présence de caséum dans les cryptes de l’amygdale et réaction ganglionnaire persistante), phlegmon péri-amygdalien (abcédation souvent unilatérale), hypertrophie des amygdales avec obstruction pharyngée, ronflements nocturnes, respiration difficile pendant le sommeil et pauses respiratoires. CONCLUSION L’angine est l’une des affections aigues les plus fréquentes en médecine générale. L’antibiothérapie est essentiellement prescrite pour prévenir le RAA. La stratégie diagnostique et thérapeutique de l’angine préconisée par le programme national de santé est faiblement appliquée par les pédiatres et les médecins généralistes. De nombreux médecins jugent la distinction entre angines virales et bactériennes indispensable pour une bonne prise en charge. Face à des signes cliniques le plus souvent insuffisants, la réalisation d’un TDR pourrait aider le praticien à rationaliser l’indication de l’antibiothérapie dans le traitement de l’angine. Malgré le fait que dans notre contexte, cette attitude soit coûteuse et qu’elle soit astreignante pour le médecin, il faut la pratiquer si l’on a les possibilités. Sinon, il s’avère indispensable au moins d’utiliser les scores cliniques permettant de réduire l’antibiothérapie excessive tout en garantissant l’éradication du RAA. Plusieurs types d’antibiotiques sont utilisés dans le traitement de l’angine et ne correspondent pas souvent aux recommandations locales. Ainsi, l’efficacité, la tolérance, le spectre et le coût des antibiotiques doivent être pris en compte par les médecins généralistes dans leurs prescriptions. Les traitements courts sont maintenant à privilégier car ils permettent une bonne observance. Références 1. WHO/CDS/TB/2002.298c. Royaume du Maroc: Ministère de la Santé: Direction de l’Epidémiologie et de Lutte Contre les Maladies. Prise en charge combinée des maladies respiratoires et de la tuberculose. 2. Tanz RR. Clinical presentations of pediatric streptococcal pharyngitis in developed countries. Issues infect dis. Basel, Karger, 2004, pp 16-21. 3. Bisno AL, Chairman, Michael A. Gerber et al. Diagnosis and Management of Group A Streptococcal Pharyngitis practice guideline. Infectious Diseases.Society of America. Clin Infect Dis . 2002:35 • 113. 4. Michael A. Gerber. Diagnosis and Treatment of Group A Streptococcal Pharyngitis Seminars in Pediatric Infectious Diseases,1998 : 42-49 5. Guzman SV. 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