Angines aigues - Société Marocaine de Pédiatrie

DONNEES EPIDEMIOLOGIQUES
Au Maroc, le RAA est un problème majeur de santé
publique, en raison de sa fréquence et de sa morbi-
dité, nécessitant une lourde prise en charge médicale
et un suivi médico-social long et coûteux en matière de
dépenses de santé. En 1996, 5681 patients ont été traités
pour RAA, dont 2,5% d’enfants âgés de moins de 5 ans
(Fig.1). Cependant, il n’y a pas de données ministérielles
ofcielles sur la prévalence de l’angine [1]. Selon une
enquête à Settat, chaque médecin généraliste du secteur
public était sollicité à traiter 10 à 60 cas d’angines par
semaine alors que celui du secteur libéral n’en traite que
seulement 1 à 10 par semaine.
La prévalence du SGA et l’incidence du RAA
diffèrent des pays développés aux pays en voie de déve-
loppement. Ainsi, chez les écoliers, l’incidence du RAA
en Amérique du Nord varie de 0,2 à 50,5 pour 100 000
habitants par an, alors que cette incidence est de 300
pour 100 000 habitants par an dans les pays en voie de
développement (Fig.2).
En France, 9 millions de patients consultent pour des
angines chaque année. L’origine de ces angines est virale
dans 60 à 90%. Le SGA, bactérie la plus fréquente, n’est
en cause que dans 20% des angines, tous âges confon-
dus (25 à 40% chez l’enfant et 10 à 25% chez l’adulte).
L’angine survient à partir de l’âge de 3 ans ; son pic
d’incidence se situe entre 5 et 15 ans. Chez le nourrisson
et l’enfant de moins de 3 ans, les angines observées sont
généralement d’origine virale et le streptocoque n’est
Mise au point
L’angine est une des pathologies les plus fréquentes en pédiatrie et en médecine générale. Si dans
les angines aigues, les virus sont les premiers agents étiologiques, le streptocoque béta-hémolytique
du groupe A (SGA) reste la première bactérie en cause (25 à 40%).
Le rhumatisme articulaire aigu (RAA), principale complication des angines à SGA, constitue
toute la gravité potentielle de l’infection. La prévention des complications post-streptococciques, en
particulier du RAA, passe par un traitement antibiotique adapté des angines streptococciques. Pour
reconnaître celles-ci parmi l’ensemble des angines, le recours aux seules données cliniques reste
une stratégie insufsante et très controversée. Le recours au test de diagnostic rapide (TDR) permet
de bien différencier une angine virale d’une angine bactérienne. Ainsi, ce test permet d’économiser
le coût du traitement antibiotique inutile des angines virales, qui sont les plus fréquentes, et de
réduire la survenue des résistances bactériennes en épargnant l’antibiothérapie. Or, en consultation
quotidienne et surtout dans le contexte de la santé publique, il est évident que ce test poserait aussi
le problème de son coût, de sa disponibilité et de sa faisabilité.
Par conséquent, au Maroc, la stratégie «maximaliste» d’antibiothérapie systématique de toutes
les angines s’inscrit dans le même ordre que celle de l’ensemble des pays en développement,
l’incidence du RAA est environ 50 à 100 fois plus fréquente que dans les pays développés.
Angines aigues
M. Bouskraoui1, A. Abid2
1 Service de Pédiatrie A, Hôpital Mère-Enfants, CHU Mohamed VI, Université Cadi Ayad, Marrakech
2 55, Boulevard Zerktouni, Casablanca
Rev Mar Mal Enf 2013; 31 : 5-15 5
Fig.2. Prévalence de RAA chez l’enfant entre 5 et 14 ans.
Fig.1. Nombre de nouveaux cas de RAA, de cardites et de rechutes : 2005 -2011.
6Rev Mar Mal Enf 2013; 31 : 5-15
que rarement en cause. D’autres bactéries, en particulier
d’autres streptocoques bêta-hémolytiques (notamment
C et G) peuvent être en cause de façon plus rare, mais ils
ne partagent pas le risque de RAA du SGA.
SYMPTOMATOLOGIE CLINIQUE
L’angine constitue un syndrome clinique qui associe
une èvre, une gêne douloureuse à la déglutition (odyno-
phagie), des modications de l’aspect de l’oropharynx et
des adénopathies sous-maxillaires satellites. En fonction
de l’agent étiologique et de l’âge du patient, d’autres
symptômes sont diversement associés, à savoir douleurs
abdominales, éruption cutanée et/ou signes respiratoires
(rhinorrhée, toux, enrouement, gêne respiratoire). Le
diagnostic de l’angine est essentiellement clinique, et
se fait par l’examen de l’oropharynx [2,3,4]. Plusieurs
aspects cliniques sont possibles :
- Les amygdales et le pharynx sont uniquement
congestifs: c’est l’angine érythémateuse (Fig.1,2).
- Il peut s’y associer un enduit purulent parfois
très abondant recouvrant une partie ou toute la surface
de l’amygdale: c’est l’angine érythémato-pultacée
(Fig.3,4).
- Le pharynx peut présenter des vésicules: c’est l’an-
gine vésiculeuse (herpangine due à un entérovirus, virus
coxsackie ou gingivo-stomatite herpétiforme). Il peut
être aussi ulcéreux, ulcéro-nécrotique ou phlégmoneux.
Dans la majorité des cas l’atteinte est bilatérale. Ce
sont surtout les deux premiers aspects d’angine érythé-
mateuse et érythémato-pultacée qui posent un problème
de diagnostic étiologique entre virus et SGA, et donc de
choix de prescrire ou non une antibiothérapie. Enn, Il
peut être difcile de distinguer une angine d’une rhino-
pharyngite chez un enfant présentant une hypertrophie
chronique des amygdales ; la présence d’une odynopha-
gie est en faveur d’une angine.
Il faut insister sur l’examen de la gorge qui doit
se faire dans de bonnes conditions : chez un enfant
couché ou assis, à l’aide d’un abaisse-langue et d’une
torche avec un bon éclairage, de préférence une lumière
blanche. Cet examen n’est pas toujours chose facile et
dans bien des cas, l’enfant ne s’y prête pas volontiers. Il
Fig.3. Angine erythémateuse.
Fig.5. Angines érythemato-pultacées.
Fig 4. Angine erythémateuse avec quelques
pétéchies du voile.
Rev Mar Mal Enf 2013; 31 : 5-15 7
faut donc savoir agir avec douceur et sans précipitation.
Il importe de ne pas avoir la simple vue des amygdales
mais de tout l’intérieur de la bouche. Il n’est pas toujours
aisé d’apercevoir un enduit pultacé plus ou moins caché
dans les replis des piliers. Il faut s’efforcer de ne procé-
der qu’à une seule investigation mais ne pas hésiter à
la recommencer s’il persiste un doute d’exploration
incomplète des amygdales, des piliers, de la luette, du
voile du palais, de la paroi postérieure du pharynx, des
muqueuses jugale, gingivale et linguale. Ce geste sera
complété par la palpation des ganglions cervicaux et un
examen clinique complet, notamment cardiovasculaire.
APPROCHE DU DIAGNOSTIC ETIOLOGIQUE
Les germes isolés dans les prélèvements de gorge
chez des patients atteints d’angines sont nombreux, mais
ils restent largement dominés par les virus et le strepto-
coque du groupe A.
Les streptocoques des groupes C, G, E, F, le gono-
coque, l’Arcanobacterium Hæmolyticum sont très rares
et peuvent aussi être en cause. Ces bactéries ne donnent
qu’exceptionnellement les complications du SGA, elles
ne sont pas sensibles à la pénicilline et ne poussent pas
sur les milieux de culture utilisés pour les angines à SGA
(gonocoque). Autrement dit, ni un traitement systéma-
tique par la pénicilline, ni les prélèvements de gorge
systématiques ne permettent de dépister et de traiter
ces patients. Enn, certaines bactéries n’ont aucun rôle
pathogène démontré et ce sont des bactéries commen-
sales, comme Hæmophilus inuenzae et parainuenzae,
Brahamella catarrhalis, pneumocoque, staphylocoque,
anaérobies. Quant à Corynebacterium diphtheriae, il
n’est plus en cause dans notre pays du fait de la vaccina-
tion contre la diphtérie (Tab.I).
Sur le plan scientique, la différenciation entre une
angine à SGA et une angine virale est indispensable pour
une prise en charge optimale de l’angine, dont l’objectif
est de limiter le coût économique de l’antibiothérapie
systématique et de contribuer à réduire la sélection des
résistances bactériennes. Ainsi, selon certaines enquêtes
effectuées auprès du corps médical, cette distinction
serait très utile en pratique médicale courante pour
une grande proportion des médecins interviewés : 78%
selon une étude tunisienne et 67% pour des médecins
marocains. Selon ces médecins interviewés, les signes
cliniques qui doivent faire évoquer une angine bacté-
rienne, sont dans 51% la présence d’exsudat sur les
amygdales, la èvre intense dans 41%, la rougeur dans
23% et la présence d’adénopathie cervicale pour 21%
de ces médecins. En réalité, cette distinction n’est pas
aussi simple.
1. La distinction entre angine virale et angine
bactérienne n’est pas facile cliniquement, car aucun
des critères fonctionnels et physiques d’angine aiguë
n’est totalement discriminant. En effet, la combinai-
son de plusieurs critères cliniques tels que l’exsudat, les
adénopathies cervicales antérieures, l’absence de toux
et la présence de la èvre peuvent aider le praticien à
seulement prédire l’origine streptococcique de l’angine,
mais sans la conrmer. A l’opposé, la symptomatologie
évoquant une origine virale comporte l’absence de èvre,
l’existence d’une toux, d’un enrouement, d’un coryza,
d’une conjonctivite, d’une diarrhée et la présence de
vésicules ou d’une stomatite. Toutefois, l’exsudat peut
être retrouvé même en cas d’angines virales (Tab.II).
2. De nombreux scores cliniques sont proposés pour
aider les médecins à prescrire une antibiothérapie ou
non devant une angine. Ces différents scores cliniques
ont une sensibilité et une spécicité variables, mais dont
les résultats, par rapport à la culture, ne sont pas toujours
satisfaisants. Ainsi, dans les pays en développement
où le RAA demeure un problème de santé, il s’avère
donc nécessaire d’adapter et contextualiser ces scores
cliniques, an d’obtenir localement une sensibilité
élevée et une spécicité adéquate (Tab.III et IV) [3,4,5].
On peut citer :
- Le score clinique de l’OMS, appliqué en Egypte
chez des enfants de 5 à 12 ans, révèle une spécicité de
93,8 à 97,4%, mais une très faible sensibilité de 3,6 à
8,5%. Cela est insatisfaisant dans une prise charge basée
uniquement sur la clinique vu le fort pourcentage des
faux négatifs.
- Le score de Breese varie de 18 à 38. Un score posi-
tif, supérieur ou égal à 26, correspond à un risque signi-
catif d’angine streptococcique. Une forte probabilité
d’angine streptococcique, autour de 85%, est obtenue si
le score est supérieur à 31. Selon une étude menée en
Turquie portant sur des enfants de 3 à 17 ans, pour un
score de Breese supérieur ou égal à 30, la sensibilité était
8Rev Mar Mal Enf 2013; 31 : 5-15
Tableau I. Principales caractéristiques cliniques des angines à SGA et des angines virales.
Eléments permettant de suspecter cliniquement une angine à SGA
Angine à SGA Angine virale
Epidémiologie - Hiver et début printemps
- Pic d’incidence entre 5 et 15 ans (survenue
possible dés 3 ans)
Signes fonctionnels
ou généraux
- Début brutal
- Dysphagie intense
- Absence de toux
- Fièvre élevée
- Début progressif
- Dysphagie modérée ou absente
- Toux, coryza, enrouement, diarrhée,
arthralgies, myalgies
Signes physiques - Erythème pharyngé intense
- Adénopathies satellites sensibles
- Purpura du voile
- Eruption scarlatiniforme
- Exsudat
- Vésicules (Coxsackie, herpès)
- Eruption évocatrice d’une maladie virale (ex.
syndrome pieds-mains-bouche)
Tableau II. Scores cliniques de diagnostic de l’angine à Steptocoque A
Auteurs Critéres diagnostiques Score si présent Score si absent
Breese et al Saison
Age
Taux de globules blancs dans le sang
Fièvre>38,50c
Mal de gorge
Céphalée
Pharynx anormal
Adénopathie cervicale antérieure
Toux
1-4
1-4
1-6
4
4
4
4
4
2
2
2
2
2
2
4
Centor et al Exsudat
Adénopathie cervicale antérieure
Toux
Histoire de la èvre
1
1
0
1
0
0
1
0
Wald et al Age (5-15 ans)
Saison (novembre- mai)
Fièvre>38,30c
Adénopathie cervicale antérieure
Erythème, hypertrophie, exsudat des amygdales
Signes d’infections respiratoires hautes
1
1
1
1
1
0
0
0
0
0
0
1
Mc Isaac et al Température>38oc
Toux
Adénopathie cervicale antérieure
Amygdale hypertrophiée ou exsudat
Age 3–14 ans
Age 15–44 ans
Age > 45 ans
1
0
1
1
1
0
-1
0
1
0
0
0
0
0
Abu Reesh Exsudat ou adénopathie cervicale 1 0
Steinhoff et al Adénopathie cervicale
Rash cutané
Rhinite
1
0
0
0
1
1
OMS Exsudat et adénopathie cervicale 1 0
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